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Décisions

CA Montpellier, 5e ch. A, 30 avril 2009, n° 08-06675

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

O-I Manufacturing France (Sté)

Défendeur :

Le Club des Vignerons (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M.Lienard

Conseillers :

M. Crousier, Mme Bebon

Avocats :

SCP Salvignol - Guilhem, SCP Negre - Pepratx-Negre

T.com Béziers, du 30 juin 2008

30 juin 2008

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 26 octobre 2005, la société O-I Manufacturing France a informé la société Le Club des Vignerons que des défauts altérant la qualité des produits pouvaient affecter les lots 430 et 438 qui lui avaient été livrés et lui a demandé de bloquer en ses sites ou faire bloquer toutes les bouteilles relevant des dits lots et de lui faire connaître l'état physique des stocks concernés par ces mesures.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 27 octobre 2005, elle a précisé que le défaut de qualité était susceptible de donner naissance à des débris de verre de taille de quelques millimètres voire plus, ne pouvant exclure la possibilité de dommages corporels liés à l'éventuelle ingestion de débris de verre. Elle a indiqué qu'elle préconisait l'isolement du public des deux lots précités.

Par télécopie du 4 novembre 2005, la DGCCRF a demandé à la société Le Club des Vignerons de confirmer qu'elle avait bien reçu les mises en garde de la société O-I Manufacturing France, qu'elle avait bloqué les stocks de bouteilles concernées, qu'elles soient vides ou plaines, et qu'elle avait prévenu ses clients, pour les bouteilles déjà livrées, en leur demandant de les retirer de la vente ou de les rappeler.

Soutenant qu'aucun accord n'avait pu intervenir sur l'évaluation et l'indemnisation du préjudice que lui avait causé ces livraisons, la société Le Club des Vignerons a fait assigner la société

O-I Manufacturing France en référé devant le président du tribunal de commerce de Béziers, en demandant le paiement d'une provision de 200.000 euro et la désignation d'un expert.

Par déclaration au greffe en date du 15 septembre 2008, la société O-I Manufacturing France a formé appel de l'ordonnance du 30 juin 2008 par laquelle ce magistrat a ordonné l'expertise demandée et l'a condamnée à payer à la société Le Club des Vignerons la somme provisionnelle de 20 000 euro, outre celle de 700 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 4 mars 2008, elle demande d'infirmer cette ordonnance sur les condamnations pécuniaires, de condamner la société Le Club des Vignerons à restituer la somme de 20 000 euro avec intérêts de droit, ainsi que celle de 700 euro, et à lui payer la somme de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 18 février 2009, la société Le Club des Vignerons demande de rejeter l'appel principal et, accueillant son appel incident, de condamner la société O-I Manufacturing France à lui payer la somme de 200 000 euro à titre provisionnel, outre celle de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société O-I Manufacturing France soutient que l'action de la société Le Club des Vignerons est prescrite ; qu'en effet, elle relève du régime de l'article 1648 du Code civil et aurait dû être engagée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice alors qu'elle l'a été 29 mois plus tard ; que contrairement à ce qu'a indiqué le premier juge, il n'y a pas eu de reconnaissance de responsabilité suspendant le cours de cette prescription ; qu'à supposer que le courrier du 26 octobre 2005 puisse être considéré comme une reconnaissance de responsabilité, elle n'a pu faire courir qu'un nouveau délai de prescription de deux ans ;

Que c'est à tort que la société Le Club des Vignerons a invoqué le régime de l'article 1386-2 du Code civil et le délai de prescription de trois ans qui s'y rattache ; qu'en effet celui-ci ne concerne que la réparation du dommage résultant d'une atteinte à la personne ou, au-delà d'un certain montant, l'atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ; qu'il n'est justifié de l'existence d'aucun dommage de cette nature ;

Qu'enfin l'intimée s'est constamment révélée incapable de justifier d'un préjudice effectif, ni même de répondre aux demandes de l'expert sur ce point.

La société Le Club des Vignerons répond que son action est fondée à titre principal sur la responsabilité du fait des produits défectueux, laquelle se prescrit par trois ans ; qu'elle a été engagée moins de trois ans après la date à laquelle elle a eu connaissance du défaut ; que de plus la courte prescription de l'article 1648 du Code civil n'est pas opposable dans le cas où l'action est fondée sur un défaut de conformité ; que les vices des bouteilles sont de nature à causer des dommages aux personnes qui seraient amenées à ingérer les fragments de verre susceptibles d'être contenus dans les bouteilles ; que de plus la reconnaissance de sa responsabilité par l'appelante a substitué la prescription du droit commun à la courte prescription initiale ; que le rappel des bouteilles a causé un préjudice considérable dans les relations avec les clients, qui sont des centrales d'achat de la grande distribution ; que l'évaluation de la provision faite par le premier juge est insuffisante.

Sur ce

Attendu que la société Le Club des Vignerons fonde en premier lieu son action sur les dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil ; que l'article 1386-2 dispose notamment qu'il s'applique à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ;

Attendu que, contrairement à ce qu'affirme la société O-I Manufacturing France, la société Le Club des Vignerons se prévaut bien d'une atteinte à un produit autre que les bouteilles défectueuses ; qu'en effet il résulte de ses écritures et des pièces produites que les bouteilles ont été effectivement utilisées à ce qui était leur destination normale, à savoir l'embouteillage de vin, en l'espèce du merlot livré à la société Scanormandie (groupe Leclerc), qu'elles ont dû être rappelées chez le client et les lots détruits ; qu'il s'en suit que l'atteinte dont il est demandé réparation a porté sur d'autres produits que les bouteilles, et précisément sur le vin qu'elles contenaient ; que de plus cette atteinte faisait courir aux personnes un risque de sécurité, l'ingestion de débris de verre de quelques millimètres et plus étant de nature à créer des dommages physiques aux utilisateurs finaux ; qu'en conséquence c'est à bon droit que l'intimée fonde son action sur les dispositions des articles 1386-1 et suivants susvisés ; que dès lors l'action en référé engagée moins de trois ans après la connaissance du défaut, résultant des courriers de la société O-I Manufacturing FrancE, n'est pas atteinte par la prescription, laquelle est de trois ans aux termes de l'article 1386-17 ;

Attendu que l'action n'étant pas prescrite et la réalité du défaut expressément reconnue, le principe même de la demande de provision ne se heurte à aucune contestation sérieuse et que l'ordonnance dont appel doit être confirmée sur ce point ;

Attendu que le propre expert de la société O-I Manufacturing France a proposé dans un courrier du 7 janvier 2008 de réparer le préjudice matériel/vin " Merlot ' VDP d'Oc " à la somme de 45.000 euro, inclus les frais d'approche et de stockage ainsi que la valeur des palettes ; qu'à hauteur de cette somme, la demande de provision de la société Le Club des Vignerons ne se heurte donc à aucune contestation sérieuse ; que l'ordonnance querellée doit donc être réformée et la provision portée à 45.000 euro ;

Attendu que pour le surplus, l'évaluation du préjudice allégué par l'intimée se heurte à une contestation sérieuse, à la fois sur sa nature et sur son étendue, les justificatifs produits et le lien de causalité étant remis en cause ; que s'agissant de préjudices fondés sur des variations de chiffres d'affaires et d'atteintes à la réputation commerciale, une analyse précise et détaillée des comptes sera nécessaire ; que tel est précisément l'objet de l'expertise ordonnée par le juge des référés ; qu'en conséquence la demande de provision se heurte à une contestation sérieuse au-delà de la somme de 45 000 euro retenue ci-dessus ;

Attendu que l'équité commande de faire bénéficier l'intimée des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur de 2 000 euro ; que l'appelante, qui succombe dans ses prétentions, ne peut obtenir aucune indemnisation ;

Par ces motifs - Déclare recevables les appels principal et incident, - Confirme l'ordonnance dont appel, sauf en ce qui concerne le montant de la provision à valoir sur le préjudice définitif de la société Le Club des Vignerons, - Statuant à nouveau de ce chef, dit que cette provision sera de 45 000 euro et condamne la société O-I Manufacturing France au paiement de cette somme, sous déduction de celle de 20 000 euro déjà versée.