CA Nancy, 2e ch. civ., 13 février 2012, n° 11-00690
NANCY
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Claude-Mizrahi
Conseillers :
MM. Martin, Magnin
Le 24 octobre 2009, Monsieur Jérémy R. a vendu à Monsieur Hubert N. un véhicule d'occasion, une Renault Kangoo, immatriculé AD 419 JD pour un prix de 2 600 euro.
Dès le 27 octobre 2009, Monsieur Hubert N. a confié le véhicule à son garagiste pour contrôle et entretien.
Le garagiste a alerté Monsieur Hubert N. sur le fait que le véhicule était dangereux.
L'acquéreur a demandé à son vendeur de reprendre le véhicule et d'annuler la vente. Mais aucun accord n'a pu être trouvé entre les parties.
Une expertise technique a été diligentée à l'initiative de l'assureur de Monsieur Hubert N.
L'expert a relevé de nombreux désordres et a chiffré les réparations à 3 457,80 euro TTC.
Par acte d'huissier du 21 septembre 2010, Monsieur Hubert N. a fait assigner Monsieur Jérémy R. devant le Tribunal d'instance de Briey afin de voir prononcer la résolution de la vente, de voir condamner le défendeur à récupérer le véhicule et à lui payer les sommes de 2 600 euro en remboursement du prix de vente, de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts et de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Monsieur Jérémy R. n'a pas comparu ; il s'est fait représenter, mais son avocat n'a pas conclu.
Par jugement rendu le 3 février 2011, le tribunal d'instance de Briey a condamné Monsieur Jérémy R. à restituer à Monsieur Hubert N. la somme de 2 600 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2010, il a ordonné à Monsieur Jérémy R. de venir récupérer le véhicule à ses frais et il l'a condamné à payer à Monsieur Hubert N. les sommes de 500 euro à titre de dommages et intérêts et de 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal a motivé sa décision en relevant que le véhicule présentait des défauts le rendant impropre à son usage, défauts cachés qui préexistaient à la vente et dont Monsieur Jérémy R. avait eu connaissance.
Monsieur Jérémy R. a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 10 mars 2011. Il demande à la Cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter Monsieur Hubert N. de toutes ses demandes et de le condamner à lui payer les sommes de 1 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Monsieur Jérémy R. expose :
- que, lors de la vente, il a remis à Monsieur Hubert N. le rapport de la contre-visite du contrôle technique, effectuée le 21 octobre 2009, mentionnant qu'il n'existait aucun défaut à corriger (hormis la détérioration de la plaque du constructeur), bien qu'il s'agisse d'un véhicule âgé de onze ans,
- que l'expertise qui lui est opposée, dont les conclusions sont d'ailleurs laconiques, n'a pas été réalisée contradictoirement,
- que Monsieur Hubert N., dans cette même affaire, a déposé contre lui une plainte pour escroquerie qui a été classée sans suite,
- que cette action engagée témérairement par Monsieur Hubert N. devant la juridiction civile lui cause un important préjudice moral.
Monsieur Hubert N. conclut à la confirmation de la décision du premier juge, sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués, et à la condamnation de Monsieur Jérémy R. à lui payer les sommes de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts et de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il fait valoir :
- que la petite annonce sur internet à laquelle il a répondu, ainsi que le rapport du contrôle technique remis par le vendeur, présentaient le véhicule comme étant en bon état,
- que néanmoins, trois jours après la vente, son garagiste a constaté d'innombrables vices cachés et a déclaré le véhicule dangereux,
- qu'en fait, Monsieur Jérémy R. a menti dans l'annonce sur internet en décrivant le véhicule comme étant en bon état et il a produit un faux rapport de contrôle technique,
- que les vices cachés ont été confirmés, et leur réparation chiffrée, au cours de l'expertise contradictoire qui a été diligentée, l'expert concluant que les défauts relevés rendaient la voiture impropre à l'usage auquel elles étaient destinées et étaient latents lors du contrôle technique effectué par le vendeur,
- que, s'il avait su son véritable état, il n'aurait jamais acheté cette Renault Kangoo, qui est désormais immobilisée car jugée trop dangereuse,
- que le risque qu'il a encouru en conduisant cette voiture, puis son l'immobilisation, la nécessité de la remplacer et les manœuvres frauduleuses du vendeur lui ont causé un important préjudice, d'autant que Monsieur Jérémy R. a rejeté toute solution amiable.
MOTIFS DE LA DECISION
Vu les dernières écritures déposées le 3 août 2011 par Monsieur Hubert N. et le 3 octobre 2011 par Monsieur Jérémy R.,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 30 novembre 2011.
Sur l'action en garantie des vices cachés
L'article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise s'il les avait connus.
En l'espèce, une expertise du véhicule litigieux a été réalisée en février 2010 par le cabinet " BCA Expertise ". Monsieur Jérémy R. a été invité à participer aux opérations de l'expert (le courrier du 15 janvier 2010 l'invitant à assister à ces opérations est produit aux débats) et le rapport d'expertise a été soumis à la libre discussion des parties au cours de cette procédure, de sorte que l'expertise doit être regardée comme respectant le principe de la contradiction.
L'expert de " BCA Expertise " a fait les constatations suivantes :
- présence d'huile dans le vase d'expansion,
- le vase d'expansion est d'aspect visuel neuf,
- la courroie d'accessoires est fortement usée,
- fuite d'huile au niveau de la crémaillère et de la pompe de direction assistée,
- jeu excessif sur les rotules des barres de suspension avant droit et gauche,
- jeu excessif sur les rotules et biellettes de direction gauche et droite,
- réparation sommaire sur la ligne d'échappement arrière,
- silentblocs de la barre stabilisatrice cassés.
L'expert a déduit de ces constatations que 'à l'évidence, ce véhicule présente des défauts qui le rendent impropre à l'usage auquel il est destiné. Force est de constater que l'usure avancée des points d'articulation du train avant nous laissent penser que ces défauts étaient latents au jour de la visite technique initiale du 5 octobre 2009... Au vu de nos constatations techniques, la responsabilité de Monsieur Jérémy R. est engagée, d'autant qu'il n'a pas remis le procès-verbal de la visite technique initiale du 5 octobre 2009 lors de la vente... La remise en état du véhicule est estimée à 3 457,81 euro TTC.
Il apparaît ainsi que les conditions de la mise en œuvre de la garantie légale des vices cachés sont remplies :
- les vices constatés rendent le véhicule impropre à l'usage auquel il est destiné,
- ces vices sont cachés puisqu'ils affectent des pièces mécaniques qui ne sont pas visibles extérieurement,
- les vices existaient, fût-ce à l'état latent, avant la vente.
La préexistence des vices est d'autant plus avérée que Monsieur Hubert N. n'a circulé que trois jours avec le véhicule : il en a pris possession le 24 octobre 2009 et il l'a déposé trois jours plus tard, le 27 octobre, chez son garagiste où il est resté immobilisé depuis lors. En outre, le 21 octobre 2009 (trois jours avant la vente), lors de la contre-visite du contrôle technique, le compteur du véhicule indiquait 276 426 kilomètres tandis qu'il en indiquait 276 831 en février 2010 lors des opérations d'expertise, ce qui signifie que Monsieur Hubert N. a parcouru, au plus, 400 kilomètres entre l'achat et l'immobilisation du véhicule.
Par ailleurs, bien qu'il s'agisse d'un véhicule d'occasion déjà ancien (première mise en circulation remontant au 22 septembre 1998), au kilométrage élevé, Monsieur Jérémy R. l'a présenté à la vente, dans la petite annonce qu'il a fait paraître sur un site internet, comme étant en bon état :
" Je vends mon Kangoo D65 de 1998, la voiture a 275 000 km, mais le moteur a 185 000 km et il roule très bien, 6 litres/100 km. Les entretiens sont faits, la courroie de distribution aussi! Les pneus sont ok (20% usure), bougie de préchauffage neuve, freins ok, amorto ok ... Elle vient de passer au contrôle technique (21/10/09), le CT est vierge !!! "
Eu égard à cette description faite par le vendeur, l'acheteur était en droit de se voir délivrer un véhicule dont la mise en circulation ne fût pas de nature à mettre en danger ses occupants.
Par conséquent, il ressort de l'ensemble de ces éléments que Monsieur Hubert N. est bien fondé à demander la résolution de la vente : Monsieur Jérémy R. sera condamné à restituer le prix et à venir récupérer le véhicule à ses frais.
Le jugement déféré sera confirmé à cet égard.
Sur les dommages et intérêts sollicités
L'article 1645 du code civil dispose que si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.
En l'espèce, Monsieur Jérémy R. a présenté comme étant le rapport du contrôle technique ce qui n'était que le rapport de la contre-visite du 21 octobre 2009.
L'expert a relevé que les défauts qu'il a constatés devaient être mentionnés sur le rapport initial du contrôle technique et, par voie de conséquence, être connus de Monsieur Jérémy R.
C'est pourquoi l'expert a cherché à obtenir ce rapport initial. Selon le rapport de contre-visite, la visite initiale aurait été effectuée le 5 octobre 2009 par le centre n° S003C008, qui correspond au numéro d'agrément du centre de contrôle technique 'CCTAV' de Cusset (03). Or, il ressort des pièces produites à la procédure (et notamment du courrier de ce centre CCTAV) que le véhicule Kangoo de Monsieur Jérémy R. n'a jamais fait l'objet d'un contrôle technique à Cusset.
Il est ainsi établi que le rapport de contre-visite, présenté en fait par Monsieur Jérémy R. comme étant le rapport du contrôle technique, comporte des indications fausses, ce qui démontre sa mauvaise foi.
D'ailleurs, pour mettre un terme à ce débat, il eut été facile à Monsieur Jérémy R. de produire en cours d'instance le rapport initial du contrôle technique, effectué le 5 octobre 2009, s'il n'avait rien eu à cacher. Or, il s'est bien gardé de produire cette pièce ; il s'est même gardé de répondre quoi que ce soit sur ce point dans ses conclusions.
Il y a lieu d'en déduire que les manœuvres de Monsieur Jérémy R. (production d'un rapport de visite du contrôle technique comportant des indications fausses) ont eu pour objet de dissimuler à son acquéreur l'état de délabrement du véhicule qu'il lui vendait et d'accréditer le bon état qu'il vantait dans sa petite annonce publiée sur internet.
Monsieur Jérémy R. sera donc tenu à des dommages et intérêts envers Monsieur Hubert N.
Celui-ci justifie de son préjudice de jouissance : le véhicule acheté 2 600 euro le 24 octobre 2009 a été immobilisé définitivement le 27 octobre suivant, c'est-à-dire au bout de trois jours, alors que 400 kilomètres au plus avaient été parcourus. Il justifie également des nombreux tracas que cette affaire lui a causés et du préjudice moral nécessairement généré par la mauvaise foi d'un vendeur fuyant ses responsabilités.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, Monsieur Jérémy R. sera condamné à payer à Monsieur Hubert N. la somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts. La décision du premier juge sera réformée à cet égard.
Monsieur Jérémy R. ne peut, quant à lui, qualifier d'abusive l'action en justice de Monsieur Hubert N. puisqu'elle s'avère au contraire pleinement fondée. Il sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Monsieur Jérémy R., qui est la partie perdante, supportera les dépens et sera débouté de sa demande de remboursement de ses frais de justice irrépétibles. En outre, il est équitable qu'il soit condamné à payer à Monsieur Hubert N. la somme de 1 750 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus de celle déjà allouée en première instance.
Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile, - Déclaré l'appel recevable, - Infirme partiellement le jugement déféré et, statuant à nouveau, - Condamne Monsieur Jérémy R. à payer à Monsieur Hubert N. la somme de deux mille euro (2 000 euro) à titre de dommages et intérêts, - Confirme le jugement déféré pour le surplus, - Y ajoutant, - Débouté Monsieur Jérémy R. de sa demande de dommages et intérêts pour action abusive.