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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 22 avril 2009, n° 07-01137

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Eternit (SA)

Défendeur :

Bessac travaux publics et carrières (SA), Compagnie Mutuelles du Mans, Les ciments Lafarge (SA), Association syndicale libre irrigation de la commune de Rivières

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Belieres

Conseillers :

Mme Salmeron, M. Coleno

Avoués :

SCP Cantaloube-Ferrieu Cerri, SCP Boyer Lescat Merle, SCP Dessart-Sorel-Dessart, SCP Nidecker Prieu-Philippot Jeusset

Avocats :

Mes Lebatteux, Clamens, Bloch, SCP Maignial, Salvaire, Veaute, Arnaud Laur, Labadie, Boonstoppel

TGI Albi, du 19 avr. 2006

19 avril 2006

EXPOSE DES FAITS ET PROCEDURE

L'association syndicale libre d'irrigation de la commune de Rivières a entrepris de 1987 à 1989, sous la maîtrise d'œuvre de la direction départementale de l'agriculture, l'extension et le renforcement de son réseau d'irrigation par des travaux confiés à la SA Bessac travaux publics et carrières qui a mis en œuvre des tuyaux de différents diamètres en amiante-ciment fabriqués par la SA Eternit dans son usine de Terssac (82) en utilisant du ciment fourni par la SA Lafarge Ciments en provenance de son usine de Lexos (82).

Les ouvrages, réceptionnés le 15 mars 1988 pour la première tranche relative au secteur de la Poujetterie et le 10 février et 3 mars 1989 pour la deuxième tranche relative au secteur de la Courtade, ont fait l'objet à partir de 1994 d'explosion ou d'éclatement de tuyaux, ce qui a conduit le maître de l'ouvrage à faire ordonner le 4 octobre 1995 par le juge des référés du Tribunal administratif de Toulouse une mesure d'expertise confiée à M. Lauly qui a déposé son rapport le 9 décembre 1996 dans lequel il conclut que "le fait générateur des désordres est un vice du produit Eternit qui ne répond pas à l'usage auquel il est destiné pour assurer la pérennité de l'ouvrage à une pression de service de quinze bars".

Par ordonnance du 11 avril 1997 le juge des référés du tribunal de grande instance d'Albi a condamné la société Bessac et son assureur les Mutuelles du Mans Assurances à payer au maître de l'ouvrage la somme provisionnelle de 56 075,32 euro correspondant au coût des travaux de remise en état préconisés par l'expert.

Par acte du 23 mai 1997 la société Bessac et les Mutuelles du Mans ont fait assigner la SA Eternit devant le Tribunal de grande instance d'Albi pour, avant dire droit au fond, voir ordonner une mesure d'expertise et, sur la base du rapport à intervenir, l'entendre condamner à les relever indemne de toutes les condamnations prononcées à leur encontre ou qui pourraient l'être ; par acte du 3 novembre 1997 l'entrepreneur a appelé en cause la SA Lafarge Ciments et par voie de conclusions l'Association syndicale libre d'irrigation de la commune de Rivières est intervenue volontairement aux débats.

Par ordonnance du juge de la mise en état du 6 février 1998 une mesure d'expertise a été prescrite confiée à M. Lauly et à M. Ostermeyer qui ont déposé leur rapport le 29 août 2003.

Suivant protocoles d'accord du 6 avril 2000, 13 juin 2001 et 1er février 2002 la SA Eternit avait, sans aucune reconnaissance de responsabilité, financé les travaux urgents de réparation et versé à ce titre au maître de l'ouvrage la somme totale de 325 827,64 euro HT, sous déduction des provisions déjà réglées, avec clause de subrogation dans les droits et actions du maître de l'ouvrage à l'encontre de toute personne et notamment de la SA Lafarge Ciments.

Par jugement du 19 avril 2006 le Tribunal de grande instance d'Albi a :

- rejeté l'exception de péremption d'instance soulevée par la SA Eternit

- rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la SA Lafarge Ciments

- déclaré non prescrite la garantie des vices cachés due par la SA Eternit et l'a déclarée responsable du sinistre subi par la société Bessac et les Mutuelles du Mans sur le fondement de l'article 1641 du Code civil

- condamné la SA Eternit à payer à cet assureur la somme de 56 782,38 euro avec intérêts au taux légal à compter du 23 mai 1997, date de l'assignation

- débouté la SA Eternit de son recours dirigé contre la SA Lafarge Ciments

- donné acte de ce que, sous réserve de parvenir à obtenir transactionnellement selon les discussions en cours la réfection des parties du réseau affecté par les désordres au cours des années 2004 et 2005, le maître de l'ouvrage ne sollicite aucune condamnation de l'entrepreneur et de son assureur.

- condamné in solidum la société Bessac et les Mutuelles du Mans à payer à l'association syndicale libre d'irrigation de la commune de Rivières :

* la somme de 56 075,32 euro dont sera déduire la provision du même montant déjà réglée

* le montant des frais de l'expertise diligentée par le juge des référés administratif

- dit que la SA Eternit devra relever indemne la société Bessac et son assureur de cette dernière condamnation

- condamné la SA Eternit à payer aux Mutuelles du Mans Assurances, à la SA Lafarge Ciments et à l'association syndicale libre d'irrigation de la commune de Rivières la somme de 3 500 euro chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

- condamné la SA Eternit aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise.

Par acte du 23 février 2007 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la SA Eternit a interjeté appel général de cette décision.

MOYENS DES PARTIES

La SA Eternit dans ses dernières conclusions du 5 décembre 2008 de 48 pages auxquelles il convient de se reporter pour plus de précisions sollicite l'infirmation du jugement déféré et demande de

- condamner la SA Lafarge Ciments à la relever et garantir des condamnations prononcées à son encontre par cette décision

- débouter cette société de toutes ses demandes

- la condamner à lui payer la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle expose avoir fabriqué depuis des dizaines d'années des produits minces préfabriqués à base de ciment renforcé par des fibres d'amiante jusqu'à l'interdiction de celle-ci en 1995 et notamment des tuyaux pression d'une longueur de 5 mètres et d'un diamètre variant de 125 à 400 mm destinés aux réseaux d'irrigation enterrés sous pression d'eau de 15 bars utilisés le plus souvent par les agriculteurs pour l'arrosage de leurs cultures, dont un nombre très restreint se sont cassés au cours de leur utilisation en raison de la formation "d'ettringite secondaire différée" ce qui a obligé les maîtres de l'ouvrage à engager des frais de réparation des réseaux puis des procédures judiciaires et administratives avec désignation d'experts, lesquels s'accordent aujourd'hui avec la communauté scientifique pour retenir comme explication un phénomène accidentel dans la survenance duquel le ciment a joué un rôle.

Elle soulève, tout d'abord, l'irrecevabilité de l'action de la société Bessac et de son assureur exercée à son encontre, fondée sur la garantie des vices cachés des articles 1641 et suivants du Code civil pour n'avoir pas été intentée dans le bref délai de l'article 1648 puisqu'ils ont attendu le mois de novembre 2004 pour solliciter sa condamnation à les indemniser alors que le rapport d'expertise avait été déposé depuis le 29 août 2003, soit quinze mois auparavant.

Subsidiairement et sur le fond, elle fait valoir que l'analyse des différents rapports d'expertise déposés à ce jour dans des affaires semblables et les décisions rendues par les différentes juridictions de première instance et d'appel qui ont statué conduisent à retenir que la formation de l'ettringite différée ne pouvait provenir d'un seul facteur mais que deux causes distinctes devaient nécessairement se retrouver concomitamment pour le provoquer lors du processus de fabrication à savoir la température dans la mesure où il y aurait pu y avoir une élévation accidentelle de celle-ci dans le tunnel de mûrissement des tuyaux, mais aussi le ciment entrant dans la composition des canalisations dans la mesure où celui-ci était parfois livré chaud ajoutant ainsi un rôle additionnel dans la survenance du désordre et présentait par son composition des caractéristiques à risque.

Elle évoque successivement l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 22 mars 2007, les rapports d'expertise de M. Ostermeyer et Lauly du 29.08.2003, de M. Theveny du 9 juillet 2002 et du 8 mars 2006 (missionné par le Tribunal administratif de Marseille), de M. Boudrand du 19 avril 2004 (Tribunal de commerce de Nanterre) et 21 février 2007 (Tribunal administratif de Clermont Ferrand), un document élaboré par la communauté scientifique en novembre 2004 sur la durabilité des bétons, le guide technique du Laboratoire des Ponts et Chaussées d'août 2007, le jugement du Tribunal de commerce de Versailles en date du 31 octobre 2008 et l'arrêt de la Cour d'appel de Riom du 12 décembre 2007 mais pour le critiquer.

Elle recherche la responsabilité de la SA Lafarge Ciments sur le fondement de la garantie des vices cachés des articles 1641 et 1642 du Code civil.

Elle soutient que "le ciment chaud" constitue bien un vice affectant le ciment livré par cette société puisque si l'on considère que l'élévation de la température constitue un des paramètres nécessaires au développement de l'ettringite différée, ce ciment y contribue par sa chaleur.

Elle précise que ce vice était caché puisqu'elle ignorait l'existence du phénomène et notamment le rôle de l'élévation de température dans sa survenance, qui ne pouvait être décelé que plusieurs années plus tard lors de la formation de l'ettringite différée qui n'a été identifiée que dans les années 1990 et rappelle que le vice indécelable est toujours caché y compris lorsque l'acheteur est un professionnel et qu'il ne libère pas le vendeur professionnel de sa garantie.

Elle ajoute que ce ciment était, en raison d'un défaut qui lui était inhérent, impropre à l'usage normal auquel il était destiné.

Elle explique que cette réaction physique ne peut pas se produire si le ciment utilisé dans la fabrication du produit fini ne contient pas une teneur élevée en sulfates, aluminates et en alcalins, tous éléments qui par définition sont intrinsèques à la chose livrée et qu'il en va de même de la chaleur trop élevée du ciment lors de sa livraison par le vendeur.

Elle souligne que ces éléments tenant à la composition du ciment et à sa température étaient bien de nature à rendre la chose impropre à son usage ou du moins diminuer son utilité par rapport à sa destination habituelle, de sorte que toutes les conditions de la garantie légale sont réunies.

Encore plus subsidiairement, elle recherche la responsabilité de la SA Lafarge Ciments sur le fondement de l'article 1147 du Code civil pour manquement à son obligation de conseil puisqu'en sa qualité de fabricant du ciment elle avait le devoir de donner à l'acquéreur d'un produit nouveau, fût-il utilisateur professionnel, les renseignements nécessaires à son usage et de l'informer, le cas échéant, des risques pouvant en résulter.

Elle fait remarquer que la composition du ciment a été changée à plusieurs reprises à sa propre demande, sans que ce fournisseur n'ait accompagné ces modifications de conseils particuliers.

Elle conteste que le process de fabrication de ses tuyaux puisse être qualifié de complexe, la seule complexité résidant dans la composition d'un ciment adéquat très difficile à obtenir dans la mesure où de nombreux composants chimiques entrent dans la fabrication de celui-ci.

Elle affirme que la SA Lafarge Ciments n'a pas respecté son devoir de renseignement et de conseil dès lors qu'elle n'a pas imposé un cahier des charges à son co-contractant et a fourni un produit insuffisamment fiable car insuffisamment testé pour la réalisation des conduites en amiante ciment.

Elle lui fait grief de ne pas l'avoir mise en garde sur la nécessité du contrôle de température dans le tunnel de mûrissement puisqu'elle aurait, au moins partiellement, eu un rôle causal dans la casse des tuyaux et de s'être contentée de fournir son ciment qui variait constamment en procédant à ces modifications chaque fois qu'elle était alertée par ses soins des problèmes périodiquement rencontrés.

Elle soutient que la clause de restriction de garantie limitée à 15 jours, insérée aux conditions générales de vente, ne peut recevoir application dès lors que le rôle de la température dans la survenance de l'ettringite différée n'était pas connue lors des livraisons, de sorte qu'elle n'était pas à même de formuler quelque réclamation que ce soit.

Elle estime qu'une telle clause revêt un caractère abusif et n'est pas opposable à un acheteur professionnel qui a une spécialité différente de celle du vendeur, qu'elle est elle-même utilisatrice de ciment alors que la SA Lafarge Ciments en est le fabricant.

La SA Lafarge Ciments dans ses dernières conclusions du 8 décembre 2008 de 63 pages auxquelles il convient de se référer pour plus de précisions demande de

- prononcer la nullité de l'acte introductif d'instance

- pour le surplus, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré mal fondé le recours exercé par la SA Eternit

- dire qu'elle n'encourt aucune responsabilité, en l'absence de toute faute de sa part, dans la rupture des canalisations litigieuses qui relève du seul industriel fabricant des conduites

- constater que le ciment fourni n'était affecté d'aucun vice et qu'elle a satisfait à son obligation de conseil à supposer qu'elle y était tenue

Subsidiairement,

- faire application de ses conditions générales

- dire n'y avoir lieu à indemniser la SA Eternit

- en tout état de cause constater l'irrecevabilité de sa demande

- condamner la SA Eternit à lui payer la somme de 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soulève la nullité de l'assignation délivrée par la SA Eternit à son égard qui ne répond pas aux prescriptions de l'article 56 du Code de procédure civile pour ne mentionner aucun texte à l'appui de l'action en garantie exercée contre elle.

Subsidiairement et sur le fond, elle soutient que le ciment livré n'était affecté d'aucun vice au sens des articles 1641 et suivants du Code civil.

Elle fait valoir qu'il n'était pas impropre à la destination à savoir la fabrication de tuyaux ou incompatible avec le process industriel de la société Eternit puisqu'il n'y a eu aucun sinistre de 1971 à 1986, que 99,78 % des tuyaux fabriqués avec ce ciment après cette date n'ont connu aucun problème alors que si celui-ci avait été vicié, le sinistre aurait concerné la totalité des tuyaux fabriqués et non 0,22 % soit une infime minorité.

Elle rappelle que la charge de la preuve d'un vice pèse sur celui qui l'invoque, que tous les experts et les juridictions qui se sont prononcées à ce jour sur la question, ont unanimement considéré que la formation d'ettringite différée était un phénomène accidentel, lui-même dû à des causes accidentelles, ce qui exclut par la même tout vice caché du ciment, lequel aurait été permanent.

Elle indique que si les techniciens judiciaires ont pu manifester des incertitudes et hésitations sur un phénomène totalement inconnu à l'époque de la fabrication et dont l'étude technique n'est que très récemment rentrée dans sa phase définitive, il est un point désormais certain c'est qu'il se produit lorsque l'on chauffe le ciment au-delà d'une température de 60 à 70° et parfois un peu moins, ce seuil pouvant varier en fonction des caractéristiques du ciment et perturbant son hydratation normale.

Elle expose le processus de fabrication des tuyaux par la société Eternit, lesquels après leur séparation des mandrins, étaient dirigés dans une enceinte d'étuvage dénommée "tunnel de mûrissement" équipé d'aiguilles de chauffage où ils séjournaient entre 5 à 10 heures afin d'accélérer leur durcissement, suspecte que pour faire face à un accroissement occasionnel de la demande le fabricant ait pu être tenté pour augmenter la production d'élever ponctuellement sa température au risque de porter atteinte à la durabilité des canalisations, et dénonce l'absence d'équipement d'un système de contrôle de la température, ce qui constitue une imprudence particulièrement grave car si on ne connaissait pas encore le phénomène d'ettringite différée, il était unanimement reconnu qu'une élévation importante de la température entraînait inéluctablement une fragilisation des tuyaux.

Elle précise que si le taux de C3A (aluminate tricalcique) du ciment livré a pu être différent sur les périodes de 1971 à début 1979 (10 à 12 %) de la mi 1979 à avril 1991 (4,9 et 7,7 %) de 1991 à 1995 (retour au taux antérieur), tous les experts ont écarté tout rôle causal de ce changement dans la survenance des sinistres qui se sont indifféremment produits pour des fabrications des deux dernières périodes.

Elle affirme que la livraison de ciment chaud c'est-à-dire à une température plus élevée que d'habitude, n'est qu'une supposition faite par certains experts et non une constatation, qu'elle était techniquement impossible comme exposé aux pages 20 à 22 de ses conclusions, que la température a toujours été parfaitement normale de l'ordre de 40° à 50°.

Elle ajoute qu'en toute hypothèse elle n'aurait pas pu entraîner une élévation de température dans le tunnel de mûrissement car le ciment n'est pas utilisé dès la livraison mais stocké pendant un certain temps dans deux silos de 150 m3 chacun, mélangé dans une première étape à raison d'une dose de ciment de quelques kilos pour une quantité très importante d'eau dans un malaxeur de 4 m3, puis dans une seconde étape le mélange très fluide ainsi obtenu est traité dans un hélico-mélangeur de 5 m3 avant que cette pâte ne soit utilisée dans la machine de fabrication de sorte que, compte tenu de l'énorme quantité d'eau avec laquelle le ciment était dilué, sa température ne pouvait avoir qu'une faible répercussion sur la température finale de la pâte-amiante qui, pour le bon fonctionnement de la machine Harschek et selon les dires mêmes de la société Eternit, devait être de l'ordre de 30°.

Elle fait la même remarque au sujet de l'idée avancée par l'expert Theveny de la variation de la chaleur d'hydratation du ciment qui n'est qu'une supposition et non une constatation, laquelle est démentie par trois données :

- cette valeur est régulièrement contrôlée et les relevés communiqués à l'expert attestent d'une faible chaleur d'hydratation (230 J/g)

- chaque lot de clinker servait à fabriquer le ciment pendant un mois de sorte que la valeur d'hydratation ne pouvait varier que d'un mois à l'autre, alors que le sinistre n'a jamais affecté une production mensuelle de tuyaux

- le contrôle de la chaleur d'hydratation est effectué contradictoirement par deux laboratoires, celui de la société Eternit à Vernouillet et le sien à Viviers sur Rhône, de sorte que le fabricant n'ignorait pas les éventuelles variations mais les mesurait précisément pour en tenir compte dans son process de fabrication et constituait au surplus un paramètre apparent.

Elle estime démontrer suffisamment tant l'absence de vice caché du ciment que le fait que la seule cause possible de la formation d'ettringite différée à l'origine des sinistres tient à l'absence de contrôle et de maîtrise des températures par la société Eternit dans les tunnels de mûrissement.

Elle conteste tout manquement à une obligation de conseil.

Elle prétend qu'elle n'est due au profit d'un professionnel que lorsque sa profession ne le met pas en mesure de connaître les propriétés du produit mais ne joue pas à l'égard d'un professionnel compétent dans le domaine considéré et fait valoir que si elle est un spécialiste du ciment elle n'est nullement un spécialiste de la fabrication de tuyaux et des plaques ondulées d'amiante ciment, ce qu'est indiscutablement la société Eternit qui, par son métier, avait de nombreuses années d'expérience en matière d'utilisation des ciments à cette fin et connaissait les qualités particulières qu'il doit revêtir pour convenir à son process industriel de fabrication.

Elle rappelle que la seule exigence formulée par cette société à son égard portait sur la finesse du ciment et non sur ses qualités physico-chimiques, aucun cahier des charges ne lui ayant jamais été fourni.

Elle précise que le choix des caractéristiques du ciment a toujours été effectué par la SA Eternit tant initialement en 1971 où elle a sélectionné le CPA 55 CP2 après examen attentif dans ses laboratoires de ceux issus des diverses usines Lafarge qu'à la mi-1979 lorsqu'elle a ultérieurement demandé une modification du taux de C3A pour des raisons relatives à la fabrication des plaques et non des tuyaux et qu'en 1991 où elle a souhaité revenir au taux initial.

Elle ajoute que si à l'époque des faits l'ettringite différée était ignorée, tous les utilisateurs de ciment savaient que le soumettre à une température trop élevée était nuisible pour une bonne tenue dans le temps de sorte qu'il n'y avait pas lieu pour elle d'en informer de manière particulière la SA Eternit dont la longue expérience en matière de chauffage de ciment était indiscutable, qu'au surplus elle avait à plusieurs reprise attiré son attention sur ce risque.

Elle fait valoir, également, qu'il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir mis en garde ce fabricant sur ce phénomène qui était tout aussi inconnu pour elle.

Encore plus subsidiairement, elle se prévaut de ses conditions générales de vente qui prévoient d'une part que la garantie ne joue que si l'acheteur formule sa réclamation dans les 15 jours de l'arrivée des produits à destination et avant toute transformation, exigences qui n'ont manifestement pas été respectées et d'autre part qu'elle est limitée au remboursement ou au remplacement pur et simple des produits reconnus défectueux sans indemnité ni dommages et intérêts à quelque titre que ce soit, toutes clauses parfaitement valables entre professionnels.

Elle ajoute qu'en matière de responsabilité contractuelle le dommage, à supposer la faute démontrée, se limite à ce qui est prévisible, ce qui n'est pas le cas de ruptures de tuyaux dix ans après leur fabrication, d'autant que la société Eternit ne justifie pas avoir pris toutes les précautions nécessaires pour l'éviter.

La société Bessac et les Mutuelles du Mans dans leurs conclusions du 15 janvier 2008 sollicitent la confirmation du jugement déféré outre l'octroi de la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elles soulignent que la SA Eternit ne remet pas en cause les motifs adoptés par le tribunal pour accueillir leur propre action si ce n'est le bref délai de l'article 1648 du Code civil alors que le premier juge a parfaitement répondu sur ce point en considérant qu'en raison de la nature des vices rédhibitoires, des difficultés à identifier les causes possibles, de l'existence de pourparlers ayant abouti à la signature de protocoles transactionnels, l'action en garantie diligentée quinze mois après le dépôt du rapport d'expertise n'était pas tardive.

Elles ajoutent que la première assignation dont l'effet dure jusqu'à ce que le litige trouve sa solution avait déjà interrompu la prescription.

L'Association Syndicale Libre d'irrigation de la commune de Rivières conclut dans ses dernières écritures du 10 décembre 2008 à la confirmation du jugement déféré.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les exceptions de procédure et fin de non-recevoir

Sur la péremption

Il convient de relever que la SA Eternit ne maintient pas en cause d'appel le moyen tiré de la péremption de l'instance.

Sur la nullité de l'assignation

Aucune nullité n'affecte l'assignation d'appel en cause par la SA Eternit de la SA Lafarge Ciments en date du 3 novembre 1997 au regard de l'article 56 2° du Code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 décembre 1998 seule applicable en raison de sa date, qui exige la mention de l'objet de la demande et l'exposé des moyens.

Peu importe que l'acte ne contienne le visa d'aucun texte à l'appui de cet appel en garantie, dès lors qu'il expose clairement l'objet et les moyens de la demande à savoir ordonner une nouvelle mesure d'expertise concernant les causes de ruptures des canalisations amiante-ciment fabriquées par l'usine d'Albi de la société Eternit en 1988, qu'il fait référence à une instance parallèle concernant les mêmes tubes fabriqués par la même usine à la même époque semblant mettre en cause un problème de qualité sur le ciment fabriqué par l'usine de Lexos de la société Lafarge, qu'il était accompagné de la copie de l'assignation principale délivrée à la requête de la société Bessac et des Mutuelles du Mans laquelle contenait un exposé détaillé des faits litigieux et des procédures judiciaires engagées, faisait expressément référence en sa page 3 à la question de savoir si les tuyaux sont ou non affectés d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil à l'origine des ruptures, qu'un des chefs de la mission d'expertise sollicitée portait précisément sur ce point avec visa de ce texte.

Au surplus, la SA Lafarge Ciments ne justifie aucunement que l'insuffisance invoquée, qui constitue un vice de forme, lui ait effectivement causé un grief.

Sur la prescription de l'action de l'action pour vices cachés engagée par la société Bessac et les Mutuelles du Mans à l'encontre de la SA Eternit

Par assignation du 17 mars 1997 l'association syndicale libre d'irrigation de la commune de Rivières a sollicité devant le juge des référés judiciaire la condamnation de la société Bessac à lui verser une provision de 76 224,51 euro (500 000 F) à valoir sur l'indemnisation de son préjudice né de la rupture de nombreux tuyaux enfouis en tranchée, au vu du rapport d'expertise déposé le 9 décembre 1996 par M. Lauly désigné par le tribunal administratif.

Dans le cadre de cette instance cet entrepreneur avait par voie de conclusions déjà sollicité d'être relevé et garanti par la société Eternit, également appelée en cause par le maître de l'ouvrage, de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre.

Par assignation du 23 mai 1997 introductive de la présente instance la société Bessac a agi au fond à l'encontre de cette société en sa qualité de vendeur des tuyaux litigieux, tant en désignation d'expert qu'en garantie de la condamnation déjà prononcée à son encontre par le juge des référés le 11 avril 1997 et de celles susceptibles d'intervenir.

Cet acte a, en application de l'article 2244 du Code civil, interrompu le cours du délai le bref délai de l'article 1648 du Code civil imparti à l'acheteur pour exercer l'action en garantie des vices cachés.

L'action de la société Bessac et des Mutuelles du Mans Assurances à l'encontre de la SA Eternit est donc parfaitement recevable.

Sur le fond

L'examen comparé des chefs du jugement critiqués et des dernières conclusions des parties révèle que certaines dispositions y échappent à savoir celles relatives :

- à l'action exercée par l'association syndicale libre d'irrigation de la commune de Rivières à l'encontre de la société Bessac et des Mutuelles du Mans portant sur l'indemnité de 56 075,32 euro réclamée outre les frais de l'expertise ordonnée le 4 octobre 1995 par le juge des référés administratif

- au principe et au montant de l'indemnisation allouée à la société Bessac et aux Mutuelles du Mans mise à la charge de la SA Eternit sur le fondement de la garantie des vices cachés des articles 1641 et suivant du Code civil et de leur action récursoire au titre des condamnations prononcées à leur encontre au profit du maître de l'ouvrage, la SA Eternit s'étant contenté de soulever l'irrecevabilité de la demande sans formuler la moindre critique sur le fond, même à titre subsidiaire.

Ces dispositions doivent donc être d'ores et déjà confirmées sans même avoir à les examiner au fond puisque l'acte d'appel étant général la dévolution s'est opérée pour le tout en vertu de l'article 562 alinéa 2 du Code de procédure civile et qu'aucun moyen n'est développé à leur sujet par l'une ou l'autre des parties.

Le seul point qui reste critiqué en cause d'appel concerne l'action récursoire exercée par la SA Eternit à l'encontre de la SA Lafarge Ciments. Sur un double fondement, en principal la garantie des vices cachés et à titre subsidiaire le manquement à son obligation de conseil.

Sur la nature et l'origine des désordres

Le rapport d'expertise de M. Ostermeyer et Lauly en date du 29 août 2003 dressé dans le cadre de la présente instance conclut que "les désordres survenus sur un certain nombre de tuyaux en amiante ciment fabriqués par Eternit ont pour cause le développement d'ettringite différée.

L'ettringite est une sulfaoluminate de calcium ; sa formation est normale dans les ciments car elle participe à la prise du ciment et la régule ; en revanche, son apparition tardive plusieurs mois ou années après la formation du ciment du fait de la présence d'ions sulfates demeurés libres lors de la prise initiale du ciment est anormale ; elle est gonflante et entraîne donc dans le matériau des efforts importants qui finissent par provoquer des ruptures.

Nous ne pouvons être affirmatifs sur les raisons de ce développement d'ettringite sur une partie seulement de la production des tuyaux pression d'Eternit ; elles peuvent venir

- du processus d'Eternit

- ou de la composition chimique du ciment sans qu'il soit possible, en l'état actuel des connaissances, de trancher définitivement

- ou plutôt de la conjonction des deux

Nous dirons seulement que la présomption d'incidents relativement ponctuels dans le processus d'Eternit parait un peu plus probable (pages 96 et 97 du rapport).

Ces techniciens judiciaires relèvent dans le corps de leur rapport que

- Eternit spécialiste des tuyaux en amiante ciment

* n'a jamais fourni un cahier des charges précis concernant le ciment (pages 12, 57)

* n'a mis en place dans le tunnel d'étuvage aucun système de maîtrise des températures alors que c'est un élément d'une extrême importance, tous les scientifiques s'accordant à dire que l'excès de température bloque la consommation des sulfates et est une cause de formation d'ettringite différée le seuil critique se situant à 70, 80° et pour certains à 60° (pages 78, 86, 89) ; deux seuls relevés ont été communiqués pour les 5 et 10 janvier 1989

- les ciments Lafarge utilisés sont conformes aux normes en vigueur

- la production litigieuse concerne moins de 10 % des jours de fabrication des tuyaux pression ; il n'y a pas de généralisation du phénomène.

Ils soulignent "la difficulté de l'expertise, les causes des désordres qui en sont l'objet étant encore un sujet d'étude pour de nombreux scientifiques et leurs conclusions ne sont pas encore convergentes".

Depuis le dépôt de leur rapport, d'autres techniciens judiciaires ont investigué sur ce même phénomène affectant des tuyaux fabriqués dans la même usine avec du ciment de même provenance, destinés au même usage et installés dans d'autres régions.

Les connaissances scientifiques ont progressé.

Ces données actualisées, régulièrement versées aux débats, doivent également être prises en considération pour la solution du présent litige.

Un document a été édité en novembre 2004 par le centre d'information sur le ciment et ses applications (Cimbeton) sur la durabilité des bétons eu égard aux connaissances actuelles ; un chapitre est consacré à la prévention contre les phénomènes de gonflement interne sulfatique (RSI) et relate que "Cinq facteurs sont déterminants pour le développement de la réaction : un apport d'humidité permanent (apport d'eau de l'extérieur ou cycle d'humidification séchage), un fort échauffement du béton pendant son durcissement, une teneur élevée en alcalins dans la solution interstitielle du béton, une teneur élevée en sulfates, une teneur élevée en aluminates, ces divers paramètres devant a priori être réunis simultanément pour provoquer la formation d'ettringite différée ; la conjonction nécessaire et indispensable des cinq facteurs limite le nombre d'ouvrages susceptibles d'être exposés au phénomène ; la démarche préventive consisterait à limiter l'incidence d'un de ces facteurs".

Le Laboratoire Central des Ponts et Chaussées (LCPC) a édité en août 2007 un guide technique des recommandations pour la prévention des désordres dus à la réaction sulfatique interne indiquant que "la conjonction de plusieurs paramètres est indispensable pour amorcer et développer la RSI les paramètres primordiaux étant : l'eau et l'humidité, la température et la durée de maintien, les teneurs en sulfates (SO3) et en aluminates (C3A) du ciment, les teneurs en alcalins du béton".

L'expert Theveny dans son rapport du 8 mars 2006 retient "le caractère accidentel des fabrications défectueuses, rien ne permettant de penser que les casses sont exhaustives".

Au vu des essais effectués sur 3 échantillons analysés il estime que "la porosité, la teneur en AI203, Fe2O3 et en SO3, le dosage en ciment sont des paramètres qui n'interviennent pas dans l'apparition du phénomène" (page 24).

Il mentionne que selon les indications de son sapiteur 'le facteur température est un facteur indispensable à l'apparition d'ettringite secondaire (...) que cette température critique se situe selon les normes européennes entre 60 et 70° (...) que tout ce qui concourt à une élévation de température est donc nuisible :

- température de l'eau au moment du mélange, du ciment à ce même moment, dans le tunnel de mûrissement dans lequel séjournaient les tuyaux pendant quelques heures, une élévation du PH de l'eau de gâchage qui augmente la chaleur d'hydratation, une augmentation de la valeur en alcalins qui abaisse la valeur critique de la température, tous paramètres qui relèvent du processus Eternit

- chaleur d'hydratation du ciment, fonction de sa composition chimique et de sa finesse, paramètres qui relèvent du fabricant du ciment, la société Lafarge

et retient ces deux causes dans une proportion respective de 90 % à 10 %" (pages 26 à 31).

Il note que "le ciment répondait aux normes concernant l'utilisation du ciment pour les bétons et mortiers, qu'il n'existe pas de normes pour l'utilisation avec des fibres d'amiante ni de norme interne propre à Eternit et spécifique à son process et qu'en cours de fabrication peu de paramètres étaient mesurés par Eternit (température de l'air, du pH de l'eau, quantité d'eau utilisée, basicité (...))".

L'expert Boudrand dans son rapport de février 2007 conclut que "les causes initiales de l'ettringite différée ayant permis la survenance des désordres sont la résultante de phénomènes au caractère accidentel qui est le résultat d'un concours de circonstances ayant conduit à une combinaison de faits ou paramètres différents et concomitants.

Nous citerons en premier le ciment de l'usine de Lexos dont les caractéristiques chimiques comportent tous les éléments qui le font rentrer dans la catégorie des ciments à risque et qui a donné lieu à d'assez nombreuses adaptations ou à des changements involontaires dans certaines proportions ou caractéristiques physiques.

Il faut ensuite retenir des facteurs de la fabrication à Terssac qui ont pu aggraver ou révéler les propensions à favoriser les conditions de formation de l'ettringite différée à savoir les variations liées au recyclage de l'eau qui peuvent avoir entraîné des variations des teneurs en alcalins de la pâte des tuyaux, les apports d'eau neuve qui ont eu lieu jusqu'en 1994 avaient pour conséquence de diminuer la teneur de la pâte en alcalins donc d'élever la chaleur de la température critique favorisant l'éventualité de formation ultérieur d'ettringite expansive et les points de surchauffe qui se sont vraisemblablement produits ici ou là dans le tunnel de mûrissement.

On comprendra aisément qu'il soit dans de telles circonstances très difficile et surtout très délicat d'avancer une quelconque répartition pour ce qui concerne les incidences respectives de ces deux facteurs mais les analyses effectuées nous conduisent à confirmer qu'ils sont par parts égales à l'origine de ces désordres".

L'expert Niel dans son rapport d'octobre 2007 souligne, lui aussi, que toutes les sources d'élévation de température au cours de la fabrication ont été plus ou moins négligées (température du ciment, de l'eau, chaleur d'hydratation du ciment) et que celle du tunnel d'étuvage n'a jamais été contrôlée systématiquement (page 53).

Il estime que "la présence d'ions sulfates demeurés libres ayant engendré la formation d'ettringite différée est la conséquence d'une température non contrôlée du tunnel de mûrissement, température qui est elle-même le résultat de la température des matériaux constitutifs eau de recyclage et ciment, de l'élévation de température due à la chaleur d'hydratation du ciment et vraisemblablement de la chaleur complémentaire apportée par les épingles de chauffage.

La société Eternit avait tous les éléments pour maîtriser cette température : connaissance de température du ciment livré, de la chaleur d'hydratation du ciment, de la température de l'eau ; or elle n'a pas jugé utile de contrôler systématiquement la température ; elle n'a pas en effet pu produire de document intéressant ce contrôle sur toute la durée de fabrication (25 ans) à l'exception d'une journée qui ne peut en aucun cas être une valeur à retenir.

Elle est à mon avis le seul responsable des accidents ponctuels de fabrication qui se sont produits".

Sur la garantie des vices cachés

Les articles 1641 et suivants du Code civil imposent au vendeur de remettre à l'acheteur une chose qui ne révèle pas, après la livraison, des vices à la fois graves, cachés, antérieurs à la vente et imputables à la chose, la rendant inapte à son usage normal.

Au vu des explications reçues, des pièces justificatives produites et notamment des données scientifiques et expertales communiquées, la preuve de l'existence d'un vice du ciment répondant aux exigences légales n'est pas démontrée par la SA Eternit, alors que la charge pèse sur elle.

Aucune défectuosité n'affectait le ciment lors de sa livraison.

Il était parfaitement conforme aux normes techniques en vigueur, ainsi que souligné par tous les experts judiciaires qui notent l'absence de norme pour l'utilisation avec des fibres d'amiante (page 32 du rapport Theveny) et de référence spécifique propre à la société Eternit qui n'a édicté aucun cahier des charges sur les caractéristiques physico-chimiques des ciments à utiliser dans son processus industriel de transformation en produit fini, durant toute la durée de la fabrication soit pendant une vingtaine d'années.

Il ne contenait aucun élément nocif susceptible de provoquer par lui-même des conséquences préjudiciables ; tout au moins cela n'est pas démontré.

Aucune altération de ses caractéristiques convenues n'est établie ni d'ailleurs véritablement alléguée ; aucune anomalie n'est caractérisée.

Même si la composition du ciment a pu varier notamment pour sa teneur en aluminates (C3A) puisqu'elle est passée de 10-12 % à 4,9-7,7 % à compter de la mi 1979 (clinker dit spécial Eternit) puis est revenue à 8,8-10,5 % à compter de 1991 (clinker dit normal), elle est restée inchangée sur des durées suffisamment longues.

Or, des ruptures se sont produites sur les tuyaux fabriqués au cours de l'une et l'autre de ces deux périodes soit avant et après 1991.

Les casses ont affecté des fabrications de 1987, 1988, 1989, 1990, 1991, 1992, 1994 et ont été plus importantes sur celles de l'année 1988 alors qu'à cette époque la teneur en aluminates du ciment était moindre.

De même, le ciment présentait la même composition pendant au moins un mois (page 62 du rapport Niel) alors que les ruptures ont été constatées sur des tuyaux fabriqués sur certains jours seulement.

Ce dernier point est notamment souligné dans le rapport Lauly Ostermeyer (page 80 avant dernier paragraphe) qui note aussi en sa page 88 paragraphe 4 que la production litigieuse concerne moins de 10 % des jours de fabrication des tuyaux pression.

Il est également signalé par l'expert Niel à la page 39 de son rapport qui fait remarquer "qu'a été constaté la rupture de tuyaux fabriqués en 1992 et en 1994 sur deux journées dans chaque cas, alors que les livraisons de ciment étaient faites pour plusieurs jours de fabrication".

La teneur du ciment en sulfate S03 a pu subir des variations mais est toujours restée dans une fourchette normale pour un ciment Portland (page 70 du rapport Lauly Ostermeyer) et les variations ont été les mêmes en 1985, 1986 ou 1989 qu'en 1988 sans qu'il y ait pour cela de désordres (page 82 paragraphe 3).

L'expert Theveny conclut, à partir des essais réalisés par le LCPC sur 3 échantillons analysés fabriquées en 1992 (intact) 1992 (brisé) 1988 (brisé), que ce paramètre n'est pas concerné dans le sinistre, le ciment étant de même type Portland CPA-CEM1 mais de composition chimique différente pour les deux tuyaux brisés, avec une teneur en sulfates pour les trois tuyaux conformes aux quantités figurant dans un ciment de ce type (page 24 du rapport).

L'expert Niel écarte, également, le rôle des sulfates, "les désordres sur les tuyaux pression s'étant produits aussi bien quand l'usine utilisait un ciment avec un clinker normal que quand elle employait un clinker spécial Eternit (page 38 du rapport) et précise à cet égard que les teneurs en ions SO3 ne pouvaient pas varier d'un jour à l'autre ; donc on ne peut pas prendre comme valable l'existence d'ions SO3 libres certains jours parce que ne participant pas à la réaction chimique et donc susceptibles de demeurer libres dans la pâte dure" (page 62).

Les caractéristiques du ciment n'étaient donc pas forcément différentes pendant les périodes de fabrication avec casses ou sans casses.

Aucune corrélation n'est ainsi formellement établie entre les séquences de livraison du ciment et celles de fabrication des tuyaux atteints de désordres.

Aucun défaut même occasionnel de cette fourniture n'est donc démontré.

Par ailleurs, la livraison de ciment chaud aujourd'hui avancée par la SA Eternit ne l'avait jamais été lors des opérations d'expertise de M. Lauly et Ostermeyer ; elle est évoquée dans les rapports ultérieurs des experts Boudrand, Theveny et Niel.

Mais le fait que le ciment ait pu être livré "avec une forte chaleur, phénomène quelquefois observé sur certains sites utilisant du ciment en vrac" (page 28 du rapport Theveny) n'est qu'une hypothèse de travail pour ces techniciens judiciaires, présentée comme une possibilité et non comme une donnée constatée et vérifiée.

En outre, la température du ciment n'est envisagée que comme ayant pu contribuer à l'élévation de celle du mélange avec l'eau, les fibres et le sulfate de fer pour obtenir la pâte amiante ciment, déposée ensuite sur des mandrins, avant de placer les tuyaux ainsi obtenus dans un tunnel de mûrissement pendant plusieurs heures.

Or, la chaleur du ciment à la livraison était aisément observable et, au besoin, très facilement et normalement vérifiable par ce client, grand spécialiste de la fabrication des produits en amiante-ciment et participait de la maîtrise même de son processus industriel, le mélange ciment/eau en constituant la première étape avec ses incidences éventuelles sur les suivantes et notamment lors de la prise du ciment accompagnée d'une réaction exothermique jusqu'au complet durcissement des tuyaux.

Les experts sont unanimes à relever que durant toutes ces années la SA Eternit a plus ou moins négligé toutes les sources d'élévation de température au cours de la fabrication.

Si l'incidence de la température sur la réaction sulfatique n'était pas connue, elle n'était nullement ignorée à l'époque lors des cycles d'étuvage pour son impact sur la durabilité des ouvrages à base de ciment et participait donc de vérifications élémentaires.

Pourtant, la SA Eternit n'a procédé à aucun contrôle des températures sur toute la durée de la fabrication ; tout au moins elle n'a pu en justifier à aucun expert.

Aucun relevé n'a été communiqué ni pour le mélange eau/ciment (cf 28 page du rapport Theveny) ni pour l'enceinte d'étuvage dit tunnel de mûrissement (pages 78 paragraphe 3 et 86 paragraphe 4 du rapport Lauly et Ostermeyer, 64 du rapport Niel, 112 du rapport Boudrand).

Aucun système de maîtrise des températures n'avait, d'ailleurs, été mis en place alors que le processus industriel a varié dans le temps, comme souligné par tous les experts.

L'expert Theveny note "qu'en cours de fabrication peu de paramètres étaient mesurés par Eternit (température de l'eau, température de l'air, PH de l'eau, quantité d'eau utilisée, basicité) et en premier lieu température dans le tunnel de mûrissement (page 32).

Tous admettent que le seuil critique de température de 65° dans le tunnel de mûrissement a pu être atteint.

Le guide technique du LCPC rappelle en sa page d'introduction à titre de concepts de base qui ont parfois tendance à être négligés voire oubliés dans l'acte de construire que pour les structures constituées de produits préfabriqués en béton, il convient d'éviter, pour ces produits, les cycles de traitement thermique comportant des températures maximales trop élevées associées à des paliers de maintien en température de trop longue durée pour des formules de béton sensibles à la RSI".

Dès lors, rien ne permet de retenir que le désordre invoqué soit directement et immédiatement lié au ciment lui-même, à sa qualité et/ou son état originaires, étant rappelé qu'aucune garantie n'est due en cas d'utilisation ou de mise en œuvre défectueuse de la chose par l'acquéreur notamment lors des transformations, traitements dont elle peut faire l'objet.

Au demeurant, le fait que l'ettringite différée ne puisse survenir que lors des opérations de fabrication des tuyaux en amiante-ciment, par l'association et l'interaction de multiples paramètres et donc de plusieurs facteurs étrangers au seul ciment conduit à écarter toute notion de vice caché qui, en droit, est nécessairement inhérent à la chose elle-même.

Cette solution s'impose d'autant plus que les mécanismes de formation de la réaction sulfatique interne restent encore à ce jour très imparfaitement connus au plan scientifique.

Le guide technique du LCPC mentionne expressément en sa page 10 "les causes, les mécanismes physico-chimiques et la cinétique de la réaction engendrant le phénomène de gonflement interne sulfatique ainsi que l'incidence des divers paramètres intervenant lors de la réaction sulfatique ne sont pas à ce jour parfaitement connus et font l'objet de nombreuses recherches".

Les experts judiciaires n'ont jamais pu concrètement vérifier l'existence de l'un et l'autre des multiples paramètres théoriquement susceptibles d'amorcer et de développer l'ettringite différée et procéder à cet effet toute constatation utile sur les opérations de fabrication des tuyaux litigieux, puisque les usines tant du fabricant que du cimentier ont été démantelées ou détruites dès 1994/1995.

S'il est acquis que les éclatements proviennent des tuyaux eux-mêmes et sont dus à la présence d'ettringite différée, la cause réelle de celle-ci notamment lorsqu'il s'agit de l'attribuer plus spécifiquement à la qualité du ciment de Lexos fourni par la SA LARFARGE CIMENTS ou aux pratiques de la SA Eternit pour la fabrication des tuyaux dans l'usine de Terssac reste très largement incertaine en raison, notamment, du nombre important de paramètres impliqués, de la complexité du mécanisme du gonflement et de l'absence de certaines données pratiques par suite de la disparition des équipements utilisés à l'époque (machine, tunnel de mûrissement (...)).

Le fait que le phénomène d'ettringite différée n'a jamais été général mais est toujours resté ponctuel, ainsi qu'unanimement affirmé par tous les experts à l'issue de leurs investigations respectives sur les différents sinistres semblables qui se sont produits sur le territoire national, ne fait qu'ajouter à la confusion.

Au vu de l'ensemble de ces données insuffisantes à démontrer la réunion des conditions légales, la SA Eternit doit être déboutée de sa demande d'indemnisation au titre de la garantie des vices cachés.

Sur la responsabilité pour manquement à l'obligation de conseil

Si une obligation d'information et de conseil peut exister entre professionnels, elle ne peut s'appliquer qu'à ce qui est connu au moment des faits litigieux.

Or, à l'époque des fabrications en cause qui s'échelonnent de 1987 à 1994 le phénomène de l'ettringite différée était ignoré, les premiers cas n'ayant été identifiés que dans les années 1990 ; cette pathologie des bétons reste qualifiée de rare et l'incidence des divers paramètres intervenants dans ce phénomène est encore à ce jour à découvrir et fait toujours l'objet de recherches scientifiques.

La SA Lafarge Ciments simple fournisseur de ciment n'était nullement impliquée dans le processus spécifique de fabrication des tuyaux en amiante-ciment entièrement mis en œuvre et contrôlé par la SA Eternit qui en avait seule la maîtrise et elle n'avait pas à s'y immiscer.

La SA Eternit, industriel spécialiste de ce type de fabrication depuis de très nombreuses années ayant acquis une notoriété certaine en la matière et disposant de son propre laboratoire à Prouvy, était restée maître du choix du ciment depuis l'origine en 1971 et avait opté après diverses études et expérimentations pour le ciment de l'usine de Lexos, qui a été modifié en 1979 dans ses caractéristiques chimiques à sa propre demande, pour des motifs tenant d'ailleurs à la fabrication des plaques ondulées mais sans qu'il puisse pour autant être qualifié de produit nouveau dès lors que seul son taux de C3A avait été abaissé (ce qui existait déjà pour le ciment prise mer) avant d'être augmenté en 1991 au niveau antérieur.

La SA Lafarge Ciments spécialiste du ciment avait à plusieurs reprises attiré l'attention de sa cliente sur les dangers d'un étuvage excessif nuisible à une bonne tenue dans le temps des ouvrages réalisés à base de ciment, seul risque connu à l'époque et ce dès les années 1975 comme ont pu le relever différents experts, au vu notamment de comptes rendus de réunions établis par la société Eternit ou d'échanges de courriers qui leur ont été présentés.

Ainsi, le 20 juin 1975 le cimentier écrivait "un cycle d'étuvage trop brutal (absence de pré-prise à basse température, montée trop rapide en température, pallier de température trop élevé) conduit toujours à une basse relative des performances à longue échéance" ; et le 19 juin 19975 la société Eternit signale au directeur de son laboratoire les remarques de la société Lafarge qui estime que 'le ciment est matraqué par une température excessive qui influence la résistance et la plasticité de l'amiante ciment (...)."

Le jugement déféré sera, dès lors, confirmé sur ces deux points restés litigieux.

Sur les demandes annexes

La SA Eternit qui succombe supportera donc la charge des dépens de première instance, en ce compris les frais d'expertise conformément à l'article 695 du Code de procédure civile, et d'appel ; elle ne peut, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du même Code.

Eu égard aux circonstances de la cause et à la position des parties, il est inéquitable de laisser à la charge de la SA Lafarge Ciments la totalité des frais exposés pour agir, se défendre et assurer sa représentation en justice et non compris dans les dépens, ce qui commande l'octroi de la somme de 3 500 euro à ce titre, complémentaire à déjà allouée de ce chef par le premier juge qui doit être parallèlement approuvée.

L'équité ne commande pas de faire à nouveau application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel au profit de la société Bessac et des Mutuelles du Mans.

Par ces motifs : LA COUR, - Confirme le jugement déféré. Y ajoutant, - Condamne la SA Eternit à payer à la SA Lafarge Ciments la somme de 3 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. - Déboute la SA Eternit, la SA Bessac travaux publics et carrières et les Mutuelles du Mans Assurances de leurs demandes à ce même titre. - Condamne la SA Eternit aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de la SCP Boyer Lescat Merle, Dessart Sorel Dessart, Nidecker, Prieu Philippot, Jeusset avoués.