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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 4, 13 juillet 2012, n° 11-18674

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lucheux (SAS)

Défendeur :

Go Assurances (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Laylavoix

Conseillers :

Mmes Bouscant, Taillandier-Thomas

Avocats :

Mes Monin, Chenard, Fournier, Bernabe, Lencione

T. com. Paris, du 29 sept. 2011

29 septembre 2011

Vu l'ordonnance de référé prononcée le 29 septembre 2011 par le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris qui s'est déclaré incompétent, a renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le président du Tribunal de grande instance de Paris, a dit n'y avoir lieu à statuer sur l'article 700 du Code de procédure civile et a condamné la demanderesse (la société Lucheux) aux dépens ;

Vu l'appel interjeté de cette ordonnance par la société Lucheux, qui, aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 20 juin 2012, demande à la cour d'infirmer l'ordonnance :

- in limine litis, de dire et juger l'exception d'incompétence irrecevable, que la juridiction commerciale est compétente pour connaître du litige et qu'il y a lieu de donner à cette affaire une solution définitive,

- à titre principal, de "constater" que la société Go Assurances se livre à des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société Lucheux et qu'il existe un trouble manifestement illicite et un dommage, d'interdire, en conséquence, à la société Go Assurances de réaliser des actes de concurrence déloyale et de parasitisme sous astreinte définitive de 1 000 euro par jour de retard, passé un délai de 5 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, de se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte et de condamner la société Go Assurances, outre aux dépens, à lui verser la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions signifiées le 8 juin 2012 par la société Go Assurances, intimée, qui prie la cour, à titre principal, de confirmer l'ordonnance, à titre subsidiaire, de débouter la société Lucheux de l'ensemble de ses demandes et de la condamner, outre aux dépens, à lui verser la somme de 12 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 21 juin 2012 ;

Considérant que la société Lucheux a développé une activité de courtier en assurances sur Internet, sous le nom commercial "Assurpeople" à travers un site dont le nom de domaine, enregistré le 17 avril 2000, est "Assurpeople.com" ;

Qu'ayant constaté, au mois de février 2011, que l'utilisation du moteur de recherche Google faisait apparaître dans la rubrique "liens commerciaux" des liens renvoyant vers des sites Internet tels que www.assurancedulion.fr et www.mutueldulion.fr à savoir la société Go Assurances, l'un de ses concurrents, après avoir, vainement, mis celle-ci en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 février 2011 puis avoir fait établir, le 28 mars 2011, un procès-verbal d'huissier, la société Lucheux a fait assigner la société Go Assurances devant le juge des référés du tribunal de commerce afin de voir interdire sous astreinte, sur le fondement des articles 873 du Code de procédure civile et 1382 du Code civil, les actes de concurrence déloyale et de parasitisme consistant à sélectionner comme mot clé le mot "Assurpeople" ou tout dérivé orthographique dans le cadre du service de référencement payant proposé par tout moteur de recherche sur Internet ;

Que, c'est dans ces conditions, que la société Go Assurances ayant soulevé l'incompétence du président du Tribunal de commerce de Paris au visa de l'article L. 736-3 du Code de la propriété intellectuelle, que l'ordonnance dont appel a été rendue ;

Considérant que la société Lucheux soutient à l'appui de sa demande que l'exception d'incompétence est irrecevable ; qu'en effet, la société Go Assurances s'est contentée d'indiquer devant le premier juge la compétence matérielle des tribunaux de grande instance, sans désigner le tribunal territorialement compétent comme le prévoient les dispositions de l'article 75 du Code de procédure civile ; que cette exception d'incompétence est, en tout état de cause, mal fondée, les faits reprochés relevant non pas des dispositions de l'article L. 716-3 du Code de la propriété intellectuelle par des faits d'atteinte à la marque mais de la concurrence déloyale et du parasitisme par usurpation du nom de domaine www.assurpeople.com et du nom commercial "Assurpeople" dont la connaissance relève du Tribunal de commerce de Paris qui est, de surcroît, seul compétent pour juger d'un acte de concurrence déloyale et parasitaire entre deux sociétés commerciales, en dehors de toute demande relative à la marque ; qu'il appartient toutefois à la cour de statuer sur la demande principale du litige en application de l'article 568 du Code de procédure civile ;

Que la société Go Assurances objecte que la société Lucheux revendiquant des droits sur la marque "Assurpeople", le litige ne peut qu'être porté, par application des dispositions de l'article L. 716-3 du Code de la propriété intellectuelle que devant le tribunal de grande instance, et en l'espèce de Paris, et non devant la juridiction commerciale ;

Considérant, à titre liminaire, que la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, étant juridiction d'appel du tribunal de commerce et du tribunal de grande instance, l'exception d'incompétence est sans objet ;

Considérant que la société Lucheux reproche à la société Go Assurances non pas une atteinte à la marque "Assurpeople" mais une usurpation du nom de domaine "Assurpeople" de son site Internet via le service payant "Adwords" du moteur de recherche "Google", l'utilisation du mot clé "Assurpeople" faisant apparaître dans la liste des liens commerciaux, un lien promotionnel vers le site Internet www.assurancesdulion.com de la société Go Assurances ;

Que les développements de la société Go Assurances sur l'analyse "au cas par cas" préconisée par la Cour de Justice de l'Union Européenne dans l'arrêt du 23 mars 2010 à l'occasion de l'interprétation de la directive du 21 décembre 1988 sur la marque communautaire et sur la jurisprudence applicable à l'atteinte à la marque ne sont donc pas transposables en l'espèce et sans portée sur le litige soumis à la cour ;

Considérant que la société Go Assurances reconnaît l'utilisation par elle du mot clé "Assurpeople" dans le cadre du référencement payant proposé par Google ;

Que la société Go Assurances soutient toutefois qu'elle n'a commis, en l'espèce, aucun fait constituant une violation de la règle de droit ; qu'elle ajoute que la société Lucheux ne rapporte pas la preuve d'un quelconque trouble ;

Mais considérant que l'internaute qui souhaite obtenir des renseignements sur une entreprise qui propose ses produits ou services en ligne afin, le cas échéant de contracter avec elle, doit effectuer une recherche en utilisant sa dénomination sociale, son nom commercial ou comme en l'espèce, son nom de domaine ; que le fait pour la société Go Assurances, exerçant dans le même secteur d'activité que la société Lucheux de référencer son propre site à partir du nom de domaine sur lequel la société Lucheux a un droit privatif, lui permet de bénéficier du trafic généré par le nom de domaine "Assurpeople" et de son site de publicité sur Internet qui est, de surcroît, le seul support par lequel la société Lucheux propose ses services à la clientèle et d'en détourner la clientèle à son profit ; que la "réservation" par la société Go Assurances de différentes variantes du mot clé "Assurpeople" ainsi que de mots clés voisins correspondant au nom commercial et de domaine de la société Lucheux constitue, à l'évidence, une atteinte aux droits dont cette société dispose sur sa dénomination sociale, générant nécessairement une confusion dans l'esprit de la clientèle ; que ce comportement constitue un acte de concurrence déloyale et du fait de l'immixtion dans le sillage économique de la société Lucheux, un acte de parasitisme ; qu'il en résulte nécessairement un trouble manifestement illicite que la liberté du commerce ne saurait autoriser et qu'il convient de faire cesser, sous astreinte, comme il sera dit au dispositif, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur le préjudice invoqué par la société Lucheux qui n'en tire toutefois aucune conséquence devant la cour ;

Qu'il n'y a pas lieu de se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte ;

Considérant que la société Go Assurances qui succombe sera déboutée de ses demandes formées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et condamnée sur ce fondement à payer à la société Lucheux, la somme de 3 000 euro ainsi qu'aux dépens de première instance ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme l'ordonnance, Déclare sans objet l'exception d'incompétence soulevée par la société Go Assurances, Constate l'existence d'un trouble manifestement illicite, Interdit en conséquence, à la société Go Assurances de réaliser des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l'encontre de la société Lucheux, en sélectionnant comme mot-clé, le mot "Assurpeople" ou tout dérivé orthographique dans le cadre d'un service de référencement payant proposé par tout moteur de recherche sur Internet et ce, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard, passé un délai de 10 jours à compter de la signification du présent arrêt et ce, pendant trois mois ; Dit n'y avoir lieu de se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte, Condamne la société Go Assurances à payer à la société Lucheux la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.