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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 13 janvier 2012, n° 10-03747

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Blin (Epoux)

Défendeur :

Troadec (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Le Bail

Conseillers :

Mme Le Brun, M. Gimonet

Avoués :

SCP Castres -Colleu -Perot - Le Couls - Bouvet, SCP D'Aboville - De Moncuit-St-Hilaire, SCP Bazille, SCP Gautier - Lhermitte, SCP Guillou - Renaudin

Avocats :

SCP Guitard - Colon de Franciosi - Dumont - Stephan - Le Fellic - Onno, SCP Bachy - Valton - Krongrad, Me Bocquet, SCP Garnier - Lozac'hmeur - Bois - Dohollou - Souet - Arion - Ardisson - Grenard - Levrel - Guyot-Vasnier - Collet - Bouloux-Pochard, Cabinet Tattevin - Derveaux

TGI Rennes, du 2 mars 2010

2 mars 2010

Le 28 mai 2004, les époux Troadec ont acquis pour le prix de 34 500 euro auprès de Monsieur Euzenat une vedette de type Jamaica 27 équipée d'un moteur Volvo Penta que ce dernier avait lui-même achetée le 21 novembre 2002 auprès des époux Blin ;

Ceux-ci avaient acheté la vedette le 19 septembre 2001 à la société BGV marine, exerçant sous la dénomination commerciale de Flahaut marine, qui la tenait de Monsieur Paris ;

La vedette avait été entretenue avant septembre 2001 par la société Etablissements Michel Le Gal qui procéderait en outre par la suite à la réparation d'une avarie à la demande des époux Blin ;

Postérieurement à l'acquisition du navire par les époux Troadec et lors d'un contrôle mécanique du moteur, il est apparu que celui-ci avait fait l'objet d'un serrage avec endommagements multiples ;

Par jugement du 2 mars 2010, le Tribunal de grande instance de Rennes a :

- condamné Monsieur Henry Euzenat à payer aux époux Troadec la somme de 19 401,99 euro avec intérêts au taux légal à compter du jugement au titre du remplacement du moteur ;

- condamné Monsieur Henry Euzenat à payer aux époux Troadec la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné les époux Blin à garantir Monsieur Henry Euzenat des condamnations prononcées à son encontre au profit des époux Troadec ;

- condamné les époux Blin à payer à Monsieur Henry Euzenat la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- rejeté toutes autres demandes des parties ;

- condamné in solidum Monsieur Henry Euzenat et les époux Blin aux dépens comprenant les frais de référé et d'expertise judiciaire et devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Les époux Blin ont interjeté appel de cette décision et, par conclusions signifiées le 3 août 2010, ont demandé à la cour :

- d'infirmer le jugement ;

- de débouter Monsieur Euzenat de sa demande en garantie et toutes parties de leurs demandes dirigées contre eux ;

- subsidiairement, de condamner la société BGV marine à les garantir de toute condamnation prononcée contre eux ;

- de condamner la société BGV marine à leur payer la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Madame Marie-Annick Troadec, prise en son nom personnel et en qualité d'héritière de son mari décédé, Monsieur Théophile Troadec, et mesdames Bernadette et Maryannick Troadec, intervenant en qualité d'héritières de leur père, Monsieur Troadec, ont demandé à la cour, par conclusions signifiées le 26 septembre 2011 :

- de confirmer le jugement en son principe ;

- de condamner Monsieur Euzenat à leur payer la somme de 19 401,99 euro au titre du remplacement du moteur de la vedette, ce, avec intérêts de droit à compter de l'assignation en référé du 13 avril 2005 ;

- de condamner 'conjointement et solidairement' Monsieur et Madame Blin, la société BGV marine, la société Michel Le Gal, ou l'un à défaut de l'autre, à leur payer la somme de 6 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices financiers et de jouissance ;

- de condamner les mêmes et sous la même solidarité ou les uns à défaut des autres à leur payer la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens comprenant les frais de référé, d'expertise et les frais d'expertise amiable de la société Bretagne expertise, lesdits dépens devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Monsieur Henry Euzenat a demandé à la cour, par conclusions signifiées le 19 juillet 2011 :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé condamnation à son encontre ;

- de débouter les consorts Troadec de toutes leurs demandes ;

- subsidiairement, de condamner les époux Blin à le garantir de toutes condamnations pouvant être prononcées à son encontre ;

- de juger que le préjudice des consorts Troadec ne saurait être supérieur à la somme de 19 401,99 euro ;

- en tout état de cause, de débouter les époux Blin et toute autre partie de toutes leurs demandes dirigées contre lui ;

- de condamner in solidum les consorts Troadec et les époux Blin à lui payer la somme de 4 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les frais de référé et d'expertise judiciaire, lesdits dépens devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

La société Etablissements le Gal a demandé à la cour, par conclusions signifiées le 26 novembre 2010 :

- de confirmer le jugement ;

- de débouter la société BGV marine de toutes ses demandes ;

- de débouter les consorts Troadec de l'ensemble de leurs demandes dirigées contre elle ;

- de condamner la société BGV marine ou tout succombant à lui payer la somme de 2 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

La société BGV marine a demandé à la cour, par conclusions signifiées les 21 mai 2010, 4 octobre et 17 novembre 2011 :

- de confirmer le jugement notamment en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause ;

- de condamner Monsieur Richard Blin à lui payer la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, ceux d'appel devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Il a été demandé aux parties de présenter leurs observations, par note en délibéré, sur le moyen soulevé d'office de l'irrecevabilité des demandes nouvelles en cause d'appel des consorts Troadec dirigées contre les époux Blin et les sociétés BGV marine et Etablissements Michel le Gal ;

Par note en délibéré du 22 décembre 2011, les consorts Troadec ont conclu à la recevabilité de leur demande tendant, selon eux, aux mêmes fins que celles soumises au tribunal et qui en sont le complément ;

SUR CE,

Considérant qu'aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ;

Que la charge de la preuve du vice caché incombe à l'acquéreur ;

SUR L'ACTION ESTIMATOIRE DES ÉPOUX TROADEC

Considérant que les consorts Troadec, qui font valoir l'existence d'un vice caché, déclarent exercer l'action estimatoire et solliciter la confirmation du jugement qui a condamné leur vendeur, Monsieur Euzenat, à leur payer la somme de 19 401,99 euro correspondant au montant de la facture de remplacement du moteur ;

Considérant que l'expert, Monsieur Boutan, commis par ordonnances des juge des référés du tribunal de grande instance de Vannes du 2 juin 2005 et du Tribunal de commerce de Rennes du 15 septembre 2006 a conclu dans son rapport daté du 10 mai 2006 que :

" ... les claquements provenant de l'arrière du moteur avaient pour origine le grippage du piston n° 6 ou, plus vraisemblablement, le profond endommagement des coussinets équipant la bielle n° 5.

... ces mêmes claquements :

- avaient été observés lors de l'expertise diligentée par la Sarl Bretagne Expertises,

- ont autorisé les époux Troadec à naviguer durant 56 heures sans que le moteur ne tombe en panne.

Ainsi donc, il peut être dit que le grippage affectant le piston n° 6, ainsi que l'endommagement des coussinets de la bielle n° 5 étaient, dans ce cas bien particulier, peu évolutifs dans le temps.

Ce caractère peu évolutif nécessite d'être relevé, car aussi bien les grippages de piston que les détériorations de coussinets de bielle sont, à quelques exceptions près, caractérisés par une évolution très rapide et fatale ;

... Les désordres affectant le moteur relèvent d'un défaut de lubrification lié à un déséquilibre de l'ensemble tournant (vilebrequin, bielles et pistons) introduit par le montage de deux pistons de factures différentes des quatre autres ...

Les désordres ayant affecté le moteur sont imputables à l'intervention réalisée début 2002 par les ateliers Le Gal de Séné " ;

Que l'expert, s'il a modifié son analyse dans son deuxième rapport daté du 16 août 2008, y a néanmoins confirmé que les désordres 'existaient préalablement à la vente conclue le 28 mai 2004 entre Monsieur Euzenat et les époux Troadec' ;

Qu'il a également confirmé que les désordres rendaient le moteur non économiquement réparable, principalement en raison de la destruction de son arbre manivelle ;

Que Monsieur Boutan a encore précisé dans son premier rapport que les désordres provenaient d'une réparation du moteur effectuée en 2002, compte tenu de la datation des pistons n° 5 et n° 6 différents des autres pistons, ou après cette date et que ni Monsieur Euzenat ni les époux Troadec n'avaient eu connaissance de cette intervention ;

Considérant que Monsieur Euzenat soutient que le vice n'était qu'éventuel puisqu'il n'y avait pas nécessité de procéder au remplacement du moteur avant que cela soit rendu nécessaire par l'usure normale dudit moteur ;

Que c'est cependant en vain qu'il affirme que la vedette avait un défaut qui n'avait aucune conséquence sur son usage alors que, si la panne du moteur n'était pas intervenue lorsque le vice du moteur a été décelé, il résulte clairement des explications de l'expert que la panne moteur était inéluctable à plus ou moins brève échéance en raison de la nature du vice caché en cause ;

Considérant que ce défaut du moteur, caché aux yeux de profanes et antérieur à la vente, qui était d'une nature telle qu'il conduisait inéluctablement à une panne majeure du moteur économiquement irréparable, rendait la vedette impropre à son usage ou en diminuait tellement cet usage, que les époux Troadec ne l'auraient pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'ils l'avaient connu, alors que les conséquences d'une panne de moteur en cas de survenance en pleine mer peuvent être graves ;

Que c'est donc à juste titre que le premier juge a fait droit à l'action estimatoire des époux Troadec et procédé à une diminution de prix d'un montant de 19 401,99 euro ;

Qu'il n'y a pas lieu de faire courir les intérêts au taux légal sur cette somme à compter de l'assignation en référé-expertise du 13 avril 2005, laquelle ne comporte d'ailleurs aucune disposition valant sommation de payer ;

Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné Monsieur Henry Euzenat à payer aux époux Troadec la somme de 19 401,99 euro avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

SUR L'ACTION EN RESPONSABILITÉ FORMÉE PAR LES ÉPOUX TROADEC

Considérant que le droit de former un appel incident n'emporte pas celui de présenter des prétentions à l'encontre des parties contre lesquelles l'appelant incident n'avait pas conclu en première instance ;

Considérant que, devant le premier juge, les consorts Troadec n'ont présenté de demande que contre leur vendeur immédiat, Monsieur Euzenat, contre lequel ils exerçaient une action estimatoire ;

Que ce dernier a certes appelé en garantie ses vendeurs, les époux Blin, qui ont eux-mêmes appelé en garantie leur vendeur la société BGV marine, laquelle a appelé en garantie la Sarl Etablissements Michel Le Gal ;

Considérant que les appels en garantie formé par les vendeurs successifs n'ont fait naître aucun lien de droit entre l'acquéreur final, les consorts Troadec, demandeurs principaux en première instance, et les garants successifs mis en cause par les bénéficiaires immédiats des garanties ;

Que les consorts Troadec sont irrecevables, par application des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile, à présenter une demande d'indemnisation pour la première fois en cause d'appel contre les autres parties au litige restées des tiers à leur égard ;

SUR LA DEMANDE DE MONSIEUR EUZENAT CONTRE LES ÉPOUX BLIN

Considérant que Monsieur Euzenat qui a vendu la vedette en cause en parfaite ignorance du vice caché est admissible à exercer un recours contre ses propres vendeurs, les époux Blin ;

Considérant qu'il ressort des opérations expertales que le vice affectant le moteur de la vedette en cause existait déjà au moment où les époux Blin ont vendu le navire à Monsieur Euzenat le 21 novembre 2002 ;

Que c'est donc à juste titre que le premier juge a condamné les époux Blin à garantir Monsieur Henry Euzenat de sa condamnation à paiement de la somme de 19 401,99 euro avec intérêts au taux légal à compter du jugement prononcée au profit des époux Troadec ;

Que le jugement sera confirmé sur ce point ;

SUR LA DEMANDE DES ÉPOUX BLIN CONTRE LA SOCIÉTÉ BGV MARINE

Considérant que les époux Blin demandent à la cour de juger que " la société BGV marine, leur vendeur, devra les garantir " ;

Considérant que les époux Blin fondent leur demande contre la société BGV marine sur les dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil en faisant valoir que celle-ci est leur vendeur ;

Que la société BGV marine a soutenu devant l'expert qu'elle n'était pas intervenue dans l'acte de vente passé directement entre les époux Blin et Monsieur Paris, précédent propriétaire ;

Qu'elle a indiqué dans ses conclusions n° 2 devant le premier juge que Monsieur Paris lui avait confié la vedette pour qu'elle soit vendue, se reconnaissant ainsi comme le mandataire du vendeur ;

Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que le prix d'acquisition de la vedette a été réglé par les époux Blin au moyen d'un chèque libellé à l'ordre de Flahaut marine-BGV marine et que l'offre de prêt accessoire à la vente mentionnait que le vendeur était la SARL BGV marine, laquelle a apposé la signature de son représentant et son cachet commercial ;

Que cependant l'acte de francisation du navire montre que la société BGV marine n'apparaît pas au rang des propriétaires successifs du navire qui est passé des mains de Monsieur Paris à celle des époux Blin ;

Que les époux Blin se dispensent de verser aux débats l'acte de vente de la vedette qui a été examiné par l'expert, ainsi qu'il l'indique dans son premier rapport du 10 mai 2006, en le décrivant comme suit :

" Acte de vente du navire établi le 19.09.01 entre Monsieur René Paris (vendeur) et Monsieur Richard BLIN (acquéreur) " ;

Qu'il apparaît donc que la société BGV marine n'est pas le vendeur des époux Blin ni ne peut être considéré comme leur vendeur apparent ;

Considérant en outre que l'expert indique dans son rapport du 16 août 2008 qu'il est certain que la société BGV marine n'est jamais intervenue sur la propulsion de la vedette ;

Que c'est donc à juste titre que le premier juge a débouté les époux Blin de leurs demandes dirigées contre la société BGV marine ;

Considérant que le coût de l'expertise amiable réalisée par la société Bretagne expertise ne relève pas des dépens ;

Qu'il ne sera pas fait droit à la demande des consorts Troadec tendant à ce que les dépens comprennent les frais d'expertise amiable, lesquels ne peuvent relever que de l'indemnisation des frais irrépétibles, sollicitée en l'espèce par une demande irrecevable comme dirigée contre les époux Blin et les sociétés BGV marine et Etablissements Michel le Gal.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement ; Y ajoutant : Déboute les consorts Troadec de leur demande en perception d'intérêts moratoires sur la somme de 19 401,99 euro à compter de la date de leur assignation en référé-expertise ; Déclare irrecevables les demandes des consorts Troadec en paiement de dommages-intérêts et d'une indemnité pour frais irrépétibles dirigées contre les époux Blin et les sociétés BGV marine et Etablissements Michel le Gal ; Déboute les consorts Troadec de leur demande tendant à faire inclure dans les dépens les frais d'expertise amiable ; Déboute les époux Blin de toutes leurs demandes ; Condamne les époux Blin à garantir Monsieur Euzenat de sa condamnation aux dépens de première instance ; Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne les époux Blin aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.