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Décisions

CA Bastia, ch. civ., 11 janvier 2012, n° 10-00629

BASTIA

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SEG Samro (SAS), Pelletier, Robert

Défendeur :

Société des Eaux du Col Saint-Georges (SAS), Thierry, Mercedes-Benz Financial Services France (SA), Pelletier, Garage Paoli Joseph

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lavigne

Conseillers :

M. Hoareau, Mme Alzeari

Avocats :

SCP Jobin Jobin, SCP Canarelli Canarelli, SCP Ribaut Battaglini, SCP Retali Genissieux, Mes Guiseppi, Cervoni, Nakache, Albertini

T. com. Ajaccio, du 5 juillet 2010

5 juillet 2010

En vertu d'un contrat de crédit-bail en date du 12 mars 2002, la société Daimler Chrysler Services France a donné en location à la SA des Eaux du Col de Saint-Georges, pour une durée de 60 mois moyennant un loyer mensuel de 703,49 euro, un tracteur et un semi-remorque de marque Mercedes-Benz acquis auprès de la SA SEG Samro par l'intermédiaire de la société Garage Paoli Joseph.

Peu après la livraison intervenue le 20 mars 2002, la société des Eaux du Col de Saint-Georges constatait de nombreuses anomalies caractérisées notamment par l'affaissement du plancher lors du transport de marchandises et obtenait l'organisation d'une expertise judiciaire confiée à Monsieur Yves Thierry par ordonnance de référé du 7 avril 2003.

Face à la réitération des désordres malgré les réparations effectuées par le vendeur dans le cadre de cette expertise, la SA des Eaux du Col de Saint-Georges a définitivement cessé l'utilisation de la remorque en mars 2005.

Par ordonnance de référé en date du 14 novembre 2005, une nouvelle expertise a été ordonnée et confiée à Monsieur Raymond Marcantoni ultérieurement remplacé par Monsieur Colas qui a déposé son rapport le 20 février 2008.

En se fondant sur les conclusions de ce rapport, la société des Eaux du Col de Saint-Georges a assigné la société SEG Samro et la société Daimler Chrysler Services France pour obtenir la résolution de la vente, la condamnation de la société SEG Samro au paiement des sommes de 29 087,28 euro en remboursement du prix de vente, de 42 237,38 euro à titre de dommages et intérêts, de 4 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur Yves Thierry, expert judiciaire précité, et la société Garage Paoli Joseph ont été assignés en intervention forcée par la société SEG Samro et par la société des Eaux du Col de Saint-Georges respectivement.

Suite à la mise en redressement judiciaire de la société SEG Samro par jugement du 10 septembre 2009, la société des Eaux du Col de Saint-Georges a appelé en la cause les organes de la procédure, Maître Marcel Garage Paoli Joseph, mandataire judiciaire et Maître Michel Robert, administrateur judiciaire.

Par jugement contradictoire en date du 5 juillet 2010 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce d'Ajaccio a :

- ordonné la résolution de la vente et condamné la société SEG Samro au remboursement de le vente et aux dommages et intérêts soit 29 087,28 euro (prix de vente-valeur résiduelle) et 6 204,72 euro (les intérêts du crédit-bail),

- ordonné le remboursement d'une partie de la location d'un nouvelle remorque soit la somme de 10 000 euro,

- ordonné le remboursement des frais d'expertise, soit la somme de 5 632,66 euro,

- ordonné la restitution de la remorque par la société Daimler Chrysler Services France,

- condamné la société SEG Samro à payer la somme de 3 000 euro de dommages et intérêts,

- condamné la société SEG Samro à payer à la société des Eaux du Col de Saint-Georges la somme de 1.000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

*

ETAT DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR :

Par déclaration remise au greffe le 6 août 2010, la société SEG Samro, Maître Marcel Garage Paoli Joseph et Maître Michel Robert agissant respectivement en qualité de mandataire judiciaire et d'administrateur au redressement judiciaire de cette société, ont relevé appel du jugement en intimant la société des Eaux du Col de Saint-Georges, Monsieur Yves Thierry, la SA Mercedez-Benz Financial Services France venant aux droits de la société Daimler Chrysler Services France et la société Garage Paoli Joseph.

La procédure a été une première fois clôturée par ordonnance du 6 avril 2011 et fixée pour plaidoiries à l'audience du 7 juillet 2011.

Par arrêt avant dire droit du 28 septembre 2011, la cour a révoqué l'ordonnance de clôture et ordonné le renvoi de l'affaire à la mise en état.

Dans leurs ultimes conclusions déposées le 6 décembre 2010, les appelants demandent à la cour de débouter la société des Eaux du Col de Saint-Georges de toutes ses demandes, estimant que celle-ci avait une parfaite connaissance des désordres dont elle se plaint. Subsidiairement, au regard de l'incidence de la procédure collective, ils indiquent qu'il ne peut y avoir condamnation à paiement et que la présente instance ne peut tendre qu'à la constatation des créances et à la fixation de leur montant En tout état de cause, ils demandent à être garantis par Monsieur Yves Thierry des condamnations pouvant être prononcées. Reconventionnellement, ils sollicitent l'allocation de la somme de 2 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 9 février 2011, la société des Eaux du Col de Saint-Georges demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la résolution de la vente et la restitution de la remorque mais de l'infirmer pour le surplus. Elle réclame le paiement des sommes de 29 087,28 euro au titre du remboursement du prix de vente, 42 237,38 euro à titre de dommages et intérêts et 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses ultimes conclusions déposées le 9 février 2011, la SA Mercedez-Benz Financial Services France demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de lui allouer la somme de 460 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 9 février 2011, Monsieur Yves Thierry sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il n'a retenu aucune faute pouvant lui être imputable. Il demande donc sa mise hors de cause et le paiement de la somme de 2.000 euro par fixation de sa créance au passif sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 13 avril 2001, Maître Marcel Garage Paoli Joseph est intervenu volontairement à l'instance pour demander, en sa nouvelle qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement accordé à la société SEG Samro le 1er décembre 2010, que la présente procédure lui soit déclarée opposable.

Dans des conclusions déposée le 13 avril 2011, Maître Michel Robert, faisant valoir qu'il a été mis fin à ses fonctions d'administrateur judiciaire par le plan de continuation accordée à la société SEG Samro, sollicite sa mise hors de cause.

La société Garage Paoli Joseph, régulièrement assignée à personne avec signification de la déclaration d'appel le 14 décembre 2010, n'a pas constitué avoué.

La procédure a été nouveau clôturée par ordonnance du 19 octobre 2011 et l'affaire a été plaidée le 24 novembre 2011.

Sur quoi, LA COUR :

La cour se réfère à la décision entreprise et aux conclusions récapitulatives susdites pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties.

Suite au jugement lui accordant un plan de continuation et mettant fin à la procédure collective dont elle faisait l'objet, la société SEG Samro soutient seule son appel. Il convient, par suite, de faire droit à la demande de mise hors de cause de Maître Michel Robert, administrateur judiciaire, de constater que Maître Marcel Garage Paoli Joseph intervient désormais en tant que commissaire à l'exécution du plan et de lui déclarer la présente décision opposable à ce titre.

La cour constate également qu'elle n'est saisie d'aucune demande ni d'aucun moyen d'appel dirigée contre la SARL Garage Paoli Joseph qui n'a fait l'objet d'aucune condamnation en première instance.

Aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Le rapport d'expertise judiciaire établi par Monsieur Colas le 20 février 2008 procède d'un examen complet, précis, rigoureux et contradictoire des données techniques de la cause ; il n'a suscité aucune critique de la part des parties.

Ce document peut donc servir de base à la discussion.

Il résulte des constations de l'expert judiciaire que la semi-remorque litigieuse présente des déformations des profilés métalliques en acier et une rupture du cordon de soudure du pivot d'attelage révélant une inadaptation de la structure constituant la zone d'attelage de la remorque aux efforts subis qui ne sont pourtant pas anormalement élevés.

Cette inadaptation, liée à un sous-dimensionnement global, rend la remorque impropre à l'usage auquel elle est destinée, à savoir le transport de marchandises. Elle provient d'un défaut de conception exclusivement imputable au constructeur la société SEG Samro et l'utilisation de la remorque n'est pas en cause. Ce défaut, en raison de sa nature et de son siège, n'était pas décelable au moment de la vente ou de la livraison ; il ne s'est manifesté que lors de l'utilisation de la remorque et seule l'expertise judiciaire établie par Monsieur Yves Thierry en octobre 2003 a permis de l'identifier.

Il s'agit en conséquence d'un défaut constitutif d'un vice caché rédhibitoire au sens des dispositions précitées de l'article 1641 du Code civil. Dès lors que, comme déjà indiqué, ce vice existait antérieurement tant à la vente qu'à la livraison de la remorque, la société SEG Samro n'est pas fondée à soutenir, pour tenter de s'exonérer de sa garantie, qu'il était apparent au sens de l'article 1642 du même Code au seul motif que l'utilisateur a pu se convaincre de son existence en prenant connaissance des conclusions du rapport d'expertise de Monsieur Thierry alors que ce rapport avait précisément pour objet de se prononcer sur la cause des dysfonctionnements révélés par l'utilisation de la remorque. En outre, dans la mesure où les réparations effectuées par le vendeur consécutivement à cette expertise n'ont pas fait disparaître le vice originaire, l'acheteur demeure en droit d'invoquer l'action en garantie nonobstant ces réparations.

La société SEG Samro, en tant que constructeur-vendeur de la remorque litigieuse, est donc incontestablement tenue à garantie sur le fondement de l'article 1641 du Code civil et la société des Eaux du Col de Saint-Georges, crédit-preneur subrogé dans les droits de l'organisme de crédit-bail en vertu des clause du contrat et dont la qualité pour agir n'est pas mise en cause, est en droit d'exercer l'action rédhibitoire prévue par l'article 1644.

Le jugement déféré doit dès lors être confirmé dans ses chefs prononçant la résolution de la vente, ordonnant la restitution de la remorque, condamnant la société SEG Samro à en restituer le prix justement estimé à la somme de 29 087,28 euro.

La société des Eaux du Col de Saint-Georges dispose également d'une action indemnitaire destinée à réparer le préjudice qu'elle a subi en se trouvant empêchée d'utiliser la semi-remorque.

A ce titre, elle est droit de réclamer le montant des intérêts dont elle a dû s'acquitter envers le crédit bailleur tout en étant privée de la contrepartie de ses règlements. La somme de 6 204,72 euro est justifiée de ce chef par les pièces produites.

Elle est également en droit d'obtenir, compte tenu de la mise hors service de la remorque litigieuse à partir du mois d'avril 2005, le remboursement des frais de location du matériel de remplacement qu'elle a dû utiliser pour pouvoir poursuivre ses livraisons mais cela uniquement pour une période comprise entre la fin du contrat de crédit-bail, à savoir le 30 mars 2007 et le mois de février 2008, date de la livraison d'une nouvelle remorque. Une indemnisation portant sur une période antérieure aboutirait en effet, compte tenu de la restitution du prix de vente et du remboursement des intérêts du crédit venant d'être ordonnés, à un enrichissement sans cause comme le soutient à juste titre l'appelante dans son argumentation. L'indemnité accordée en réparation de ce poste de préjudice doit être évaluée sur la base de 950 euro pendant 10 mois soit la somme de 9 500 euro qui doit être portée à 10 000 euro en dédommagement des démarches accomplies et de frais divers. La décision du tribunal allouant de ce chef une indemnité de 10 000 euro doit dès lors être confirmée.

Les frais d'expertise judiciaire étant inclus de droit dans les dépens par application des dispositions de l'article 695-4 du Code de procédure civile, il n'y pas lieu de condamner l'appelante à les régler directement à la société des Eaux du Col de Saint-Georges comme celle-ci le réclame. Il convient dès lors d'infirmer le jugement déféré dans ses chefs ordonnant 'le remboursement des frais d'expertise, soit la somme de 5 632, 66 euro' et condamnant la société SEG Samro à payer la somme de 3 000 euro de dommages et intérêts pour une cause au demeurant non précisée tant dans les motifs que dans le dispositif de cette décision.

Pour s'opposer au prononcé de toute condamnation à son encontre, l'appelante se prévaut de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles consécutive à l'ouverture d'une procédure collective édictée par l'article L. 622-21 du Code de commerce. Toutefois, cette règle ne peut plus trouver application en l'état du plan de redressement par continuation dont bénéfice la société SEG Samro en vertu d'un jugement en date du 1er décembre 2010 et dans la mesure où il n'est pas contesté que la société des Eaux du Col de Saint-Georges a régulièrement déclaré sa créance au passif de la procédure collective qui avait été ouverte.

En définitive, la créance de dommages et intérêts détenue par la société des Eaux du Col de Saint-Georges s'établit à la somme 16 204,72 euro (10 000 + 6 204,72 euro) au paiement de laquelle l'appelante doit être condamnée.

La société SEG Samro demande à être garantie, pour cette condamnation, par Monsieur Yves Thierry en faisant valoir que celui-ci, dans le rapport d'expertise qu'il a déposé, a déclaré satisfaisantes les réparations effectuées par l'appelante conformément à ses préconisations ; que pourtant, les mêmes désordres se sont manifestés un an plus tard ainsi qu'il résulte de l'expertise judiciaire de M. COLAS ; que dès lors, en déclarant suffisantes des réparations qui se sont révélé inefficaces, Monsieur Yves Thierry a commis une erreur d'appréciation constitutive d'une faute engageant sa responsabilité dans la réapparition des désordres.

Toutefois, la condamnation prononcée à l'encontre de la société SEG Samro a pour fondement exclusif l'existence d'un défaut de conception constitutif d'un vice caché antérieur à la livraison de la chose. Et la responsabilité de l'expert Thierry n'est en rien engagée dans ce défaut de conception imputable à l'appelante, en sa qualité de constructeur-vendeur comme déjà indiqué. S'agissant des réparations incriminées par l'appelante, elles ont été efficientes pendant un an et ont donc diminué d'autant le préjudice souffert par l'utilisateur du matériel. Certes ces réparations n'ont pas permis d'éradiquer le vice mais cela ne saurait être reproché à Monsieur Thierry. En effet, contrairement aux affirmations de l'appelante, ces réparations n'ont pas été préconisées par l'expert mais réalisées à l'initiative de la société SEG Samro dans le cadre de sa garantie. L'expert les a certes déclarées satisfaisantes mais après avoir pris la précaution de recueillir l'avis du service des Mines au terme d'une période probatoire d'une durée significative. Ce faisant, l'expert, n'a commis aucune faute et l'appelante doit en conséquence être déboutée de l'action en garantie dirigée à son encontre.

C'est par une juste application des dispositions des articles 696 et 700 du Code de procédure civile que le tribunal a condamné la société SEG Samro au paiement des dépens et de la somme de 1 000 euro au titre des frais irrépétibles supportés par la société des Eaux du Col de Saint-Georges. Il convient de préciser que, comme déjà indiqué, le coût des expertises judiciaires est inclus de droit dans les dépens.

La société SEG Samro, qui succombe dans son recours, supportera les dépens de l'appel. Il est en outre équitable de la condamner à payer la somme de 1 000 euro à la société des Eaux du Col de Saint-Georges et la même somme à Monsieur Thierry en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Les demandes formulées par les autres parties sur le même fondement juridique ne seront pas accueillies.

Par ces motifs, - LA COUR : - Constate que la société SEG Samro, appelante, mise en redressement judiciaire par jugement du 10 septembre 2009, bénéficie d'un plan de continuation en vertu d'un jugement du 1er décembre 2010, - Ordonne la mise hors de cause de Maître Michel Robert qui intervenait à l'instance ès qualités d'administrateur judiciaire de la société SEG Samro, - Déclare la présente décision opposable à Maître Marcel Garage Paoli Joseph, commissaire à l'exécution du plan accordé à la société SEG Samro, - Constate qu'aucune demande n'est dirigé contre la SARL Garage Paoli Joseph, partie non comparante, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a : - prononcé la résolution de la vente, - condamné la société SEG Samro à restituer à la société des Eaux du Col de Saint-Georges la somme de vingt-neuf mille quatre-vingt-sept euros et vingt-huit centimes (29 087,28 euro) représentant le prix de vente, - condamné la société SEG Samro à payer à la société des Eaux du Col de Saint-Georges, à titre de dommages et intérêts la somme de six mille deux cent quatre euro et soixante-douze centimes (6 204,72 euro) représentant les intérêts du crédit-bail et la somme de dix mille euro (10 000 euro) représentant partie des frais de location d'un nouvelle remorque, - ordonné la restitution de la remorque à la société SEG Samro, - condamné la société SEG Samro à payer à la société des Eaux du Col de Saint-Georges la somme de mille euro (1 000 euro) en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, - condamné la société SEG Samro aux entiers dépens dont il convient de préciser qu'ils comprennent le coût des expertises judiciaires en application des dispositions de l'article 695-4 du Code de procédure civile, - Infirme le jugement déféré en ses autres dispositions, - Y ajoutant, - Déboute la société SEG Samro de son action en garantie dirigée contre Monsieur Yves Thierry, - Déboute la société des Eaux du Col de Saint-Georges du surplus de sa demande.