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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 10 janvier 2012, n° 10-07363

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nordex Energy (GmbH)

Défendeur :

Centrale Eolienne de Lastours (SARL), Gan Eurocourtage Iard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chassery

Conseillers :

M. Prouzat, Mme Olive

Avoués :

SCP Divisia Senmartin, SCP Salvignol

Avocats :

Mes Schweblin, Montazel, Ruiz-Assemat

T. com. Narbonne, du 27 avr. 2010

27 avril 2010

Faits et procédure, moyens et prétentions des parties :

Le 16 septembre 1999, la société Energies du Midi, aux droits de laquelle vient la société Centrale Eolienne de Lastours, a conclu avec la société de droit allemand Nordex Energy GmbH (la société Nordex) un contrat ayant pour objet la fourniture, l'assemblage et la mise en service de trois éoliennes de type " Nordex N43/600 ", destinées à être installées dans le parc éolien de Lastours, sur la commune de Portel des Corbières (11).

Les multiplicateurs des turbines éoliennes (dont la fonction est de convertir le mouvement des lames rotatives pour les porter à la vitesse supérieure requise pour entraîner un générateur d'électricité) ont été fabriqués par un sous-traitant de la société Nordex, la société de droit allemand A. Friedrich Flender AG (la société Flender).

Les éoliennes ont été mises en service le 25 avril 2000, la filiale française de la société Nordex en assurant la maintenance.

Au cours du mois de juillet 2005, l'une des éoliennes a présenté un dépassement du seuil de température sur un palier interne de guidage du multiplicateur et a dû être mise à l'arrêt.

La société Centrale Eolienne de Lastours et son assureur, la société Gan Eurocourtage Iard, ont alors obtenu en référé l'instauration d'une mesure d'expertise confiée à M. Despres, dont le rapport a été déposé le 12 novembre 2007 ; celui-ci relève notamment l'existence de la détérioration du roulement à rouleaux cylindriques type NJ, repéré 451, consécutive au montage originel de l'arbre MV avec un jeu axial trop faible.

En l'état, la société Centrale Eolienne de Lastours et le Gan ont fait assigner à l'audience du Tribunal de commerce de Narbonne du du 5 mai 2009 la société Nordex et la société Flender en vue d'obtenir leur condamnation in solidum, sur le fondement de la garantie des vices cachés des articles 1641 et suivants du Code civil, au paiement du coût des travaux de réparation et de remplacement du multiplicateur défectueux, outre des dommages et intérêts pour perte d'exploitation.

Dans le cadre de l'instance, la société Nordex a demandé subsidiairement à être relevée et garantie par la société Flender de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre.

La société Flender a, de son côté, soulevé l'incompétence du tribunal saisi et l'inapplicabilité du droit français au motif que l'article 23 du contrat cadre la liant à la société Nordex dispose que ce contrat est soumis au droit allemand et que le tribunal compétent est celui de Oberhausen.

Par jugement du 27 avril 2010, le tribunal de commerce a statué en ces termes :

" -se déclare incompétent pour juger des responsabilités encourues par la société Flender et renvoyé la société Nordex à mieux se pourvoir à son encontre,

-dit la société Nordex responsable des vices cachés révélés lors de l'expertise et des préjudices qu'a subi la société Centrale Eolienne de Lastours,

-condamne la société Nordex à payer à cette société la somme de 124 635,00 euro,

-la condamne à payer au Gan la somme de 101 682,00 euro au titre de la quittance subrogative,

-dit que les débats permettant de fixer les dommages résultant d'un éventuel malus seront repris à l'audience du 3 juin 2010,

-condamne la société Nordex à payer à la société Centrale Eolienne de Lastours la somme de 1 500,00 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

-ordonne l'exécution provisoire. "

La société Nordex a formé contredit à ce jugement, par déclaration reçue le 12 juillet 2010 au greffe du tribunal de commerce.

Elle a, parallèlement, relevé appel du même jugement à l'encontre de la société Centrale Eolienne de Lastours et du Gan par déclarations reçues les 8, 14 et 30 septembre 2010 au greffe de la cour ; ces procédures sont actuellement jointes.

Par arrêt du 4 janvier 2011, la cour a confirmé le jugement du chef de la compétence.

La société Nordex conclut à l'infirmation du jugement et au rejet de l'ensemble des prétentions élevées à son encontre, outre la condamnation de la société Centrale Eolienne de Lastours à lui payer la somme de 25 000,00 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

-l'article 12 du contrat de vente contient une clause limitative de responsabilité, selon laquelle sa garantie couvrant les pièces, la main d'œuvre et les déplacements, ne peut être mise en jeu plus de deux ans après la mise en service des éoliennes,

-le désordre étant survenu en juillet 2005, soit plus de trois ans après l'expiration du délai de garantie ayant pour point de départ le 25 avril 2000, date de mise en service des éoliennes, la société Centrale Eolienne de Lastours ne saurait prétendre être indemnisée au titre des coûts engendrés par le démontage et le remplacement du multiplicateur endommagé,

-il en est de même, s'agissant du manque à gagner invoqué par la société Centrale Eolienne de Lastours, puisque l'article 11 du contrat et son annexe 2 stipulent que la garantie " de disponibilité " (c'est-à-dire la garantie que les éoliennes fonctionneraient au moins 96% du temps) expire à l'issue d'un délai de deux années et trois mois suivant la mise en service des éoliennes,

-ces clauses contractuelles ont bien pour objet la garantie légale des vices cachés, la garantie sur pièces et la garantie de disponibilité visant, en effet, tous les défauts de construction, matière ou fabrication,

-dès lors qu'elles ont été, comme en l'espèce, conclues entre professionnels de la même spécialité, elles sont parfaitement valables,

-la société Centrale Eolienne de Lastours est, en effet, la filiale de la société JMB Energie et dispose donc, en matière d'exploitation d'éoliennes, des compétences techniques lui permettant, selon les indications du site Internet de la société mère, de mettre en œuvre des opérations de maintenance préventives et correctrices.

La société Centrale Eolienne de Lastours et le Gan concluent, pour leur part, à la confirmation du jugement, outre l'allocation de la somme de 2 000,00 euro en remboursement de leurs frais irrépétibles ; ils contestent l'application des clauses limitatives de garantie, invoquées, en soutenant, d'une part, que l'acquéreur ne peut, en l'espèce, être considéré comme un professionnel de la même spécialité que la société Nordex, ne maîtrisant pas l'ensemble de l'activité, de la construction des éoliennes à leur maintenance, et, d'autre part, que le vice affectant le multiplicateur de l'éolienne n° 2 était indécelable même pour un professionnel, la cause de la panne n'ayant pu être déterminée qu'après analyse d'huile et démontage du multiplicateur.

Motifs de la décision :

Il est stipulé au paragraphe 12 du contrat de vente liant les parties, intitulé " garantie du vendeur ", que le vendeur accorde 2 ans de garantie sur toutes les éoliennes à compter de leur mise en service, cette garantie portant sur les pièces, la main d'œuvre et les déplacements (article 12.1), que pendant la période de garantie, le vendeur s'engage à remédier à tous les défauts de construction, matière ou fabrication, pannes, mauvais fonctionnement quelle qu'en soit la cause, affectant le bon fonctionnement des éoliennes, leur tenue, le respect des fonctions requises, en procédant à la réparation ou l'échange du matériel (article 12.2), que la responsabilité du vendeur au titre de la présente garantie n'est mise en jeu que lorsque la réclamation est parvenue au vendeur avant la date d'expiration du délai de 2 ans (article 12.5) et que la garantie du vendeur se limite à l'obligation de dépannage, telle que décrite ci-dessus, sans que sa responsabilité puisse être recherchée au titre des pertes de toutes sortes résultant de dégâts sur l'éolienne, comme les pertes d'exploitation, les manques à gagner et autres pertes indirectes, qui sont prises en compte dans le cadre de la garantie de disponibilité au § 11 (article 12.11).

A cet égard, la garantie dite " de disponibilité ", prévue au paragraphe 11 du contrat, consiste pour le vendeur à garantir une disponibilité annuelle de 96% minimum pour l'ensemble des éoliennes du parc, sous réserve d'en assurer la maintenance ; il est indiqué, dans l'annexe 2 au contrat, définissant cette garantie de disponibilité, que la garantie est valable pour un maximum de 2 ans à partir du début de la période de disponibilité, soit 3 mois après la signature du rapport d'installation, et qu'en cas de non-respect de la disponibilité, le vendeur encourt une pénalité ayant pour base de calcul une production moyenne annuelle attendue de 1 930 00 kWh pour chaque éolienne.

Il résulte de ces stipulations contractuelles qu'en cas de défauts, quelle qu'en soit la cause, affectant le bon fonctionnement, la tenue des éoliennes vendues ou le respect des fonctions requises, le vendeur est tenu d'une garantie, tendant à la réparation ou au remplacement du matériel défectueux, pendant deux ans à compter de la mise en service des éoliennes et qu'en cas de non-respect de la disponibilité annuelle de 96%, consécutive à ces défauts, le vendeur est tenu au paiement d'une pénalité destinée à couvrir les éventuelles pertes d'exploitation ou manques à gagner subis par l'acquéreur.

La garantie pesant sur le vendeur en vertu du paragraphe 12 du contrat concerne les défauts de toute nature, qu'ils proviennent d'un défaut de conception, d'un montage défectueux ou d'une mauvaise qualité des pièces, susceptibles d'affecter le fonctionnement des éoliennes vendues, et englobe donc nécessairement les défauts cachés définis à l'article 1641 du Code civil, qui, selon ce texte, rendent la chose vendue impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acquéreur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ; il s'ensuit que les stipulations contractuelles, rappelées ci-dessus, doivent être regardées comme limitant la garantie des vices cachés du vendeur à deux ans à compter de la mise en service des éoliennes.

En l'occurrence, dans son rapport d'expertise en date du 12 novembre 2007, M. Despres a conclu que la détérioration du roulement à rouleaux cylindriques type NJ, repéré 451, du multiplicateur de l'éolienne n° 2, guidant en rotation l'arbre moyenne vitesse (MV), était dû à un montage originel de l'arbre MV avec un jeu axial trop faible ; il a indiqué que le montage défectueux de l'arbre MV réalisé par la société Flender, à l'origine de la mise hors d'usage du multiplicateur et de l'éolienne, existait lors de la livraison et était indécelable de l'extérieur avant que les dégâts ne soient effectifs, l'arbre MV étant totalement enfermé dans le carter du multiplicateur ; il a ainsi rappelé qu'en juillet 2005, dans le cadre de la télésurveillance de l'éolienne n° 2 réalisée au moyen de capteurs, avait été mise en évidence la température excessive du palier interne de guidage du multiplicateur, que la société Nordex, chargée de la maintenance, avait procédé à un examen visuel du multiplicateur, qui n'avait rien détecté d'anormal, qu'un essai à vide de l'éolienne ayant révélé un bruit anormal au sein du multiplicateur, un prélèvement d'huile de lubrification avait alors été effectué, dont l'analyse avait révélé un taux élevé de particules de fer, et que l'anomalie de guidage sur l'arbre intermédiaire au niveau des roulements 450 ou 451 avait été décelée à l'occasion d'une mesure vibratoire du multiplicateur, effectuée le 26 août 2005 par la société Flender.

Ces constatations et conclusions de l'expert, non remises en cause par la société Nordex, établissent qu'est constitutive d'un vice caché au sens de l'article 1641 susvisé la détérioration de l'arbre MV du multiplicateur due à un montage avec un jeu axial trop faible, à l'origine de la mise hors service de l'éolienne n° 2.

Reste à rechercher si les stipulations du contrat de vente, qui limitent la garantie des vices cachés du vendeur à deux ans à compter de la mise en service des éoliennes, peuvent être opposées à la société Centrale Eolienne de Lastours, sachant qu'effectivement, la détérioration de l'arbre MV du multiplicateur, ayant entraîné l'arrêt de l'éolienne n° 2, s'est produite et a été dénoncée à la société Nordex plus de deux ans après la mise en service de l'éolienne, le 25 avril 2000.

Il est, en effet, de principe qu'une clause exonératoire ou limitative de la garantie des vices cachés est valable entre professionnels de la même spécialité.

Pour prétendre, en l'espèce, que les clauses limitatives de garantie prévues aux paragraphes 11 et 12 du contrat de vente sont opposables à la société Centrale Eolienne de Lastours, la société Nordex fait valoir que celle-ci exploite des éoliennes de manière quotidienne et permanente, que son dirigeant jouit d'une expérience de plus de vingt années dans le domaine des énergies renouvelables, plus particulièrement dans l'exploitation et la construction d'éoliennes, et qu'elle est la filiale de la société JMB Energie, laquelle mentionne, sur son site Internet, qu'elle maîtrise toutes les facettes de son activité, à commencer par le développement et la conception de centrales de production d'électricité et qu'elle assure le suivi de la production électrique de ses centrales, la maintenance et l'exploitation administrative et technique, y compris les opérations de maintenance préventives et correctrices, garantissant l'optimisation et la fiabilité des installations.

Pour autant, la société Centrale Eolienne de Lastours n'est qu'un producteur d'électricité, comme la société JMB Energie, dont elle est la filiale et qui a pour activité le développement, le financement, la construction et l'exploitation de centrales électriques à base d'énergies renouvelables (éolienne, hydraulique, solaire, biomasse) ; elle ne maîtrise pas le processus de fabrication des éoliennes, son rôle se bornant à assurer la maîtrise d'ouvrage de la construction de la centrale, même si elle effectue, après mise en service, la surveillance et la maintenance de l'installation ; d'après les indications de son site Internet, la société JMB Energie se compose d'ailleurs d'une quarantaine de collaborateurs, répartis en France sur quatre sites (Béziers, Alès, Châlons-en-Champagne, Toulouse), spécialisés dans la gestion de projets de développement durable en énergies renouvelables, ce dont il résulte qu'elle ne dispose pas d'une réelle capacité de contrôler, après leur fabrication, les éoliennes destinées à équiper l'installation projetée.

Au surplus, le montage défectueux de l'arbre MV du multiplicateur de l'éolienne n° 2, réalisé en usine lors de la phase de fabrication, n'a pu être décelé, une fois apparu le phénomène de surchauffe du palier interne de guidage du multiplicateur, qu'après analyse de l'huile de lubrification, mesure vibratoire du multiplicateur effectué par le fabricant lui-même, et démontage de l'arbre enfermé dans le carter, lors des opérations d'expertise ; l'anomalie ainsi présentée par l'arbre MV du multiplicateur n'était donc pas décelable par la société Centrale Eolienne de Lastours dans le délai de deux ans suivant la mise en service de l'éolienne, d'autant que la maintenance de l'éolienne, qui conditionnait l'application de la garantie dite de " disponibilité ", était assurée par la filiale française de la société Nordex.

La société Centrale Eolienne de Lastours ne peut ainsi être considérée comme un professionnel de la même spécialité que la société Nordex, à laquelle les clauses limitatives de garantie prévues aux paragraphes 11 et 12 du contrat de vente seraient opposables ; c'est dès lors à juste titre que le premier juge a condamné la société Nordex, sur le fondement de la garantie des vices cachés découlant des articles 1641 et suivants du Code civil, à payer à la société Centrale Eolienne de Lastours la somme totale de 124 635,00 euro, correspondant au coût des travaux de remplacement du multiplicateur défectueux et à la perte d'exploitation subie du fait de l'arrêt de l'éolienne, dont 101 682,00 euro versés par le Gan à son assuré, suivant quittance subrogative du 29 janvier 2008.

Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ses dispositions sur le fond du litige.

Succombant sur son appel, la société Nordex doit être condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Centrale Eolienne de Lastours et au Gan la somme de 1 500,00 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Narbonne en date du 27 avril 2010 en ses dispositions sur le fond du litige, Condamne la société Nordex aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Centrale Eolienne de Lastours et au Gan la somme de 1 500,00 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.