Cass. 1re civ., 19 mars 2009, n° 08-10.143
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cavard
Défendeur :
CRCAM De La Dordogne, Laboratoire Glaxosmithkline(Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bargue
Avocats :
SCP Thomas-Raquin, Bénabent, SCP Waquet, Farge, Hazan
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu que Mme X, qui, présentant les symptômes du paludisme à son retour du Sénégal, s'était vu prescrire de l'Halfan, médicament fabriqué et mis sur le marché en 1988 par la société Laboratoire Glaxosmithkline, a été victime d'un grave malaise avec coma et arrêts cardiaques, à la suite duquel les examens médicaux ont révélé une affection cardiaque congénitale, ignorée de cette patiente, dont elle a imputé la manifestation au médicament ; qu'elle a assigné le fabricant en réparation de son préjudice ;
Attendu que Mme X fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir écarté ses demandes d'indemnisation formulées à l'encontre de la SAS Glaxosmithkline, alors, selon le moyen : - 1)que la responsabilité obligeant le fabriquant à répondre du dommage causé par ses produits est une responsabilité de plein droit dont le fait générateur consiste en la constatation du défaut anormal de sécurité de ses produits ; qu'elle ne constitue ni une responsabilité pour faute, ni une responsabilité pour faute présumée ; qu'en subordonnant la responsabilité du laboratoire à un manque de " précautions " relativement aux seuls risques connus et à partir de la constatation qu'il ne pouvait informer les prescripteurs et les patients, en l'état des connaissances disponibles, du risque de malaise cardiaque lié à l'absorption d'halofantrine, la cour d'appel aurait fait dépendre la responsabilité du fabricant de l'existence d'une faute d'information, violant ainsi l'article 1382 du Code civil et les articles 1147 et 1384, interprétés à la lumière de la directive n°85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ; - 2) que pour les produits entrés en circulation avant l'entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 insérant les articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil, le fabricant ne peut s'exonérer de sa responsabilité en excipant de l'exonération pour risque de développement ; qu'un tel risque se présente lorsque, au moment où le producteur a mis le produit en circulation, l'état des connaissances scientifiques et techniques n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ; que la cour d'appel a considéré qu'il ne pouvait être tenu compte que des risques connus en 1988 et a retenu qu'au moment de la mise sur le marché du produit, les effets secondaires portant sur la modification du rythme cardiaque n'étaient pas prévisibles au vu de la documentation médicale produite ; que, ce faisant, la cour d'appel aurait exclu la responsabilité du laboratoire sur le fondement du risque de développement, pourtant non applicable aux produits en cause, mis sur le marché en 1988, violant ainsi les articles 1147 et 1384 du Code civil ; - 3) que le défaut de sécurité d'un produit à laquelle on peut légitimement s'attendre s'apprécie au regard de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage que le public pouvait raisonnablement en attendre, du moment de sa mise en circulation et de la gravité des effets nocifs constatés ; qu'en se bornant à se reporter à l'information dont disposait le fabriquant du produit sur les risques cardiaques induits par l'halofantrine pour écarter le défaut de ce produit, quand elle constatait qu'il était établi que ce produit avait des effets secondaires cardiaques et que les arrêts cardiaques et les séquelles de Mme X étaient liés à la prise de cette molécule, ce dont il résultait que ce produit, censé soigner, avait eu des effets nocifs d'une particulière gravité sur sa santé et qu'il était défectueux, la cour d'appel n'aurait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 1147 et 1384, interprétés à la lumière de la directive n°85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ; - 4) qu'en analysant la défectuosité de l'halofantrine au regard de la seule information disponible du laboratoire sur les éventuels risques d'effets secondaires en ignorant les autres circonstances pertinentes telle que la gravité des effets nocifs constatés, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1384, interprétés à la lumière de la directive n°85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ; - 5) qu'en constatant d'un côté que " le rapport du docteur Y... du 14 octobre 1993 précise qu'au cours des essais cliniques pré AMM (2800 sujets), quelques patients ont présenté des palpitations dès le premier jour, sept ont présenté un incident cardio-vasculaire en particulier hypotension orthostatique ", tout en énonçant de l'autre qu'" au moment de la mise sur le marché du produit, les effets secondaires portant sur la modification du rythme cardiaque n'étaient pas connus " et que "jusqu'en 1993, aucun cas d'effets secondaires cardiaques n'avait été répertorié par la communauté scientifique", la cour d'appel aurait statué par contradiction de motifs en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ; - 6) que l'obligation de vigilance impose au fabricant d'un médicament, devant l'apparition de risques possibles pour la santé, même non avérés, de prendre les mesures nécessaires de nature à préciser l'existence de ce risque et d'en éviter la réalisation éventuelle ; qu'en affirmant que le laboratoire ne pouvait se voir reprocher un manque d'information en l'état des connaissances techniques et scientifiques lors de la mise sur le marché de l'halofantrine en 1988, cependant qu'elle constatait que, au cours des essais cliniques préalables à la mise sur le marché de ce produit, sept patients avaient présenté un incident cardiovasculaire, en particulier d'hypotension orthostatique, sans rechercher si le laboratoire avait en conséquence entrepris des recherches supplémentaires sur les risques cardiaques envisageables induits par la prise de ce médicaments, et auxquels seraient exposés notamment les malades présentant des fragilités cardiaques, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;- 7) que l'obligation de vigilance pesant sur le fabricant de médicaments lui impose d'assurer leur suivi et de mettre en place des relais d'information nécessaires concernant les accidents potentiellement liés à la l'absorption de ce produit ; que l'arrêt attaqué constate que deux cas de malaises cardiaques graves avaient été répertoriés en juillet 1992 par les centres de pharmacovigilance, soit près de quatre mois avant l'absorption de cette molécule par Mme X, que ce n'est qu'en mars 1993 que le laboratoire a mis en place une enquête sur ce type de risque, qu'elle a officialisé en septembre 1993, deux mois après le décès d'un nourrisson ; qu'en ne recherchant pas, comme il lui était demandé, si un suivi de son produit avait été mis en place par le laboratoire, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; - 8) que le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable ; qu'en excluant l'indemnisation du dommage de Mme X qui n'a été causé que par le fait dommageable du laboratoire, la cour d'appel aurait violé les articles 1147, 1382, 1384 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt, se fondant, comme les parties elles-mêmes, sur les dispositions des articles 1147 et 1382 du Code civil interprétés à la lumière de la directive CEE n° 85-374 du 25 juillet 1985, énonce que la responsabilité du fabricant ou producteur est soumise à la condition que le demandeur prouve, outre le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, et, soulignant que le seul fait que l'Halfan entraîne des troubles du rythme cardiaque ne pouvait constituer un défaut du produit, retient, par motifs propres et adoptés, après avoir relevé que les éléments apparus lors des essais cliniques n'étaient pas significatifs et que, des trois accidents recensés, le premier ne permettait pas d'en tirer des conséquences et les deux autres n'avaient pas été portés de manière certaine à la connaissance du laboratoire, qu'aucun défaut n'était établi, notamment au regard de l'information donnée par le laboratoire qui avait mené des études et modifié sa notice dès qu'il avait connu les cas suspects ; que la cour d'appel a ainsi, sans contradiction et après s'être livrée à la recherche prétendument omise, exclu l'existence d'un défaut, compte tenu de l'ensemble des circonstances, notamment la présentation du médicament et ce qui pouvait en être raisonnablement attendu au regard des effets nocifs constatés, tant lors de la mise sur le marché que lors de la prescription à Mme X ; que le moyen, manquant en fait en ses première, deuxième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches et inopérant en sa huitième, n'est pas fondé en sa troisième branche ;
Rejette le pourvoi.