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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 22 mars 2012, n° 10-01318

AMIENS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Ateliers Michel Pellerin - A M P - (SAS)

Défendeur :

Prima Industrie (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M.de Mordant de Massiac

Conseillers :

M. Bougon, Mme Bousquel

Avoués :

SCP Lemal, Guyot, SCP Millon, Plateau

Avocats :

Me Dufieux, Lemaire

T. com Beauvais, du 25 févr. 2010

25 février 2010

PROCEDURE DEVANT LA COUR

Par acte en date du 18 mars 2010, la société AMP a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Beauvais en date du 25 février 2010 qui, sur son assignation en indemnisation pour défaut de conformité d'une machine livrée, formée contre la société Prima Industrie, a limité à 105 000 euro le montant de l'indemnité propre à réparer son préjudice.

La société AMP, appelant, a conclu (conclusions des 15 juillet 2010, 28 décembre 2010).

La société Prima Industrie, intimé et appelant incident, a conclu (conclusions du 1er décembre 2010).

Après clôture de la mise en état, l'affaire a été fixée au 1er décembre 2011 pour plaidoirie (O.C du 15 février 2011).

Les parties et leurs conseils ont été régulièrement avisés pour cette date, dans les formes et délais prévus par la loi.

Le jour dit, la cause et les parties ont été appelées en audience publique et les débats et plaidoiries tenus dans les conditions prévues aux articles 786 et 910CPC, les avocats ne s'y opposant pas.

Après avoir entendu les avoués et avocats des parties en leurs demandes fins et conclusions, le magistrat chargé du rapport a mis l'affaire en délibéré et indiqué aux parties que l'arrêt serait rendu et mis à disposition au greffe le 22 mars 2012.

Après rapport de l'affaire par le magistrat chargé du rapport et après en avoir délibéré conformément à la loi, la cour a rendu la présente décision à la date indiquée.

DECISION

Faits, procédures, demandes en appel

La société AMP, qui a pour activité le façonnage de pièces de métal, a acquis en crédit-bail, le 10 juin 1999, de la société italienne Prima Industrie, et pour le prix de 365 877 euro, une découpeuse de tôles Laserwork Gold censée permettre, selon les documents commerciaux, grâce à l'utilisation d'un laser, la découpe de tôles d'aluminium, d'acier inox et d'acier doux, dans des limites maximales d'épaisseur de 8 mm pour l'aluminium (de qualité AIMg3), de 10 mm pour l'acier inox (de qualité AISI 304 ou inox 18.10) et de 20 mm pour l'acier doux (de qualité E 24, sans rouille, à basse teneur en silice et décapé) et à certaines vitesses (seule une petite vitesse - par exemple 20 mm/minute pour l'acier doux - permettant d'atteindre un résultat de haute qualité).

La machine était garantie pour un an ou 2 000 heures de travail et, à la demande expresse de la société AMP, la société Prima a accepté, en cas de dysfonctionnement avéré et reconnu de part et d'autre, de reprendre la machine en prenant à sa charge les coûts de démontage et de transport, à l'exclusion des pertes d'exploitation.

Après installation le 7 octobre 1999 et réception de la machine le 21 octobre 1999, la société Prima est intervenue sur place, à diverses reprises (décembre 1999, février et mars 2000), dans le cadre de la garantie contractuelle, pour le réglage et la maintenance de la machine. La garantie a cessé en juin 2000, la machine ayant atteint, à cette date, 2 000 heures d'utilisation.

Après plus de deux ans et 8 818 heures d'utilisation, la société AMP a sollicité le 18 février 2002 et obtenu, le 6 juin 2002, au contradictoire de la société Prima, la désignation d'un expert aux fins de faire constater que la machine présentait de nombreux problèmes concernant " les tables de chargement/déchargement, la fiabilité en production et le système de découpe des tubes ", de voir donner un avis sur les moyens d'y remédier et aux fins de faire évaluer le préjudice commercial qui en était résulté pour elle.

Au vu rapport d'expertise déposé cinq ans après (le 30 septembre 2006) retenant un défaut de performance de la machine lors de la découpe de tôle d'une certaine épaisseur, et après avoir obtenu en référé une provision de 100 000 euro, la société AMP a, par acte du 3 octobre 2008, assigné la société Prima devant le tribunal de commerce de Beauvais, sur le fondement de l'article 1604 du Code civil et subsidiairement de l'article 1641 dudit Code, aux fins de voir cette société condamnée à lui payer 575 597 euro d'indemnités.

A l'appui de ses prétentions, la société AMP a fait valoir que, malgré de multiples interventions du fabricant, la machine n'avait jamais atteint les performances de découpe promises (usinage d'aciers doux de 12 à 20 mm), de sorte qu'il était avéré qu'elle devait être regardée comme non conforme à la commande ; que la réception de la dite machine n'avait pu couvrir ce défaut de conformité puisque celui-ci n'était pas apparent à la livraison ; que s'agissant d'un défaut de conformité, la clause des conditions générales de vente de la société Prima excluant la réparation des pertes d'exploitation ne lui était pas opposable ; que l'évaluation de son préjudice devait prendre en compte non seulement sa perte d'exploitation pendant la durée d'amortissement du matériel mais encore le surcoût de frais liés à la surveillance de la machine et ses frais de leasing ; qu'en ce qui concerne l'indemnisation à lui allouer, la société AMP a soutenu 1°) que la perte d'exploitation devait être calculée sur sept ans et non sur un an comme l'avait fait l'expert, 2°) que le calcul du préjudice devait inclure les frais de personnels qu'elle avait engagés pour la maintenance de la machine et le montant des loyers de leasing qu'elle avait payés pour une machine qui ne marchait pas.

En défense, la société Prima a soutenu que la société AMP n'était pas recevable à invoquer un défaut de conformité de la chose délivrée (et a fortiori l'existence d'un vice caché) dès lors qu'à la réception de celle-ci et après installation et mise en route, cette société n'avait émis aucune contestation dans le délai d'un mois qui lui était contractuellement imparti et avait utilisé la dite machine pendant plus de deux ans avant de se plaindre du défaut de performance de celle-ci, non dans des conditions normales d'utilisation, mais en limite maximale de capacité (à 20 mm) ; que le rapport d'expertise qui fondait les prétentions de la société AMP était dépourvu de valeur dès lors que l'expert, qui de son propre aveu ne maîtrisait pas la technique du laser, s'était borné à effectuer quelques essais de découpe (alors que sa mission était de vérifier " les tables de chargement/déchargement, la fiabilité en production et le système de découpe des tubes " et de donner un avis sur les moyens d'y remédier) avant d'affirmer péremptoirement, pour couvrir son incurie, que la machine souffrait d'un défaut de conception ; qu'il était avéré que la machine fonctionnait puisque la société AMP s'en était servie pendant toute la durée de la location (et en avait fait l'acquisition en fin de bail), mais qu'elle avait délibérément ignoré les contraintes de maintenance, le niveau de qualification requis des opérateurs et les conséquences d'une utilisation permanente en limite maximale de capacité ; que si son intention avait été effectivement d'utiliser la découpeuse, en permanence et pendant sept ans ou plus, aux limites extrêmes des capacités de celle-ci (à 20 mm), la société AMP aurait dû en informer la société Prima qui l'aurait dissuadée de faire l'acquisition d'une telle machine qui ne répondait pas à ses besoins ; qu'à supposer avéré le défaut de performance en limite de capacité (à 20 mm), et faute pour elle de produire une étude de marché antérieure voire postérieure à l'achat qui établirait qu'un tel défaut lui avait fait perdre un marché spécifique sur le façonnage des tôles de 20 mm, alors qu'elle avait utilisé normalement la découpeuse pour son activité habituelle (travail de tôles de 10 mm d'épaisseur au maximum), la société AMP ne pouvait même pas prétendre à une perte de chance certaine, directe et chiffrable ; qu'au demeurant, le contrat excluait expressément la garantie des pertes d'exploitation.

Par jugement en date du 25 février 2010, après avoir rejeté la demande d'expertise complémentaire présentée par la défenderesse, le tribunal a condamné la société Prima à payer, en deniers ou quittance (pour tenir compte de la provision versée), à la société AMP, outre les dépens de la procédure incluant les frais d'expertise et de référé, une indemnité de 105 600 euro et une somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour prononcer ainsi, le tribunal a énoncé qu'il était avéré que, malgré des essais de réglages, la machine n'avait pas permis la découpe de tôle de 20 mm alors que l'annexe à l'offre de marché du 5 mars 1999 garantissait la découpe de l'acier doux dans la limite de 20 mm d'épaisseur (l'expert ayant conclu que la machine ne donnait pas de résultats convenables au-delà de 10 mm) ; qu'il y avait lieu néanmoins de relever que, la machine était parfaitement exploitable puisque la société AMP n'avait cessé d'utiliser celle-ci pendant dix ans pour le découpage de tôles de faibles épaisseurs constituant la majeure partie de son activité et qu'elle avait du reste fait l'acquisition de celle-ci en fin de période de location ; que, s'agissant d'une activité marginale au regard de ce qui constituait l'essentiel de son activité, il n'y avait pas lieu de calculer le préjudice de la société AMP en feignant de croire à une utilisation à plein régime 24 h sur 24 pendant sept ans à titre d'activité principale, comme il n'y avait pas lieu de tenir compte d'un surcoût de main d'ouvre dont rien n'établissait qu'elle avait été utilisée spécifiquement pour la fabrication de tôle de 20 mm, comme il n'y avait pas lieu non plus de tenir compte des frais de leasing indépendants du litige ; que l'indemnité propre à réparer le préjudice allégué pouvait être arrêtée à la somme de 105 600 euro, représentant, à peu près, un an du chiffre d'affaires qu'elle aurait pu faire dans ce créneau d'utilisation.

La société AMP a interjeté appel de la décision et la société Prima a formé appel incident par voie de conclusions.

Devant la Cour de Céans,

La société AMP, dans des conclusions auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, reprend son argumentation de première instance et demande à la cour d'infirmer le jugement, de condamner la société Prima à lui payer une indemnité de 575 597 euro, de condamner cette dernière aux dépens (y compris les frais de référé et d'expertise) et de lui allouer 40 000 euro de frais hors dépens. Elle soutient, en substance, qu'en calculant le préjudice de la société AMP sur la base d'une année de manque à gagner au lieu de prendre en considération la durée d'amortissement du matériel (soit six ou sept ans), le tribunal n'avait pas justifié sa décision.

La société Prima, dans des conclusions auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, reprend son argumentation de première instance et demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter la société AMP de ses demandes, de condamner cette dernière à lui verser 30 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Elle demande à titre subsidiaire un complément d'expertise. Elle soutient, en substance, que, dès lors que l'intéressée a utilisé la machine pendant près de trois ans après sa réception, dans des conditions d'utilisation anormales, avant de se plaindre d'un défaut de performances en limite maximale de capacité, la société AMP n'est recevable à invoquer ni un défaut de conformité ni l'existence d'un vice caché.

En cet état,

Sur la recevabilité des appels

La société AMP ayant formé son recours dans les délais et forme prévus par la loi et la recevabilité de l'acte n'étant pas contestée, la cour recevra l'intéressée en son appel.

Il en ira de même de l'appel incident formé par voie de conclusions par la société Prima.

Sur le bienfondé des appels

La société AMP est appelante du jugement en ce qu'il a limité l'indemnisation qu'elle demandait, tandis que la société Prima est appelante incidente en ce que ce jugement a pour partie fait droit aux demandes de la société AMP après avoir retenu un défaut de conformité de la chose livrée.

La société AMP soutient qu'elle n'a jamais pu utiliser la machine dans de bonnes conditions et, se fondant sur le dire de l'expert Bondel (affirmant que " la découpeuse Laserwork Gold 20.40 ne permettait pas d'obtenir, dans l'acier doux, des résultats convenables au-delà de 10 mm "), elle soutient également que cette impossibilité d'usiner des tôles de 10 à 20 mm, lui aurait causé un préjudice de 575 597 euro (soit près de deux fois le prix d'achat de la machine).

Cette prétention appelle les observations suivantes.

La découpeuse Laserwork Gold a été installée en octobre 1999 et la société AMP a donné quitus de son bon fonctionnement, notamment pour la découpe de tôles de 20 millimètres effectuée en sa présence, par procès-verbal de réception du 21 octobre 1999 ; qu'à l'occasion d'interventions et de tests effectués sur place en décembre 1999, février 2000 et mars 2000, la société AMP a, à chaque fois et sans émettre de réserve, signé un procès-verbal attestant du bon fonctionnement de la machine, en ce compris un test de découpe de tôles de 20 millimètres ayant duré 10h30 à la fin du mois de mars ; qu'en août encore, dans un fax du daté du 7 de ce mois, la société AMP a reconnu que la découpeuse avait bien fait son office y compris pour la découpe de tôles de 20 mm.

La société AMP est donc mal venue de soutenir que la machine n'a " jamais " marché.

La cour observe encore qu'en juin 2000, soit moins d'un an après son installation, la découpeuse avait atteint 2 000 heures d'utilisation, c'est à dire l'équivalent d'une année de vie, la faisant sortir de la période de garantie contractuelle ; qu'en juin 2002, soit plus de deux ans après l'installation, au moment où elle a sollicité une expertise, la machine avait atteint 8 818 heures d'utilisation, c'est-à-dire l'équivalent de 4 ans de vie ; qu'en avril 2005, soit quatre ans après l'installation, la machine avait atteint, lors des tests effectués par l'expert, 18 942 heures d'utilisation, c'est-à-dire l'équivalent de 9 ans de vie.

La société AMP est donc mal venue de soutenir que la machine n'avait jamais marché " dans des conditions satisfaisantes ", alors qu'elle a utilisé celle-ci à un rythme effréné (3 400 heures par an), sans produire pour autant les documents d'entretien attestant qu'elle a, toutes les 2 000 et 8 000 heures, effectué les petites et grandes révisions prévues par le manuel d'utilisation et d'entretien du constructeur (notamment la révision de la tête de découpe à laser et commande numérique, les miroirs et les lentilles).

En raison de cette utilisation effrénée pendant plusieurs années, hors de toute maintenance régulière, la société AMP n'est pas fondée à soutenir que la machine marchait mal, qu'elle n'atteignait pas les performances promises ou qu'elle était affectée d'un vice caché.

Sur ce point, la société AMP ne saurait se fonder sur les dires de l'expert précité dès lors que ce dernier (qui, du reste, n'avait pas été commis à cet effet et a, ainsi, très largement outrepassé sa mission) n'a 1°) ni vérifié l'état de la tête de découpe avant de procéder à ses tests de découpage alors que, faute d'entretien prouvé, cette " tête " était probablement en mauvais état de fonctionnement privant ainsi la machine de toutes ses capacités, 2°) ni respecté lors de ses tests les préconisations du fabriquant qui subordonnaient la garantie des performances à la qualité et à l'état de l'acier ainsi qu'à la vitesse de découpe (acier doux, de qualité E 24, sans rouille, à basse teneur en silice et décapé, découpé à la vitesse 20 mm/minute), de sorte que les pseudos constatations de l'intéressé sont dépourvues de toute portée.

La cour observe enfin que la société AMP a fait l'acquisition de la machine, en fin de période de location (7 ans après) et qu'elle continue de se servir de cette machine-outil de haute technologie dont elle dit pourtant " pis que pendre ".

Dans ces conditions, force est de constater que le prétendu défaut de conformité ou le prétendu vice caché manque par le fait sur lequel il prétend se fonder.

La cour infirmera donc le jugement entrepris, déboutera la société AMP de ses prétentions, ordonnera la restitution de la somme de 105 600 euro indûment perçue avec intérêts de la somme au taux légal à compter de sa perception (100 000 à la suite du référé et 5 600 à la suite du jugement sur le fond) et des 20 000 euro reçus au titre de l'article 700, condamnera la société aux dépens de l'entière procédure (référé expertise, expertise, référé provision, première instance et appel), condamnera la société AMP à verser 30 000 euro à la société Prima Industrie au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs - LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, - Reçoit la société AMP en son appel principal et la société Prima Industrie en son appel incident ; - Statuant sur ces appels, - Infirme le jugement entrepris ; - Déboute la société AMP de ses prétentions.