CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 3 juillet 2012, n° 12-09397
PARIS
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Minoteries Cantin (SAS), Axiane Meunerie (SAS), Nutrixo (SAS), Euromill Nord (SA), Grands Moulins de Paris (SA), Moulins Soufflet (SA), France Farines (SA), Friessinger Mülhe GmbH, Flechtorfer Mülhe Walter Thonebe GmbH et Co KG
Défendeur :
Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie et des Finances
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Apelle
Avocats :
Mes Valentie, Malka, de Juvigny, Reymond, Philippe, Teytaud, Sersiron, Ancelin, Ingold, Eisele
Le 23 avril 2008, le Conseil de la concurrence, devenu depuis l'Autorité de la concurrence, s'est saisi d'office de pratiques concernant le secteur des farines alimentaires, suite à une demande de mise en œuvre de la procédure de clémence de la part d'un meunier allemand.
Le 17 juin 2008, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris a autorisé des opérations de visite et de saisie domiciliaire dans les locaux des sociétés France Farine, Farine Grand Public, Groupe Meunier Celbert, Grands Moulins de Paris, Grands Moulins de Strasbourg, Moulins Soufflet SA, Euromill et Minoteries Cantin.
Des perquisitions étaient également réalisées en Allemagne par l'intermédiaire de l'Autorité allemande de concurrence le Bundeskartellamt.
Le 15 février 2010, l'Autorité de la concurrence notifiait à la société Minoteries Cantin des griefs d'avoir participé une entente entre sept meuniers français visant à fixer un prix unique pour la vente de farine en sachets à la grande et moyenne distribution ainsi qu'aux enseignes du hard discount, à aligner leurs politiques commerciales et à se répartir à la fois les clients ainsi que les volumes des livraisons.
Après exposé par la société Minoteries Cantin de ses moyens, l'Autorité de la concurrence décidait, le 13 mars 2012, les dispositions suivantes :
" Article 2 : Il est établi que la société Minoteries Cantin ... a enfreint les dispositions de l'article 101 du TFUE et de l'article L. 420-1 du Code du commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à fixer le prix de la farine en sachets vendue à la grande et moyenne distribution en France, à répartir les clients et à limiter la production de ce produit.
...
Article 3 : Il est établi que la société Minoteries Cantin (...) a enfreint les dispositions de l'article 101 du TFUE et de l'article L. 420-1 du Code du commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à fixer le prix de la farine en sachets vendue aux enseignes du hard discount en France, à répartir les clients et à limiter la production de ce produit.
...
Article 10 : sont infligées au titre des pratiques visées aux articles 2 et 3 les sanctions pécuniaires suivantes : 23 622 000 euro à la société Minoteries Cantin".
La société Minoteries Cantin a formé un recours à titre principal en annulation et à titre subsidiaire en réformation à l'encontre de cette décision et a saisi la DGCCRF et les Directeurs des Finances Publiques territorialement compétents de demandes gracieuses visant à obtenir un report d'exigibilité des sanctions jusqu'à la date à laquelle l'arrêt de la Cour d'appel de Paris lui sera notifié.
Le 15 mai 2012, la Direction Générale des Finances Publiques a émis un titre de perception à hauteur du montant fixé par l'Autorité de la concurrence, payable avant le 15 juillet 2012.
La société Minoteries Cantin a, dès réception de ce titre, assigné en référé l'Autorité de la concurrence aux fins de voir suspendre l'exécution provisoire attachée à sa décision.
Sa demande de suspension de l'exécution provisoire sur la sanction financière prononcée à son encontre jusqu'à ce que l'affaire soit jugée au fond est l'objet du présent litige.
La société Minoteries Cantin fonde sa demande de sursis à exécution sur le fait que le paiement immédiat de la sanction pécuniaire entraînerait pour elle des conséquences manifestement excessives au sens de l'article L. 464-8 du Code du commerce.
Par écrits en date du 8 juin 2012, les sociétés Euromill Nord, Grands Moulins de Paris et Nutrixo ont demandé qu'il leur soit donné acte de ce qu'elles ne s'opposent pas aux demandes de la société Minoteries Cantin et se réservent le droit de solliciter ultérieurement de la cour un sursis à exécution des sanctions pécuniaires prononcées à leur encontre.
Elles ont précisé à l'audience ainsi que la société France Farines avoir déposé auprès de l'administration fiscale une demande de paiement différé à laquelle elles n'ont pas encore de réponse, le titre de perception afférent à l'amende qui a été prononcée à l'encontre de chacune d'entre elles n'ayant pas encore été émis.
Par conclusions signifiées le 11 juin 2012, les sociétés Friessinger Mülhe GmbH et Flechtorfer Mühle Walter Thönebe GmbH ont demandé qu'il leur soit donné acte de ce qu'elles ne s'opposent pas aux demandes de la société Minoteries Cantin, position qu'elles ont confirmé à l'audience.
La société Moulins Soufflet a indiqué n'avoir pas d'observations à formuler.
La société Axiane Meunerie s'en est rapportée à ses écritures.
L'Autorité de la concurrence s'est opposée à la demande de sursis à exécution provisoire formée par la société Minoteries Cantin.
M. le ministre de l'Economie et des Finances a sollicité la suspension de l'exécution provisoire attachée à la décision de l'Autorité de la concurrence.
M. l'Avocat général a requis la suspension de l'exécution provisoire attachée à la décision de l'Autorité de la concurrence à hauteur de la moitié de la sanction prononcée.
La société Minoteries Cantin a confirmé, à l'audience, sa demande de suspension d'exécution provisoire.
SUR CE
Considérant qu'il résulte de l'article 464-8 du Code de commerce que le recours n'est pas suspensif mais que le premier président de la Cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ;
1) Sur la demande de l'Autorité de la concurrence tendant à voir rejeter la demande de la société Minoteries Cantin du fait que cette dernière ne lui a pas présenté de demande tendant à la prise en compte de ses difficultés contributives
Considérant qu'aux termes de l'article 464-2 du Code du commerce, "les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction" ;
Considérant que si effectivement une entreprise peut faire valoir à l'Autorité de la concurrence, avant que cette dernière ne prenne une décision, tous éléments utiles en vue de la prise en compte de difficultés financières, son silence à ce stade de la procédure ne peut valoir renonciation à un droit qu'elle n'a pas encore acquis puisque le droit pour l'entreprise de solliciter une suspension de la décision prononcée à son encontre ne peut naître qu'à compter de la date à laquelle cette décision lui est notifiée ;
Que la renonciation à un droit ne résulte que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer, actes inexistants en la présente espèce ;
Que dès lors la demande de la société Minoteries Cantin est parfaitement recevable en la forme ;
2) Sur le sursis à exécution sollicité
Considérant que la société Minoteries Cantin fait valoir que la décision de l'Autorité de la concurrence la condamnant à une amende de 23 622 000 euro entraînerait des conséquences manifestement excessives compte tenu de sa situation financière et de trésorerie ; qu'elle précise que la persistance de l'exigibilité de cette condamnation aurait pour conséquence nécessairement la constatation de son état de cessation des paiements ;
Considérant que s'il est constant d'une part que la société Minoteries Cantin fait partie d'un groupe, d'autre part que les comptes de la société mère sont eux-mêmes intégrés dans les comptes consolidés établis par l'Union des Coopératives Agricoles Axereal dans le cadre de la convention de combinaison liant cette société avec les coopératives agricoles Agralys, Epis Centre et Episem, force est de constater qu'à ce stade de la procédure, les conséquences manifestement excessives de l'exécution de la décision doivent être appréciées au vu de la seule situation financière de la société frappée de l'amende ; que le chiffre d'affaires du groupe n'est en effet évoqué aux termes de l'article L. 464-2 du Code du commerce que pour déterminer le maximum légal de la sanction ;
Considérant qu'au vu des documents produits au débat, la sanction pécuniaire telle que prononcée par l'Autorité de la concurrence représente deux fois le chiffre d'affaires de la société Minoteries Cantin réalisé soit la somme de 11 428 045 euro au 30 juin 2011, date du dernier exercice clos et près de deux fois ses fonds propres soit 10 325 389 euro ; que son expert-comptable certifie d'ailleurs en pièce n° 8 que "la société, en cas de rejet des demandes de sursis à paiement, ne serait pas en mesure à ce jour de faire face au paiement de la dite sanction";
Considérant que l'exécution provisoire du paiement de la totalité de l'amende telle que fixée pourrait ainsi avoir, au vu de son importance, des conséquences manifestement excessives jusqu'à ce qu'il soit statué au fond, la société Minoteries Cantin ne disposant pas de trésoreries suffisantes pour faire face à une telle amende, ayant depuis le 1er avril 2010, pour une durée de six ans renouvelable, décidé de donner à bail à titre de location-gérance, au profit de la société Axiane Meunerie, dans le cadre du projet de réorganisation et de restructuration du pôle meunerie du groupe Ariane Meunerie, une partie de son fonds de commerce relatif à la commercialisation et à la distribution de farines, farines composées et sous-produits à l'exception de la commercialisation et de la distribution des farines en sachets auprès des sociétés France Farine et Bach Mühle ;
Que, par contre, au vu du résultat net positif de 209 570 euro au 30 juin 2011 cette suspension ne peut pas être totale comme le sollicite la société Minoteries Cantin mais doit être limitée aux cinq sixièmes du montant de l'amende retenu par l'Autorité de la concurrence, aucun risque de cessation de paiement n'étant justifié à hauteur de cette somme ;
3) Sur les dépens
Considérant que les dépens de la présente instance suivront le sort de l'instance au fond.
Par ces motifs, Ordonnons le sursis de l'exécution provisoire de la sanction financière prononcée par l'Autorité de la concurrence le 13 mars 2012 à l'encontre de la société Minoteries Cantin SAS et ce à hauteur des cinq sixièmes du montant de l'amende telle que fixée par l'Autorité de la concurrence et ce jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur les recours en annulation ou en réformation formés par la société Minoteries Cantin à l'encontre de la décision du 13 mai 2012. Disons que les dépens de la présente instance suivront le sort de l'instance au fond.