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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 15 janvier 2009, n° 05-01220

BOURGES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Menuiseries Qualité Service (SARL)

Défendeur :

Kazi Tani (SA), SCM Group France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Ladant, M. Beuchon

Avoués :

Mes Le Roy des Barres, Rahon, Guillaumin

Avocats :

Mes Sarlat, Thibert, Pousset-Bougere, Bourbonneux

T.com Nevers, du 25 mai 2005

25 mai 2005

Vu le jugement rendu le 25 mai 2005 par le Tribunal de commerce de Nevers ;

Vu l'appel interjeté contre cette décision par la SARL Menuiseries Qualité Service - MQS ;

Vu les dernières conclusions déposées devant la cour, le 5 juin 2008 par la société MQS, le 11 août 2008 par la SA Kazi Tani et le 9 septembre 2008 par la société SCM Group France ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 15 octobre 2008 ;

Dans le litige opposant la SARL Menuiseries Qualité Service - MQS à la société Kazi Tani, le premier juge a :

- débouté la SARL MQS de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté la SA Kazi Tani de ses demandes de condamnation en dommages et intérêts ainsi qu'au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dit que la SARL MQS et la SA Kazi Tani se partageront par moitié les dépens de l'instance ;

La société MQS a interjeté appel de cette décision par déclaration du 11 juillet 2005 ;

Par ordonnance du 2 novembre 2005, le conseiller de la mise en état décidait d'une expertise, avec mission pour l'expert de rechercher les causes des désordres de la scie à panneaux SCM type Alpha et donner son avis sur les travaux pour y remédier et leur coût ; après changement d'expert, M. Bernard Dussurgey était désigné pour l'accomplissement de cette expertise ;

La société Kazi Tani, par acte du 14 juin 2006, a assigné la société SCM Group France en intervention dans la procédure d'appel ;

Par ordonnance du 18 octobre 2006, le conseiller de la mise en état ordonnait l'extension des opérations d'expertise à la société SCM Group France ;

L'expert a déposé son rapport le 7 mai 2008 ;

La société MQS rappelle que livrée le 8 janvier 2004, dès la semaine suivante il fut nécessaire de solliciter la société Kazi Tani pour la révision de la machine ; en dépit de plusieurs interventions de la société Kazi Tani dans le courant du mois de janvier 2004, la machine refusait de fonctionner correctement ; face à cette situation, la société MQS décidait de faire appel à la société SCM Group France - fabricant de ce type de machine - ; le technicien de cette société décelait que le dysfonctionnement provenait de ce que la mémoire du programmateur était altérée, la société SCM Group France remettait un devis de remplacement du programmateur d'un montant de 10 478,16 euro ; la société MQS faisait dresser le 6 février 2004 un procès-verbal de constat de dysfonctionnement par ministère d'huissier de justice ;

Afin qu'aucun doute ne subsiste sur les causes de ce désordre, la société MQS faisait intervenir un électricien et la société Socotec, lesquels ne relevèrent aucune non-conformité ni aucune défaillance au niveau du réseau électrique ;

Dès ce stade, il était avéré qu'un vice existait au moment de la vente, vice qui affectait un élément essentiel de la machine et qui ne pouvait être raisonnablement décelé par la société MQS, non spécialisée en ce domaine ;

La société MQS fait observer qu'en dépit des atermoiements de la société Kazi Tani dans le cours de l'expertise conduite par M. Dussurgey, ce dernier a abouti à des conclusions particulièrement claires mettant en pleine lumière la responsabilité de la société Kazi Tani, écartant tout phénomène électromagnétique et tout problème d'alimentation du réseau électrique ; la société MQS souligne que l'expert judiciaire n'a pas manqué de pointer les négligences professionnelles de la société Kazi Tani et a fait ressortir que la société MQS, à la différence de la société Kazi Tani, n'avait aucune compétence dans le secteur des machines-outils ;

Se fondant sur les dispositions 1641 et suivants, 1644 et 1645 du Code Civil, la société MQS demande à la cour de :

- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Nevers du 25 mai 2005 et prononcer l'annulation de la vente conclue le 3 décembre 2003,

- condamner la société Kazi Tani à lui restituer la somme de 25 116 euro correspondant au prix de vente,

- dire que la société Kazi Tani devra reprendre la machine à ses frais dans le mois de la date de l'arrêt,

- condamner la société Kazi Tani à lui rembourser le coût de l'intervention de la société SCM Group France, soit la somme de 1 339,52 euro,

- condamner la société Kazi Tani à lui verser la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société Kazi Tani à lui verser la somme de 7 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

La SA Kazi Tani sollicite la confirmation du jugement rendu le 25 mai 2005 en ce qu'il a débouté la SARL Menuiseries Qualité Service - MQS - de l'ensemble de ses demandes ;

La SA Kazi Tani expose que la société MQS lui a passé commande d'une machine SCM Alpha d'occasion suivant bon de commande du 3 décembre 2003 sur lequel il était expressément stipulé "toutes machines d'occasion sont réputées vendues sans garantie" ; néanmoins, la mise en œuvre de la machine ayant posé quelques soucis à la société MQS, par pur esprit commercial, la société Kazi Tani a accepté d'effectuer plusieurs essais, contrôles et réinitialisations dans le courant du mois de janvier 2004, jusqu'à ce que le gérant de la société MQS mette à la porte de son entreprise sans ménagement les techniciens de la société Kazi Tani, cela fin janvier 2004 ;

La société Kazi Tani rappelle qu'elle a parfaitement rempli son obligation de livraison ; s'il est vrai que quelques problèmes sont apparus dans le courant du mois de janvier 2004, il ne faut pas perdre de vue que la transaction s'est faite entre professionnels, MQS étant largement qualifiée pour choisir et utiliser tous appareils et machines-outils en rapport avec son activité de menuiserie ; dans ces conditions, la clause d'exclusion de garantie lui est donc opposable ;

Sur les dysfonctionnements dénoncés par la société MQS, la société Kazi Tani fait observer que son technicien parvenait toujours à d'excellents résultats, alors que dès que l'appareil était entre les mains de la société MQS, la dégradation apparaissait immédiatement, ce qui est pour le moins curieux ; étant observé que l'appareil a fonctionné le jour de sa livraison, ce qui exclut l'existence d'un vice au moment de la vente ;

La société Kazi Tani critique le rapport de M. Dussurgey, lequel affirme péremptoirement que le programmateur serait affecté d'un vice, alors qu'il a omis d'interroger COFIEM qui avait révisé le programmateur courant janvier 2004 et qui l'avait renvoyé avec la mention "tests OK - réparé - bon pour le service" ; selon la société Kazi Tani, M. Dussurgey parle d'un vice du programmateur sans que ce soi-disant vice ait été déterminé ;

Si à titre principal, la société Kazi Tani demande la confirmation de la décision entreprise, à titre subsidiaire elle sollicite la condamnation de la société SCM Group France à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre elle ; la société Kazi Tani réclame en outre 5 000 euro à l'encontre de la société MQS sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

La société SCM Group France, attraite dans la procédure en intervention forcée par la société Kazi Tani, fait savoir que cette société lui avait passé commande en mai 2003 d'une scie à panneaux Alpha, commande qui a été confirmée pour 11 039,08 euro TTC ; c'est cette machine qui a été revendue quelques mois plus tard par la société Kazi Tani à la société MQS ;

Selon la société SCM Group France, son intervention forcée en cause d'appel est irrecevable car se heurtant aux dispositions des articles 554 et 555 du Code de procédure civile ; en effet, tous les éléments dont se prévaut la société Kazi Tani étaient connus en première instance, il n'y a donc pas eu évolution du litige au sens de l'article 555 du Code de procédure civile ; la société SCM Group France rappelle que dès juin 2004 (date de l'assignation devant le Tribunal de Commerce) la société Kazi Tani avait connaissance des données factuelles et juridiques du litige, elle était donc en mesure de formuler dès ce stade d'éventuelles demandes de garantie ;

Pour s'opposer de plus fort à sa mise en cause par la société Kazi Tani, la société SCM Group France fait observer qu'aux termes de l'article 1648 du Code Civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ; or la société Kazi Tani qui connaissait nécessairement l'argumentation concernant un vice affectant la machine depuis l'assignation du 7 juin 2004, ne l'a appelée en garantie que par acte du 14 juin 2006 ;

Sur le fond, la société SCM Group France énonce qu'entre professionnels de même spécialité il peut être dérogé à la garantie des vices cachés au moyen d'une clause contractuelle, or dans le cas d'espèce, tant le bon de commande que la facture mentionnaient expressément qu'il s'agissait d'une machine d'occasion vendue en l'état ; il est par ailleurs certain que la société Kazi Tani est comme la société SCM Group France, un professionnel de la machine-outil, notamment de machines à bois ;

Au plan factuel, la société SCM Group France s'élève contre les appréciations de l'expert qui soutient qu'elle ne pouvait ignorer les vices de la chose vendue ; selon la société SCM Group France, la machine était en parfait état de marche, elle en veut pour preuve l'attestation versée par le précédent propriétaire de la machine ; jamais, elle n'avait été appelée à intervenir précédemment sur cette machine pour un quelconque dysfonctionnement ;

La société SCM Group France demande donc à la Cour, outre le prononcé de l'irrecevabilité de l'intervention forcée et de la prescription de l'action pour vices cachés, de :

- dire que le contrat de vente conclu entre la société Kazi Tani et la société SCM Group France contient une clause valable entre professionnels de même spécialité excluant la responsabilité pour vices cachés du vendeur envers son acquéreur,

- en conséquence, rejeter l'ensemble des demandes formulées par la société Kazi Tani contre la société SCM Group France,

- condamner la société Kazi Tani à lui payer la somme de 3 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

SUR QUOI, LA COUR

L'expertise ordonnée par le conseiller de la mise en état et effectuée par M. Dussurgey - expert bois - a permis d'apprendre que la machine litigieuse, assemblée par le fabricant de machines à bois SCM Group, a été vendue neuve dans la première moitié des années 90 aux établissements Harreau lesquels l'ont utilisée pendant une dizaine d'années avant de la rétrocéder en mai 2003 à SCM Group France pour acquérir une machine neuve ; SCM Group France la négociait à son revendeur la société Kazi Tani le 22 mai 2003 au prix de 11 039,08 euro TTC ; le 3 décembre 2003, la société MQS se portait acquéreur auprès de la société Kazi Tani de la machine moyennant le prix de 25 116 euro TTC, la société Kazi Tani s'engageant à "livrer le matériel franco, déchargé et installé dans les ateliers, raccordements compris" ; Le 8 janvier 2004 la machine était livrée chez la société MQS ;

A partir de cet instant, l'examen du rapport d'expertise avec les pièces qui y sont annexées, met en exergue une suite ininterrompue de déboires et de dysfonctionnements pour aboutir à un constat d'état hors service de l'appareil, cela sur un délai très court (entre janvier et avril 2004), les problèmes étant apparus dans les tout premiers jours ayant suivi la livraison de la machine ;

L'expertise technique a permis de faire comprendre que l'engin en cause était constitué de deux ensembles : une partie mécanique et électrique avec ses accessoires (la scie proprement dite, le compresseur et le système d'aspiration) et une partie électronique contenant un logiciel (unité de contrôle X 915) ; au terme d'investigations complètes, l'expert a déterminé que les dysfonctionnements - lesquels étaient réels et n'impliquaient aucunement l'environnement technique ou électrique de la société MQS - puisaient leur cause exclusivement dans l'unité de contrôle X 915 ;

C'est de manière formelle que l'expert a fait connaître que la chose vendue à la société MQS par la société Kazi Tani était affectée de désordres affectant son organe électronique dès sa livraison, puisque selon l'expert, la société SCM Group France - elle-même - ne pouvait ignorer les défauts de la machine qu'elle reprenait aux établissements Harreau ; se fondant sur les pièces collectées et sur ses propres constatations, l'expert faisait savoir que le mauvais état de l'unité de contrôle X 915 était le résultat d'une usure (laquelle n'était pas surprenante après dix ans de fonctionnement), et que son état était tel qu'il n'existait pas d'autre alternative que de procéder à son remplacement ; c'est d'ailleurs le pronostic qu'avait fait la société SCM Group France dès le mois d'avril 2004, proposant à la société MQS une nouvelle unité de contrôle au prix de 11 817,68 euro ;

Selon l'expert, la société Kazi Tani aurait dû procéder à une révision complète de la machine avant de la vendre et l'installer chez la société MQS ; l'expert ne manque pas de faire observer que la société Kazi Tani est un professionnel de la machine-outil alors que la société MQS est menuisier ; de plus revendeur de la société SCM Group France, la société Kazi Tani connaissait parfaitement les spécificités des machines en question ;

L'expert dénonce également, mais dans une moindre mesure, les manquements de la société SCM Group France, laquelle ne pouvait pas, selon lui, ignorer les défauts de la machine en cause ;

De l'ensemble de ces éléments, il apparaît que l'appareil était affecté, au moment de sa vente, de vices cachés le rendant impropre à l'usage auquel il était destiné ; la société Kazi Tani se trouve ainsi tenue à garantie au sens des articles 1641 et 1644 du Code Civil, sans possibilité de se retrancher derrière une exclusion contractuelle de garantie, s'agissant d'un vendeur professionnel de matériel spécifique (organe informatique et électronique) face à un utilisateur profane dans le domaine de l'intelligence artificielle ;

Il y a donc lieu, réformant la décision entreprise, d'accueillir le recours de la société MQS envers la société Kazi Tani et de prononcer la résolution de la vente conclue entre la société Kazi Tani et la société MQS, le 3 décembre 2003 ; la société Kazi Tani sera tenue alors au remboursement du prix de vente ;

Il convient aussi, sur le fondement des dispositions de l'article 1645 du Code Civil, de condamner la société Kazi Tani, vendeur professionnel, à verser à la société MQS des dommages et intérêts du fait que celle-ci a nécessairement subi un préjudice commercial et économique résultant de l'inactivité de la machine dès sa livraison ; ce préjudice sera fixé, en raison de la durée de l'immobilisation, à la somme de 20 000 euro ;

La société Kazi Tani devra rembourser à la société MQS, le coût de l'intervention de la société SCM Group France, d'un montant de 1 339,52 euro (pièce n° 12 la société MQS) du 6 avril 2004 dont il est justifié (intervention qui a buté sur le non fonctionnement de l'unité de contrôle) ;

Il y a lieu de condamner la société Kazi Tani à payer la somme de 5 000 euro à la société MQS sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

C'est vainement que la société Kazi Tani sollicite la condamnation de la société SCM Group France à la garantir de toutes condamnations à son encontre au profit de la société MQS ; en effet, la société Kazi Tani n'a attrait la société SCM Group France qu'en cause d'appel alors que les données du litige étaient à ce stade de la procédure les mêmes que celles qui prévalaient en première instance ; les conditions posées par l'article 555 du Code de procédure civile ne sont donc pas réunies qui imposent qu'une évolution du litige implique la mise en cause ; il est en effet certain que la société Kazi Tani - revendeur de la société SCM Group France - connaissait dès l'acquisition de la machine en 2003, les contours de la sphère d'expertises et de compétences de la société SCM Group France au regard de la chose ; la société Kazi Tani sera donc déclarée irrecevable dans son action en intervention forcée de la société SCM Group France ;

Il y a lieu de condamner la société Kazi Tani à payer à la société SCM Group France, la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Déclare l'appel recevable et justifié ; Infirme la décision déférée en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau ; Dit que la scie à panneaux SCM Type Alfa était affectée de vices cachés la rendant impropre à sa destination ; Dit que la société Kazi Tani, vendeur professionnel, était réputée avoir connaissance des vices de la chose ; Prononce la résolution de la vente conclue entre les parties le 3 décembre 2003 ; Condamne la société Kazi Tani à restituer à la société MQS, la somme de 25 116 euro, correspondant au prix de la vente ; Dit que la société Kazi Tani devra reprendre la machine à ses frais dans le mois de la présente décision ; Condamne la société Kazi Tani à rembourser à la société MQS, le coût de l'intervention de la société SCM Group France, soit la somme de 1 339,52 euro ; Condamne la société Kazi Tani à verser à la société MQS, à titre de dommages et intérêts, la somme de 20 000 euro ; Condamne la société Kazi Tani à verser à la société MQS, la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déclare la société Kazi Tani irrecevable en son action en intervention forcée dirigée contre la société SCM Group France ; Condamne la société Kazi Tani à verser à la société SCM Group France, la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Kazi Tani aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels comprendront les frais d'expertise. Alloue à Me Le Roy des Barres, et à Me Guillaumin, avoués, le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.