CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 13 juin 2012, n° 09-14921
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mattel France (SAS), Mattel INC (Sté)
Défendeur :
EDL Associés (SAS), Win Goal Industrial Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chokron
Conseiller :
Mmes Gaber Nerot
Avocats :
SCP Bommart-Forster-Fromantin, Selarl Récamier Avocats Associés, Mes Michel, Crasnault
Vu l'appel interjeté le 1er juillet 2009 par la société Mattel France (SAS) et la société de droit américain Mattel INC, du jugement réputé contradictoire rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 30 avril 2009 ;
Vu les dernières conclusions des sociétés appelantes, signifiées le 2 septembre 2011 ;
Vu les dernières conclusions de la société EDL Associés (SAS), ci-après EDL, intimée, signifiées aux sociétés appelantes le 13 septembre 2010 et dénoncées à la société Win Goal Industrial Ltd, ci-après Win Goal, ayant son siège social à Hong Kong le 15 mars 2011 suivant acte d'huissier de justice délivré selon les dispositions de l'article 684 du Code de procédure civile ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 3 avril 2012 ;
SUR CE, LA COUR :
Considérant que la société Win Goal n'étant pas représentée à la procédure, il sera statué par arrêt de défaut ;
Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures, précédemment visées, des parties ;
Qu'il suffit de rappeler que la société Mattel INC, qui fabrique et commercialise depuis 1958 la "poupée Barbie", est titulaire d'un copyright enregistré le 1er avril 1999 sur une tête de poupée dénommée "Barbie CEO", ainsi que d'une marque communautaire figurative représentant un visage de poupée, déposée le 4 août 2004 et enregistrée le 1er décembre 2005 sous le n° 003 973 252 pour désigner notamment en classe 28 des jouets ;
Qu'ayant découvert l'offre en vente dans les magasins à l'enseigne L'Incroyable, d'une poupée "belle" de la gamme "catwalk fashion" constituant selon elle la copie servile de la poupée "Barbie fashion fever" qu'elle commercialise dans un emballage en plastique transparent de forme ovale, elle a fait diligenter le 18 octobre 2007, dûment autorisée par ordonnance présidentielle, une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société EDL ;
Que c'est dans ces circonstances que les sociétés Mattel INC et Mattel France ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris, suivant acte d'huissier de justice du 20 février 2008, la société EDL ainsi que le fournisseur de celle-ci, la société Win Goal, la première, en contrefaçon, au fondement, respectivement, de ses droits de copyright et de ses droits de marque communautaire, la seconde, en sa qualité de distributeur exclusif en France des produits de la société Mattel INC, au grief de concurrence déloyale ;
Que les premiers juges, ont pour l'essentiel, retenu à la charge des sociétés EDL et Win Goal, pour avoir importé, offert à la vente et vendu en France la poupée "belle" de la gamme "catwalk fashion", des actes de contrefaçon de la tête de poupée "Barbie CEO" protégée par le copyright américain et les a condamnées in solidum de ce chef à payer à la société Mattel INC la somme de 16 000 euro à titre de dommages-intérêts, annulé pour défaut de caractère distinctif la marque communautaire opposée et rejeté, par voie de conséquence, la demande en contrefaçon formée au fondement de la marque, retenu en outre à la charge des sociétés EDL et Win Goal, pour avoir importé, offert à la vente et vendu en France la poupée "belle" de la gamme "catwalk fashion", dans un conditionnement ovale reprenant les caractéristiques de celui de la poupée "Barbie fashion fever", des actes de concurrence déloyale et les a condamnées in solidum de ce chef, à payer à la société Mattel France la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts ; qu'ils ont par ailleurs observé que la société EDL ne justifiait pas avoir dénoncé à la société défaillante Win Goal son appel en garantie et ont rejeté la demande formée de ce chef ;
Considérant que la société Mattel prie la cour, par réformation du jugement déféré, de déclarer distinctive, et valable, la marque communautaire n° 003 973 252 et de lui allouer, au titre de la contrefaçon de marque, 30 000 euro de dommages-intérêts, et, pour le surplus, d'élever à 55 000 euro les dommages-intérêts au titre de l'atteinte à ses droits de copyright, tandis que la société Mattel France, entend obtenir pour sa part 30 000 euro du chef de concurrence déloyale, les deux ensemble réitérant, enfin, la demande de publication judiciaire refusée par le tribunal ;
Que la société EDL conclut au rejet, comme mal fondées, de toutes les prétentions des sociétés Mattel, et en appelle en toute hypothèse à la garantie de son fournisseur, la société Win Goal ;
Sur la demande au fondement du droit d'auteur,
Considérant que pour combattre la demande en contrefaçon fondée sur le copyright du 1er avril 1999, la société EDL fait valoir que la tête de poupée qui en est l'objet est dépourvue de toute expression, dénuée de chevelure, de maquillage, de tout accessoire et reprend les caractéristiques physiques de tout visage de poupée mannequin et ne présente aucune originalité de sorte que, lui reconnaître une protection reviendrait à octroyer à la société Mattel France un monopole non pas sur une création déterminée mais sur un genre ;
Mais considérant que la cour constate que si la tête de poupée "Barbie CEO" ne comporte, certes, ni chevelure ni maquillage, elle se caractérise néanmoins par un front large, un nez fin et régulier, des yeux en amandes, des pommettes hautes et légèrement saillantes, une bouche entre-ouverte et souriante, la combinaison de l'ensemble de ces éléments conférant au visage des traits harmonieux et une expression douce et avenante qui lui sont propres et qui la distinguent des têtes de poupée du même genre ;
Qu'il s'ensuit que la tête de poupée "Barbie CEO" traduit les choix personnels de son auteur et présente l'originalité requise pour être éligible à la protection par le droit d'auteur;
Considérant, sur la contrefaçon, qu'il résulte de l'examen comparatif auquel la cour s'est livrée que la poupée incriminée "belle", reproduit le front large, le nez fin et droit, les yeux en amandes, les pommettes hautes et légèrement saillantes, la bouche entre-ouverte et souriante, soit l'ensemble des traits de la poupée originale, et que les pièces en présence produisent une impression d'identité qui n'est pas affectée par la différence, à peine perceptible, tenant à la forme du visage, plutôt ovale pour la poupée "Barbie CEO", légèrement triangulaire pour la poupée "belle" ;
Que la reprise, dans la même combinaison, des caractéristiques originales de la poupée "Barbie CEO" réalise la contrefaçon de création protégée par le copyright ;
Que le jugement déféré doit être confirmé sur ce point ;
Sur la demande au fondement de la marque communautaire,
Considérant que la marque communautaire figurative opposée représente un visage de poupée aux longs cheveux blonds, aux yeux bleus en amande maquillés, aux cils noirs recourbés, au nez fin et droit, à la bouche peinte en rouge et entre-ouverte de manière à laisser apparaître une denture blanche et régulière ;
Que la société EDL fait valoir que le visage de poupée déposé à titre de marque communautaire ne présente pas de caractère distinctif pour désigner une poupée dès lors que, s'agissant d'un élément constitutif de la poupée, il sera perçu par le consommateur dans sa fonction esthétique et non pas distinctive ;
Mais considérant qu'il résulte de l'article 4 du Règlement (CE) 40/94, applicable en l'espèce, que la forme du produit peut constituer une marque communautaire à condition qu'elle soit propre à distinguer le produit de celui d'une autre entreprise et, par là-même, apte à assurer la fonction essentielle de la marque c'est-à-dire, la fonction d'indication d'origine ;
Et considérant que la cour relève que le visage de poupée déposé à titre de marque communautaire présente des traits spécifiques et produit une expression propre ;
Qu'il ne constituait pas, à la date du dépôt de la marque, la désignation usuelle et générique de la poupée mannequin, les pièces de la procédure justifiant d'enregistrements de marques communautaires représentant des visages de poupées très divers et radicalement distincts de la marque opposée ;
Qu'il revêt en conséquence un caractère arbitraire pour désigner une poupée mannequin et, par voie de conséquence, un caractère distinctif qui le rend apte, quand bien même il remplirait par ailleurs une fonction esthétique, à assurer la fonction essentielle de la marque qui est de garantir au public pertinent l'utilisateur final l'identité d'origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer, sans confusion possible, ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance ;
Qu'il s'ensuit que la demande en nullité de la marque communautaire pour défaut de caractère distinctif n'est pas fondée et que le jugement déféré doit être réformé en ce qu'il y fait droit ;
Considérant qu'en vertu de l'article 9 du Règlement précité, le titulaire de la marque communautaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque communautaire et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de confusion dans l'esprit du public, le risque de confusion comprenant le risque d'association entre le signe et la marque ;
Considérant qu'il résulte des constatations auxquelles la cour a procédé, que la poupée "belle" présente un visage de poupée aux longs cheveux blonds, aux yeux bleus en amande maquillés, aux cils noirs recourbés, au nez fin et droit, à la bouche peinte en rouge et entre-ouverte de manière à laisser apparaître une denture blanche et régulière ; qu'elle produit une expression douce, avenante et souriante, identique à l'expression qui se dégage du visage de poupée constitutif de la marque opposé ;
Qu'il résulte de ces éléments que les signes de comparaison, très ressemblants, voire identiques, sont susceptibles de générer chez le consommateur d'attention moyenne, normalement informé et raisonnablement avisé de la catégorie de produits concernés, qui serait fondé à leur attribuer une même origine, un risque de confusion ;
Que la contrefaçon de la marque communautaire est en conséquence, caractérisée ;
Sur la demande en concurrence déloyale,
Considérant qu'il est établi et au demeurant non contesté, que la société Mattel France est le distributeur exclusif en France des produits de la société Mattel INC, qu'il est en outre justifié, au vu des catalogues Mattel versés aux débats, que la société Mattel France commercialise en France depuis 2005 la poupée "Barbie fashion fever" ;
Qu'il s'infère de cet élément que les actes de contrefaçon de marque communautaire commis au préjudice de la société INC, titulaire de la marque contrefaite, constituent à l'endroit de la société Mattel France, des faits distincts de concurrence déloyale ;
Considérant que la société Mattel France soutient en outre que la reprise d'un conditionnement identique à celui sous lequel est commercialisé la poupée "Barbie fashion fever" crée un risque de confusion et constitue un acte de concurrence déloyale ;
Considérant en droit, que le principe de la liberté du commerce implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant, notamment, à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, préjudiciable à l'exercice paisible et loyal du commerce ;
Considérant que l'appréciation de la faute au regard du risque de confusion, doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, outre le caractère plus ou moins servile de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté, l'originalité et la notoriété du produit copié ;
Considérant qu'il ressort en l'espèce des constatations de la cour, que l'emballage en plastique transparent de la poupée "belle" emprunte à celui de la poupée "Barbie fashion fever", également en plastique transparent, sa forme ovale, reprend l'association des couleurs rose et bleu en particulier pour le socle, d'un bleu identique et reproduit, enfin, en face arrière de l'emballage, sur toute la longueur de la boîte, une frise de couleur bleu sur laquelle est adossée la poupée ;
Considérant que ces éléments de ressemblance, ne sont pas fortuits et traduisent une volonté délibérée d'imiter un produit concurrent dont le succès et la notoriété sont avérés de manière à générer dans l'esprit de la clientèle un risque de confusion ;
Que la concurrence déloyale, résultant de faits distincts de la contrefaçon, est dès lors avérée ainsi que l'a retenu à juste titre le tribunal ;
Sur les mesures réparatrices,
Considérant que les opérations de saisie-contrefaçon ont permis d'établir que la société EDL s'est fait livrer par la société Win Goal 1800 exemplaires de poupées "belle" ;
Qu'il est par ailleurs constant que la poupée "belle" a été offerte à la vente au prix public de 3,50 euro tandis que la poupée "Barbie fashion fever" est vendue au prix de 13 euro ;
Or, considérant que l'offre massive à la vente d'articles de contrefaçon à un prix nettement inférieur et dans une moindre qualité banalise le modèle original et porte atteinte à sa valeur patrimoniale, que de surcroît, le caractère servile des copies réalisées contribue nécessairement à avilir ce modèle et à le déprécier aux yeux de la clientèle ;
Que par ailleurs, l'atteinte portée à la marque communautaire contribue à diminuer son caractère distinctif et, partant, sa valeur économique ;
Qu'enfin, le risque de confusion généré par les faits distincts de concurrence déloyale entraîne inéluctablement un détournement de clientèle ;
Considérant que les premiers juges, au regard de ces éléments d'appréciation, ont procédé à une juste évaluation des préjudices subis en condamnant in solidum les sociétés EDL et Win Goal à payer à titre de dommages-intérêts la somme de 16 000 euro à la société Mattel INC au titre de la contrefaçon de sa création originale et la somme de 15 000 euro à la société Mattel France au titre de la concurrence déloyale ;
Considérant qu'il convient, au regard du sens de l'arrêt, d'ajouter au jugement déféré en condamnant en outre, les sociétés EDL et Win Goal, in solidum, à payer à la société Mattel INC, la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du chef de contrefaçon de marque ;
Considérant que les sommes ci-dessus allouées suffisent à indemniser l'entier préjudice sans qu'il ne soit nécessaire de faire droit à la demande de publication judiciaire ;
Sur la demande en garantie,
Considérant que la société EDL ne justifie aucunement de la garantie contractuelle de son fournisseur, la société Win Goal ;
Considérant qu'elle ne démontre pas davantage avoir entrepris la moindre diligence en vue de s'assurer que le produit qu'elle importait et commercialisait en France était libre de droit ;
Et que force est de relever, en toute hypothèse, qu'il ne pouvait lui échapper, en sa qualité de professionnelle rompue au commerce des jouets pour enfants, que la poupée "belle" réalisait une double atteinte aux droits privatifs, d'auteur et de marque communautaire, de la société Mattel INC, outre que sa commercialisation dans un emballage identique à la poupée "Barbie fashion fever" constituait un acte de concurrence déloyale à l'égard de la société Mattel France ;
Considérant qu'il suit de ces éléments que la demande en garantie n'est pas fondée ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il déclare nulle la marque communautaire n° 003 973 252, Statuant à nouveau du chef infirmé : Déboute de la demande en nullité de la marque communautaire n° 003 973 252, Y ajoutant, Dit que les sociétés EDL et Win Goal ont commis des actes de contrefaçon de marque communautaire au préjudice de la société Mattel INC, Condamne in solidum les sociétés EDL et Win Goal à payer à la société Mattel INC la somme de 10 000 euro en réparation du préjudice de contrefaçon de marque communautaire, Déboute la société EDL de sa demande en garantie, Condamne in solidum les sociétés EDL et Win Goal aux dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à payer à chacune des sociétés appelantes, une indemnité complémentaire de 5 000 euro.