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Décisions

CA Grenoble, 2e ch. civ., 10 janvier 2012, n° 10-00100

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

X (Consorts)

Défendeur :

Laboratoires Omega Pharma France (SAS), Ram (Sté), MACSF (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cavelier

Conseillers :

Mme Blatry, M. Paris

TGI Grenoble, du 12 nov. 2009

12 novembre 2009

Mme X pharmacienne a offert en décembre 2003 aux époux Y, parents de Marie-Amélie née le 9 septembre 1996 une bouillote S dans une peluche en forme d'hippopotame.

L'enfant a été brûlé le 20 février 2006 suite à la rupture de la bouillote.

Par acte d'huissier des 5 et 6 décembre 2006 les époux Y agissant es- qualité de représentants légaux de leur fille ont fait assigner la société Omega Pharma France et Mme X devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Grenoble.

Par ordonnance du 24 janvier 2007 le juge des référés a ordonné deux expertises, l'une afin de déterminer les causes et origines de la rupture de la bouillote, l'autre pour déterminer les conséquences médico-légales de l'accident.

M. M a déposé son rapport le 20 janvier 2008 et M. A médecin le 30 novembre 2007.

Les époux Y agissant es-qualité de représentants légaux de leur fille ont fait assigner la société Omega Pharma France et la société Ram et la société MACSF devant le Tribunal de grande instance de Grenoble selon acte d'huissier du 24 juin 2008 aux fins de voir déclarer la société Omega Pharma France responsable de l'accident du fait du caractère défectueux de la bouillote, et d'obtenir une provision de 30 000 euro.

Ils ont en outre demandé au tribunal de surseoir à statuer jusqu'aux 16 ans de la mineure date à laquelle celle-ci devrait être consolidée.

Par jugement du 12 novembre 2009 le tribunal de grande instance les a déboutés de leurs demandes.

Les époux Y ont interjeté appel par déclaration du 18 décembre 2009.

Par conclusions du 16 avril 2010 ils demandent à la cour de :

- Réformer le jugement dont appel,

Statuant à nouveau,

- Dire et juger que la société Omega Pharma France a engagé sa responsabilité du fait du caractère défectueux de la bouillote,

- Condamner la société Omega Pharma France à payer à Mlle Marie Amélie Y représentée par ses parents une provision de 30 000 euro,

- Surseoir à statuer jusqu'aux 16 ans de la mineure date à laquelle celle-ci devrait être consolidée,

- Condamner la société Omega Pharma France à payer à Mlle Y représentée par ses parents la somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile (CPC) outre les entiers dépens en ce compris les frais d'expertise et les dépens de la procédure de référé.

Ils soutiennent en substance que la société Omega Pharma France a importé et mis en vente la bouillote en France et a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1386-6 du Code civil.

La bouillote ne présentait pas la sécurité suffisante à laquelle les utilisateurs pouvaient légitimement s'attendre, conformément à l'article 1386-4 alinéa 2 du Code civil.

Elle était dès lors défectueuse au sens de l'article 1386-1 du Code civil, un produit étant défectueux au sens de ce texte lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

Il n'est pas contesté que la bouillote ne pouvait contenir de l'eau bouillante alors qu'une bouillote doit pouvoir contenir de l'eau bouillante et le producteur d'une bouillote doit s'attendre que les utilisateurs remplissent la bouillote avec de l'eau bouillante.

Mme Y a laissé de plus reposer l'eau quelques minutes.

La notice n'attirait pas suffisamment l'attention des utilisateurs en précisant seulement de remplir la bouillote avec de l'eau chaude non bouillante.

Aucun message d'alerte ne figurait sur la bouillote et aucune date de péremption n'était indiquée.

Le message figurant sur le goulot de la bouillote de façon peu lisible et rédigé en anglais "Do not put boiling water" n'attire pas suffisamment l'attention.

L'expert a conclu qu'une information plus précise sur les conditions d'utilisation de ces produits est nécessaire.

Il était légitime de s'attendre en outre que la bouillote incorporée dans un jouet présente une sécurité renforcée.

Marie-Amélie n'est pas consolidée, et a subi des souffrances importantes, elle a dû redoubler et n'a pu reprendre le ski, le vélo et la danse.

La société Omega Pharma France par conclusions signifiées le 28 juin 2010 demande à la cour de confirmer le jugement déféré, et de lui allouer une somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du CPC.

La bouillote ne présentait pas de défauts techniques comme constaté par l'expert.

La bouillote respecte la norme anglaise prescrite pour la fabrication de ce produit.

L'expert a estimé que l'origine de l'accident réside dans une utilisation trop intensive de la bouillote, avec de l'eau trop chaude, ce qui a provoqué la dégradation et la rupture du caoutchouc.

Les consignes d'utilisation n'ont pas été respectées, celles-ci précisant la nécessité d'utiliser de l'eau chaude non bouillante.

Le fait qu'une date de péremption soit indiquée n'aurait pas évité l'accident.

Même si l'objet avait l'apparence d'un jouet, les parents savaient qu'il s'agissait d'une bouillote.

L'information portée sur la notice était suffisante. Il ne peut reproché au fabriquant une étiquette écrite en langue anglaise alors que la notice est en français et la loi du 4 août 1994 prescrivant l'utilisation du français pour la désignation, l'offre, le mode d'emploi ou l'utilisation a été respectée.

L'accident trouve son origine dans le manque de respect de cette notice.

A titre subsidiaire, la provision ne pourrait dépasser la somme de 20 000 euro.

La société MASCF et la société Ram ont été régulièrement assignées par actes des 27 et 28 avril 2010, la déclaration d'appel et les conclusions leur ayant été signifiées par les mêmes actes.

L'instruction de l'affaire a été clôturée le 27 septembre 2011.

MOTIFS DE LA DECISION

L'article 1386-4 du Code civil dispose :

"Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre."

"Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation."

"Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation."

L'expert conclut que "compte tenu de l'utilisation intensive de la bouillote, je pense qu'une utilisation avec de l'eau trop chaude a entraîné la dégradation du caoutchouc et sa rupture lors de l'accident survenu à Mlle Y. Il est écrit sur le document joint avec la bouillote "Pour une utilisation optimale, remplir la bouillote au 2/3 avec de l'eau chaude non bouillante (7 mn au moins après ébullition)".

Mme Y lors de la première réunion a déclaré qu'elle faisait bouillir l'eau et attendait un peu avant de remplir la bouillote. Une utilisation intensive avec un liquide trop chaud est à mon avis l'origine de la rupture de cette bouillote. L'odeur de caoutchouc "cuit" que dégage cette bouillote laisse penser que cette hypothèse est la plus vraisemblable".

Il précise que "pour reprendre les arguments de Maître R, on peut regretter que le terme de bouillote laisse supposer que ce récipient doive recevoir de l'eau bouillante. Une information plus précise sur les conditions d'utilisation de ces produits est nécessaire.

Il ajoute enfin "la présentation dans une peluche de cette bouillote laisse à penser qu'il s'agit plus d'un jouet que d'un produit pouvant présenter des risques et malheureusement cet objet a provoqué des brûlures importantes à Mlle Y."

Au regard de ces conclusions motivées et pertinentes, il est établi que l'origine de l'accident réside dans une utilisation intensive de la bouillote avec de l'eau trop chaude, provoquant la rupture du caoutchouc de la bouillote.

Si la notice du produit indique que "pour une utilisation optimale, remplir la bouillote aux 2/3 avec de l'eau chaude non bouillante (7 mn au moins après ébullition", il n'est précisé dans cette notice aucune mise en garde ou aucun avertissement sur le danger à utiliser de l'eau trop chaude alors que le produit est une bouillote destinée à recevoir de l'eau au moins chaude.

La seule mention sur le goulot de la bouillote d'une interdiction rédigée en anglais n'est pas suffisante pour mettre en garde l'utilisateur sur le risque engendré par le remplissage de la bouillote avec de l'eau trop chaude.

L'expert aux termes d'une lettre du 20 janvier 2008 adressée au président du tribunal de grande instance, avec copie aux parties confirme au regard de la notice suscitée et de l'interdiction rédigée en anglais, la nécessité d'une meilleure information en exposant 'qu''il serait néanmoins important de faire apparaître plus nettement les dangers d'utilisation de l'eau bouillante sur le vieillissement des bouillotes en caoutchouc et les risques de brûlures graves en cas de rupture de la bouillote."

Si Mme Y a utilisé de l'eau trop chaude pour la bouillote, cette dernière ayant déclaré à l'expert qu'elle faisait bouillir l'eau et attendait entre deux à cinq minutes avant de remplir la bouillote, une telle utilisation alors qu'aucun avertissement n'était clairement indiqué, n'était pas en soit anormale ou aberrante, l'expression "utilisation optimale" n'étant pas explicite.

Il convient de relever en outre que la notice ne porte en gros caractères que les mentions "Bouillote Douceur Enfant en Caoutchouc Naturel avec Housse Peluche", "la bouillote Douceur Enfant S" à l'exclusion d'une quelconque mise en garde ou avertissement figurant avec de tels caractères.

De plus comme le précise l'expert à juste titre la présentation dans une peluche de cette bouillote "laisse à penser qu'il s'agit plus d'un jouet que d'un produit pouvant présenter des risques", ce qui justifiait d'autant plus des mises en garde très apparentes alertant le consommateur.

L'expert dans sa lettre suscitée du 20 janvier 2008 insiste sur ce dernier point en précisant que "l'utilisation d'une peluche entourant la bouillote peut laisser penser à un jouet inoffensif et induit une fausse sécurité."

Une information plus précise sur les conditions d'utilisation de ce type de produit était dès lors nécessaire comme le souligne encore l'expert.

Dans ces circonstances la société Omega Pharma France en commercialisant le produit devait prendre des précautions d'avertissement beaucoup plus importantes que celles qu'elle a prises.

La bouillote n'offrait donc pas la sécurité à laquelle les parents de la victime pouvaient s'attendre.

La responsabilité de la société Laboratoires Omega Pharma France est dès lors engagée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil.

Compte tenu des conséquences de l'accident pour la victime, à savoir que son état n'est pas encore consolidé alors que l'accident s'est produit il y a plus de cinq années, que le médecin expert indique des souffrances endurées de 4,5/7, un préjudice esthétique de 3/7, et que la victime se ressentait lors de l'expertise médicale toujours des conséquences de l'accident dans sa vie quotidienne, l'expert notant que "Marie Amélie ne peut encore à la date de ce jour mener la vie ordinaire d'une enfant de son âge compte tenu des contraintes imposées par les soins conséquents dont elle bénéficie encore", il convient d'allouer la provision demandée de 30 000 euro.

Enfin, la victime devra saisir le tribunal de grande instance lorsque son état sera définitivement consolidé afin d'obtenir la réparation de son préjudice corporel définitif, cette nouvelle saisine permettant aux parties de bénéficier d'un double degré de juridiction, ce qui ne serait pas le cas en cas de sursis à statuer sur ce point.

La partie perdante tenue aux dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais des expertises judiciaires devra indemniser la partie adverse des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré. Statuant à nouveau, Dit que la société Omega Pharma France a engagé sa responsabilité du fait du caractère défectueux de la bouillote, En conséquence, Condamne la société Omega Pharma France à payer aux époux Y ès-qualité de représentants légaux de leur fille Marie-Amélie la somme de 30 000 euro à titre de provision à valoir sur le préjudice corporel définitif et celle de 3 000 euro au titre de l'article 700 du CPC. Dit que les époux Y représentant leur fille Marie-Amélie devront saisir à nouveau le tribunal compétent à la date de consolidation afin qu'il soit statué sur la réparation du préjudice corporel définitif. Condamne la société Omega Pharma France aux dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais des expertises judiciaires aux dépens de première instance et autorise la SCP G à recouvrer ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçue de provisions.