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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 23 mars 2012, n° 11-08139

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Groupe Sofemo (SA)

Défendeur :

Brain (Epoux)
Ava Therm (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouly de Lesdain

Conseillers :

Mme Chandelon, M. Schneider

Avocats :

Mes Bernabe, Melun

CA Paris n° 11-08139

23 mars 2012

Le 12 novembre 2009, M. Brain a fait l'acquisition d'une installation photovoltaïque, devant être posée sur la toiture de son pavillon, auprès de la société Ava Therm pour un montant de 27 600 euro.

La société Ava Therm a pris à sa charge le coût des travaux de renforcement de la charpente d'un montant de 3 515,26 euro ; elle a, par ailleurs, contribué à la repose des tuiles du toit en y faisant participer ses propres ouvriers.

Les époux Brain ont, le même jour, emprunté auprès de la société Groupe Sofemo des fonds nécessaires au financement de ces travaux.

En raison des désordres affectant, selon eux, la toiture à la suite des travaux exécutés, les époux Brain ont fait procéder à un procès-verbal de constat le 24 septembre 2010.

Par actes des 16 et 17 novembre 2010, ils ont fait assigner leurs deux cocontractants devant le tribunal de grande instance d'Auxerre aux fins, constatant l'intervention volontaire de Mme Alice Yusuf épouse Brain, de :

- voir prononcer la nullité ou la résolution du contrat de vente du 12 novembre et du contrat de prêt de même date,

- voir ordonner la dépose de l'installation par la société Ava Therm, sous astreinte, et condamner celle-ci à rembourser le prix reçu à la société Groupe Sofemo ; subsidiairement, la condamner à les garantir de toute condamnation prononcée contre eux au profit de la société Ava Therm,

-condamner la société Ava Therm à leur payer à titre de dommages-intérêts, en réparation des préjudices subis, la somme de 27 553,99 euro.

Par jugement prononcé le 18 avril 2011, objet du présent appel relevé par la société Groupe Sofemo, le tribunal a statué dans les termes suivants :

- prononce la nullité du contrat d'achat signé par M. David Brain et la nullité du contrat de prêt signé par les époux Brain le 12 novembre 2009,

- ordonne une mesure d'expertise aux fins de décrire les désordres et de définir les travaux de remise en état,

- dit que la société Groupe Sofemo ne peut s'adresser qu'à la société Ava Therm pour obtenir la restitution des sommes réclamées et la déboute de sa demande de remboursement dirigée contre les époux Brain,

- condamne la société Ava Therm à payer aux époux Brain une somme de 1 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de cette décision, la juridiction a retenu notamment les moyens de droit et les faits suivants :

- les dispositions du Code de la consommation sont applicables au contrat principal d'achat, ne serait-ce que par le fait que les parties ont expressément visé, dans la convention, les articles L. 121-21 et suivants de ce Code,

- il n'est pas justifié que les parties aient disposé d'un formulaire de rétractation lors de la remise des documents contractuels dans le cadre du démarchage à domicile,

- la date de livraison des travaux (des installations voltaïques) n'est pas suffisamment précise alors que cette date constitue un des éléments essentiels du contrat ; que, de ce fait, la nullité du contrat est encourue,

- une autorisation de prélèvement bancaire, qui doit être considérée comme le versement d'une contrepartie, a été fournie frauduleusement en infraction avec les dispositions de l'article L. 121-26 du Code de la consommation qui interdit aux démarcheurs de recevoir une contrepartie financière avant l'expiration du délai de rétractation,

- les conditions de la confirmation du contrat irrégulier ne sont pas réunies.

Considérant que les conclusions des époux Brain et la société Groupe Sofemo ont été régulièrement signifiées à la société Ava Therm, laquelle n'a pas constitué avocat ;

Considérant que par dernières conclusions signifiées le 14 novembre 2011, la société Groupe Sofemo demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable mais de dire que les conclusions signifiées par les époux Brain sont irrecevables en ce qu'elles contiennent des moyens de fait et de droit nouveaux, en page 18, en contrariété avec les dispositions nouvelles de l'article 954 du Code de procédure civile civile ; qu'en tout état de cause, le nouveau moyen est irrecevable puisque le contrat ne relève pas du démarchage à domicile et du Code de la consommation,

- considérer qu'au regard du Code de la consommation, à supposer qu'il soit applicable, elle n'a commis aucune infraction,

- dire que les intimés ont eux-mêmes commis des fautes en laissant s'effectuer les travaux et en faisant libérer les fonds,

- dire que les intimés n'ont pas expressément visé leurs pièces dans leurs écritures conformément aux dispositions du Code de procédure civile (conclusions page 16,17) ;

Considérant que par dernières écritures signifiées le 15 novembre 2011, les époux Brain demandent aux termes du dispositif de :

- déclarer leurs écritures recevables,

- dire que l'appelante n'a pas qualité pour conclure sur l'exécution du contrat passé avec la société Ava Therm,

- confirmer le jugement et, à cet effet, prononcer la nullité ou la résolution du contrat d'achat et du contrat de crédit,

- débouter la société Groupe Sofemo de sa demande en paiement de 32 305,76 euro,

- à titre subsidiaire, condamner la société Ava Therm à les garantir de toute condamnation,

-condamner in solidum les sociétés Ava Therm et Groupe Sofemo à leur payer 10'000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

SUR CE

Considérant, tout d'abord, que la société Ava Therm n'a pas constitué avocat ; que les parties ont régulièrement signifié leur conclusions par voie d'assignation à la société Ava Therm ;

Considérant que celle-ci s'expose à ce que le présent arrêt soit rendu contre elle sur les seuls éléments fournis par les adversaires, conformément à l'article 908 du Code de procédure civile ;

Considérant que l'appelante dans ses dernières écritures du 14 novembre 2011 demande à la Cour, en page 17 à 19 de ses écritures, d'écarter les dernières écritures des époux Brain au motif qu'elles contiennent des moyens de droit et de fait pour lesquels chaque prétention ne donne pas lieu à l'indication précise des pièces invoquées au soutien de chacune de ses prétentions conformément aux dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile ce, au regard des dispositions du décret du 9 décembre 2009 ;

Considérant, cependant, que le défaut d'application de cette disposition n'est pas sanctionné par une nullité absolue qui autoriserait à écarter l'ensemble des conclusions ; que l'irrégularité alléguée peut, en revanche, conduire à ce que soient écartées les seules demandes adverses explicitement visées par la partie qui entend se prévaloir de l'irrégularité, à la condition de justifier d'un grief ;

Considérant qu'il convient, en conséquence, de rejeter la demande de la société Groupe Sofemo laquelle tend de façon trop générale à voir écarter la totalité des écritures et non pas seulement les demandes pour lesquelles les pièces ne sont pas suffisamment visées ; que, de surcroît, la société Groupe Sofemo ne justifie pas d'un grief ;

Considérant qu'au surplus, il apparaît de l'ensemble des écritures que l'appelante a été en mesure de s'expliquer complètement sur l'ensemble des moyens de fait et de droit opposés par les intimés pour conclure à la confirmation du jugement sans que la mauvaise présentation ou désignation des pièces invoquées ait été à l'origine d'une incertitude quant à la désignation des dites pièces dans le cours des conclusions ;

Au fond

Sur la législation applicable

Considérant que contrairement à ce qui est soutenu, la double opération de commande d'une installation photovoltaïque et de souscription d'un emprunt bancaire destinée à son financement concernait le domicile des époux Brain, était étrangère à leur activité professionnelle et ne pouvait se rattacher à une activité commerciale de production et de vente d'électricité s'agissant, en réalité, d'une convention aux termes de laquelle l'électricité produite par l'installation est prise en compte par le distributeur d'électricité pour établir le coût de la facturation ; que l'opération relève donc d'une vente et d'une fourniture de prestations de services quant à l'installation, le financement de cette opération s'inscrivant dans le cadre du droit de la consommation et relevant, de ce fait, du Code de la consommation ;

Considérant, d'ailleurs, que le contrat d'achat n°267412 daté du 12 novembre 2009 renvoie expressément aux articles L. 121-21 à L. 121-32 du Code de la consommation ;

Sur la régularité des contrats

Considérant que sont produits , en fait, devant la Cour, des pièces qui ont été déjà en tout ou partie été débattues devant le premier juge ;

Considérant que l'ensemble des circonstances dans lesquelles le contrat a été signé, et les attestations produites selon lesquelles un représentant du vendeur s'est présenté au domicile d'un certain nombre d'habitants de Beaumont - cf l'attestation établie le 14 février 2011 par Mme Stéphanie Simmonet - prouvent que la vente s'est opérée dans le cadre du démarchage au sens de l'article L. 121-21 du Code de la consommation ;

Considérant, à cet égard, tout d'abord, que figure seulement aux débats la photocopie en couleur d'un seul exemplaire recto de ce contrat de vente ; que cette photocopie en couleur de ce qui est la première page, comporte la déclaration signée que " [le signataire ] déclare avoir reçu un exemplaire de ce présent contrat doté d'un formulaire de rétractation à découper " ;

Considérant, toutefois, que dès lors qu'il ne précise pas le nombre d'exemplaires établis et effectivement signés, cette unique photocopie de la première page, en l'absence même de l'exemplaire détenu normalement par le vendeur, et non produit devant le premier juge, ne permet pas de vérifier qu'un formulaire de rétractation a été effectivement remis ; que la nullité du contrat au regard des dispositions de l'article L. 121-4 du Code de la consommation est encourue, pour ce seul motif, sans qu'il puisse être utilement retenu que les intimés ont renoncé à se prévaloir de cette nullité et ont confirmé l'acte, alors qu'un acte de confirmation ou de ratification, au sens de l'article 1338 du Code civil, implique une manifestation non équivoque de renoncer à la nullité invoquée ; que telle n'a jamais été l'expression de volonté des intimés dans la présente procédure ;

Considérant que ce contrat est également en infraction avec l'article L. 121-23 du même Code dès lors qu'il ne comporte par l'ensemble des mentions obligatoires à peine de nullité que ses dispositions exigent, notamment : le nom du démarcheur, du fournisseur, l'adresse du lieu de conclusions du contrat, et la désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens offerts ou des services proposés, les conditions d'exécution du contrat notamment les modalités et le délai de livraison des biens ou d'exécution de la prestation ;

Considérant comme le relèvent justement les époux Brain, que la date limite de livraison, par la mention 'idem' ne renvoie à aucune date autre que celle de la signature de la vente ; qu'il n'est pas fait de différence entre la livraison des panneaux solaires et la date d'exécution des travaux de pose ; que le contrat ne comporte donc pas les mentions légales obligatoires ;

Considérant, dès lors, que l'irrégularité du contrat et de ses accessoires, y compris au regard du fait d'accepter paiement par voie de virement avant la livraison complète en entraîne la nullité ; que le jugement doit être confirmé sur ce point ;

Sur le contrat de crédit signé avec la société Groupe Sofemo

Considérant que ce contrat signé le même jour que le contrat précédent, pour un montant identique, comportant d'ailleurs la mention 'offre préalable de crédit accessoire à une vente ou à une prestation de services, le cas échéant à domicile', constitue un contrat secondaire au regard de l'obligation principale portant sur la fourniture et la pose de l'installation énoncée ci-dessus ;

Considérant que par application de l'article L. 311-21 du Code précité, ce contrat de prêt est résolu de plein droit ; que le jugement doit être également confirmé sur ce point ;

Considérant que la résolution prononcée entraîne la remise en état des parties, en l'espèce, la restitution des sommes prêtées par les emprunteurs ;

Considérant que par application de l'article L. 311-22, compte-tenu du fait que la résolution du contrat est imputable au vendeur, les époux Brain sont fondés à demander à être garantis pour ce remboursement par la société Ava Therm conformément à sa demande ;

Considérant, à cet égard, que l'application des dispositions précitées, d'ordre public, n'ont pas lieu d'être écartées au motif articulé par l'appelante selon lequel le contrat lui est inopposable et que, de plus, elle a n'a commis aucune faute ;

Considérant, en effet, que la résolution du contrat de prêt constitue en l'absence de toute faute de l'acheteur, bénéficiaire du prêt, une conséquence immédiate et sans pouvoir d'appréciation de la résolution du contrat de vente et de fourniture dont le vendeur est responsable en raison de sa propre faute, donnant lieu à l'application des dispositions légales précitées ;

Considérant, en revanche, que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a dit que la société Groupe Sofemo ne pouvait s'adresser qu'auprès de la société Ava Therm pour obtenir le remboursement des sommes prêtées alors que la résolution du contrat de prêt a pour conséquence l'obligation de remise en état des parties, c'est-à-dire la restitution des sommes prêtées par l'emprunteur, les époux Brain, sous la garantie de leur vendeur, par application de l'article L. 311-22 ; que la demande de restitution entraîne paiement des intérêts, lesquels ne seront calculés qu'à compter du prononcé du présent arrêt, eu égard à la nature même des conditions pour lesquelles le remboursement est ordonné ;

Considérant que la demande de dommages-intérêts sollicités par la société, donnant lieu à l'application des dispositions légales précitées Groupe Sofemo doit être rejetée dès lors que, contrairement à ce que celle-ci soutient, les époux Brain n'ont pas commis de faute à l'origine du préjudice allégué consistant en la perte de gain escompté sur le prêt, consécutive à la résolution du prêt et qu'aucun intérêt n'est dû au préteur par les emprunteurs, par l'effet de la résolution du contrat de vente dès lors que l'inexécution du contrat de prêt est imputable à la société Ava Therm, auteur du démarchage ;

Considérant, en ce qui concerne la demande de dommages-intérêts présentée par les époux Brain, que la mesure d'expertise ordonnée par le tribunal n'a pas lieu d'être confirmée, la cour étant en mesure d'évoquer ce point du litige et de fixer le préjudice dont les époux Brain demandent réparation ;

Considérant qu'au vu des pièces produites, les époux Brain sont fondés, en effet, à demander les dommages-intérêts à l'encontre de la société Ava Therm qui correspondent aux frais de remise en état de la toiture après enlèvement des panneaux solaires, au remboursement du coût du branchement edf devenu sans objet, des frais de remise en état du jardin et du plancher ; qu'au vu des pièces 24, 17 et du constat d'huissier, ces dommages et intérêts doivent être fixés à 17 000 euro ;

Considérant que les demandes émises par la société Groupe Sofemo, relatives à la production de pièces fiscales, sont sans objet ; qu'elles doivent être rejetées ;

Considérant qu'il convient de condamner in solidum les sociétés Ava Therm et Groupe Sofemo à payer 5 000 euro aux époux Brain par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare recevables les dernières conclusions signifiées par les époux Brain ; Infirme le jugement en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise et en ce qu'il a dit que la société Groupe Sofemo ne pouvait s'adresser qu'à la société Ava Therm pour obtenir restitution des sommes prêtées ; Le confirme pour le surplus ; Y ajoutant, Condamne les époux Brain à restituer à la société Groupe Sofemo la somme empruntée, d'un montant de 27 600 euro, sous déduction de toutes sommes déjà remboursées à ce prêteur, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et application des dispositions de l'article 1154 du Code civil à compter du moment où les conditions en sont réunies ; Condamne la société Ava Therm à garantir les époux Brain de la condamnation ci-dessus ; La condamne à payer, en outre, aux époux Brain 17 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la résolution du contrat ; Rejette toutes autres demandes.