CA Lyon, 7e ch., 15 mai 2009, n° 08-01391
LYON
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brejoux
Avocat :
Me Chiron
La SA Z, située à Puligny-Montrachet (21) et la SA V, située à Sologny (71), exerçant toutes deux l'activité de négociant en vins, ont constitué une société en nom collectif dénommée VLC, dont le siège est fixé à Sologny, et qui a pour objet la production de vins, la vinification, l'élevage, l'embouteillage et le conditionnement, le stockage et le négoce de gros et de détail, les opérations de commission à l'achat et à la vente de tous alcools ou boissons en général, et de tous produits dérivés ou connexes.
Cette société a construit à Chitry (89) des locaux qui abritent une cuverie d'une capacité d'environ 3 000 hl.
La cuverie a été achetée dans le courant de l'année 2001 et les dernières livraisons de matériels ont eu lieu juste avant la vendange, au mois de septembre 2001.
Sur 26 cuves, 8 seulement étaient épalées au moment de la mise en service de la cuverie.
Lors de la vendange 2001, la société VLC avait acquis de divers viticulteurs du chablisien des raisins et des moûts qui ont été livrés dans cette cuverie neuve afin qu'il soit procédé aux opérations de vinification.
Le 17 octobre 2001, deux inspecteurs de la DRCCRF sont intervenus dans les locaux de la société VLC pour procéder à un "inventaire Récolte 200" au terme duquel ils ont considéré que le volume de vin recensé dans la cuverie et susceptible de bénéficier d'une AOC était de 1 260,50 hl.
Le 17 octobre 2001 également, les inspecteurs de la DRCCRF ont prélevé un échantillon de moût contenu dans la cuve 40 B (Chablis) aux fins d'analyse dans le laboratoire habilité de l'administration, pour vérifier son degré de chaptalisation.
Au vu des analyses RMN et SMRI, la DRCCRF a conclu que le vin contenu dans la cuve 40 B était chaptalisé.
Le 24 novembre 2001, la société VLC a déposé auprès de la recette de la DGDDI, sa déclaration de production 2001, conformément aux dispositions du règlement communautaire 1282/2001.
Elle revendiquait un volume en production avant chaptalisation de 1 225,88 hl et après chaptalisation de 1 246,22 hl.
Partant du chiffre retenu lors de l'inventaire du 17 octobre, la DRCCRF a entrepris de déterminer les volumes de vins théoriques devant être en cave à cette date.
Les agents de l'administration ont donc ajouté à la quantité de 1 260,50 hl, la quantité de sucre employé pour la chaptalisation, soit 12,88 hl pour retenir un volume théorique en cave de 1 273,38 hl.
Comparant le volume théorique et le volume déclaré, la DRCCRF a considéré qu'il existait, en fonction des climats, des manquants de 56,38 hl et des excédents de 8,87 hl.
Le 28 janvier 2002, puis le 5 mars 2002, l'Inao a délivré à la société VLC le certificat d'agrément des vins de la récolte 2001, pour un volume total de 1 201,39 hl.
Poursuivant leur enquête, les agents de la DRCCRF se rendaient, le 23 mai 2002 dans les locaux de la société VLC à Chitry et réalisaient un second inventaire des vins encore détenus.
Ils ont ainsi considéré que VLC détenait pour le compte de la SA V. 4,25 hl de vin "n'ayant pas d'existence légale".
Le 25 juin 2002, l'inventaire des vins de Chablis détenus dans les locaux de la société Olivier X à Puligny était également entrepris.
L'administration considérait alors :
"que la balance comptabilité matière établie à partir des entrées / sorties enregistrées et de l'inventaire des vins en cave laisse apparaître une situation conforme aux manipulations réalisées en cave où les manquants existant sont dans la limite des pertes admises par l'administration".
Le lendemain, soit le 26 juin, les agents de la DRCCRF se sont rendus à Sologny pour procéder également à l'inventaire des vins de Chablis, dans les chais de la société V.
Ils ont conclu, cette fois, que 4,32 hl de vin étaient sans existence légale et qu'entre les locaux de Chitry et ceux de Sologny, la société V détenait "un volume global de 8,57 hl de vin non déclaré en production" (4,25 + 4,32 hl).
Les agents de la DRCCRF ont procédé ensuite à différentes auditions puis ont clôturé leur procédure par un procès-verbal de délit du 16 juillet 2003, dans lequel ils ont considéré que Olivier X et Jean-Marie Y étaient pénalement responsables des délits de falsification et de tromperie.
Olivier X et Jean-Marie Y ont été cités par le ministère public à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Mâcon sous les préventions :
- d'avoir à Pierreclos, Chitry, Sologny, Puligny, Montrachet, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, de septembre 2001 à juillet 2003, en qualité de cogérant de la société en nom collectif VLC, trompé les consommateurs sur la nature du vin vendu en l'espèce en commercialisant des volumes de vin non déclarés en production ou en récolte et sur les qualités substantielles des vins vendus en l'espèce en commercialisant du vin appelé Chablis grand cru suivi du nom du climat d'origine alors que compte tenu des mélanges de crus effectués dans les caves, ces vins ne pouvaient pas recevoir ces appellations,
infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation ,
- d'avoir à Pierreclos, Chitry, Sologny, Puligny, Montrachet, de septembre 2001 à juillet 2003, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, falsifié des denrées servant à l'alimentation de l'homme ou des animaux, des substances médicamenteuses, des boissons et des produits agricoles ou naturels destinés à être vendus et d'avoir mis en vente ces denrées ainsi falsifiées en l'espèce en effectuant des opérations de surchaptalisation sur la cuvée CH9 de Chablis ou en procédant à des assemblages de cuvées de façon à ce que la chaptalisation globale ne dépasse pas le maximum autorisé tout en les commercialisant sous l'appellation usurpée de Chablis,
infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-3, L. 213-4, L. 216-3 du Code de la consommation .
Par jugement contradictoire du 8 mars 2006, le tribunal correctionnel de Mâcon a renvoyé les deux prévenus des fins de la poursuite et a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de l'UFC - Que Choisir, de l'Institut National d'Appellation d'Origine et de la Confédération Nationale du Logement.
Sur appels du ministère public et des parties civiles, la Cour d'appel de Dijon, par arrêt contradictoire du 1er mars 2007 a infirmé le jugement entrepris, a déclaré Olivier X et Jean-Marie Y coupables des faits reprochés et les a condamnés, chacun, à 50 000 euro d'amende.
Statuant sur l'action civile, la Cour d'appel a condamné in solidum les deux prévenus à payer :
- à l'Institut National des Appellations d'Origine, la somme de 4 000 euro à titre de dommages-intérêts, outre celle de 1 000 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel,
- à l'UFC - Que Choisir de Saône et Loire la somme de 4 000 euro à titre de dommages-intérêts, outre celle de 1 000 euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel.
Olivier X et Jean-Marie Y ont formé un pourvoi contre cet arrêt et la chambre criminelle de la Cour de cassation, par arrêt du 27 mai 2008, a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Lyon.
MOTIFS de la décision
En la forme
Attendu que les parties civiles, l'Institut National des Appellations d'Origine et "l'UFC - Que Choisir" de Saône et Loire, étaient représentées par leur conseil ;
Attendu que le prévenu Olivier X a comparu à l'audience, assisté de son conseil ; que le prévenu Jean-Marie Y était absent, mais représenté par son conseil, titulaire d'un pouvoir de représentation ;
Attendu qu'il sera, dès lors, statué par arrêt contradictoire à l'égard de toutes les parties ;
Sur le fond
Attendu que le conseil de l'Institut National des Appellations d'Origine a déposé des conclusions par lesquelles il demande à la cour :
- de condamner in solidum les deux prévenus à payer à l'Inao la somme de 10 127 euro à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt et celle de 1 000 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,
- d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans deux journaux locaux ou régionaux aux frais des prévenus ;
Attendu qu'aux termes de ses conclusions, l'avocat de l'association "UFC - Que Choisir" de Saône et Loire sollicite la condamnation des deux prévenus au paiement de 10 000 euro de dommages-intérêts, et de 2 500 euro en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
Attendu que le ministère public indique que, "n'ayant pas trouvé les éléments pouvant fonder une décision de condamnation" (sic), il s'en rapporte à la décision de la cour ;
Attendu que le conseil des prévenus Olivier X et Jean-Marie Y a déposé des conclusions par lesquelles il demande à la cour de confirmer le jugement rendu, le 8 mars 2006, par le Tribunal correctionnel de Mâcon ;
Sur les infractions de tromperie
Attendu qu'il est reproché aux prévenus deux types de tromperies, d'une part une tromperie sur la nature du vin, en ayant commercialisé des volumes de vin non déclarés en production ou en récolte, d'autre part une tromperie sur les qualités substantielles, en ayant commercialisé des vins sous l'appellation "Chablis grand cru", alors que ceux-ci ne pouvaient recevoir cette appellation en raison de mélanges réalisés entre différents crus ;
a) La tromperie sur la nature du vin
Attendu que les volumes de vins prétendument non déclarés en production ou en récolte ont été déterminés en comparant le volume des vins recensé par l'administration, le 17 octobre 2001 et la déclaration de la société VLC du 24 novembre 2001 ; que, dès lors, l'infraction n'est constituée qu'autant que peut être tenu pour fiable l'inventaire de la DGCCRF du 17 octobre 2001 faisant apparaître 1 260,50 hectolitres en cave ;
Attendu, cependant, que ce chiffre de 1 260,50 hectolitres ne peut être retenu ;
Attendu, qu'en effet, et en premier lieu, comme l'a indiqué le tribunal correctionnel de Mâcon, par une motivation pertinente que la Cour adopte expressément, "lors de leur contrôle du 17 octobre 2001 au chais de la société VLC, les inspecteurs de la DGCCRF n'ont procédé à aucune constatation ou mesure ou relevé personnel ; que lors de leur venue ultérieure, il en a été de même ; que leurs énonciations résultent d'appréciations données par un simple agent de cave débutant sur des moûts en fermentation pour leur transformation en vin" ;
Attendu, en second lieu, que les produits comparés pour déterminer les volumes excédentaires ne sont pas identiques, en ce que l'inventaire du 17 octobre 2001 a porté sur des moûts en cours de fermentation et qu'il n'est pas possible de comparer de tels moûts avec du vin qui est un produit fini ; qu'en effet, le processus d'élaboration des vins entraîne des déchets ou des pertes (dilatation naturelle - bourbes - lies) ; que ce phénomène est pris en compte par l'article 302 D12 du Code général des impôts ; que les taux sont fixés, de manière indicative, pour les déchets et l'élaboration à 1,5 % et pour les pertes annuelles au conditionnement à 0,7 % ( décret n° 2001/6149 du 16 juillet 2001 ) ;
Attendu, dès lors, que le recensement effectué le 17 octobre 2001 ne peut être considéré comme correspondant à la réalité, et ce d'autant plus que les inspecteurs de la DGCCRF se devaient d'utiliser des instruments de mesure légaux, alors même qu'on était, pour partie, en présence de cuves non épalées ;
Attendu, en conséquence, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par la défense des prévenus, que la commercialisation de volumes de vin non déclarés en production ou en récolte n'est pas établie ;
b) La tromperie sur les qualités substantielles du vin
Attendu que la DGCCRF expose dans son procès-verbal (pages 18 et 19) que des assemblages de "Chablis grand cru" et "Chablis premier cru" pour des moûts vinifiés dans une même cuve ont eu lieu, de telle sorte que l'appellation "Chablis grand cru" ne pouvait être revendiquée ;
Attendu que cette affirmation repose sur l'inventaire du 17 octobre 2001 puisqu'il a conduit l'administration à constater des manquants en "Chablis premier cru" pour 11,91 hectolitres et en "Chablis grand cru" pour 1,09 hectolitre ; que pour les raisons exposées précédemment, le recensement du 17 octobre 2001 n'a aucune valeur probante et ne peut servir de support à la constatation de l'infraction reprochée ;
Attendu, et surtout, que la lecture du procès-verbal ne permet pas de comprendre comment les inspecteurs de la DGCCRF sont parvenus à établir de tels faits, le dit procès-verbal ne faisant aucunement la preuve d'un assemblage à partir des excédents prétendument non déclarés pour servir au remplissage des "Chablis grand cru" ;
Attendu, dès lors, que le délit de tromperie sur les qualités substantielles du vin ne peut être retenu ;
Sur les infractions de falsifications de denrées alimentaires
Attendu qu'à la lecture de la prévention, deux types de falsifications sont reprochées :
a) La surchaptalisation de la cuvée CH9 de Chablis
Attendu que pour établir cette infraction l'administration est partie d'un taux d'alcoométrie de 10,08 % à la date du 12 octobre 2001, résultant d'une analyse mustimétrique réalisée par le laboratoire de l'Institut Oenologique de Champagne ; qu'elle a relevé, sur le registre d'enrichissement à la date du 13 novembre 2001, un taux d'alcoométrie de 12,40 % ; qu'elle a conclu donc que la chaptalisation avait permis d'augmenter le titre alcoométrique volumique naturel des moûts de 2,32 %, soit un dépassement de 0,32 % du taux autorisé ; qu'à la date du 28 novembre 2001, l'administration a constaté, à partir des analyses de l'Institut Oenologique de Champagne, un taux d'alcoométrie de 12,60 % ce qui lui a fait conclure à un enrichissement de 2,50 % ;
Attendu, cependant, que l'analyse mustimétrique ne donne que des pourcentages approximatifs et le règlement communautaire n° 2676/90 du 17 septembre 1990 prévoit que les méthodes d'analyse applicables dans le secteur du vin qui permettent, à l'occasion de toute opération de contrôle, d'évaluer la teneur en sucre des moûts, sont la réfractométrie et la résonnance magnétique nucléaire (RMN) du deutérium ;
Attendu que l'administration reconnaît elle-même les doutes qui entourent sa méthode puisque dans une note du 18 juillet 2003 à l'intention du procureur de la République de Mâcon, elle admet "l'existence des incertitudes liées aux méthodes d'analyse" ;
Attendu, en conséquence, qu'on ne peut retenir le taux de 10,08 % ;
Attendu, surtout, qu'à supposer que le taux de 10,08 % soit admissible, il apparaît que si la cuve CH9 contenait, le 12 octobre 2001, des moûts de Chablis Montmains I, en revanche, elle ne contenait plus le même vin après cette date ; qu'en effet, le laboratoire de l'IOEC avait constaté des moisissures dans cette cuvée et conseillé d'en soutirer le moût ; que c'est ce qui a été fait par la société VLC pour préserver son vin ; que, par conséquent, à partir du 12 octobre 2001, la cuve CH9 ne renfermait plus le même vin ;
Attendu qu'ainsi la DGCCRF ne peut donc pas comparer les enrichissements successifs de la cuve CH9, car le contenu a changé, depuis le 12 octobre 2001, à telle enseigne que le 17 octobre 2001, la cuve CH9 était annoncée comme contenant 55 hl de moût alors qu'à la date du 13 novembre 2001, le registre d'enrichissement portait un volume de 65 hl ;
b) La falsification tirée d'assemblage de cuvées
Attendu que ce grief semble faire référence aux chaptalisations fractionnées réalisées par la société VLC et, nonobstant l'imprécision de la prévention, il est soutenu que des cuvées pour lesquelles la chaptalisation dépasserait la maximum légal, soit 2 %, auraient été assemblées avec d'autres cuvées de façon à ce que le taux de chaptalisation soit conforme au maximum autorisé ;
Attendu, cependant, qu'aucun de ces faits n'est démontré dans le procès-verbal de délit et aucun constat des agents de la DGCCRF n'a été effectué à cet égard ;
Attendu, en définitive, qu'aucune infraction n'étant établie à l'encontre des deux prévenus il convient de confirmer le jugement du tribunal correctionnel de Mâcon qui les a renvoyé des fins de la poursuite et qui a rejeté les demandes des parties civiles.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 8 mai 2006 par le Tribunal correctionnel de Mâcon.