CA Douai, 6e ch. corr., 29 janvier 2009, n° 07-02491
DOUAI
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lemaire
Conseillers :
Mme Alvarade, M. Cadin
Avocats :
Mes Beaudouin, Cohen
RAPPEL DE LA PROCÉDURE
Sur citation directe du 21 novembre2005 (après celles des 5 janvier - non enrolée et 3 mars - déclarée irrecevable - 2004) diligentée à l'initiative du GIE "Groupement Qualité Cocorette", de l'Association des Fermes Cocorette, de la société Sacco, de la société Sanco, de la société Le Panier d'Oeuf, de la société Nat'Oeuf, de la société Histoire d'Oeuf, de la société Saveur des oeufs, ont été convoqués devant le Tribunal correctionnel de Béthune :
- Y, Président Directeur Général de la société A,
- La société A,
aux fins d'entendre ledit tribunal :
"Dire et juger qu'en commercialisant, entre le 4 novembre 2002 et le 25 juin 2004, leurs œufs sous la dénomination "oeufs fermiers", les prévenus se sont rendus coupables du délit de publicité trompeuse" ;
En répression,
Les retenir dans les liens de la prévention ;
Les condamner conjointement et solidairement à payer :
- 40 363 euro à la société Sacco,
-15 377 euro à la société Sanco,
- 11 708 euro à la société Panier d'Oeuf,
- 6 377 euro à la société Nat'Oeuf,
- 6 079 euro à la société Histoire d'Oeuf,
- 1 642 euro à la société Saveur des Oeufs,
- 15 000 euro à l'association des fermes de Cocorette,
- 15 000 euro au GIE Cocorette,
Ordonner, en application des articles 131-39 du Code pénal et L. 213-6 2° du Code de la consommation, la publication, aux frais exclusifs des prévenus, d'un extrait du jugement ainsi conçu :
" par jugement rendu le Tribunal correctionnel de Béthune a jugé que la mention "oeufs fermiers" portée par A sur ses oeufs était constitutive d'une publicité mensongère ",
dans quatre organes de presse dont au moins 2 appartenant à la presse spécialisée (tels que ceux cités ci-dessus), choisis par le GIE Cocorette et l'Association des Fermes et dans la limite de 5 000 euro hors taxe par insertion;
Condamner les prévenus sous la même solidarité, à payer à chacun des plaignants la somme de 1 000 euro en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par jugement contradictoire du 3 janvier 2006, le tribunal a dit que la partie civile devra verser au greffe du tribunal, dans un délai d'un mois à compter du présent jugement la somme de 8 000 euro à titre de consignation, en vue de garantir le paiement d'une éventuelle amende civile, a renvoyé les débats de l'affaire à l'audience du 28 mars 2006 à 13 h 30 sans nouvelle citation et a dit que pour ladite audience, la partie civile poursuivante devra fournir les renseignements d'identité nécessaire pour l'obtention du bulletin n° 1 du casier judiciaire.
Le 27 janvier 2006, le Régisseur a certifié avoir reçu du GIE Cocorette la somme de 8 000 euro susvisée.
Par jugement contradictoire du 23 mai 2006, le Tribunal correctionnel de Béthune a ordonné la réouverture des débats aux fins d'observations des parties sur l'éventuelle requalification des faits reprochés en tromperie, faits prévus et réprimés par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et a renvoyé l'affaire à l'audience du 9 novembre 2006 à 13 h 30.
Par jugement contradictoire du 5 juin 2007, ce même tribunal a dans son dispositif sur l'action publique déclaré A représenté par Y, A coupables des faits reprochés, alors que dans ses motifs, après avoir rappelé que l'article L. 213-1 1er du Code de la consommation réprime le fait de tromper le consommateur sur la nature (...) les qualités substantielles d'un produit, et considéré qu'en l'espèce, la société A avait utilisé la qualification " oeuf fermier " pour commercialiser ses produits alors qu'il ressort des pièces versées aux débats que cette société opérait un ramassage des oeufs par un procédé semi automatique avec des tapis alimentaires en plastique sans intervention manuelle directe et que cette opération quasiment industrielle était incompatible avec le terme de fermier (qui induit chez le consommateur une image traditionnelle liée à cette appellation), a estimé que dès lors la société A et son PDG ont tenté de tromper le consommateur et étaient donc coupables de l'infraction visée à l'article L. 213- 1 1er du Code de la consommation.
Le tribunal a condamné chacun des deux prévenus (mais en l'espèce 2 personnes morales qui sont la même société en omettant la personne physique) à une amende délictuelle de 20 000 euro,
Sur l'action civile, le tribunal a reçu les huit (8) sociétés ou groupements susvisés en leur constitution de partie civile, régulière en la forme et les a déboutées de leur demande au titre du préjudice matériel.
Il a condamné solidairement ces deux personnes morales à payer la somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour à chaque partie civile.
Il les a condamnés en outre aux dépens sur l'action civile.
Le 11 juin 2007, les prévenus ont interjeté appel principal des dispositions pénales et civiles du jugement entrepris par déclaration au greffe du Tribunal de grande instance de Béthune, suivis le jour même par le Ministère public en son appel incident sur les dispositions pénales relatives aux deux prévenus, étant précisé que Y est décédé le 21 février 2008 (bulletin de décès en date du 20 mars 2008 versé au dossier de la cour).
La cour constatera l'extinction de l'action publique à l'égard de Y, ladite action se poursuivant à l'égard de la personne morale, la société A dont le PDG actuel est M. Z.
A l'audience,
La cour précise aux parties que les débats porteront sur:
- la tromperie
- la tentative de tromperie
- la publicité trompeuse.
La SAS A appelante, dont le PDG actuel est présent, est représenté par son avocat qui dépose des conclusions de relaxe visées par le greffe : le présent arrêt sera contradictoire à son égard.
Ces conclusions sont également établies au nom de Mathieu et Maxime Y et de Fabienne B venant aux droits de Y qui sollicitent que la cour leur donne acte de leur intervention au soutien de l'appel interjeté par ce dernier : le présent arrêt sera également contradictoire à leur égard.
Les concluants rappellent que A est une entreprise de conditionnement et de commercialisation d'oeufs sous labels ou certifiés agriculture biologique, produits par les membres de A, dans la Sarthe. Les oeufs vendus sous label sont produits par des poules fermières élevées en liberté dans des exploitations familiales par des fermiers qui respectent depuis 1999 les critères validés par la Commission Nationale des Labels et des certifications de produits agricoles et alimentaires (CNLC) pour bénéficier de la dénomination "oeufs fermiers". Le cahier des charges des labels (LA 09.97 et LA 35.99) est détenu par le syndicat des volailles fermières de Loué (Syvol Qualimaine) qui a demandé en février 1999 l'homologation d'un cahier des charges conforme à ces critères validés par la CNLC. Depuis cette date, les éleveurs A ont respecté ces critères, repris dans le cahier des charges, "oeufs fermiers de Loué", qui a été homologué en juin 2004 sous le numéro 35.99.
En observations liminaires, les concluants tiennent à souligner les éléments suivants :
- le mode de ramassage n'est pas le fait de la société A mais de producteurs d'oeufs fermiers, groupés dans la coopérative agricole A, dont la SAS conditionne et commercialise la production d'oeufs produits sous label. Comme les 7 sociétés intimées, elle est un intermédiaire qui n'intervient pas dans le processus de production des oeufs.
- le mode de production des oeufs fermiers produits par les éleveurs de Loué, et notamment le mode ramassage, était le même en octobre 2003 qu'aujourd'hui : il fait l'objet de contrôles annuels tant par les services vétérinaires que par l'organisme certificateur et ponctuellement par la DGCCRF.
- depuis le début de la procédure, la société A n'a fait l'objet d'aucune plainte de consommateurs et d'aucune poursuite de la DGCCRF.
- les ministres de l'Agriculture et de l'Economie et des Finances ont toujours validé le mode production des oeufs fermiers tel que décrit dans le cahier des charges déposé par le Syvol Qualimaine en 1999, homologué en juin 2004, puis en janvier 2007 le GIE Cocorette n'a jamais formé de recours à l'encontre de ces arrêtés.
- le présent litige n'oppose pas des producteurs industriels à des petits fermiers traditionnels mais des sociétés qui conditionnent et commercialisent des oeufs de qualité supérieure dans les grandes et moyennes surfaces, le fondateur du GIE Cocorette venant de la grande distribution et cherchant à s'installer dans une situation de monopole sur ce segment de marché.
A titre principal,
Les concluants soulèvent outre l'extinction de l'action publique à l'égard de Y, l'irrecevabilité de la demande des parties civiles au visa de l'article 2 du Code de procédure pénale (défaut d'intérêt à agir faute de préjudice) et de l'autorité de la chose jugée. Ils considèrent qu'il a été définitivement jugé par le Tribunal correctionnel de Béthune dans son jugement de relaxe du 31 mars 2005 que les demandeurs ne justifiaient pas remplir cette condition posée par l'article susvisé. Le dispositif du jugement devenu définitif après désistement déclarait "nulle la citation délivrée par le GIE groupement qualité Cocorette au double motif que celle-ci ne comportait pas l'indication des noms des personnes habilitées à représenter cette société et que le GIE groupement qualité Cocorette ne justifiait pas de la détention au moment de la citation d'un arrêté en vigueur lui confirmant la qualité oeufs fermiers". Les concluants estiment que ce jugement, revêtu de l'autorité de la chose jugée, s'impose au GIE et à ses membres.
Ils considèrent que cette exception d'irrecevabilité, d'ordre public, peut être soulevée en tout état de cause.
A titre subsidiaire : au fond,
S'agissant de la motivation du jugement, ils lui reprochent les éléments suivants :
- une erreur matérielle, car les oeufs fermiers de Loué sont bien ramassés à la main ;
- une erreur de droit, car le terme "fermier" est une mention valorisante régie par des textes dont il n'a pas tenu compte ;
- l'absence de caractérisation de l'élément intentionnel de l'infraction, notamment le constat des circonstances d'où se déduit la mauvaise foi du prévenu ;
- l'absence de réponse aux moyens développés.
S'agissant de la prévention de tromperie, il est reproché à la société A d'avoir utilisé en octobre 2003 le terme "fermier" pour commercialiser des oeufs produits sous label, en l'espèce LA 09-97 homologuant le cahier des charges oeufs de poules fermières.
Les concluants font valoir que ne peut constituer une allégation trompeuse l'usage d'une mention valorisante réglementée, dans le respect de cette réglementation.
Ils estiment que lorsqu'en octobre 2003 (date du constat qui fonde les poursuites), ils ont commercialisé leurs oeufs avec la mention "fermiers", ils étaient autorisés à le faire, par application de l'article L. 640-2 du Code rural dans sa rédaction issue de la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 "sans préjudice des réglementations communautaires, ni des réglementations nationales en vigueur à la date de promulgation de la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 d'orientation agricole, ni des conditions approuvées, à la même date, pour bénéficier d'un label agricole, l'utilisation du qualificatif "fermier" ou de la mention "produits de la ferme" ou "produits à la ferme" ou de toute autre dénomination équivalente est subordonnée au respect des conditions fixées par décret".
Ils font observer que ce décret n'est toujours pas paru, un décret spécifiquement consacré à l'oeuf fermier étant actuellement en cours de préparation. Restent donc applicables les conditions approuvées à la date de la promulgation de la loi du 9 juillet 1999 pour bénéficier d'un label agricole, soit pour les oeufs fermiers, un document validé par la CNLC le 19 avril 1999 et intitulé "critères minimaux à remplir pour l'obtention d'un label oeufs fermiers".
C'est donc cette réglementation qui était applicable en octobre 2003. Sur la base de ces documents ont été homologués les cahiers des charges des oeufs fermiers en cours d'instruction lors de la promulgation de la loi : en juin 2004, puis en janvier 2007, celui du Syvol Qualimaine pour les fermiers de Loué et en février 2007, celui du GIE Cocorette.
Ils soutiennent qu'il ressort de la comparaison des différents constats (celui établi à la requête du GIE le 25 octobre 2005 dans l'exploitation de M. Martial C et ceux établis à l'initiative de A dans la même exploitation) et des attestations complémentaires produites en appel que les oeufs produits dans les élevages des fermiers de Loué sont ramassés manuellement après évacuation directe des nids, comme le prévoit la réglementation : le document validé par la CNLC prévoir en son article 4 que "le ramassage des oeufs se fait manuellement soit dans les nids, soit après leur évacuation directe des nids".
Ils précisent que les producteurs A ont opté pour la deuxième branche de l'alternative, le GIE Cocorette pour la première. La raison de ce ramassage manuel est de permettre au producteur de trier les oeufs avant de les envoyer au centre de conditionnement, et d'éliminer ceux qui sont sales ou déformés. L'opération de collecte manuelle s'effectue au moins deux fois par jour, le producteur actionnant alors la bande transporteuse sur laquelle les oeufs pondus dans la journée ont roulé par gravitation.
Ils estiment qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'un procédé industriel ou quasi-industriel contrairement à ce qu'a retenu le tribunal par erreur manifeste et lecture partielle des pièces versées aux débats.
Ils considèrent que les oeufs présentés comme "fermiers" en octobre 2003 aux clients du Carrefour de Lavougne correspondaient strictement à ce qu'ils étaient en droit d'en attendre :
* pondus à Loué dans des élevages de type familial (M. C exploite dans le cadre d'un GREC familial) ;
* par des poules élevées en plein air conformément au cahier des charges du label poules fermières de Loué (au moins 10 m2 de parcours extérieur par poule) ;
* dans des conditions conformes au cahier des charges des labels oeufs de poules fermières et oeufs fermiers LA 09,97 et LA 35-99 (nombre de poules limité à 6 000) ;
* selon les critères validés par la CNLC pour l'obtention du label oeuf fermier.
Ils estiment que ni l'élément matériel ni l'élément intentionnel ne sont établis.
S'agissant de la prévention de publicité trompeuse (article L. 121-1 du Code de la consommation), ils réfutent que la dénomination "oeufs fermiers" constituerait une allégation fausse ou de nature à induire en erreur le consommateur. Ils considèrent que les prescriptions de la CNLC, approuvées en avril 1999 (et non remises en cause postérieurement par une délibération du 6 avril 2000), offrent en ce qui concerne le ramassage des oeufs, une option entre un ramassage direct dans les nids ou un ramassage après l'évacuation directe des nids et que dans les deux cas le ramassage est manuel. Il ressort des divers documents produits aux débats que les oeufs fermiers vendus par A sont pondus dans des nids, roulent par gravitation jusqu'à une bande transporteuse couverte, jusqu'à une table de tri où ils sont ramassés et triés manuellement. Ils estiment que ce procédé qui n'a rien d'industriel est parfaitement conforme à la réglementation, comme l'atteste l'organisme certificateur (Quali Ouest) qui est chargé du contrôle du respect du cahier des charges par les éleveurs de A. Selon eux, il est donc établi qu'à la date des faits, soit en octobre 2003, A pouvait utiliser le terme "fermier" pour commercialiser ses oeufs, étant précisé qu'elle ne s'approvisionnait que chez les producteurs de A. Cette mention n'était ni fausse ni de nature à induire les consommateurs en erreur les mentions figurant sur les boîtes distribuées par A étaient exactes et strictement réglementaires.
A la lumière d'une étude de notoriété réalisée en 2002 à la demande de Syvol Qualimaine permettant de connaître les attentes des consommateurs achetant des oeufs fermiers (poules élevées en liberté, nourries avec des céréales de la région, provenant d'une exploitation familiale, oeuf d'une grande fraîcheur : critères remplis par A), et contrairement au sondage produit par le GIE, tendancieux et dépourvu de toute valeur probatoire en raison de la méthode adoptée (entretiens particuliers et choix critiquable des photos), ils considèrent que la relaxe s'impose, notamment au visa de l'article 122-4 du Code pénal.
En substance, les concluants font valoir :
- le simple usage d'une mention valorisante dans des conditions conformes à la réglementation ;
- l'absence d'utilisation de slogans, d'images, de mises en scène susceptibles de tromper les consommateurs ;
- l'absence d'usurpation d'une appellation réservée ou d'une marque ;
- l'absence de vente d'oeufs provenant d'élevages industriels, mais d'oeufs produits sous le contrôle d'un organisme certificateur et des agents de la DGCCRF et de la DSV qui visitent les élevages une fois par an en moyenne, le tout dans le respect d'un cahier des charges homologué par un arrêté interministériel.
S'agissant de l'action civile, les concluants rappellent que les parties civiles n'ont pas interjeté appel du jugement devenu définitif en ce qu'il les a déboutées de leurs demandes relatives au préjudice matériel.
Ils demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris sur les dommages et intérêts alloués au titre du préjudice moral pour les 6 sociétés ou organismes autres que l'Association des Fermes Cocorette qui n'en avaient pas demandé. Pour cette dernière, ils concluent au rejet de sa demande dès lors qu'elle n'a jamais produit ses statuts et qu'elle ne justifie pas de la qualité à agir de son président. Ils demandent également à la cour de rejeter toute publication de l'arrêt dans la presse au regard de l'ancienneté des faits et du caractère incontestable de la légalité depuis juin 2004 de la commercialisation par A des oeufs fermiers de Loué.
S'agissant de la demande reconventionnelle, ils demandent à la cour en raison de cette constitution de partie civile particulièrement abusive (acharnement, imprécisions du constat d'huissier dressé chez Mickaël C, accusations graves et blessantes) la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts en application de l'article 472 du Code de procédure pénale et celle de 10 000 euro au titre de l'article 475-1 du même Code, outre les dépens.
Le Ministère public s'en rapporte.
Les 8 parties civiles intimées sont représentées par un avocat qui dépose des conclusions visées par le greffe : le présent arrêt sera contradictoire à leur égard.
Le GIE Cocorette rappelle qu'après 15 ans d'efforts, il a obtenu en décembre 1998 sur un arrêté d'homologation du label rouge LA 18-98 "oeufs fermiers de poules élevées en libre parcours" alors que A n'a été autorisée qu'à utiliser la dénomination de vente "oeuf de poule fermière de Loué", précisément parce qu'il n'était pas produit selon des méthodes fermières. Toutefois A a modifié de son propre chef la dénomination autorisée pour accoler l'adjectif "fermier" au mot "oeuf' et aboutir ainsi à l'expression "oeuf fermier de Loué" alors que son arrêté d'homologation du label agricole ne lui permettait pas de pratiquer une telle inversion.
Il fait valoir le fait que les prévenus aient obtenu de l'Administration par la publication au JO le 2 juin 2004 l'autorisation de dénommer leurs oeufs "oeufs fermiers de Loué" au demeurant par un lobbying intensif ne fait pas disparaître le délit pour la période antérieure, étant observé que la question de la légalité - douteuse - de l'arrêté du 2 juin 2004 peut être soumise au juge répressif par le biais de l'exception d'illégalité.
S'agissant de la recevabilité de l'action introduite par les parties civiles, il conteste la possibilité pour A de soulever pour la première fois en cause d'appel cette exception non soulevée in limine litis. De plus, il précise qu'à aucun moment le jugement de 2005 ne fait la moindre allusion au préjudice, pour cette simple raison qu'il prononce la nullité de la citation. Qu'en tout état de cause, il est certain que les producteurs qui utilisent à bon droit une mention valorisante pâtissent de l'apposition délictueuse de cette mention par tel ou tel de leurs concurrents, en sorte que la condition d'intérêt à agir, posée par l'article 2 du Code de procédure pénale, est remplie en l'espèce.
Au fond, s'agissant de l'existence du délit, le GIE considère que les faits qui fondent la prévention sont constitutifs à la fois d'une tromperie, comme l'ont estimé les premiers juges, et d'une publicité trompeuse,
Quant à l'élément matériel commun aux deux préventions, la cour dispose pour déterminer ce qu'est un oeuf fermier des deux données que constituent:
- d'une part, la position adoptée par l'organe spécialisé chargé, au sein du ministère de l'Agriculture, de définir ce qui doit être considéré comme un oeuf fermier, à savoir la Commission Nationale des Labels et Certifications (CNLC),
- d'autre part, l'opinion du consommateur.
S'agissant de la qualification d'œuf fermier telle qu'établie par la CNLC, le GIE fait valoir que la section "examen des référentiels" après avoir admis en avril 1999 que l'on puisse qualifier de fermiers non seulement les oeufs ramassés à la main, mais également ceux pondus sur un tapis de ponte (ramassage par convoyage semi-automatique) s'est, dès le 6 avril 2000, à nouveau réunie pour examiner la possibilité d'utiliser un convoyage semi-automatique avec la mention "fermier".
Il ressort du compte-rendu de cette délibération que par vote du 6 avril 2000, cette disposition n'a pas été acceptée, estimant que l'image que le consommateur pouvait se faire des "oeufs fermiers" ne correspondait pas à l'utilisation d'un tel procédé automatique. Cette même instance a, dès le 7 septembre 2000, donné aux groupements qualité qui revendiquent le label "oeufs fermiers label rouge" un délai expirant le 1er janvier 2002 pour la mise en place du ramassage manuel, date butoir avancée au 30 juin 2001 par décision du 13 octobre 2000, étant précisé que le vice-président de A siège à ladite commission. Malgré tout, la prévenue n'a rien changé à ses pratiques de ramassage tout en continuant à utiliser une dénomination à laquelle elle savait ne pas avoir droit et qu'elle savait non conforme aux prescriptions de la CNLC (elle n'a obtenu satisfaction, à force de pressions, qu'en 2004 grâce à la mise en place d'une nouvelle commission).
Le GIE conteste à la prévenue de se prévaloir d'un ramassage manuel alors que les constats d'huissier des 9 et 25 octobre 2005 démontrent que les poules pondent au-dessus de tapis roulants automatiques qui acheminent directement les oeufs jusqu'à leur point de rassemblement.
Il considère que la présentation habile faite par A selon laquelle le ramassage des oeufs se fait manuellement "après leur évacuation directe des nids" n'est pas recevable, dès lors que l'acheminement des oeufs de la ponte jusqu'à leur point de sortie se fait sans aucune intervention manuelle, M. C parlant de ramassage semi-automatique.
Il insiste sur le fait que la ponte en nids paillés est rationnelle d'un point de vue épidémiologique, tandis qu'à l'inverse, dans les processus automatisés, l'œuf roule, aussitôt pondu, sur une bande transporteuse en plastique, ce qui fait qu'une partie de la cuticule, encore humide, reste sur les supports sur lequel l'oeuf a roulé, avec à l'arrivée, une protection microbienne très partielle.
Il précise que la principale différence entre tromperie et publicité trompeuse tient à ce que, contrairement au délit de publicité trompeuse, celui de tromperie requiert l'élément intentionnel, les juridictions répressives accordant une importance décisive à tout ce que les mots employés peuvent évoquer dans l'esprit du consommateur : ainsi, la Cour de cassation estime indifférent qu'une mention ou une dénomination fasse ou non l'objet d'une réglementation et indispensable de distinguer ce qui est fermier de ce qui ne l'est pas.
Il soutient que l'application de cette jurisprudence conduit nécessairement à juger trompeuse la mention "oeuf fermier", l'utilisation de tapis de ponte en pente impliquant une collecte industrielle des oeufs (ce que la CNLC appelle convoyage semi-automatique), qui ne peut en aucun cas être regardée comme une méthode fermière. L'adjectif fermier implique au contraire, dans l'esprit du consommateur, des méthodes traditionnelles (le ramassage manuel des oeufs pondus sur la paille dans des nids individuels en étant une).
Il fait valoir au visa d'un sondage commandé par ses soins auprès de l'Institut Ipsos auprès d'un échantillon représentatif de 1 000 personnes - sous forme d'entretiens de face-à-face - que le faible degré de connaissance spontanée sur les différentes appellations (oeufs fermiers, de plein air, bio, extra-frais) montre un consommateur encore peu informé, donc plus facile à tromper et méritant d'autant plus protection. Qu'il ressort également de ce sondage qu'aux yeux d'une écrasante majorité de consommateurs ayant vu les planches photographiques prises dans les fermes Cocorette et celles prises par l'huissier lors de leurs constats susvisés, le mode de ramassage par tapis de ponte roulants automatiques que pratique A ne mérite pas la qualification de fermier,
Quant à l'élément intentionnel du délit de tromperie, le GIE considère que l'infraction est le fruit d'un choix délibéré, l'interversion de mots pratiquée (oeuf fermier au lieu d'oeufs de poule fermière) ne pouvant être involontaire de la part de professionnels avertis de la filière avicole, le vice-président de la coopérative agricole des fermiers de Loué siégeant à la CNLC.
S'agissant du préjudice subi, les parties civiles demandent - bien que déboutées de leur demande de dommages et intérêts (préjudice matériel) sans motivation - la confirmation du jugement exception faite des demandes de publication dans 4 organes de presse dont 2 dans la presse spécialisée, dans la limite de 5 000 euro hors taxes par insertion (articles 131-39 du Code pénal et L. 213-6 2° du Code de la consommation), qu'elles maintiennent et qui constituent des peines accessoires.
Le GIE Cocorette et l'Association des fermes Cocorette sollicitent la confirmation du jugement entrepris quant à leur Indemnisation du préjudice moral caractérisé par l'atteinte à leur image et à leur prestige, en l'espèce 2 000 euro chacune, et sollicitent en outre sous la même solidarité des prévenus, la somme de 2 000 euro en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et leur condamnation aux entiers dépens.
Par lettre du 3 octobre 2008, l'avocat des parties civiles a adressé une copie de la publication au JO du 25 décembre attestant de l'existence juridique de l'association des fermes Cocorette.
Par courrier du 6 octobre 2008, l'avocat des prévenus précise qu'elle a toujours soulevé, y compris dans ses conclusions de première instance, ce problème du défaut de qualité pour agir du président de cette association qui - malgré la pièce produite - n'est toujours pas établie.
Elle demande à la cour d'écarter cette note en délibéré et la pièce qui y était jointe.
Sur l'action publique
Sur l'annulation du jugement et l'évocation par la cour
Après avoir, dans ses motifs, requalifié les faits reprochés de publicité trompeuse en tromperie et retenu la tentative de ce dernier délit sans la caractériser, le tribunal - dans son dispositif - a déclaré deux personnes morales (A et A : il s'agit en fait de la même société) coupables des faits reprochés (et non requalifiés) en omettant le prévenu personne physique Y.
En conséquence, au visa de l'article 520 du Code de procédure pénale, la cour annulera le jugement entrepris et évoquera l'ensemble du litige.
Sur l'extinction de l'action publique à l'égard de Y
Au vu du bulletin de décès de Y le 21 février 2008, la cour constatera au visa de l'article 6 du Code pénal l'extinction de l'action publique à l'égard de ce dernier.
Seule la société A, appelante et dûment représentée par son représentant légal, demeure dans la cause en qualité de prévenue.
Sur les incidents
La cour joindra les incidents au fond au visa de l'article 459 du Code de procédure pénale.
Sur l'irrecevabilité de la demande des punies civiles au visa de l'article 2 du Code de procédure pénale:
Si l'irrecevabilité des demandes des parties civiles peut être soulevée pour la première fois en cause d'appel, il n'en demeure pas moins que celles-ci - dans le cadre de ce contentieux opposant des professionnels du même secteur concurrentiel - ont un intérêt à agir en vue de faire respecter les règles correspondantes - notamment relatives aux mentions valorisantes - dont la violation leur cause nécessairement un préjudice.
De plus, au vu des pièces versées aux débats, il apparaît que les qualités pour agir des organes dirigeants de ces diverses parties civiles ne peuvent être sérieusement remises en cause.
En conséquence, la cour rejettera au visa de l'article 423 du Code de procédure pénale cette exception d'irrecevabilité des demandes des parties civiles soulevée par la prévenue.
Sur l'autorité de la chose jugée résultant du jugement du 31 mars 2005 :
L'autorité de la chose jugée est attachée aux seuls jugements au fond.
Or, le jugement invoqué du 31 mars 2005, malgré une impropriété de langage relative à une relaxe de A dans son dispositif, porte exclusivement sur la nullité de la citation délivrée pur le GIE Groupement Qualité Cocorette.
En conséquence, cette exception liée à l'autorité de la chose jugée sera également rejetée.
Au fond
Sur le délit de publicité trompeuse
LA COUR retiendra la qualification initiale de publicité trompeuse définie à l'article 121-1 du Code de la consommation, étant précisé que sa nouvelle rédaction issue de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 relative aux pratiques commerciales trompeuses n'a pas substantiellement modifié les éléments d'incrimination (le texte vise toujours les allégations, indications ou présentations fausses) ni les peines.
Il résulte du procès-verbal de constat d'huissier établi le 9 octobre 2003 au magasin Carrefour de Levin que dans le rayonnage réservé à ce type d'articles, sont exposés et proposés à la vente entre autres packs d'oeufs, des packs portant l'appellation Oeufs Fermiers de Loué. Sur la partie supérieure de ce paquet alvéolé contenant 12 oeufs fermiers de Loué-Label Rouge est reproduit un visuel représentant des poules, à l'air libre, sur un espace herbeux. Sur cette même face du paquet figurent les mentions : oeufs fermiers de poules élevées en libre parcours et une nouvelle reproduction Label Rouge. En façade avant du paquet, apparaît Loué, la reproduction du label rouge et une étiquette faisant référence à l'éleveur. En façade arrière du paquet, figurent les informations suivantes : service consommateurs Fermiers de Loué, <adresse>, certifié par Quali Ouest - le Mans - <adresse>.
Dès lors que constitue une publicité, au sens de l'article précité, tout moyen d'information destiné à permettre au client potentiel de se faire une opinion sur les caractéristiques des biens ou services qui lui sont proposés, l'étiquette d'un produit exposé à la vente portant les mentions susvisées caractérise le premier élément matériel de cette publicité.
Le second élément est caractérisé par la simple mention d'indications fausses, en l'espèce celle relative à la mention valorisante prévue à l'article L. 640-2 du Code rural.
En effet, au 9 octobre 2003 - date qui sera retenue comme point de départ de la prévention -, la. société A ne peut se prévaloir que d'un arrêté du 15 septembre 1998 libellé dans les termes suivants : "Par arrêté du ministère de l'Agriculture et de la Pêche et de la secrétaire d'Etat aux Petites et moyennes entreprises, au Commerce et à l'Artisanat : est homologué pour une période probatoire d'un an, à compter de la date de publication du présent arrêté au Journal officiel, le cahier des charges du label agricole suivant détenu par le Syvol - Qualimaine, <adresse> : LA n° 09-97 " oeuf de poulet fermière de Loué élevée en libre parcours ". Est étendu pour une période probatoire d'un an, à compter de la date de publication du présent affété au Journal officiel, l'agrément de l'organisme certificateur Quali Ouest (LA n° 38), <adresse>, pour la certification de labels agricoles concernant le produit "oeuf", étant précisé qu'en décembre 1998, le GIE Cocorette a obtenu par arrêté ministériel l'homologation du label rouge LA 18-98 : "oeufs fermiers de poules élevées en libre parcours".
Ce n'est que par arrêté d'homologation du 2 juin 2004 que le Syvol Qualimaine susvisé obtiendra le label agricole (LA n° 35-99) "œuf fermier de Loué". L'inversion des termes de son homologation seule valide à l'époque des faits sur les étiquettes de vente par la prévenue constitue une indication fausse au sens de l'article susvisé, d'autant que son concurrent pouvait, lui, s'en prévaloir.
Peu importe à cet égard le débat de fond sur la notion d'oeufs fermiers, et notamment sur la méthode ramassage (seul point de divergence longuement évoqué dans les conclusions respectives des parties), qui aboutira in fine à l'arrêté de 2004 (seule règle normative puisqu'il homologue les cahiers des charges), la méthode restant inchangée.
S'agissant de l'élément moral, l'annonceur réalise l'infraction même s'il n'a pas eu l'intention de tromper : l'absence de mensonge est indifférente à la réalisation de l'infraction.
Le délit de publicité trompeuse est donc un délit d'imprudence.
Sur la déclaration de culpabilité
L'infraction objet de la poursuite étant établie en tous ses éléments constitutifs, la prévenue représentée par son représentant légal - qui a nécessairement agi en son nom et pour son compte - sera déclarée coupable des faits reprochés, sauf à préciser que la période de prévention court du 9 octobre 2003.
Sur la peine
L'ancienneté des faits et la régularisation formelle intervenue en 2004 commandent une application modérée de la sanction.
Seule une peine d'amende de deux mille (2 000) euro avec sursis sanctionnera suffisamment ce comportement fautif.
Sur l'action civile
Les parties civiles, intimées, seront reçues en leurs constitutions de parties civiles.
La prévenue dont le sort au plan civil ne peut être aggravé en vertu des dispositions de l'article 515 du Code de procédure pénale sera déclarée responsable du préjudice subi par elles et découlant directement de l'infraction reprochée.
Au vu des pièces versées aux débats, il apparaît que l'infraction retenue caractérise à l'égard de chacune des parties civiles un préjudice moral dont la réparation peut être fixée à cent cinquante (150) euro, à titre de dommages et intérêts.
Il apparaît équitable d'allouer à chacune des parties civiles la somme de cent cinquante (150) euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour l'ensemble de l'instance.
L'article 800-1 du même Code précise que nonobstant toutes dispositions contraires, tes frais de justice, notamment correctionnelle, sont à la charge de l'Etat et sans recours envers les condamnés.
Il n'y a donc lieu de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire à l'égard de : - la société Sacco, - la société Sanco, - la société Panier d'Oeuf, - la société Nat'Oeuf, - la société Histoire d'Oeuf, - la société Saveur des oeufs, - l'Association des fermes de Cocorette, - Le GIE Cocorette. Vu l'article 520 du Code de procédure pénale, Annule le jugement entrepris ; Evoquant, Vu l'article 6 du Code pénal, Constate l'extinction de l'action publique à l'égard de Y, décédé le 21 février 2008 ; Vu l'article 459 du Code de procédure pénale, Joint les incidents au fond ; Vu l'article 423 du Code de procédure pénale, Rejette l'exception d'irrecevabilité des demandes des parties civiles - recevable pour la première fois en cause d'appel - présentée par la prévenue sur le fondement de l'article 2 du Code de procédure pénale ; Rejette l'exception tirée de l'autorité de la chose jugée du jugement du 31 mars 2005 relatif à la seule nullité de la citation ; Vu l'article 121-1 du Code de la consommation dans ses rédactions antérieure et postérieure à la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, Déclare la prévenue - A -, représentée par son Président Directeur Général, M. Z - coupable du délit initialement reproché de publicité trompeuse, sauf à faire courir la prévention du 9 octobre 2003, date du constat d'huissier au 4 juin 2004, date de l'arrêté d'homologation. La condamne à une peine d'amende de deux mille (2 000) euro avec sursis. Rappelle au condamné que le Code pénal sanctionne l'inobservation des mesures de contrôle et des obligations qui ont été mises à sa charge, ainsi que le prononcé d'une nouvelle condamnation pour une infraction commise au cours du délai d'épreuve et qu'en revanche s'il observe une conduite satisfaisante la condamnation pourra être déclarée non avenue (article 132-40 du Code pénal) ; Reçoit la société Sacco, la société Sanco, la société Panier d'Oeuf, la société Nat'Oeuf, la société Histoire d'Oeuf, la société Saveur des Oeufs, l'association des fermes de Cocorette, le GIE Cocorette en leurs constitutions de parties civiles, Déclare A responsable du préjudice moral subi par elles et découlant directement de cette infraction ; La condamne à payer à chacune de ces huit parties civiles les sommes de : - cent cinquante (150) euro à titre de dommages et intérêts ; - cent cinquante (150) euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour l'ensemble de l'instance.