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Décisions

CA Aix-en-Provence, 10e ch., 7 mars 2012, n° 10-13383

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Enjalric, Clair

Défendeur :

Butagaz (SAS), Leroy Merlin (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vannier

Conseillers :

Mmes Bourrel, Tournier

Avocats :

SCP Boissonnet Rousseau, SCP Cohen Guedj, Me Baudry

TI Martigues, du 4 mai 2010

4 mai 2010

Le 2 janvier 2006, Monsieur Enjalric et Madame Clair ont acheté un appareil de chauffage d'appoint au magasin Leroy Merlin de Martigues.

Le 7 janvier 2006, les sapeurs-pompiers sont intervenus au domicile de Monsieur Enjalric et Madame Clair pour intoxication au monoxyde de carbone.

Le 9 janvier 2006, Monsieur Enjalric et Madame Clair ont ramené l'appareil de chauffage au magasin Leroy Merlin qui le leur a remboursé.

Par acte d'huissier en date du 12 février 2008, Monsieur Enjalric agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de son fils mineur Quentin Enjalric, et Madame Clair agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de sa fille mineure Camélia Santaro ont fait assigner la SA Leroy Merlin devant le tribunal d'instance de Martigues, à l'effet de la voir condamnée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil, à leur payer des dommages intérêts.

Par acte d'huissier en date du 8 août 2008, la société Leroy Merlin a appelé en cause la SAS Butagaz en tant que producteur de l'appareil de chauffage, à l'effet de la voir condamnée à la garantir de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre.

Par décision en date du 4 mai 2010, le tribunal, après jonction des deux procédures le 2 septembre 2008, a :

- dit irrecevable l'action de Monsieur Enjalric et Madame Clair à l'encontre de la société Leroy Merlin,

- constaté que Monsieur Enjalric et Madame Clair ne réclament rien à la société Butagaz,

- dit sans objet l'appel en garantie de la société Leroy Merlin à l'encontre de la société Butagaz,

- dit sans objet la demande d'exécution provisoire,

- condamné Monsieur Enjalric et Madame Clair à payer à la société Leroy Merlin la somme de 300 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Leroy Merlin à payer à la société Butagaz la somme de 1.000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné Monsieur Enjalric et Madame Clair aux dépens.

Monsieur Enjalric agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de son fils mineur Quentin Enjalric, et Madame Clair agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de sa fille mineure Camélia Santaro ont interjeté appel à l'encontre de cette décision, par déclaration déposée au greffe le 13 juillet 2010.

Aux termes de leurs dernière écritures déposées le 27 décembre 2011, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et des prétentions, Monsieur Enjalric et Madame Clair demandent à la Cour au visa des articles 1147, 1386-1 et suivant du Code civil de :

- réformer la décision déférée en toutes ses dispositions,

- dire que l'appareil de chauffage produit par la société Butagaz et vendu aux concluants était défectueux,

- dire que la société Butagaz est responsable en qualité de producteur de l'appareil litigieux,

- dire que la société Leroy Merlin a manqué à son devoir de conseil,

- condamner lesdites sociétés à payer aux concluants la somme de 10.000 euro à titre de dommages intérêts,

- condamner les dites sociétés aux entiers dépens avec application de l'article 699 du Code de procédure civile pour leur recouvrement, ainsi qu'au paiement de la somme de 2.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Ils soutiennent notamment que le tribunal n'a pas pris en compte leurs conclusions récapitulatives dans lesquelles ils formulaient leurs demandes à l'encontre des deux sociétés, que l'absence d'expertise de l'appareil litigieux est le fait de la société Butagaz, que la preuve est rapportée du dysfonctionnement du dispositif de sécurité de cet appareil, qu'il appartenait au vendeur de vérifier que l'appareil vendu correspondait à leurs besoins.

Par ses dernières conclusions déposées le 10 janvier 2012, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et des prétentions, la SA Leroy Merlin France demande à la Cour de :

- confirmer la décision déférée, sauf en ce qu'elle a condamné la concluante au paiement de la somme de 1.000 euro à la société Butagaz au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- déclarer Monsieur Enjalric et Madame Clair irrecevables et mal fondés en leurs demandes à son encontre,

- débouter la société Butagaz de toutes demandes,

- condamner la société Butagaz à garantir la concluante de toutes demandes,

- condamner tout succombant aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 3.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Elle soutient notamment que la responsabilité fondée sur l'article 1386-1 du Code civil est applicable au seul producteur et non au vendeur du produit dès lors que le producteur est identifié, que la preuve d'un défaut de l'appareil de chauffage n'est pas rapportée, qu'il ne peut lui être reproché un manquement à son devoir de conseil et d'information.

Aux termes de ses dernière écritures déposées le 5 janvier 2012, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et des prétentions, la SAS Butagaz demande à la Cour de :

- dire l'action irrecevable et en tout état de cause prescrite,

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- Subsidiairement,

* débouter Monsieur Enjalric et Madame Clair de l'ensemble de leurs demandes,

* déclarer l'appel en garantie formé par la société Leroy Merlin mal fondé et débouter celle-ci de toutes ses demandes à son encontre,

* condamner solidairement Monsieur Enjalric et Madame Clair aux dépens avec application de l'article 699 du Code de procédure civile pour leur recouvrement, ainsi qu'à lui payer la somme de 2.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Elle soutient notamment que Monsieur Enjalric et Madame Clair n'ont formalisé une demande à son encontre que par conclusions intervenues en 2009 postérieurement à l'expiration du délai de prescription de 3 ans à compter du fait litigieux, à supposer qu'en dépit de leur ambiguïté elles soient considérées comme valant prétentions, que leur demande initiale à l'encontre de la société Leroy Merlin était irrecevable et l'appel en garantie formulé à son encontre sans objet, que la preuve d'un défaut de l'appareil de chauffage n'est pas rapportée, que l'absence de réalisation d'une expertise de l'appareil de chauffage ne peut lui être reprochée.

La clôture de la procédure est en date du 25 janvier 2012.

Les parties ont été autorisées à déposer une note en délibéré sur le moyen tiré de la prescription de l'action invoqué par la société Butagaz, les conclusions de celle-ci qui soulevaient ce moyen, n'ayant été notifiées à Monsieur Enjalric et Madame Clair que le 23 janvier 2012, après notification du nouveau représentant de ces derniers le 16 janvier 2012 ; elles avaient été notifiées au représentant de la société Leroy Merlin le 4 janvier 2012.

Par note en date du 27 janvier 2012, Monsieur Enjalric et Madame Clair font valoir essentiellement que le délai de prescription a été interrompu par la délivrance par la société Leroy Merlin d'une assignation en intervention forcée, que dès le 2 septembre 2008 par l'effet de la jonction des deux instances, la société Butagaz était en la cause.

Par note en réplique en date du 31 janvier 2012, la société Butagaz soutient que Monsieur Enjalric et Madame Clair ayant connaissance de l'identité du producteur dès réalisation du dommage, ne pouvaient pas agir contre le fournisseur, qu'il n'existe pas de solidarité de celui-ci avec le producteur, que l'assignation délivrée par la société Leroy Merlin contre laquelle les demandeurs principaux n'avaient pas le droit d'agir, ne peut avoir d'effet interruptif de prescription, que l'interruption de la prescription ne peut résulter que de la signification de l'acte à celui que l'on veut empêcher de prescrire, qu'une mesure de jonction n'a pas d'effet interruptif.

Motifs de la décision :

* Sur la prescription de l'action de Monsieur Enjalric et Madame Clair à l'encontre de la société Butagaz :

En application des articles 1386-1, 1386-7 et 1386-17 du Code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit lié ou non par un contrat avec la victime ; la responsabilité du vendeur n'est susceptible d'être engagée que dans l'hypothèse où le producteur ne peut être identifié ;

L'action en réparation doit être engagée dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

Il résulte par ailleurs de l'article 2244 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 qui est applicable au litige, que seule une citation en justice, des conclusions dans le cadre d'une instance en cours, un commandement, une saisie signifiées à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription.

En l'espèce, il convient de constater que Monsieur Enjalric et Madame Clair ont délivré leur assignation introductive d'instance devant le tribunal d'instance, à l'encontre de la société Leroy Merlin exclusivement, et que c'est celle-ci qui a attrait à l'instance la société Butagaz ;

La citation délivrée par la société Leroy Merlin n'a pu avoir un effet interruptif de prescription qu'à son égard et n'a pas bénéficié à Monsieur Enjalric et Madame Clair, qui n'ont manifesté leur intention de poursuivre la société Butagaz que par conclusions postérieures à cette citation ;

La jonction prononcée par le tribunal d'instance entre l'instance principale et l'appel en garantie, simple mesure d'administration judiciaire, qui a entraîné la présence de la société Butagaz à l'instance unique, n'a eu aucun effet interruptif de prescription au bénéfice des demandeurs à l'instance initiale en l'absence de toute demande de ces derniers à l'encontre de la société Butagaz ;

Monsieur Enjalric et Madame Clair avaient connaissance de l'identité du producteur au plus tard le 25 janvier 2006, date du mail adressé à la société Leroy Merlin par l'UFC Que choisir, mandatée par eux, mail qui mettait en cause l'appareil de chauffage et faisait état de la commercialisation de celui-ci par la société Butagaz, à supposer qu'ils n'aient pas lu la notice d'emploi dont ils ne contestent pas qu'elle leur ait été remise avec l'appareil et qui porte la mention apparente " conçu et distribué par Butagaz " ;

Monsieur Enjalric et Madame Clair ont sollicité par conclusions la condamnation 'des sociétés' à réparer leur préjudice après avoir demandé au tribunal de dire que l'appareil de chauffage produit par la société Butagaz et vendu par la société Leroy Merlin était défectueux; ces conclusions dépourvues d'ambiguité ont eu de ce fait valeur interruptive de prescription à l'égard de la société Butagaz ;

Toutefois ils ne justifient pas qu'elles aient été notifiées à celle-ci avant le 11 mai 2009, date de leur transmission par mail qui y figure ;

Leur demande a en conséquence été formée après expiration du délai de trois ans susvisé et doit être déclarée prescrite à l'égard de la société Butagaz.

* Sur le bienfondé de la demande de Monsieur Enjalric et Madame Clair à l'égard de la société Leroy Merlin :

Monsieur Enjalric et Madame Clair qui n'invoquent plus les articles 1386-1 et suivants du Code civil à l'encontre de la société Leroy Merlin et fondent leur demande à l'égard de celle-ci sur l'article 1147 du Code civil, lui reproche un manquement à son devoir de conseil, en ce qu'elle aurait dû se renseigner sur leurs besoins, les informer des risques de l'appareil et des symptômes d'une exposition au monoxyde de carbone.

Il convient toutefois de constater qu'aucune expertise de l'appareil n'a pu être diligentée, sans que cela soit imputable à la société Leroy Merlin qui avait transmis à la société Butagaz la réclamation de Monsieur Enjalric et de Madame Clair comme en atteste le courrier de la société Butagaz à l'UFC Que choisir en date du 2 février 2006.

De ce fait, la cause de l'intoxication de la famille Enjalric-Clair ne peut être déterminée avec certitude, à savoir une défectuosité effective de l'appareil dont le dispositif de sécurité devait couper l'arrivée du gaz et l'éteindre si les conditions normales de ventilation n'étaient pas respectées, ou l'utilisation d'une gazinière dans une cuisine mal ventilée ou encore une mauvaise utilisation de l'appareil de chauffage à l'origine d'un endommagement de celui-ci :

les sapeurs-pompiers qui indiquent être déjà intervenus au domicile une dizaine de jours auparavant pour un problème de CO, n'émettent en effet qu'une hypothèse en mentionnant que la cause suspectée de l'intoxication est le chauffage d'appoint au gaz et n'ont pas effectué de relevé du taux d'oxyde de carbone dans toutes les pièces ; le technicien de la DDASS, service santé-environnement, qui s'est rendu au domicile de Monsieur Enjalric et Madame Clair le 11 janvier 2006 après enlèvement de l'appareil, a par ailleurs seulement pris acte de leurs déclarations quant à une imputabilité de l'intoxication à celui-ci et n'a pu constater par lui-même que l'inadaptation de l'appartement à ce type de chauffage faute d'être correctement ventilé, souligner que ce type d'appareil d'appoint n'était pas conçu pour être raccordé à un conduit d'évacuation des gaz brûlés et pour être utilisé en continu, et relever que l'utilisation constatée d'une gazinière dans la cuisine alors que celle-ci était mal ventilée était également dangereuse et susceptible de provoquer une intoxication.

Il en résulte qu'il ne peut être reproché à la société Leroy Merlin de ne pas s'être enquise des caractéristiques de l'appartement auquel était destiné l'appareil, la preuve d'un lien de causalité entre le dommage et l'éventuelle inadaptation de l'appareil à l'usage que Monsieur Enjalric et Madame Clair voulaient en faire, n'étant pas rapportée.

Monsieur Enjalric et Madame Clair doivent en conséquence être déboutés de leur demande à l'encontre de leur vendeur.

* Sur les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Monsieur Enjalric et Madame Clair succombant en leurs prétentions, supporteront les dépens et doivent être déboutés de leur demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ;

L'équité ne justifie pas l'application de ce texte au profit de la société Leroy Merlin et de la société Butagaz.

La décision déférée doit par ailleurs être confirmée en ce qu'elle a mis les dépens à la charge de Monsieur Enjalric et Madame Clair et a condamné ces derniers sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au paiement d'une indemnité à la société Leroy Merlin ;

Elle doit être infirmée en ce qu'elle a condamné cette dernière au paiement d'une indemnité à la société Butagaz, la société Leroy Merlin étant fondée à appeler en cause son fournisseur dès lors qu'elle était recherchée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Par ces motifs : - LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, - Infirme la décision du tribunal d'instance de Martigues en date du 4 mai 2010, excepté en ce qui concerne les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Leroy Merlin. - Statuant à nouveau des chefs infirmés, - Déclare irrecevable comme étant prescrite, la demande de Monsieur Enjalric et Madame Clair agissant tant à titre personnel qu'en qualité de représentants légaux de leurs enfants respectifs mineurs, formée à l'encontre de la SAS Butagaz.