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Décisions

CA Nancy, 1re ch. civ., 7 février 2012, n° 10-03481

NANCY

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Toyota France (SAS)

Défendeur :

Nasa Services Automobiles (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dory

Conseillers :

M. Schamber, Mme Roubertou

Avocats :

SCP Vasseur, SCP Millot-Logier, Fontaine

TGI Nancy, du 8 nov. 2010

8 novembre 2010

M. Jean-Marie Claveau a acheté le 18 avril 2008 un véhicule d'occasion Toyota Land Cruiser affichant 110 400 km au compteur, pour le prix de 23 900 euro à la SARL Tout Terrain. Ce véhicule est tombé en panne le 23 décembre 2008 alors qu'il affichait 120 650 km au compteur. Une expertise réalisée à la demande de l'assureur des pannes mécaniques du véhicule, en présence de la société Tout Terrain, a conclu à un dysfonctionnement de l'injecteur du cylindre n° 1. Une nouvelle expertise mise en œuvre par l'assureur " protection juridique " de M. Claveau, en présence de la société Tout Terrain et de la SAS Nasa Services Automobiles a abouti aux mêmes conclusions, en précisant que le dernier intervenant sur l'injecteur a été la société Nasa Services Automobiles.

Par acte d'huissier du 10 septembre 2009, M. Claveau a fait assigner à jour fixe la société Tout Terrain devant le Tribunal de grande instance de Nancy. La société Tout Terrain a appelé en garantie la société Nasa Services Automobiles le 21 septembre 2009. La société Nasa Services Automobiles a à son tour appelé en garantie la SAS Toyota France le 30 octobre 2009.

M. Claveau a demandé de prononcer l'annulation de la vente du véhicule sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil, avec restitution du prix, paiement de dommages et intérêts pour perte de jouissance de 2160 euro, et d'une indemnité au titre des frais irrépétibles.

La société Tout Terrain a conclu au débouté de la demande de M. Claveau et subsidiairement à la garantie de la société Nasa Services Automobiles, et à sa condamnation à lui payer la somme de 3217, 24 euro au titre des frais de gardiennage du véhicule, celle de 21 858, 02 euro correspondant au coût de la remise en état du véhicule, celle de 5000 euro au titre du préjudice commercial subi, celle de 5000 euro à titre de dommages et intérêts du fait de la décote du véhicule depuis 2008, et une indemnité au titre des frais irrépétibles.

La société Nasa Services Automobiles a conclu à sa mise hors de cause, et subsidiairement à la garantie de la société Toyota France sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil pour lui avoir fourni un injecteur défaillant.

La société Toyota France a conclu au débouté des demandes de la société Nasa Services Automobiles et à sa condamnation à lui payer une indemnité au titre des frais irrépétibles.

Par jugement du 8 novembre 2010, le tribunal a prononcé la résolution du contrat de vente aux torts et griefs de la société Tout Terrain en application des articles 1641 et suivants du Code civil, condamné la société Tout Terrain à rembourser à M. Claveau la somme de 23 900 euro au titre du prix de vente du véhicule, constaté que le véhicule se trouve en la possession de la société Tout Terrain depuis le 23 décembre 2008 et jugé que ce véhicule est désormais sa propriété, condamné la société Tout Terrain à payer à M. Claveau la somme de 1500 euro à titre de dommages et intérêts, condamné la société Nasa Services Automobiles à garantir la société Tout Terrain du paiement de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre au profit de M. Claveau, et à lui payer la somme de 3217, 24 euro à titre de dommages et intérêts au titre des frais de gardiennage du véhicule, débouté la société Tout Terrain de ses demandes de dommages et intérêts complémentaires contre la société Nasa Services Automobiles, condamné la société Toyota France à garantir la société Nasa Services Automobiles du paiement de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre au profit de la société Tout Terrain, condamné la société Tout Terrain à payer à M. Claveau la somme de 1500 euro au titre de l'article 700 du CPC, condamné la société Nasa Services Automobiles à garantir la société Tout Terrain du paiement de cette condamnation et à lui payer la somme de 1500 euro au titre de l'article 700 du CPC, condamné la société Toyota France à garantir la société Nasa Services Automobiles du paiement des condamnations prononcées à son encontre au titre de l'article 700 du CPC et à lui payer la somme de 1500 euro en application dudit article, condamné la société Toyota France aux dépens.

La société Toyota France a interjeté appel en intimant la société Nasa Services Automobiles, par déclaration remise au greffe le 30 décembre 2010.

Elle a demandé par dernières conclusions déposées le 9 mai 2011, d'infirmer le jugement dans toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de dire que la responsabilité du fait des produits défectueux n'est pas applicable au cas d'espèce, en conséquence de la mettre hors de cause, de dire que la société Nasa Services Automobiles ne peut être garantie d'un prix auquel du fait de la résolution de la vente et de la remise consécutive de la chose elle n'a plus droit, et dont la restitution ne constitue pas un préjudice indemnisable, en conséquence, de débouter la société Nasa Services Automobiles de l'ensemble de ses demandes, de la condamner à lui payer la somme de 2000 euro au titre de l'article 700 du CPC et aux dépens dont distraction au profit de son avoué.

Elle souligne qu'aucune des expertises amiables réalisées ne lui est opposable puisqu'elle n'a pas été conviée à y participer.

Elle rappelle que l'application des articles 1386-1 et suivants du Code civil implique un dommage résultant d'une atteinte à la personne ou un dommage supérieur à 500 euro résultant d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux, et relève que le tribunal a considéré que le produit défectueux est l'injecteur tandis que le bien autre est désigné alternativement comme étant le véhicule ou le moteur du véhicule, alors que le véhicule ne peut rouler sans moteur et que le moteur ne peut fonctionner sans injecteurs, que distinguer les injecteurs du moteur et du véhicule est donc une aberration technique, de sorte que s'il y a produit défectueux il s'agit du véhicule et qu'en admettant que l'injecteur n° 1 du véhicule était défectueux et qu'il a occasionné la fusion du piston puis la casse du moteur, les dommages causés l'ont été au produit lui-même, à savoir le véhicule.

Elle fait valoir sur le caractère défectueux du produit, que celui-ci est constitué quand le produit a porté atteinte à la sécurité de la personne ou à un bien autre que le produit défectueux, que le produit n'est pas défectueux quand il compromet l'utilité du bien ou présente un défaut de conformité, et que le tribunal a retenu à tort une atteinte à la sécurité à laquelle le public peut légitimement s'attendre puisque le véhicule a subi une simple panne moteur sans conséquence pour la sécurité de M. Claveau ou de tiers.

Elle retire de ses développements que les dispositions du titre IV du Code civil sont inapplicables en l'espèce.

Elle souligne que le tribunal a condamné la société Nasa Services Automobiles, puis la société Toyota France à garantir le remboursement du prix de vente, alors que le vendeur qui a récupéré le véhicule et restitué le prix de vente ne peut obtenir la garantie au titre de ce prix puisqu'il a récupéré la contrepartie du prix, et que la restitution du prix ne constitue pas un préjudice indemnisable.

La société Nasa Services Automobiles a demandé par dernières conclusions déposées le 31 août 2011, de débouter la société Toyota France de son appel mal fondé, de confirmer le jugement en ce qui concerne ses dispositions lui ayant accordé la garantie de la société Toyota, subsidiairement de consacrer la responsabilité contractuelle de la société Toyota en tant que fabricant du piston incriminé, de l'obliger à la même garantie, de la condamner à lui payer la somme de 3000 euro au titre de l'article 700 et aux dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de son avoué.

Elle fait valoir que le piston fourni par la société Toyota France, qui s'est révélé défectueux, a causé un dommage au moteur et à la voiture entière, de sorte que l'atteinte non limitée à l'injecteur permet la mise en œuvre de l'article 1386-1 du Code civil, un produit étant défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et que son défaut de qualité préjudicie à son environnement, ce qui a été le cas en l'espèce. Elle affirme que le vice de l'injecteur rendant le moteur défaillant mettait en cause la sécurité du véhicule et de ses occupants.

Elle se prévaut subsidiairement de la faute contractuelle de la société Toyota qui lui a fourni un injecteur défaillant, atteint d'une non-conformité grave.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 novembre 2011.

Sur ce :

Attendu que la société Nasa Services Automobiles est intervenue en juin 2007 sur le véhicule litigieux appartenant alors à un autre propriétaire, et a remplacé les quatre injecteurs (ordre de réparation du 4 juin 2007, et facture du 30 juin 2007) ;

Attendu que si la société Toyota France n'a pas été partie aux expertises amiables organisées par l'assureur du véhicule au titre des pannes mécaniques et l'assureur "protection juridique" de M. Claveau, les rapports établis à la suite de ces mesures constituent des éléments de preuve qui ont été soumis à la discussion des parties et peuvent en conséquence être pris en compte dans le cadre de la résolution du litige ;

Attendu que la société Toyota France, fournisseur des injecteurs mis en place dans le véhicule par la société Nasa Services Automobiles, n'a pas contesté le résultat de ces expertises dont il résulte :

- selon le rapport BCA du 24 février 2009 : que le désordre a pour origine le dysfonctionnement de l'injecteur du cylindre n° 1 qui a grippé occasionnant la fusion du piston,

- et selon le rapport Auto Expertise Conseil du 14 avril 2009 : que la dégradation du moteur relève strictement d'une défaillance de l'injecteur n° 1 qui a laissé passer dans le cylindre n° 1 une quantité de gasoil anormale entraînant à terme la fusion du piston et les conséquences qui en découlent ; que la société Nasa Automobiles a monté un élément défaillant lors de son intervention du 4 juin 2007, qui n'a pas tenu dans le temps ;

Attendu que l'article 1386-1 du Code civil énonce que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime ; que l'article 1386-7 précise que si le producteur ne peut être identifié, le fournisseur professionnel est responsable du défaut de sécurité du produit dans les mêmes conditions que le producteur ; que l'article 1386-2 précise que les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne et à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui a été fixé à 500 euro, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ; que l'article 1386-4 indique qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ;

Attendu que l'injecteur est un produit distinct du moteur dont il est une pièce dissociable, pouvant ainsi être remplacée indépendamment de celui-ci et avoir une autre origine, et du véhicule qui comporte le moteur ; qu'en l'espèce l'injecteur n° 1 a causé un dommage au moteur qui nécessite son remplacement, lequel a été évalué à 20 191, 99 euro ; qu'il n'a pas offert la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre puisqu'utilisé conformément à sa destination, il n'a pas rempli correctement sa fonction, ayant grippé et laissé passer trop de gasoil, ce qui a entraîné la fusion du piston et la mise hors service du moteur, contrairement aux autres injecteurs mis en place lors de la même intervention qui ont fonctionné normalement ;

Attendu qu'il s'ensuit que les conditions de la responsabilité du fait des produits défectueux sont réunies ;

Attendu que la société Toyota, responsable de plein droit en qualité de fournisseur de l'injecteur, ne rapporte pas l'existence d'une des causes exonératoires de l'article 1386-11 ou de l'article 1386-13 du Code civil ; que sa responsabilité doit ainsi être retenue ;

Attendu cependant que sa mise en œuvre ne peut aboutir à la condamnation de la société Toyota France à garantir la société Nasa Services Automobiles de la condamnation prononcée contre elle à garantir la société Tout Terrain de sa condamnation à rembourser à M. Claveau le prix de vente du véhicule (23 900 euro) ; qu'elle n'a en effet pas été vendeur du véhicule et n'a pas perçu le prix de vente, et que le paiement du prix de vente n'a pas été la conséquence de la défaillance de l'injecteur, mais de la résolution de la vente intervenue entre la société Tout Terrain et M. Claveau ;

Que le jugement déféré à la cour sera ainsi infirmé sur ce point ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du CPC dans les rapports entre les parties à hauteur d'appel ; que l'issue de leurs prétentions justifie un partage des dépens d'appel par moitié entre elles ;

Par ces motifs : - LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe : - Retient la responsabilité de la SAS Toyota France sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil ; - Infirme le jugement du Tribunal de grande instance de Nancy du 8 novembre 2010 en ce qu'il a condamné la SAS Toyota France à garantir la SAS Nasa Services Automobiles de la condamnation à garantie prononcée contre elle au profit de la SARL Tout Terrain au titre du remboursement du prix de vente du véhicule de vingt-trois mille neuf cents euro (23 900 euro) ; - Et statuant à nouveau de ce chef, - Deboute la SAS Nasa Services Automobiles de sa demande en garantie contre la SAS Toyota France au titre du prix de vente du véhicule de vingt-trois mille neuf cents euro (23 900 euro) ; - Confirme le jugement pour le surplus.