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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 3 juillet 2012, n° 12-09395

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Axiane Meunerie (SAS), Minoteries Cantin (SAS), Nutrixo (SAS), Euromill Nord (SA), Grands Moulins de Paris (SA), Moulins Soufflet (SA), France Farines (SA), Friessinger Mülhe GMBH, Flechtorfer Mülhe Walter Thonebe GMBH et Co KG

Défendeur :

Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie et des Finances

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Apelle

Avocats :

Mes Valentie, Malka, de Juvigny, Reymond, Philippe, Teytaud, Sersiron, Ancelin, Ingold, Eisele

CA Paris n° 12-09395

3 juillet 2012

Le 23 avril 2008, le Conseil de la concurrence, devenu depuis l'Autorité de la concurrence, s'est saisi d'office de pratiques concernant le secteur des farines alimentaires, suite à une demande de mise en œuvre de la procédure de clémence de la part d'un meunier allemand.

Le 17 juin 2008, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris a autorisé des opérations de visite et de saisie domiciliaire dans les locaux des sociétés France Farine, Farine Grand Public, Groupe Meunier Celbert, Grands Moulins de Paris, Grands Moulins de Strasbourg, Moulins Soufflet SA, Euromill et Minoteries Cantin.

Des perquisitions étaient également réalisées en Allemagne par l'intermédiaire de l'Autorité allemande de concurrence le Bundeskartellamt.

Le 15 février 2010, l'Autorité de la concurrence notifiait à la société Axiane Meunerie des griefs d'avoir participé d'une part à un pacte de non-agression mutuelle entre treize meuniers allemands et français visant à limiter l'accès réciproque à leurs marchés nationaux respectifs et à maîtriser les exportations franco-allemandes de farines en sachets en les maintenant à un niveau déterminé par avance (15 000 tonnes) d'autre part à une entente entre sept meuniers français visant à fixer un prix unique pour la vente de farine en sachets à la grande et moyenne distribution ainsi qu'aux enseignes du hard discount, à aligner leurs politiques commerciales et à se répartir à la fois les clients ainsi que les volumes des livraisons.

Après exposé par la société Axiane Meunerie de ses moyens, l'Autorité de la concurrence décidait, le 13 mars 2012, les dispositions suivantes :

"Article 1er : Il est établi que la société Axiane Meunerie SAS, ... a enfreint les dispositions de l'article 101 du TFUE et de l'article L. 420-1 du Code du commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à limiter les importations de farine en sachets entre l'Allemagne et la France.

...

Article 2 : Il est établi que la société Axiane Meunerie SAS ... a enfreint les dispositions de l'article 101 du TFUE et de l'article L. 420-1 du Code du commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à fixer le prix de la farine en sachets vendue à la grande et moyenne distribution en France, à répartir les clients et à limiter la production de ce produit.

...

Article 3 : Il est établi que la société Axiane Meunerie SAS ... a enfreint les dispositions de l'article 101 du TFUE et de l'article L. 420-1 du Code du commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à fixer le prix de la farine en sachets vendue aux enseignes du hard discount en France, à répartir les clients et à limiter la production de ce produit.

...

Article 7: sont infligées au titre des pratiques visées à l'article 1er les sanctions pécuniaires suivantes :

- de 19 927 000 euro à la société Axiane Meunerie SAS...

...

Article 10 : sont infligées, au titre des pratiques visées aux articles 2 et 3, les sanctions pécuniaires suivantes :

- de 44 032 000 euro à la société Axiane Meunerie SAS."

La société Axiane Meunerie SAS a formé un recours en annulation et à titre subsidiaire en réformation à l'encontre de cette décision et a saisi la DGCCRF et les Directeurs des Finances Publiques territorialement compétents de demandes gracieuses visant à obtenir un report d'exigibilité des sanctions jusqu'à la date à laquelle l'arrêt de la Cour d'appel de Paris lui sera notifié.

Le 15 mai 2012, la Direction Générale des Finances Publiques a émis un titre de perception à hauteur du montant de l'amende tel que fixée par l'Autorité de la concurrence, amende payable avant le 15 juillet 2012.

La société Axiane Meunerie a, dès réception de ce titre, assigné en référé l'Autorité de la concurrence aux fins de voir suspendre l'exécution provisoire attachée à cette décision.

Sa demande de suspension de l'exécution provisoire sur les sanctions financières, prononcées à son encontre jusqu'à ce que l'affaire soit jugée au fond, est l'objet du présent litige.

La société Axiane Meunerie SAS fonde sa demande de sursis à exécution sur le fait que le paiement immédiat des sanctions pécuniaires entraînerait pour elle des conséquences manifestement excessives au sens de l'article L. 464-8 du Code du commerce.

Par écrits en date du 8 juin 2012, les sociétés Euromill Nord, Grands Moulins de Paris et Nutrixo ont demandé qu'il leur soit donné acte de ce qu'elles ne s'opposent pas aux demandes de la société Axiane Meunerie SAS et se réservent le droit de solliciter ultérieurement de la cour un sursis à exécution des sanctions pécuniaires prononcées à leur encontre.

Elles ont précisé à l'audience ainsi que la société France Farines avoir déposé auprès de l'administration fiscale une demande différée de paiement sur laquelle elles n'ont pas encore de réponse, le titre de perception afférent à l'amende qui a été prononcée à l'encontre de chacune d'entre elles n'ayant pas encore été émis.

Par conclusions signifiées le 11 juin 2012, les sociétés Friessinger Mülhe GmbH et Flechtorfer Mühle Walter Thönebe GmbH ont demandé qu'il leur soit donné acte de ce qu'elles ne s'opposent pas aux demandes de la société Axiane Meunerie SAS.

La société Moulins Soufflet a indiqué n'avoir pas d'observations à formuler.

La société Minoterie Cantin s'en est rapportée à ses écritures.

L'Autorité de la concurrence s'est opposée à la demande de suspension à exécution provisoire formée par la société Axiane Meunerie.

M. le ministre de l'Economie et des Finances a par contre sollicité la suspension de l'exécution provisoire attachée à la décision de l'Autorité de la concurrence.

M. l'Avocat général a requis la suspension de l'exécution provisoire attachée à la décision de l'Autorité de la concurrence à hauteur des deux tiers des sanctions prononcées.

La société Axiane Meunerie SAS a confirmé, à l'audience, sa demande de suspension d'exécution provisoire des deux amendes telles que prononcées à son encontre.

SUR CE

Considérant qu'il résulte de l'article 464-8 du Code de commerce que le recours n'est pas suspensif mais que le premier président de la Cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ;

1) Sur la demande de l'Autorité de la concurrence tendant à voir rejeter la demande de la société Ariane Meunerie du fait que cette dernière ne lui a pas présenté de demande tendant à la prise en compte de ses difficultés contributives

Considérant qu'aux termes de l'article 464-2 du Code du commerce, "les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction" ;

Considérant que si effectivement une entreprise peut faire valoir à l'Autorité de la concurrence, avant que cette dernière ne prenne une décision, tous éléments utiles en vue de la prise en compte de difficultés financières, le fait qu'elle ne s'étende pas sur ses difficultés contributives à ce stade de la procédure ne peut valoir renonciation à un droit qu'elle n'a pas encore acquis puisque le droit pour l'entreprise de solliciter une suspension de l'exécution provisoire attachée à la décision prononcée à son encontre ne peut naître qu'à compter de la date à laquelle cette décision lui est notifiée ;

Que la renonciation à un droit ne résulte que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer, actes inexistants en la présente espèce ;

Que dès lors la demande de la société Axiane Meunerie est parfaitement recevable en la forme, contrairement aux dires de l'Autorité de la concurrence ;

2) Sur le sursis à exécution sollicité

Considérant que la société Axiane Meunerie fait valoir que la décision de l'Autorité de la concurrence la condamnant à deux amendes de 19 927 000 euro et de 44 032 000 euro aurait des conséquences manifestement excessives compte tenu de sa situation financière et de trésorerie ;

qu'elle précise que la persistance de l'exigibilité de cette condamnation entraînerait nécessairement la constatation de son état de cessation des paiements ;

Considérant que s'il est constant d'une part que la société Axiane Meunerie SAS fait partie d'un groupe, d'autre part que les comptes de la société mère sont eux-mêmes intégrés dans les comptes consolidés établis par l'Union des Coopératives Agricoles Axereal dans le cadre de la convention de combinaison liant cette société avec les coopératives agricoles Agralys, Epis Centre et Episem, force est de constater qu'à ce stade de la procédure, les conséquences manifestement excessives de l'exécution de la décision doivent être appréciées au vu de la seule situation financière de la société frappée de l'amende ; que le chiffre d'affaires du groupe n'est en effet évoqué aux termes de l'article L. 464-2 du Code du commerce que pour déterminer le maximum légal de la sanction ;

Considérant qu'au vu des documents produits au débat, la sanction pécuniaire telle que prononcée par l'Autorité de la concurrence représente près de 40 % du chiffre d'affaires de la société Axiane Meunerie réalisé soit la somme de 160 600 641 euro au 30 juin 2011, date du dernier exercice clos et près de huit fois ses fonds propres soit 8 718 039 euro ; que son expert-comptable certifie d'ailleurs en pièce n° 8 que "la société, en cas de rejet des demandes de sursis à paiement ne serait pas en mesure à ce jour de faire face au paiement de la dite sanction";

Que le résultat net est en effet déficitaire ;

Considérant qu'il convient d'observer toutefois qu'aucune procédure d'alerte n'a été lancée et ce même si des plans de restructuration ont été adoptés ;

Considérant qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, en tenant compte d'une part du résultat déficitaire et des plans de restructuration déjà établis, qui justifient que le maintien du paiement total des deux amendes telles que fixées pourraient entraîner effectivement des conséquences manifestement excessives jusqu'à ce qu'il soit statué au fond ainsi qu'une procédure d'alerte, mais également du montant très important du chiffre d'affaires permettant un paiement partiel, il convient de suspendre l'exécution provisoire du paiement des amendes prononcées à hauteur des cinq sixièmes du montant de chacune de ces amendes et ce jusqu'à ce qu'il soit statué au fond ;

3) Sur les dépens

Considérant que les dépens de la présente instance suivront le sort de l'instance au fond.

Par ces motifs : Ordonnons le sursis de l'exécution provisoire : - à hauteur des cinq sixièmes du montant de l'amende de 19 927 000 euro, - à hauteur des cinq sixièmes du montant de l'amende de 44 032 000 euro, prononcées à l'encontre de la société Axiane Meunerie SAS par l'Autorité de la concurrence le 13 mars 2012. Et ce jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur les recours en annulation ou en réformation formés par la société Axiane Meunerie à l'encontre de la décision du 13 mars 2012. Disons que les dépens de la présente instance suivront le sort de l'instance au fond.