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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 juin 2012, n° 11-12179

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

MKM Limited (SARL)

Défendeur :

GPG (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Luc

Avocats :

SCP Galland-Vignes, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Mes Schwarzenberg, Thivillier, Pastumeau

T. com. Bobigny, du 24 mai 2011

24 mai 2011

Faits constants et procédure

Par un contrat verbal d'agence commerciale, la société MKM Limited a reçu de la société GPG Company, mandat de représentation de la marque " Dr Martens " sur le territoire " Rhône-Alpes ", depuis 2003.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 15 janvier 2010, la société GPG Company a informé la société MKM Limited de sa décision de rompre le contrat pour faute grave.

Par courrier en date du 26 janvier 2010, la société MKM Limited a contesté les motifs et modalités de cette rupture, sollicitant le versement par la société GPG Company d'une indemnité de cessation de mandat sur la base de 3 ans de commissions et le paiement du solde des commissions lui restant dû.

Par exploit en date du 19 février 2010, la société MKM Limited a fait assigner la société GPG Company par devant le Tribunal de commerce de Bobigny aux fins de la voir condamnée à lui payer les commissions restant dues et une indemnité de cessation de mandat.

Par jugement rendu le 24 mai 2011, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Bobigny a constaté que la faute grave de la société MKM n'était pas établie, condamné la société GPG à régler à la société MKM la somme de 33 325 euro HT à titre d'indemnité de rupture contractuelle, outre intérêts au taux légal à compter du 19 février 2010, dit que l'avance sur commissions printemps/été de 1 500 euro versée par la société GPG à la société MKM solde la dette de MKM au titre desdites commissions, débouté la société MKM de ses demandes complémentaires du même chef et de ses demandes de dommages et intérêts au titre des travaux effectués en préparation de la saison 2010 et débouté les deux parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté le 29 juin 2011 par la société MKM Limited.

Vu les dernières conclusions signifiées le 29 septembre 2011 par lesquelles la société MKM Limited demande à la cour :

- de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bobigny en ce qu'il a dit que la société MKM n'a commis aucune faute grave dans l'exécution de son mandat et en conséquence de constater que la société MKM a le droit à une indemnité de rupture contractuelle,

- d'infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bobigny en ce qu'il a condamné la société GPG au versement à la société MKM d'une indemnité de cessation de mandat de 33 325 euro représentant 1 an de commissions HT, en conséquence et statuant à nouveau :

- de condamner la société GPG au versement à la société MKM d'une indemnité de cessation de mandat de 99 975 euro représentant 3 ans de commissions HT,

- en tout état de cause de constater que l'indemnité de cessation de mandat ne peut être inférieure à la somme de 66 650 euro HT représentant deux années de commissions HT, en ce qu'il a débouté la société MKM de sa demande de condamnation au versement par la société GPG d'un rappel de commissions sur les commandes de la saison Printemps-Eté 2010 pour un montant de 10 400 euro HT et de la somme de 30 318 euro à titre de dommages et intérêts pour perte de commissions sur la saison Automne-Hiver pour laquelle la société MKM a réalisé tout le travail commercial en amont, en conséquence et statuant à nouveau, la cour d'appel constatera que la société MKM est bien fondée à solliciter ces sommes,

- de condamner la société GPG à verser la somme de 10 400 euro HT à titre de rappel de commissions sur les commandes de la saison Printemps-Eté et la somme de 30 318 euro à titre de dommages et intérêts pour perte de commissions sur la saison Automne-Hiver 2010,

En tout état de cause, de débouter la société GPG de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- d'assortir des intérêts légaux les condamnations à paiement prononcée à l'encontre de la société GPG,

- de condamner la société GPG au versement à la société MKM d'une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société MKM Limited soutient que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas constitutifs d'une faute grave mais que la perte des clients et du chiffre d'affaires reprochés à la société MKM Limited est inhérente aux produits de la marque Dr Martens, notamment à leur mévente ou bien encore à leur distribution croissante sur des sites Internet marchands et à la politique de la société GPG Company qui remplace de façon systématique ses agents commerciaux par des attachés commerciaux salariés.

De plus, elle affirme avoir subi un préjudice du fait de la résiliation pour faute grave de son mandat d'agent commercial.

Vu les dernières conclusions signifiées le 28 novembre 2011 par lesquelles la société GPG Company demande à la cour :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a considéré que la société MKM a commis des fautes en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnité complémentaire de 30 318 euro au titre de la saison Automne-Hiver 2010 et de sa demande de commission de 10 400 euro au titre de la saison Printemps-Eté 2010,

- de l'infirmer pour le surplus et notamment en ce qu'il a considéré que les fautes de la société MKM n'étaient pas constitutives d'une faute grave,

Statuant à nouveau :

A titre principal, de constater que la société MKM a fortement réduit la clientèle attachée au territoire qui lui était assigné dans le cadre de son mandat d'agent commercial et que le volume des ventes a considérablement baissé entre le début et la fin dudit mandat,

- de constater que ces faits sont imputables à la société MKM, ce que corroborent les résultats nettement supérieurs obtenus par le service commercial de la société GPG Company, le manque de diligence et le désintérêt dont la dite société MKM a témoigné pour la marque Dr Martens et ses produits et le refus de se conformer aux instructions de ladite société GPG Company,

- de constater qu'en agissant de la sorte, la société MKM a ainsi commis plusieurs fautes dans l'exécution de son mandat d'agent commercial constitutives d'une faute grave aux dépens de la société GPG Company,

- de dire et juger que c'est à bon droit que la société GPG Company a résilié le contrat d'agence commerciale la liant à la société MKM, sans versement d'une indemnité à ce titre, en application de l'article L. 134-13 du Code de commerce,

- de constater que la société GPG Company a dispensé la société MKM de son préavis qui arrivait à échéance le 30 avril 2009 et lui a versé l'indemnité compensatrice correspondante,

- de constater que le solde des commissions demeurant dû à la société MKM s'élevait à la somme de 17 684,80 euro TTC pour la saison Automne-Hiver 2009,

- de donner acte à la société GPC Company du règlement de ce solde,

- de donner également acte à la société GPC Company du règlement de la somme de 1 500 euro HT, à titre de solde sur commissions pour la saison Printemps-Eté 2010,

En conséquence, de débouter la société MKM de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire et si par extraordinaire la gravité des fautes invoquées par la société GPG Company ne devait pas être retenue par la cour de céans, de constater que la société MKM a considérablement réduit la clientèle dont elle était en charge, ainsi que le chiffre d'affaires généré au profit de la société GPG Company,

- de constater que la société MKM ne justifie donc d'aucun manque à gagner justifiant le versement d'une indemnité compensatrice,

- de dire que les fautes commises par la société MKM justifient que l'indemnité de rupture du mandat d'agent commercial soit réduite à l'équivalent d'une année de commissions, calculée sur la moyenne des trois dernières années de commissions.

- de dire et juger à toutes fins, que l'indemnité visée à l'article L. 134-12 du Code de commerce doit être limitée à 32 490,92 euro,

En tout état de cause, de condamner la société MKM à verser la somme de 5 500 euro à la société GPG Company en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société GPG Company soutient que la baisse importante du chiffre d'affaires et la perte de nombreux clients sont imputables à la société MKM, qui a ainsi commis une faute grave justifiant la rupture de son mandat d'agent commercial, compte tenu d'un manque évident de diligence, doublé d'un désintérêt pour le développement de la marque Dr Martens.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

Sur l'indemnité compensatrice de rupture réclamée par la société MKM Limited:

Il convient de rappeler qu'en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce, chacune des parties peut mettre fin au contrat d'agent commercial à durée indéterminée moyennant un préavis, d'une durée d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes, sauf dispositions contractuelles prévoyant un délai plus long; ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou la survenance d'un cas de force majeure.

L'article L. 134-12 du Code de commerce dispose, qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Cependant, aux termes de l'article L. 134-13 du même Code, cette réparation n'est pas due si la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

La lettre de rupture du contrat d'agent commercial pour fautes graves adressée par la société GPG Company à la société MKM Limited le 15 janvier 2010 fait état d'une chute du chiffre d'affaires propre au territoire concédé de près de 50 % entre 2004 et 2009 et de la perte de nombreux clients, en l'occurrence plus de 85 % de ceux qui étaient attachés audit territoire.

Cependant, il y a lieu d'observer que la perte de la clientèle n'est justifiée par aucune pièce, la société GPG reconnaissant d'ailleurs dans ses conclusions qu'elle avait commis une erreur, la clientèle n'ayant selon elle chuté que de 60 % pour la saison automne/hiver et de 81 % pour la saison printemps/été.

Par ailleurs, s'il y a eu une perte importante de chiffre d'affaires, elle a affecté l'ensemble de la marque Dr Martens et la société MKM était en train d'inverser la tendance et d'enrayer la chute des ventes au moment où le contrat d'agence a été rompu, ce que reconnaît la société GPG dans ses conclusions, tout en estimant que cette remontée s'est avérée manifestement insuffisante.

D'ailleurs, les relations entre les parties étaient manifestement bonnes en 2008, à une époque où pourtant le chiffre d'affaires était au plus bas.

En effet, dans un e-mail du 11 janvier 2008 le représentant de la société GPG remerciait celui de la société MKM de "son investissement derrière Doc Martens" et ce dernier lui répondait : "J'espère sincèrement que Doc va redécoller... ne faites plus l'erreur que vous avez faite les années précédentes avec les tarifs complètement hors marché... Cela nous a mis presque KO sur le terrain avec les clients potentiels et existants en quelques années..."

Selon la société GPG, les piètres résultats seraient le fruit d'un manque évident de diligence et d'un désintérêt pour le développement de la marque de la part de la société MKM...

C'est ainsi qu'elle lui reproche d'avoir refusé de communiquer les états prévisionnels de vente et de ne pas avoir pris part aux présentations des nouvelles collections Dr Martens et aux réunions stratégiques organisées par GPG.

Pourtant, force est de constater que pendant les sept années de collaboration entre les parties, la société GPG n'a pas adressé le moindre courrier de reproche à la société MKM. Elle ne lui a jamais enjoint ni même demandé d'assister à des réunions en France ou à l'étranger, ni de lui communiquer les états prévisionnels de vente. Elle ne s'est plainte d'aucune défaillance de son agent commercial jusqu'à la lettre de rupture du 15 janvier 2010.

Par contre, il résulte du tableau de comparaison pour la saison 2009 entre les agents commerciaux et les attachés commerciaux de la société GPG sur tous les secteurs géographiques que le phénomène de mévente de la marque Dr Martens est général, ce qui est confirmé par les nombreux articles de presse produits en annexe par la société MKM qui démontrent que la marque a connu un passage à vide au début des années 2000 et un retour en grâce à partir de l'année 2009.

Il n'est pas contestable que le type de chaussures commercialisé sous la marque Dr Martens s'adresse à une clientèle jeune (15 à 25 ans) et que cette clientèle achète de plus en plus sur Internet.

La société MKM démontre que les chaussures Dr Martens se vendent même d'occasion ou à prix cassé sur certains sites, la marque vendant sur ses propres sites ses chaussures avec presque 60 % de réduction.

La société MKM prouve également que la société GPG mène depuis plusieurs années une politique de remplacement systématique de ses agents commerciaux par des attachés commerciaux salariés.

D'ailleurs, la société MKM n'a pas été remplacée par un autre agent commercial mais par un de ses salariés, Monsieur Picard. Elle a également ouvert le 16 août 2010, soit peu de temps après la fin du contrat d'agence, à la place du magasin Phantom de Lyon une boutique Dr Martens.

Une telle ouverture se décide plusieurs mois à l'avance et peut également expliquer la rupture du contrat d'agent commercial de la société MKM.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments l'absence de démonstration de fautes graves commises par la société MKM, de sorte qu'elle est en droit de réclamer une indemnité de rupture.

L'indemnité de rupture due à l'agent commercial doit réparer le préjudice résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune.

Il est d'usage de calculer l'indemnité de cessation du contrat sur la base de la moyenne des trois dernières années d'exercice normal du contrat.

En l'espèce, rien ne permet de déroger à cet usage en calculant l'indemnité sur une base plus réduite.

Les commissions se sont élevées à 36 684,04 euro en 2007, 36 996,74 euro en 2008 et 42 716,66 euro en 2009, soit un montant total de 116 577,44 euro TTC ou 97 472,77 euro HT et une moyenne de 32 490,92 euro.

Compte tenu de la durée de sept années des relations commerciales entre les parties, une indemnité de deux ans de commissions est adaptée, de sorte qu'il convient d'allouer à la société MKM une indemnité de rupture de 64 981,84 euro.

Sur les autres demandes :

La société MKM sollicite la condamnation de la société GPG à lui payer un rappel de commissions sur les commandes de la saison printemps/été 2010 pour un montant de 10 400 euro HT et des dommages et intérêts de 30 318 euro pour perte de commissions sur la saison automne/hiver 2010 pour laquelle elle dit avoir réalisé tout le travail en amont.

Le chiffre d'affaires de 130 000 euro sur lequel la société MKM sollicite que soient calculées les commissions qui lui seraient dues sur les commandes de la saison printemps/été 2010 n'est justifié par aucun élément.

Par contre, le décompte des ventes au 14 juin 2010 s'établit à 51 180 euro, de sorte que les commissions de 8 % dues à la société MKM sont de 4 094,40 euro. La société GPG a déjà versé une avance sur commission de 1 500 euro TTC, soit 1 254,18 euro HT, de sorte qu'elle doit encore à la société MKM la somme de 2 840,22 euro HT.

Par contre s'agissant des dommages et intérêts réclamés, ils ne sauraient être dus dans la mesure où ils se confondent manifestement avec l'indemnité compensatrice de rupture qui a précisément pour objet de réparer le préjudice résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune.

Les sommes allouées à la société MKM doivent être assorties des intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 19 février 2010.

L'équité commande d'allouer à la société MKM Limited une indemnité de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Et, adoptant ceux non contraires des Premiers Juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que la société MKM Limited n'avait pas commis de faute grave dans l'exécution de son mandat, qu'elle avait droit à une indemnité de rupture et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour perte de commissions sur la saison automne/hiver 2010, Infirme le jugement déféré pour le surplus, Statuant à nouveau, Condamne la société GPG Company à payer à la société MKM Limited la somme de 64 981,84 euro à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial, Condamne la société GPG Company à payer à la société MKM Limited la somme de 2 840,22 euro HT à titre de rappel de commissions sur les commandes de la saison printemps/été 2010, Dit que ces sommes sont assorties des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2010, Deboute les parties de leurs plus amples demandes, Condamne la société GPG Company à payer à la société MKM Limited la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société GPG Company aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.