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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 9 février 2012, n° 10-09497

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Compagnie Alimentaire (SAS)

Défendeur :

Précision Automobiles Buttes Chaumont (SA), Jaguar Land Rover France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schmitt

Conseillers :

Mmes Durand, Elleouet-Giudicelli

Avoués :

SCP Blanc Cherfils, SCP Cohen Guedj, SCP De Saint-Ferreol, Touboul

Avocats :

Mes Ellis, Rossignol, Serreuille

T. com. Marseille, du 6 mai 2010

6 mai 2010

Attendu que selon contrat en date du 1er décembre 2006 la société Compagnie Alimentaire a pris en crédit-bail auprès de la société GCE Bail Ecureuil un véhicule Jaguar d'une valeur de 78 085 euro fourni par la société Précision Automobiles Buttes-Chaumont (le fournisseur) ; que, se plaignant de grincements affectant le train avant et de problèmes de peinture, elle a fait intervenir le concessionnaire Jaguar local et fait effectuer des expertises privées avant d'assigner le fournisseur et la société Jaguar France désignée comme constructeur en résolution de la vente, restitution du prix sous déduction d'une indemnité d'utilisation, et remboursement de frais et débours ; que par le jugement attaqué le Tribunal de commerce de Marseille a rejeté les demandes en relevant que les problèmes dénoncés n'étaient apparus que postérieurement à la livraison du véhicule, qu'ils n'avaient pas été constatés par le concessionnaire Jaguar, que l'expertise privée n'était pas convaincante, et qu'en toute hypothèse le dysfonctionnement dénoncé n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier la résolution du contrat ; que par ordonnance en date du 7 octobre 2010 le conseiller de la mise en état a ordonné l'expertise refusée par les premiers juges, le rapport ayant été déposé le 21 juin 2011 et concluant à l'existence d'un grincement existant sur d'autres exemplaires de véhicules de même modèle mais n'affectant ni l'utilisation ni la valeur du véhicule en cause ;

SUR CE,

Sur la qualité pour agir de la société Compagnie Alimentaire.

Attendu qu'il est établi, d'une part que le contrat de crédit-bail est venu à échéance le 1er novembre 2010, d'autre part que la société Compagnie Alimentaire a revendu le véhicule concerné au prix de 30 000 euro TTC Le 19 avril 2011 ; que la société Jaguar soutient qu'à compter de la première de ces dates la crédit preneuse ne pouvait plus agir, n'étant plus locataire, et qu'elle ne le pouvait plus en toute hypothèse après la revente ;

Attendu qu'il est de principe que la garantie de vices cachés est attachée à la chose vendue et bénéficie à chacun des propriétaires successifs; que le propriétaire intermédiaire demeure néanmoins recevable à agir à condition de prouver la persistance d'un intérêt; que la fin de non-recevoir sera en conséquence jointe au fond ;

Sur le fondement de la demande.

Attendu que la société Compagnie Alimentaire invoque à la fois la garantie de vices cachés des articles 1641 et suivants du Code civil et la garantie de conformité des articles L. 211-1 et suivants du Code de la consommation ; que les dispositions de ce dernier Code sont inapplicables, seul l'acheteur agissant en qualité de consommateur pouvant s'en prévaloir aux termes de l'article L. 211-3 alors que la société Compagnie Alimentaire a acquis le véhicule comme véhicule de fonction ; qu'en toute hypothèse le délai de prescription de deux ans, qui court aux termes de l'article L. 211-12 à compter de la délivrance, était expiré à la date d'introduction de l'instance, le 24 juillet 2009 ; que la demande n'est en conséquence recevable que sur le fondement du vice caché; qu'en vain, s'agissant de ce fondement, le fournisseur et la société Jaguar soutiennent que le défaut était apparent dès lors que le véhicule avait fait l'objet d'essais préalables, la preuve de ces essais n'étant pas rapportée et la discrétion du grincement ainsi que les conditions particulières de sa manifestation permettant d'affirmer que l'acquéreur n'était pas en mesure de l'appréhender avant l'achat et même avant l'écoulement d'une certaine durée d'utilisation ;

Sur la diminution de prix et les dommages-intérêts.

Attendu que la société Compagnie Alimentaire ne réclame plus la résolution de la vente mais uniquement la diminution du prix en soutenant que le grincement affectant le véhicule était d'une intensité telle qu'il compromettait la jouissance ; que la société Jaguar et le fournisseur le contestent en se prévalant des constatations et conclusions de l'expert ;

Attendu que du rapport et d'une réponse à un dire de l'expert il résulte que le grincement n'était perceptible qu'à faible allure, en descente, à l'occasion des virages à droite, et qu'il était à ce point ténu qu'il ne pouvait être perçu que climatisation et autoradio éteints par un occupant concentré ; que l'expert a constaté que d'autres véhicules du même modèle et de la même marque présentent le même défaut et a émis l'avis que l'utilisation et la valeur du véhicule en cause n'étaient pas affectées ;

Attendu que s'il est constant que ce véhicule a été revendu au prix argus, et si aucune démonstration n'est faite de ce que le grincement dénoncé a entraîné la moindre moins-value par rapport à la valeur de marché, il n'en demeure pas moins que, s'agissant d'un véhicule haut de gamme pour lequel l'acquéreur, à la recherche d'un confort et d'une image en rapport avec la valeur et le prestige de l'objet acquis, était en droit d'exiger, sinon la perfection, du moins une qualité irréprochable, ce grincement parasite énervant compromettait de manière évidente la jouissance escomptée; qu'il peut en être déduit que l'usage qui pouvait légitimement être attendu du véhicule a été diminué au sens de l'article 1641 du Code civil et que la société Compagnie Alimentaire ne l'aurait pas acquis au même prix si elle avait eu connaissance du défaut ; que la revente au prix argus confirme simplement qu'un défaut de ce genre est d'une incidence négligeable sur le prix d'un véhicule d'occasion de cette catégorie de plusieurs années d'âge mais ne permet de préjuger ni de la valeur du véhicule neuf, ni de l'attitude qu'aurait adoptée la société Compagnie Alimentaire lors de l'acquisition si elle avait connu le défaut; que cette dernière, qui a introduit son action avant la revente, conserve en conséquence un intérêt à réclamer une diminution de prix ou l'indemnisation de son préjudice; que, le fournisseur et la société Jaguar, professionnels de la vente de véhicules, étant présumés avoir connu le défaut, elle est également en droit de solliciter l'indemnisation de ses préjudices accessoires par application des dispositions de l'article 1645 du Code civil ;

Attendu que compte tenu de la catégorie du véhicule, de son prix de vente, et de la nature des désagréments entraînés par le grincement, il peut être considéré que la société Compagnie Alimentaire n'aurait pas contracté à plus de 70 000 euro environ et que le préjudice de jouissance subi peut être chiffré à 8 000 euro ; que lui sera accordée également une somme de 1 250 euro au titre des frais d'expertise privée justifiés à concurrence de 250 euro seulement, des autres frais exposés, et de l'immobilisation du véhicule à l'occasion de son examen par les experts ; que ces sommes seront mises à la charge, solidairement, de la société Précision Automobiles, venderesse, et la société Jaguar France qui a elle-même vendu le véhicule au fournisseur le 24 octobre 2006 et est, en sa qualité de venderesse présente dans la chaîne de contrats, tenue des vices cachés ;

Sur l'appel en garantie de la société Précision Automobiles.

Attendu que, liée par le contrat de vente en date du 24 octobre 2006 à la société Précision Automobiles, la société Jaguar France, peu important sa qualité de simple importateur et celle de professionnel de la société Précision Automobiles, est tenue à garantie à l'égard de cette dernière pour le vice indécelable à la livraison dont le véhicule en cause était affecté;

Sur la demande de dommages-intérêts de la société Jaguar France.

Attendu le que la société Jaguar France réclame à la société Compagnie Alimentaire une somme de 2 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ; que cette demande sera rejetée dès lors que l'action de l'appelante a prospéré.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare l'appel régulier et recevable en la forme. Déclare recevable la demande de la société Compagnie Alimentaire. Au fond, infirme le jugement attaqué et, statuant à nouveau, Dit que le grincement affectant le véhicule acquis par la société Compagnie Alimentaire est constitutif d'un vice caché. Condamne solidairement les sociétés Précision Automobiles Buttes-Chaumont et Jaguar France à payer à la société Compagnie Alimentaire à titre de dommages-intérêts une somme de 9 250 euro avec les intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt. Déboute la société Compagnie Alimentaire du surplus de sa demande. Déboute la société Jaguar France de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive. Condamne les sociétés Jaguar France et Précision Automobiles Buttes-Chaumont solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel. Les condamne solidairement à payer à la société Compagnie Alimentaire une somme de 2 500 euro au titre des frais irrépétibles. Dit n'y avoir lieu pour le surplus à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.