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Décisions

CA Paris, 12e ch. A, 24 mars 2009, n° 08-07940

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Albert

Conseillers :

Mmes Chaussade, Colin

Avocats :

Mes Valat, Jovy

TGI Créteil, 9e ch., du 24 janv. 2008

24 janvier 2008

RAPPEL DE LA PROCÉDURE:

LA PRÉVENTION:

X a été renvoyé devant le tribunal par convocation 390-1 du Code de procédure pénale sous la prévention d'avoir à Saint-Maur-des-Fossés, entre le 10 et le 18 mai 2007, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit

- démarché ou fait démarcher Mme Andrée Profit veuve Toussaint à son domicile, même à sa demande, afin de lui proposer l'achat, la vente de fourniture de services, effectué une prestation de services de quelque nature que ce soit, avant l'expiration du délit de réflexion de sept jours, suivant la commande ou l'engagement, en l'espèce en procédant à une réfection de toiture le lendemain de la signature du devis.

- fait souscrire à Mme Andrée Profit veuve Toussaint, au moyen de visites à domicile des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit, les circonstances montrant que la victime a été soumise à la contrainte ou qu'elle n'était pas en mesure d'apprécier la mesure de ses engagements ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre, en l'espèce pour avoir abusé de sa faiblesse due à l'âge de la victime (75 ans), ainsi que de son ignorance, le prix du devis proposé faisant plus du triple du marché qu'ignorait Mme Andrée Profit veuve Toussaint, l'adresse sociale présentée étant propre à inspirer confiance alors qu'il s'agissait d'une domiciliation postale, et les travaux de toiture effectués ne présentant aucun caractère de nécessité malgré les allégations selon lesquelles la prétendue nécessité résultait de traces d'infiltrations et d'humidité, ce que ne pouvait physiquement vérifier la victime et qui s'avérait faux.

- étant constructeur d'ouvrage ou architecte, entrepreneur, technicien ou tout autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage, ou vendeur après achèvement d'un ouvrage qu'il a construit ou fait construire, en l'espèce technicien des travaux de toiture, ouvert le chantier sans être couvert par une assurance au titre de la garantie décennale pour vice du sol ou de la construction.

- démarché ou fait démarcher Mme Andrée Profit veuve Toussaint à son domicile, sa résidence ou son lieu de travail, même à sa demande, afin de lui proposer l'achat, la vente, la location vente ou la location avec option d'achat de biens ou la fourniture d'une service, remis à celle-ci un contrat ne comportant pas la faculté de renonciation dans les 7 jours, ni les modalités d'exercice de la faculté de renonciation.

LE JUGEMENT:

Le tribunal, par jugement contradictoire:

A rejeté l'exception de nullité soulevée par le conseil du prévenu,

A requalifié les faits ainsi qu'il est dit dans les motifs,

A déclaré X

coupable d'exécution de prestation de service avant la fin du délai de réflexion - démarchage, du 10/05/2007 au 18/05/2007, à Saint-Maur-des-Fossés et sur le territoire national, infraction prévue par les articles L. 121-28 al. 1, L. 121-26 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 121-28 du Code de la consommation coupable de réalisation de travaux de bâtiment sans assurance de responsabilité, du 10/05/2007 au 18/05/2007, à Saint-Maur-des-Fossés et sur le territoire national, infraction prévue par les articles L. 241-1, L. 241-2, L. 243-3 du Code des assurances, les articles L. 111-28, L. 111-29, L. 111-34 du Code de la construction et de l'habitation et réprimée par l'article L. 243-3 al. 1 du Code des assurances, l'article L. 111-34 al. 1 du Code de la construction et de l'habitation

coupable de remise d'un contrat non conforme au client lors d'un démarchage à domicile ou dans un lieu non destine au commerce du bien ou service propose, du 10/05/2007 au 18/05/2007, à Saint-Maur-des-Fossés et sur le territoire national, infraction prévue par les articles L. 121-28 al. 1, L. 121-23, L. 121-24, L. 121-21, R. 121-3, R. 121-4, R. 121-5, R. 121-6 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 121-28 du Code de la consommation

coupable d'abus de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne vulnérable pour l'obliger à un acte ou a une abstention néfaste, du 10/05/2007 au 18/05/2007, à Saint-Maur-des-Fossés et sur le territoire national, infraction prévue par l'article 223-15-2 al. 1 du Code pénal et réprimée par les articles 223-15-2 al. 1, 223-15-3 du Code pénal et, en application de ces articles,

L'a condamné à la peine de 8 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 2 ans, sous les obligations de l'article 132-45 5° du Code pénal,

L'a condamné à payer à Mme Andrée Profit veuve Toussaint, partie civile, 785 euro au titre du préjudice matériel, 1 500 euro au titre du préjudice moral et 800 euro au titre de l'article 475-l du Code de procédure pénale,

A ordonné la restitution par X à Mme Andrée Profit veuve Toussaint des chèques n°0359466 de 4 000 euro et n°0356468 de 6 000 euro.

DÉCISION:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

X à titre principal, Madame Andrée Toussaint, partie civile, et le ministère public à titre incident, sont régulièrement appelants des dispositions du jugement contradictoire rendu le 24 janvier 2008 par le Tribunal de grande instance de Créteil, qui a rejeté l'exception de nullité soulevée par le prévenu, l'a déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés après requalification pour certains d'entre eux, et l'a condamné, au pénal et au civil, ainsi qu'il est précisé au dispositif du jugement critiqué.

Devant la cour, X, assisté de son conseil, a déposé et soutenu, avant toute défense au fond, des conclusions aux termes desquelles il a soulevé la nullité des documents figurant en page 7, 15, 32, 59, 60 et 61 du dossier et de tous les actes subséquents de la procédure.

Il a conclu sur le fond à sa relaxe du chef d'abus de faiblesse et de non respect du délai de réflexion et du droit de repentir.

Madame Andrée Toussaint, assistée de son conseil, a conclu à la condamnation de X à lui restituer les chèques de 4 000 et 6 000 euro émis par ses soins, à lui verser les sommes de 85 euro au titre de son préjudice matériel, en lieu et place de la somme de 785 euro indiquée par erreur par les premiers juges, 3 000 euro au titre de son préjudice moral, et 1 500 euro en application de l'article 475-l du Code de procédure pénale.

Le ministère public a requis la confirmation de la décision entreprise sur le rejet de l'exception de nullité, la déclaration de culpabilité du prévenu sur le fondement des préventions initiales, et la confirmation du jugement entrepris sur la peine.

Sur l'action publique

Les faits et circonstances de la cause ayant été exactement rapportés par les premiers juges, la cour s'y réfère expressément.

Il sera seulement rappelé qu'il est reproché à X d'avoir, dans le cadre d'une opération de démarchage, abusé de la faiblesse de Madame Toussaint en exécutant, le lendemain de la signature du devis, des travaux sur la toiture de sa maison pour le prix de 14 500 euro, sans l'avoir informée de son droit de rétractation dans les sept jours et sans être couvert par une assurance au titre de la garantie décennale.

Sur l'exception de nullité:

X soutient que les conclusions de l'architecte, Monsieur Sennepin, le courrier de l'assureur de Monsieur Toussaint qui chiffre le coût moyen des travaux à 3 000 euro et le devis estimatif de la société MDF sont nuls, ainsi que les procès-verbaux de la procédure auxquels ils sont annexés, au motif qu'ils n'ont pas été diligentés sur autorisation du procureur de la République, en application des dispositions de l'article 77-1 du Code de procédure pénale.

Il résulte en effet de cet article que, s'il y a lieu de procéder à des constatations ou examens techniques dans le cadre d'une enquête, le procureur de la république ou, sur autorisation de celui-ci, l'officier de police judiciaire, a recours à toute personne qualifiée. La méconnaissance de ces dispositions est constitutive d'une nullité. En l'espèce, il résulte de l'examen du dossier que les documents dont l'annulation est sollicitée n'ont pas été recueillis suri 'initiative des officiers de police judiciaire, mais qu'ils ont été versés â la procédure par la victime, à titre de simples renseignements, à l'exception du devis estimatif de la société MDF dont l'intervention a été requise par les fonctionnaires de police et sans l'autorisation du procureur de la république. Dans ces conditions, si les conclusions de Monsieur Sennepin et le courrier de l'assureur de Monsieur Toussaint ne constituent pas des constatations ou examens techniques, au sens de l'article 77-l du Code de procédure pénale et ne relèvent pas de l'autorisation du procureur de la République, il n'en est pas de même pour le devis de la société MDF dont la cour ordonnera, en conséquence, l'annulation. Ce document ne constituant pas le support des actes subséquents, il n'y a pas lieu de faire droit â la demande d'annulation desdits actes.

Sur le fond:

X soutient que les faits litigieux ne se sont pas produits dans le cadre d'une opération de démarchage, au motif que c'est sur la demande de Madame Toussaint, qui a trouvé ses coordonnées sur une carte de visite déposée dans sa boîte aux lettres, qu'il a conduit ce chantier,

Il y a lieu de rappeler que les dispositions de l'article L. 121-21 du Code de la consommation s'appliquent à " quiconque pratique, ou fait pratiquer le démarchage, au domicile d'une personne physique, à sa résidence, ou â son lieu de travail, même à sa demande ... " que la Cour de cassation, aux termes d'une jurisprudence constante, considère que doit être qualifiée de démarchage à domicile et soumise en conséquence, à la loi du 22 décembre 1972, toute vente conclue au domicile des acheteurs, même lorsque le vendeur s'y trouvait â leur demande.

X ne contestant pas que le devis des travaux a été soumis à Madame Toussaint et signé à son domicile, il en résulte que les faits litigieux se sont bien déroulés dans le cadre d'une opération de démarchage.

En tout état de cause, le prévenu fait valoir que l'âge de la victime ne saurait fonder à lui seul, le délit d'abus de faiblesse.

Il y a lieu de rappeler que Madame Toussaint était âgée de 75 ans au moment des faits, et que son état de santé était déficient, suite à la survenance d'un accident vasculaire cérébral. X, qui a vu la plaignante se déplacer avec une canne, ne pouvait ignorer qu'elle était dans l'impossibilité de monter sur le toit pour vérifier ses allégations sur l'état déplorable de la toiture. Il ne pouvait davantage méconnaître que ce constat alarmiste allait générer chez elle une vive inquiétude de nature à la conduire à précipiter sa décision. A cet égard, il a reconnu à l'audience qu'il se doutait que Madame Toussaint ignorait la clause de rétractation de sept jours inhérente aux contrats de marchandage et qu'elle n'était pas davantage en mesure d'apprécier, en connaissance de cause, le coût des travaux.

II en résulte que l'abus de l'état de faiblesse de la victime est caractérisé, en l'occurrence, tant par son âge et son état de santé, que par les ruses et artifices déployés par X pour la convaincre de signer rapidement le devis et d'accepter une exécution immédiate des travaux.

L'ensemble de ces éléments suffit à caractériser l'abus de faiblesse prévu à l'article 122-8 du Code de la consommation. C'est sur ce fondement, en conséquence, que la cour, réformant le jugement entrepris sur la requalification des faits, déclarera X coupable du chef d'abus de faiblesse.

X n'a pas contesté à l'audience qu'il ne bénéficiait pas de la garantie décennale dommages/ouvrage, qu'il avait exécuté le marché avant la fin du délai de réflexion-démarchage et qu'il avait remis à Madame Toussaint un contrat non conforme, infractions dont les premiers juges ont justement caractérisé les éléments constitutifs. La cour confirmera, en conséquence, le jugement entrepris sur ces déclarations de culpabilité.

Le casier judiciaire de X porte trace de quatre condamnations. Les faits incriminés sont particulièrement déplaisants, notamment au regard du traumatisme qu'ils ont occasionné à la victime, déjà très vulnérable du fait de ses accidents de santé antérieurs et du décès récent de son époux. La cour confirmera, en conséquence, le jugement entrepris sur la peine d'emprisonnement assortie du sursis avec mise à l'épreuve, le prévenu justifiant d'un suivi, aux fins de s'assurer de ce qu'il acquitte les sommes dues à la victime au titre de son indemnisation.

Sur l'action civile

Il y a lieu de rappeler que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction. Il est établi que les faits reprochés à X ont directement causé à Andrée Toussaint un préjudice personnel certain.

L'indemnisation du préjudice matériel a été fixée à 785 euro par le tribunal par suite d'une erreur matérielle qu'il convient de rectifier pour ramener le dit préjudice à son montant réel, soit 85 euro.

Le préjudice moral a été justement apprécié par les premiers juges qui ont pris en compte la vulnérabilité de Madame Toussaint et son anxiété réactionnelle pour en fixer le montant.

La décision entreprise sera, en conséquence, confirmée sur les intérêts civils, en ce compris, la somme allouée en première instance au titre des frais irrépétibles. Enfin, il apparaît inéquitable de laisser à la charge d'Andrée Toussaint l'intégralité des frais irrépétibles qu'elle s'est trouvée contrainte d'engager dans la présente instance. Il y a lieu, en conséquence, de lui allouer la somme de 500 euro, en application des dispositions de l'article 475-l du Code de procédure pénale, en cause d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Reçoit les appels de X, Mme Andrée Toussaint, et celui du ministère public ; Reçoit l'exception de nullité soulevée par le prévenu et annule les pages 32, 59, 60 et 61 de la procédure ; Réforme le jugement entrepris sur la requalification des faits et déclare X coupable d'abus de faiblesse, sur le fondement de l'article 122-8 et suivants du Code de la consommation visé à la prévention ; Confirme la décision entreprise sur les déclarations de culpabilité pour le surplus et sur la peine ; La confirme également en ses dispositions civiles après rectification de l'erreur matérielle relative à l'indemnisation du préjudice matériel fixée à 85 euro ; Y ajoutant, Condamne X à verser à Madame Andrée Toussaint la somme de 500 euro, en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, en cause d'appel ; Constate que X a remis à l'audience à Madame Toussaint les deux chèques de 4 000 et 6 000 euro dont elle a sollicité la restitution. Informons la partie civile de la possibilité pour elle de saisir dans le délai d'un an la commission d'indemnisation des victimes d'infractions dans le cadre des conditions visées aux articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale.