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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 27 mars 2012, n° 11-02120

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Serrano (SARL)

Défendeur :

Izard (SARL), Eurofours (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chassery

Conseillers :

Mme Olive, M. Prouzat

Avocats :

SCP Negre-Pepratx-Negre, SCP Argellis & Watremet, Mes Freset, Senmartin, Benet, Garcia

T. com. Narbonne, du 25 janv. 2011

25 janvier 2011

FAITS, PROCEDURE, MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

La SARL Serrano qui exploite un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie a chargé la société Izard de lui fournir et d'installer un four de marque Angoulvant de type SE 326 qu'elle a commandé à la société Eurofours qui devait le livrer et l'installer avec l'assistance d'un membre du personnel de la société Izard qui n'était pas responsable du suivi du chantier ; cet appareil a connu des dysfonctionnements qui ont fait l'objet de réclamations auprès de la société Eurofours dont les techniciens sont intervenus à plusieurs reprises ; la situation ne s'améliorant pas la société Serrano s'est adressée à son assureur protection-juridique qui a dépêché un expert puis a sollicité et obtenu du juge des référés l'institution d'une expertise ;

Au vu du rapport déposé par M. Esteller la société Serrano a assigné la société Eurofours qui a attrait en la cause la société Izard ; le 25 janvier 2011 le tribunal de commerce de Narbonne a considéré que le matériel en question présentait un vice caché et a, pour l'essentiel, condamné la société Eurofours à rembourser une fraction du prix d'achat à la société Serrano qui a relevé appel à l'encontre de la société Izard et de la société Eurofours ; elle demande à la cour :

- à titre principal de prononcer la résiliation de la vente aux torts et griefs exclusifs de la société Eurofours, de la condamner à lui rembourser la somme de 45 274,20 euro montant du prix d'acquisition augmentée des intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2005, à lui payer la somme de 10 000 euro en réparation du préjudice déploré au titre de la perte de matières, de la surconsommation électrique et du préjudice commercial subi, la somme de 35 000 euro en réparation du préjudice commercial subi en raison de la perte de valeur du fonds de commerce, les frais qu'elle a dû engager pour pallier aux problèmes du four à savoir : 250,77 euro le 8 décembre 2009, 598,92 euro le 7 janvier 2010, 179,71 euro le 18 avril 2011, la somme de 2 092,91 euro correspondant au devis des travaux nécessaires pour remettre en état les problèmes actuels,

- subsidiairement si la cour n'admettait pas l'action résolutoire de condamner la société Eurofours à lui payer la somme de 35 000 euro en diminution du montant du prix d'acquisition, la somme de 35 000 euro en réparation du préjudice commercial subi en raison de la perte de valeur du fonds de commerce,

- en toute hypothèse de condamner la société Eurofours à payer 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Negre ;

Elle fait valoir que le four livré et installé par la société Eurofours en exécution de la commande passée par la société Izard était, lors de son installation, affecté de vices qui ne pouvaient être décelés par le client final, qu'en l'état elle n'a pas pu l'utiliser convenablement ce qui lui a occasionné un préjudice considérable (conclusions du 8 février 2012) ;

La société Izard fait remarquer qu'aucune demande n'était présentée à son encontre ni dans l'assignation principale du 9 février 2009, ni dans l'assignation en intervention forcée du 30 juin 2009, que les demandes subsidiaires formulées à son égard devant la cour sont irrecevables en application des dispositions des articles 564 et suivants du Code de procédure civile et par ailleurs non fondées ; elle demande à la cour :

- à titre principal de déclarer non fondé l'appel formé par la société Serrano et faisant droit à son appel incident de réformer le jugement déféré en ce qu'il a mis à sa charge le paiement d'une somme de 2 000 euro,

- à titre subsidiaire de déclarer irrecevables et en tout cas mal fondées les prétentions dirigées à son encontre par la société Eurofours, dans le cas contraire de la condamner à la garantir de toute condamnation qui serait prononcée contre elle ;

- en tout état de cause de condamner la partie défaillante à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens avec droit de recouvrement direct pour la SCP Senmartin (conclusions du 13 janvier 2012) ;

La société Eurofours rappelle que le seul cocontractant de la société Serrano est la société Izard, que le four a été réparé et fonctionne normalement, que la société Serrano n'apporte aucun élément justifiant des préjudices qu'elle allègue et demande à la cour de réformer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer 13 527 euro au titre de l'action estimatoire, 5 000 euro à titre de dommages-intérêts et n'a pas fait droit à son appel en garantie régularisé à l'encontre de la société Izard et statuant :

- sur la garantie des vices cachés et l'action rédhibitoire : de dire que la garantie des vices cachés est inapplicable au cas d'espèce, de rejeter toute demande en ce sens tant au niveau de la restitution du bien que du prix et de l'indemnisation du préjudice, subsidiairement de dire que n'étant pas le cocontractant direct de la société Serrano elle ne peut lui restituer le prix payé à la société Izard, de prendre acte qu'en tout état de cause le montant restitué ne peut excéder 22 545 euro, de limiter le prix restitué à 10 000 euro pour tenir compte de la vétusté du matériel, de rejeter toute demande plus ample ou contraire et de condamner la société Izard à la relever et garantir à hauteur de 50 %,

- sur la garantie des vices cachés et l'action estimatoire : de dire que la garantie des vices cachés est inapplicable au cas d'espèce, de rejeter toute demande en ce sens, subsidiairement de dire que l'indemnité allouée ne saurait excéder 1 000 euro, de rejeter toute demande plus ample ou contraire et de condamner la société Izard à la relever et garantir à hauteur de 50 %,

- sur la demande d'indemnisation d'autres postes de préjudice : de constater que la société Serrano n'a fait parvenir aucun élément justificatif de ses préjudices, que le four fonctionne normalement depuis le mois de décembre 2007, de limiter l'indemnisation allouée à 1 000 euro, de condamner la société Izard à la relever et garantir à hauteur de 50 %,

- en tout état de cause de condamner la société Izard à la relever et garantir à hauteur de 50 % du montant des sommes qui pourraient être allouées à la société Serrano tant au titre de l'action rédhibitoire, que de l'action estimatoire, de condamner la société Serrano ou toute autre partie défaillante à lui verser 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à payer les entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Argellies-Watremet (conclusions du 30 septembre 2011).

MOTIFS DE LA DECISION

A) sur le rejet des écritures prises le 15 février 2012 par la société Eurofours :

Attendu que la société Eurofours a déposé le 15 février 2012 des écritures au terme desquelles elle conclut sur le fond du litige mais réclame également la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 9 février 2012 ;

Attendu en premier lieu que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue (article 784 du Code de procédure civile) ; que la société Eurofours ne démontrant pas l'existence d'une cause grave qui serait survenue depuis le 9 février 2012 sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture sera rejetée ;

Attendu en second lieu qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée, ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office ; que le juge qui relève d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité des conclusions déposées après l'ordonnance de clôture n'a pas à inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce moyen ; qu'en conséquence les écritures prises le 15 février 2012 par la société Eurofours seront déclarées d'office irrecevables et que la cour statuera sur le fond du litige au vu des conclusions déposées par la société Eurofours le 30 septembre 2011 ;

B) au fond :

Attendu que le 30 août 2005 la société Serrano a commandé à la société Izard un four de marque Angoulvant de type SE 326 pour le prix hors taxes de 41 007 euro ainsi qu'un élévateur à niveaux avec enfourneur pour le prix hors taxes de 4 267,20 euro ; qu'elle a ensuite conclu un contrat de location avec option d'achat auprès de la société Ucabail le 22 septembre 2005 concernant la totalité de la fourniture du matériel objet du bon de commande passé avec la société Izard et ce pour un montant de 45 274,20 euro hors-taxes comprenant le coût de l'installation ; que la société Izard a elle-même passé commande à la société Eurofours de la fourniture et de la pose du four en question pour le prix hors taxes de 22 545 euro ; que cette dernière commande ne concernait pas l'élévateur à étages avec enfourneur ;

Attendu que l'expert Esteller commis en référé sur la demande de la société Serrano note à la page 20 de son rapport en ce qui concerne les soles du four : " l'examen des éléments constitutifs des soles a permis de constater l'existence de nombreuses fissures longitudinales et transversales, un certain nombre étant traversantes ; le pas de ces fissures peut correspondre soit à celui des résistances, soit à celui des pièces métalliques supportant les soles. En l'état ce sont toutes les plaques qui sont affectées par ces désordres et qui sont à changer " ;

Attendu qu'en ce qui concerne les résistances électriques, l'expert après avoir constaté que 7 résistances avaient été antérieurement remplacées et qu'un certain nombre de résistances en place au moins cinq, étaient déformées, indique " qu'il est très probable que les résistances non déformées le deviennent à plus ou moins long terme, s'agissant de résistances de la même fabrication " (page 20) ;

Attendu que lors de son accédit du 6 décembre 2007 M. Esteller a pu constater que la société Eurofours avait procédé au remplacement de la totalité des dalles de soles et au remplacement des cinq résistances déformées ; qu'il conclut son rapport (page 23) en indiquant " que le four livré et installé par la société Eurofours en date du 27 octobre 2005, en exécution de la commande qui lui avaient été passée par la société Izard étaient affectées de divers vices lors de son installation qui ne pouvaient être décelés par le client final M. Serrano " auxquels il avait été mis un terme lors des opérations du 15 décembre 2007 et qu'à partir de cette date le four litigieux pouvait être considéré comme ayant donné satisfaction à M. Serrano ;

Attendu qu'après le dépôt du rapport de M. Esteller (2 septembre 2008) la SARL Serrano a fait constater par huissier :

- le 23 février 2011 trois résistances étaient pliées et écartées et que les résistances visibles sur les trois niveaux de chauffe étaient déformées,

- le 30 mars 2011 que les soles situées au deuxième niveau du four étaient fendues,

- le 29 janvier 2012 que les soles situées au troisième niveau du four étaient fendues ;

Attendu qu'en cet état l'on ne saurait considérer que les défectuosités affectant la chose vendue ont été réparées ce qui interdirait à la société Serrano d'exercer l'action en garantie des vices cachés ;

Attendu qu'il résulte des constatations effectuées par M. Esteller telles que consignées dans son rapport ainsi que de la série des dysfonctionnements subis par la société Serrano lors de la mise en œuvre du four que celui-ci était affecté de vices cachés qui le rendaient impropre à l'usage auquel il était destiné de sorte que l'acheteur ne l'aurait pas acquis s'il les avaient connus ;

Attendu que ni la société Izard, ni la société Eurofours ne font plaider que la société Serrano n'aurait ni qualité, ni intérêt, ni capacité à exercer l'action en garantie des vices cachés affectant le four litigieux ; que celui-ci étant lors de sa vente affecté de vices cachés qui le rendaient impropre à l'usage auquel il était destiné et qui s'avèrent irréparables de manière durable, il convient d'en ordonner la résiliation ;

Attendu que la société Serrano ne formule aucune demande à l'encontre de la société Izard ; que le jugement sera donc réformé en ce qu'il a condamné la société Izard à verser à la société Serrano la somme de 2 000 euro à titre de dommages intérêts ;

Attendu que la société Serrano est recevable à exercer l'action en garantie des vices cachés contre la société Eurofours venderesse originaire de la chose atteinte du vice mais que l'action rédhibitoire qu'elle exerce étant celle de son auteur (la société Izard) contre le vendeur originaire (la société Eurofours) cette dernière ne peut être tenue de restituer à la société Serrano davantage qu'elle n'a reçu de la société Izard c'est-à-dire la somme hors-taxes de 22 545 euro sauf à devoir des dommages intérêts en réparation du préjudice causé ;

Attendu qu'en l'état de la résiliation du contrat de vente la société Serrano est mal fondée à réclamer la somme de 2 092,91 euro correspondant au montant du devis des travaux nécessaires à la remise en état des problèmes affectant actuellement le four ;

Attendu que les défaillances dans le fonctionnement du four ont contraint la société Serrano à faire procéder à trois reprises à des réparations par la société Izard qui lui a adressé trois factures les 8 décembre 2009, 7 janvier 2010 et 18 avril 2011 pour un montant total de 1 029,40 euro que la société Eurofours sera condamnée à lui verser à titre de dommages intérêts ;

Attendu que la société Serrano réclame la somme de 10 000 euro en réparation du préjudice déploré au titre de la perte de matière, de la surconsommation électrique et du préjudice commercial subi ; qu'elle produit à l'appui 2 documents émanant de son expert-comptable M. Philippe Vidal et indiquant :

- le premier : que sur l'exercice 2005 la société Serrano a perdu à la suite des problèmes de réglage du four 1 500 kg de farine produisant un chiffre d'affaires hors taxes de 12 280 euro générant une perte nette de 7 859 euro et qu'elle a connu entre 2004 et 2005 une augmentation du poste électricité pour 2 146 euro hors-taxes ;

- le second : qu'à la suite des problèmes électriques et de réglage du four qu'elle a connus elle a procédé entre les mois de novembre-décembre 2004 et de novembre-décembre 2005 un supplément d'achat de farine de 2 850 kg pour un prix de 1 202,99 euro et que sa consommation électrique a augmenté entre 2004 et 2005 de plus de 1 000 euro et n'est pas redescendue depuis ;

que les divergences existant entre ces deux documents leur enlèvent tout caractère probant quant à l'importance de la surconsommation de farine et d'électricité ce qui entraîne le rejet, pour défaut de preuve du préjudice subi, de la demande en paiement de 10 000 euro à titre de dommages intérêts présentée par la société Serrano ;

Attendu que la société Serrano ne verse aucun document justificatif à l'appui de sa réclamation en paiement de la somme de 35 000 euro à titre de dommages intérêts pour préjudice commercial résultant de la perte de valeur de son fonds de commerce en raison de la présence du four défectueux ; qu'elle sera déboutée de cette prétention ;

Attendu que les vices cachés qui affectent le four litigieux sont des défauts de fabrication qui incombent comme tels à la société Eurofours ; que celle-ci ne saurait donc obtenir que la société Izard, dont le rôle a été celui d'un vendeur intermédiaire, la relève et garantisse à hauteur de 50 % des condamnations mises à sa charge ;

Attendu que l'équité ne commande pas de faire droit aux demandes présentées par les sociétés Izard et Eurofours sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que la société Serrano a dû exposer des frais non compris dans les dépens de première instance et d'appel ; que les premiers juges ont fait une exacte application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en lui accordant pour les frais ainsi engagés en première instance la somme de 1 000 euro ; que l'équité amène à lui accorder une somme complémentaire de 1 500 euro pour les frais occasionnés par la procédure d'appel ;

Attendu que la société Eurofours succombant en la quasi-totalité de ses prétentions sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Dit n'y avoir lieu à révoquer l'ordonnance de clôture et rejette les conclusions prises le 15 février 2012 par la société Eurofours, Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société Eurofours à payer à la société Serrano la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance en ce compris les frais de procédure, d'assignation, de référé et d'expertise dont ceux à percevoir par le greffe liquidés à la somme de 204,17 euro, Le réforme pour le surplus ; Statuant à nouveau, Constate que la société Serrano ne formule aucune demande à l'encontre de la société Izard, Déclare la société Serrano recevable en son action en garantie des vices cachés présentée à l'encontre de la société Eurofours, Prononce la résiliation de la vente du four Angoulvant SE 326 aux torts exclusifs de la société Eurofours, Condamne la société Eurofours à rembourser la société Serrano la somme de 22 545 euro avec intérêts au taux légal à compter du 9 février 2009, date de l'assignation, Condamne la société Eurofours à payer à la société Serrano la somme de 1 029,40 euro à titre de dommages intérêts, Déboute la société Serrano de sa demande en paiement à titre de dommages intérêts des sommes de 10 000 euro, de 35 000 euro et de 2 092,91 euro, Rejette la demande de la société Eurofours tendant à être relevée et garantie par la société Izard à hauteur de 50 % des condamnations prononcées à son encontre, Déboute les sociétés Izard et Eurofours de leurs demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Eurofours à verser en cause d'appel à la société Serrano la somme complémentaire de 1500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Eurofours à payer les dépens d'appel avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.