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Décisions

CA Orléans, 22 juin 2009, n° 08-01339

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Poitou (Epoux)

Défendeur :

Croisille

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bureau

Conseillers :

Mmes Nollet, Hours

Avoués :

SCP Laval-Lueger, Me Garnier

Avocats :

Mes Sirjean, SCP Lavillat-Bourgon

TGI Montargis, du 12 déc. 2007

12 décembre 2007

Bernard Croisille a acheté, le 4 février 2005, aux époux Poitou, au prix de 10 980 euro, un véhicule Golf IV TDI Volkswagen, immatriculé 8105 XA 45, mis en circulation le 30 novembre 1999 et présentant au moment de la vente un kilométrage de 44.700 km environ.

Dès le lendemain de la vente, Bernard Croisille a constaté une perte de puissance du moteur.

Deux réunions d'expertise amiable ont été organisées, les 7 avril et 3 mai 2005, en présence des parties et des experts mandatés par leurs compagnies d'assurance respectives.

Au vu des conclusions de ces expertises, selon lesquelles le véhicule serait atteint d'un vice caché affectant le turbo, vice qui existait au moment de la vente, Bernard Croisille a saisi le Tribunal de grande instance de Montargis, pour voir prononcer la résolution de la vente et obtenir la restitution du prix.

Par jugement du 12 décembre 2007, rectifié le 23 avril 2008, le tribunal a :

- prononcé la résolution de la vente,

- condamné les époux Poitou à restituer à Bernard Croisille la somme de 10 980 euro,

- condamné ce dernier à restituer le véhicule,

- condamné les époux Poitou à lui payer, en outre, la somme de 580,65 euro au titre des frais d'assurance de l'année 2005,

- débouté Bernard Croisille de sa demande tendant au paiement des frais de garage, des frais d'immobilisation et des intérêts du prêt contracté pour l'acquisition du véhicule, ainsi que de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné les époux Poitou à payer à Bernard Croisille la somme de 800 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné les mêmes aux dépens.

Les époux Poitou ont interjeté appel de cette décision.

Par conclusions signifiées le 25 mars 2009, ils poursuivent l'infirmation du jugement et demandent à la cour de :

- débouter Bernard Croisille de toutes ses demandes,

- leur donner acte de ce qu'ils offrent de verser la somme de 700 euro pour la remise en état du turbo et dire cette offre satisfactoire,

subsidiairement,

- ordonner une expertise,

en tout état de cause,

- débouter Bernard Croisille de ses demandes présentées au titre des frais accessoires,

- le débouter de sa demande de dommages et intérêts,

- le condamner à leur payer la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens.

Les époux Poitou allèguent qu'il a été constaté, après un essai sur route, un problème de puissance du véhicule, mais en conduite soutenue seulement, et que, aux termes de leurs opérations, les experts sont tombés d'accord pour attribuer l'origine de la panne à l'encrassement du turbo à géométrie variable par des résidus de combustion (calamine), en retenant que le premier propriétaire avait une conduite des plus souples et que la panne s'était manifestée immédiatement après la vente, parce que le turbo n'avait pas été sollicité de la même façon.

Ils soulignent que leur expert a estimé que la dépose et le nettoyage du turbo, pour un coût de 611 euro, étaient suffisants pour remédier au dysfonctionnement.

Ils soutiennent que le véhicule n'est pas atteint d'un vice suffisamment grave pour le rendre impropre à sa destination, puisque seul le turbo est défectueux, ce qui selon les experts est une panne courante sur ce type de système, que ce dysfonctionnement n'empêche pas le véhicule de rouler, mais interdit seulement de pousser le moteur à son maximum, qu'il ne rend pas le véhicule dangereux, qu'eux-mêmes ignoraient tout du problème qu'ils n'avaient jamais rencontré, qu'ils ont spontanément offert de régler la somme de 700 euro pour la remise en état du turbo, que la résolution de la vente n'est pas possible dès lors que le véhicule a subi des dégradations depuis la vente et qu'il ne peut être restitué dans le même état, sauf à mettre à la charge de l'acquéreur les frais nécessaires à la remise en état, et que, compte-tenu de leur bonne foi, ils ne sauraient, en tout état de cause, être tenus à autre chose que la restitution du prix, étant observé que les frais dont le remboursement est demandé ne sont pas directement liés à la vente.

Par conclusions du 6 novembre 2008, Bernard Croisille sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et demande à la cour de condamner, en outre, les époux Poitou à lui rembourser les primes d'assurance de 2005 (580,65 euro), les frais de réparation exposés sur le véhicule (245,66 et 328,19 euro), les frais d'immobilisation (4 380 euro), les intérêts du prêt contracté pour l'acquisition (623,04 euro), ainsi que les frais de constat (201,97 euro) et d'expertise (381 euro).

Il sollicite encore 800 euro à titre de dommages et intérêts et 2.500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre la condamnation des appelants aux dépens.

Bernard Croisille soutient qu'il résulte de l'expertise que le véhicule était affecté, au moment de la vente, d'un vice caché qui le rendait impropre à son usage, que, selon l'expert, le véhicule était dangereux dans son utilisation, ce dont les vendeurs avaient parfaite connaissance, ainsi qu'il résulte d'une facture antérieure à la vente sur laquelle se trouvait mentionné le problème de puissance lié à une défaillance du turbo, qu'il est fondé à demander, outre la résolution de le vente et la restitution du prix, le remboursement de tous les frais qu'il a inutilement exposés à la suite de la vente, que la proposition des époux Poitou de payer la somme de 700 euro est tardive et insuffisante pour remédier au problème, qu'une nouvelle expertise n'apportera aucun élément supplémentaire et qu'elle n'est pas justifiée, dès lors que les conclusions des deux experts étaient concordantes.

Sur ce, la cour :

Sur la résolution de la vente :

Attendu que, lors de la première réunion d'expertise, monsieur Lebreton, expert mandaté par la compagnie d'assurance des époux Poitou, et monsieur Vinchon, expert de la compagnie d'assurance de Bernard Croisille, ont, en présence de monsieur Poitou, effectué un essai du véhicule sur route ;

Qu'ils ont constaté, de manière concordante, un problème de perte de puissance en conduite soutenue ;

Qu'ils précisent en effet que le moteur perd de sa puissance, qu'il faut s'arrêter, couper le contact et repartir, à condition toutefois de ne pas circuler à des régimes élevés, sinon cela recommence ;

Que monsieur Poitou, lui-même, invité par les experts à prendre le volant pour se rendre compte du problème, a constaté, effectivement, un manque de puissance, malgré une conduite très souple ;

Attendu que, après démontage du turbo, les experts sont également tombés d'accord sur la nature et l'origine de la panne, celle-ci résultant de l'encrassement du mécanisme à géométrie variable du turbo par les résidus de combustion (calamine) ;

Que l'expert Lebreton précise, ce que ne contredit pas monsieur Vinchon, que ce type de problème est monnaie courante sur des véhicules équipés de turbo à géométrie variable, que la panne est directement liée à la conception de la pièce, que, compte-tenu du changement de propriétaire et du fait que le premier propriétaire avait une conduite des plus douces, la panne s'est manifestée quasi-immédiatement, car le turbo n'a pas été sollicité dans les mêmes plages d'utilisation, que l'encrassement du mécanisme à géométrie variable est inévitable et qu'aucun entretien ou style de conduite ne peut l'empêcher ;

Attendu que, alors même qu'il souligne que le constructeur préconise le remplacement du turbo, monsieur Lebreton conclut que la dépose et le nettoyage du turbo sont nécessaires et suffisants pour remédier à la panne, ce pour un coût de 611,19 euro ;

Que monsieur Vinchon, en revanche, qui s'en remet à l'avis du constructeur quant à la solution technique, estime que l'anomalie rend le véhicule impropre à son usage, précisant au surplus que le véhicule est dangereux dans son utilisation ;

Qu'il indique que l'anomalie était présente à la vente et même avant la vente, l'accumulation de calamine nécessitant un temps certain pour se produire ;

Que monsieur Vinchon estime, enfin, sans être contredit par monsieur Lebreton, que l'anomalie n'était pas décelable par un acheteur profane, et ce malgré un essai du véhicule avant l'achat, dans la mesure où il faut un régime haut du moteur pour déclencher la perte de puissance et qu'une telle conduite est rarement utilisée lors d'un premier essai de véhicule ;

Attendu que la perte de puissance du moteur, dans les conditions qui ont été ci-avant décrites, à supposer même qu'elle ne se produise qu'en conduite soutenue, rend le véhicule impropre à l'usage auquel il était destiné ou, à tout le moins, diminue tellement cet usage que l'acquéreur ne l'aurait pas acquis ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il en avait eu connaissance ;

Que la nécessité, en effet, de devoir, en pleine conduite, s'arrêter, couper le contact et repartir, en s'interdisant de conduire à un régime élevé, est incompatible avec l'usage attendu de tout véhicule, même d'occasion, et spécialement d'un véhicule Volkswagen Golf IV TDI, dont l'une des caractéristiques est précisément d'offrir une possibilité de conduite en régime soutenu ;

Que, par ailleurs, il ne peut être prétendu qu'un simple nettoyage du turbo serait suffisant pour remédier au dysfonctionnement, alors qu'il a été constaté, de manière concordante, par les experts que le problème résidait dans la conception même de la pièce et que le constructeur lui-même préconise le remplacement de cette pièce ;

Que le coût d'une telle intervention (1 261 euro), qui représente plus de 10 % du prix d'acquisition du véhicule, ne peut être considéré comme une dépense à laquelle tout acheteur d'un véhicule d'occasion doit s'attendre ;

Que le caractère caché du vice n'est pas contestable, l'expert Vinchon ayant expressément indiqué, sans être contredit par son confrère, que le vice n'était pas décelable pour un acheteur profane, et ce malgré un essai préalable à la vente, celui-ci n'étant généralement pas fait en conduite soutenue, l'acquéreur ayant besoin d'un minimum de temps pour s'acclimater aux caractéristiques d'un nouveau véhicule ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que le véhicule acquis par Bernard Croisille était bien affecté, au moment de la vente, d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil ;

Attendu que l'acquéreur dispose, en pareil cas, en vertu de l'article 1644 du Code civil, d'une liberté de choix entre l'action rédhibitoire et l'action estimatoire ;

Que Bernard Croisille n'est donc aucunement tenu d'accepter l'offre aujourd'hui faite par les époux Poitou de lui verser une somme de 700 euro, laquelle, de surcroît, ne serait pas en mesure de remédier au problème ;

Qu'il est parfaitement fondé à solliciter, comme il le fait, la résolution de la vente et la restitution du prix ;

Que les époux Poitou ne démontrent aucunement que le véhicule ne serait pas en état d'être restitué, le procès-verbal de constat dressé par maître Warin, huissier de justice à Sancerre, ne faisant nullement état de dégradations sur le véhicule, mais seulement d'une légère éraflure sur l'aile avant droite, de petites éraflures sur le pare-chocs avant droit et d'une antenne cassée, dégâts minimes qui ne présentent aucun caractère anormal pour un véhicule d'occasion et dont il n'est pas établi qu'elles n'existaient pas au moment de la vente, même si le véhicule était globalement considéré comme en bon état ;

Qu'il doit, en outre, être observé que la longue immobilisation, dont le véhicule a été l'objet, est la conséquence du refus des époux Poitou de toute solution amiable, acceptable par l'intimé, de sorte qu'il leur appartient de supporter les outrages que le temps a pu causer au véhicule ;

Attendu que l'organisation d'une nouvelle expertise ne présenterait strictement aucun intérêt, les experts intervenus étant d'accord sur les éléments essentiels du débat, notamment sur l'origine de la panne, et les constatations et explications fournies étant suffisantes pour apprécier l'étendue et les conséquences du dysfonctionnement ;

Attendu qu'il y lieu, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente et ordonné la restitution concomitante du prix de vente et du véhicule ;

Sur les dommages et intérêts :

Attendu que le vendeur de bonne foi n'est tenu qu'à la restitution du prix et aux frais occasionnés par la vente ;

Attendu qu'en l'espèce, la preuve n'est pas rapportée de ce que les époux Poitou auraient eu connaissance de l'existence du vice lors de la vente ;

Que les experts n'ont, en effet, relevé de leur part aucun défaut de conduite, ni défaut d'entretien du véhicule ;

Qu'ils ont, au contraire, souligné que les vendeurs avaient eu une conduite très souple et que le dysfonctionnement était apparu consécutivement au changement de mode de conduite adopté par le nouveau propriétaire ;

Que, si au cours de l'essai effectué pendant les opérations d'expertise, il est apparu que, malgré une conduite très souple, la perte de puissance du moteur avait été ressentie par monsieur Poitou, il convient d'observer que cet essai est précisément intervenu après le changement de conduite ayant suscité l'apparition du dysfonctionnement, de sorte qu'il ne peut en être déduit que l'intéressé avait nécessairement ressenti ce désordre auparavant ;

Que, contrairement à ce que prétend Bernard Croisille, la facture Petit du 19/02/04 ne fait pas mention d'un problème de puissance du moteur, mais seulement, entre autres réparations, du remplacement d'une vanne gestion du turbo, ce qui n'établit pas qu'il se soit agi du même problème et ce qui, à supposer même que ce fût le cas, doit conduire à considérer que la réparation ainsi effectuée a pu mettre un terme, au moins momentanément, au dysfonctionnement, de sorte que les époux Poitou ont pu, de bonne foi, penser que le problème avait trouvé une solution ;

Que le contrôle technique réalisé avant la vente n'a lui-même révélé aucun désordre en relation avec le dysfonctionnement invoqué ;

Attendu, en conséquence, que les époux Poitou ne peuvent, outre la restitution du prix de vente, être condamnés qu'au remboursement des dépenses directement liées à la conclusion du contrat ;

Que ne répondent pas à cette définition les frais d'immobilisation du véhicule (4.380 euro), les intérêts du prêt contracté pour l'acquisition de celui-ci (623,04 euro), au demeurant, non par l'acquéreur lui-même, mais par son fils à qui le véhicule était destiné, et les factures de réparation (245,66 et 328,19 euro) ;

Que, en revanche, l'assurance du véhicule étant obligatoire dès son acquisition, il doit être admis que les primes d'assurance acquittées pour l'année 2005 sont directement liées à la vente;

Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné les époux Poitou au paiement, de ce chef, d'une somme de 580,65 euro correspondant au montant des primes ainsi acquittées en pure perte ;

Attendu que, la mauvaise foi des appelants n'étant pas établie, ni à l'occasion de la vente, ni au cours de la procédure, la résistance qu'ils ont, à tort certes, opposée aux demandes de Bernard Croisille ne peut pour autant être qualifiée d'abusive ;

Qu'ils ont à bon droit été déboutés de leur demande de dommages et intérêts ;

Attendu que les époux Poitou, qui succombent en leur appel, seront condamnés aux dépens, en ce compris les frais d'expertise (381 euro) que rien ne justifie de laisser à charge de l'intimé et le coût du constat d'huissier (201,97 euro), qui a été rendu nécessaire par les allégations des appelants quant à l'état prétendu du véhicule et l'impossibilité alléguée de sa reprise dans ces conditions ;

Que les époux Poitou seront, en outre, condamnés, in solidum, au paiement à Bernard Croisille d'une indemnité de procédure de 2 000 euro ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, tel que rectifié par jugement du 23 avril 2008, Y Ajoutant, Condamne les époux Poitou, in solidum, à payer à Bernard Croisille la somme de deux mille euro (2 000 euro), sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes, Condamne les époux Poitou, in solidum, aux dépens, en ce compris les frais d'expertise et de constat, et accorde à maître Garnier, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.