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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 29 janvier 2009, n° 08-01034

BOURGES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Jean Marie (SAS)

Défendeur :

GAEC de Grammont, Claas France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Ladant, M. Lavigerie

Avoués :

Mes Rahon, Guillaumin, Tracol

Avocats :

Mes Lacroix, Jacquet, Martinet

TGI Bourges, du 5 juin 2008

5 juin 2008

Vu le jugement du 5 juin 2008 par lequel le Tribunal de grande instance de Bourges a :

- prononcé, au titre de la garantie des vices cachés, la résolution de la vente par les Éts Jean Marié au GAEC de Grammont d'une presse à paille de marque Claas modèle Variant 280 Roto Cult type 280 RC pour un montant hors taxes de 25 150 euro selon facture datée du 25 avril 2005,

- condamné les Éts Jean Marié à restituer au GAEC de Grammont le montant du prix de vente, soit 25 150 euro, dans les 10 jours de la signification de la décision,

- dit que les Éts Jean Marié pourront, à leurs frais, récupérer la presse à l'adresse du GAEC, dans les 10 jours de la signification de la décision,

- condamné les Éts Jean Marié à porter et payer au GAEC de Grammont la somme de 11 613,43 euro en réparation de son préjudice matériel et 1 500 euro en réparation de son préjudice moral,

- condamné la société Claas à garantir les Éts Jean Marié de l'intégralité des condamnations prononcées contre eux,

- condamné les Éts Jean Marié à porter et payer au GAEC de Grammont la somme de 1 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Claas à supporter la charge des dépens et à verser aux Éts Jean Marié la somme de 1 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- ordonné l'exécution provisoire ;

Vu la déclaration d'appel du 27 juin 2008 par les Éts Jean Marié ;

Vu les dernières conclusions des Éts Jean Marié, du 24 novembre 2008, qui demandent à la cour de réformer le jugement et de :

- débouter le GAEC de Grammont de l'intégralité de ses fins, demandes et conclusions,

- subsidiairement, ordonner une mesure d'expertise judiciaire, confiée à tel sapiteur qu'il plaira et le cas échéant à M. Yves Chausset, expert judiciaire inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel de Bourges,

- fixer le montant de la provision nécessaire à la mise en œuvre de l'expert,

- plus subsidiairement, et si le chef du dispositif du jugement ordonnant la résolution de la vente était maintenu, émonder les condamnations accessoires prononcées à leur encontre,

- dire et juger que l'assiette de l'action récursoire et de la demande en garantie vaudront également en ce qui concerne le prix de vente de la presse que la société société Claas France devra leur rembourser,

- condamner le GAEC de Grammont ou qui il appartiendra à leur payer la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens avec application pour ceux d'appel des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de Me Rahon, avoué postulant ;

Vu les dernières conclusions du GAEC de Grammont, du 2 décembre 2008, qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf celles relatives à l'indemnisation de son préjudice matériel et celles relatives à l'indemnisation de son préjudice de jouissance,

- fixer à la somme de 1 168,24 euro et à celle de 15 415,64 euro le montant de son préjudice financier,

- fixer à la somme de 3 000 euro le montant de son préjudice de jouissance,

- condamner en tout état de cause les Éts Jean Marié et la société société Claas France au paiement de la somme de 1 168,24 euro, au paiement de la somme de 15 415,64 euro ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de jouissance,

- condamner les Éts Jean Marié et la société Claas France au paiement de la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner les Éts Jean Marié et la société Claas France aux entiers dépens d'appel et accorder à Me Guillaumin, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de la société Claas France, du 5 décembre 2008, qui demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de :

- débouter le GAEC de Grammont de ses demandes à toutes fins qu'elles comportent,

subsidiairement,

- au cas où la résolution judiciaire du contrat serait confirmée, la restitution du prix ordonnée et la responsabilité de Claas France engagée, condamner le GAEC de Grammont reconventionnellement au profit de Claas France au paiement de la somme de 13 150 euro correspondant à la dépréciation du matériel restitué,

- ordonner la compensation de cette somme avec le montant du prix du matériel neuf devant être supporté par elle,

- rejeter toute demande complémentaire, notamment de dommages-intérêts, du GAEC de Grammont,

en tout état de cause,

- condamner le GAEC de Grammont au paiement à son profit d'une indemnité de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture du 10 décembre 2008 ;

Sur ce :

Attendu qu'aux termes de l'article 1315 du Code civil, "Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation." ;

Sur l'existence d'un vice caché :

Attendu qu'aux termes de l'article 1641 du Code civil, "Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus." ;

Attendu que le 22 avril 2005, les Éts Jean Marié, concessionnaire Claas, ont livré au GAEC de Grammont une presse neuve B-R Claas Variant 280 Roto Cat d'une valeur de 30 079,40 euro toutes taxes comprises ;

Attendu que par courrier du 27 mai 2005 faisant suite à une immobilisation le jour même de la presse consécutivement à une panne, le GAEC de Grammont avisait la société Claas France des dysfonctionnements affectant cette machine depuis sa mise en route le 11 mai précédent en présence d'un salarié des Éts Jean Marié, après seulement 5 jours de fonctionnement sur 37 hectares : diamètre inconstant des bottes, bourrage, obligation de régler le cardan et la pression des vérins et de purger le circuit hydraulique, performances insuffisantes, courroies se détendant, déplacement de l'ameneur nécessitant un retour à l'atelier ;

Que le GAEC de Grammont demandait à la société Claas France de reprendre la machine et de lui en mettre une autre à disposition ;

Attendu que par courrier du 23 juin 2005, la société Claas France assurait le GAEC de Grammont de son attachement à régler l'ensemble des questions par l'intermédiaire de son concessionnaire ;

Attendu que courant juin et juillet 2005, de nouveaux dysfonctionnements survenaient : surchauffe de la machine, bottes non serrées, chaîne détendue ;

Attendu que le 5 septembre 2005, à la demande de l'assureur de protection juridique du GAEC de Grammont, M. Alain Lecomte, expert automobile, procédait à l'expertise amiable de la presse en présence d'un représentant du GAEC de Grammont, d'un inspecteur technique de la société Claas France et du directeur et d'un mécanicien des Éts Jean Marié ;

Qu'après rappel des multiples incidents et pannes ayant affecté l'engin, M. Alain Lecomte concluait le 26 novembre 2005 :

"Dans cette affaire, il faut admettre que le matériel neuf vendu au GAEC de Grammont n'était pas en état de fonctionner correctement, et donc inapte à apporter le service auquel il était destiné. D'autre part, au terme de la campagne 2005, la presse n'est toujours pas opérationnelle en raison d'une anomalie de conception (assemblage pignons-chaîne déficient).

L'ensemble de ces défauts reconnus par Claas France, dont certains sont solutionnés, semble bien incomber à la responsabilité du constructeur, ainsi que tous les désagréments qui en découlent." ;

Attendu que s'agissant de ses constatations, M. Alain Lecomte indique : "Selon M. Perrot, le diamètre des bottes reste irrégulier." ;

Attendu que le procès-verbal de constatations techniques annexé au rapport, que les parties ont signé, ne fait état d'aucune contestation de la société Claas France et des Éts Jean Marié quant au défaut de régularité des bottes réalisées par la presse, la première offrant de remettre en état et de contrôler la machine lors de la révision de morte saison et d'accorder un an de garantie supplémentaire pour la campagne 2006, les seconds demandant à Claas "une démarche commerciale" ;

Attendu que bien au contraire, par mail du 28 septembre 2005, la société Claas France reconnaissait la totalité des désordres, y compris celui tenant aux diamètre et pression irréguliers des balles, assurait en avoir résolu la plupart et avoir planifié l'échange de l'ensemble pignon-chaînes à la révision d'hiver, s'engageait à "re-vérifier" le système assurant la régularité et la pression des balles lors de la révision d'inter-saison et confirmait l'engagement pris lors de l'expertise de faire procéder à un contrôle complet de la presse (dont le paramétrage des pressions) par les Éts Jean Marié lors de la révision d'inter-saison et d'attribuer une année supplémentaire de garantie ;

Qu'elle concluait que cette situation ne lui semblait pas justifier d'un quelconque échange de la presse ;

Attendu que le 3 juillet 2006, les Éts Jean Marié répondaient par l'intermédiaire de leur conseil à l'assureur du GAEC de Grammont qu'ils estimaient s'être acquittés aussi convenablement que possible de leurs obligations contractuelles et qu'ils ne consentiraient pas amiablement à une résiliation de la vente ;

Qu'ils précisaient notamment :

- s'être toujours efforcés de dépanner leur client "en lui prêtant à chaque fois que cela a été nécessaire, du matériel et même du personnel, aux fins de suppléer aux pannes qui ont affecté le matériel vendu",

- que "cela a été le cas en 2005, puisque la SAS Éts Marié a envoyé l'un de ses employés avec un tracteur et une presse",

- qu'"en 2006, il a également été prêté au GAEC de Grammont une machine neuve aux fins de le dépanner, ce qui lui a permis de faire 650 bottes en attendant que sa presse soit réparée",

- qu'"aujourd'hui heureusement, tous les soucis rencontrés avec le matériel ont été parfaitement solutionnés et la presse fonctionne correctement" ;

Attendu que l'ordre de réparation du 11 mai 2007, soit deux ans jour pour jour seulement après la mise en service de la presse et six mois après l'introduction de l'instance par assignation du 7 novembre 2006, porte les mentions suivantes :

"révision presse, remplacement de la courroie en garantie, contrôle pression des verrins de densité remplacer des joints, remise en état fixation couteau de hacheur, modification des supports qui ne tiennent pas vissés, contrôle et tension des chaînes, voir Claas pour la fixation des couteaux du hacheur qui ne tiennent pas serrés, ce qui efface le hacheur" ;

Que ces mentions démentent de la manière la plus formelle que "tous les soucis rencontrés avec le matériel ont été parfaitement solutionnés et la presse fonctionne correctement" ;

Qu'elles accréditent au contraire le "Point sur le fonctionnement de la presse Claas Variant 280 RC pour la campagne 2007" établi par le GAEC de Grammont qui justifie avoir dû faire appel le 22 juillet 2007, au lendemain d'une nouvelle avarie, à une entreprise de pressage et à l'entraide agricole pour réaliser des travaux qu'elle aurait dû pouvoir effectuer avec le matériel acheté neuf deux ans auparavant ;

Attendu que le GAEC de Grammont souligne sans être contesté et sans que soit fournie d'explication plausible que les frais de réparation de la presse en 2007 ont représenté 59 % du budget moyen d'entretien d'un parc de 25 matériels ;

Qu'il produit de nombreux clichés photographiques dont la sincérité n'est pas contestée par les Éts Jean Marié et la société Claas France, qui montrent des dizaines de bottes de paille de forme conique en équilibre instable sur le sol, sur une remorque de transport et sous un hangar de stockage où certaines gerbes se sont effondrées ;

Attendu qu'il est d'autant moins besoin de recourir à une expertise pour constater que la forme de ces bottes est totalement anormale, que la plaquette publicitaire de la société Claas que le GAEC de Grammont produit aux débats montre la presse Claas Variant 280 Roto Cat au milieu de bottes de paille parfaitement fermes et circulaires ;

Attendu que le 3 juillet 2008, les Éts Jean Marié reconnaissaient que le GAEC de Grammont leur rapportait une courroie de la presse Claas Variant 280 "suite à une mauvaise préparation de celle-ci à l'usine" ;

Attendu que la société Claas France ne justifie pas, ainsi qu'il lui incombe, avoir remédié à la totalité des désordres, notamment ceux aboutissant à la confection de bottes non conformes ;

Qu'elle ne justifie pas davantage d'une mauvaise utilisation par les membres et les salariés du GAEC de Grammont de la presse, alléguée pour la première fois après l'introduction de l'instance ;

Attendu que cette incompétence est d'autant plus improbable que le GAEC de Grammont justifie qu'au 3 septembre 2008, ses trois salariés avaient respectivement plus de 28 ans, 13 ans et 13 ans d'ancienneté ;

Attendu que sont ainsi suffisamment établis les vices nombreux et récurrents affectant la presse acquise par le GAEC de Grammont des Éts Jean Marié et fabriquée ou distribuée par la société Claas France, qui ont rendu cet engin impropre à l'usage auquel on le destine, ou ont diminué tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquis, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ;

Attendu que les Éts Jean Marié et la société Claas France ne peuvent tirer argument, pour se soustraire à leur responsabilité, du fait que le GAEC de Grammont a tant bien que mal continué d'utiliser la presse défectueuse jusqu'à la campagne 2008 alors d'une part que la demande d'échange de l'engin a été formulée dès le 27 mai 2005 et réitérée le 22 juin 2006, et d'autre part que l'assignation introductive d'instance est du 7 novembre 2006, après un refus formel des Éts Jean Marié de résilier amiablement la vente ;

Qu'il ne peuvent davantage soutenir que l'irrégularité des bottes résulte de l'incompétence des membres et salariés du GAEC de Grammont alors qu'ils n'ont jamais invoqué cette circonstance avant la délivrance de l'assignation ;

Attendu dans ces conditions que c'est à bon droit que les premiers juges ont prononcé l'annulation de la vente ;

Sur les conséquences de l'annulation :

Attendu qu'en application des dispositions de l'article 1644 du Code civil, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par experts ;

Attendu que ces dispositions ne permettent pas au vendeur de réclamer une réfaction du prix à raison de la diminution de la valeur vénale de la chose consécutive à son usage et à l'écoulement du temps ;

Qu'admettre le contraire comme le revendiquent les Éts Jean Marié et la société Claas France serait un encouragement pour vendeurs et fabricants à ne pas assumer spontanément et de bonne foi leur obligation légale de garantie des vices cachés ;

Attendu que c'est également à bon droit que les premiers juges ont condamné les Éts Jean Marié à restituer le montant du prix de vente, soit 25 150 euro hors taxes, dans les dix jours de la signification du jugement ;

Sur la réparation du préjudice du GAEC de Grammont :

Attendu que pour ne faire droit à la demande du GAEC de Grammont de réparation de son préjudice matériel qu'à hauteur de 11 613,43 euro, le tribunal relève que celui-ci ne verse aucun document comptable étayant sa demande de remboursement de dépenses de personnel supplémentaires ;

Attendu que devant la cour, le GAEC de Grammont ne remédie pas à cette carence ;

Que le jugement déféré sera confirmé sur ce point ;

Attendu que le préjudice de jouissance est indéniable, a perduré pendant 4 campagnes et est aggravé par la mise en doute parfaitement gratuite, pour les besoins de la cause, de la compétence professionnelle des membres et salariés du GAEC de Grammont ;

Qu'il est insuffisamment réparé par l'indemnité (indiquée par erreur dans le dispositif du jugement comme réparant un préjudice moral) de 1 500 euro allouée par les premiers juges, qui sera portée à 3 000 euro ;

Sur l'appel en garantie de la société Claas France par les Éts Jean Marié :

Attendu que la société Claas France ne conteste pas l'appel en garantie, ni dans son principe, ni dans son quantum ;

Que le jugement dont appel sera également confirmé sur ce point en ce qu'il a condamné la société Claas France à garantir les Éts Jean Marié de l'intégralité des condamnations prononcées contre eux ;

Attendu que la portée de ce chef de condamnation étant parfaitement claire et emportant nécessairement la résiliation de la vente intervenue entre la société Claas France et les Éts Jean Marié, il n'y a pas lieu d'apporter les précisions demandées par ces derniers ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :

Attendu que les premiers juges ont accordé au GAEC de Grammont une juste indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu qu'en cause d'appel, les Éts Jean Marié seront condamnés à lui payer une nouvelle indemnité de 2 000 euro ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes des Éts Jean Marié et de la société Claas France de ce chef ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnité allouée au GAEC de Grammont en réparation de son préjudice de jouissance ; Statuant à nouveau de ce chef, Condamne les Éts Jean Marié à payer au GAEC de Grammont la somme de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts ; Y ajoutant, Condamne les Éts Jean Marié à payer au GAEC de Grammont la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute le GAEC de Grammont du surplus de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne les Éts Jean Marié aux dépens d'appel ; Condamne la société Claas France à garantir les Éts Jean Marié de l'intégralité des condamnations prononcées contre eux en cause d'appel.