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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 10 juillet 2012, n° 11-01990

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Languedocienne (SAS)

Défendeur :

Schneider Electric Protection & Contrôle (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bachasson

Conseillers :

MM. Chassery, Prouzat

Avocats :

SCP Argellies, Watremet, SCP Janbon-Galloy, Me Poquillon, Rambaud

T. com. Montpellier, du 16 mars 2011

16 mars 2011

FAITS ET PROCEDURE - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Par contrat de services en date du 2 mars 1993, la société Gec Alsthom Protection & Contrôle a confié à la société La Languedocienne Déménagement des prestations d'emballage, de conditionnement et de stockage des appareils de sa fabrication.

La relation commerciale s'est poursuivie avec la conclusion, le 22 avril 1996, d'un contrat dit "de partenariat" ayant pour objet la gestion globale par la société La Languedocienne de la logistique de la société Gec Alsthom ; il était prévu qu'à l'issue de la durée de trois ans pour laquelle il avait été conclu, le contrat se poursuive par tacite reconduction pour une nouvelle période d'un an, sauf dénonciation six mois avant l'une des échéances contractuelles.

Le 29 novembre 2002, la société Gec Alsthom et la société La Languedocienne ont signé un avenant prévoyant une durée ferme de deux ans à effet du 1er novembre 2002 et un renouvellement du contrat, au-delà du 31 octobre 2004, pour des périodes successives d'un an, par accord express et écrit des parties.

Par un nouvel avenant du 25 janvier 2005, il a été convenu de la reconduction du contrat de partenariat pour une période ferme d'un an à compter du 30 octobre 2004, la société Gec Alsthom Protection & Contrôle devenant la société Areva T & D Protection & Contrôle.

Le contrat de partenariat a ensuite été renouvelé à compter du 1er novembre 2005 par périodes annuelles jusqu'à ce que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 30 mai 2008, la société Areva y mette un terme pour le 30 novembre 2008.

Se plaignant de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, la société La Languedocienne a, par acte du 25 mars 2009, fait assigner la société Areva T & D Protection & Contrôle devant le Tribunal de commerce de Montpellier en responsabilité et indemnisation de son préjudice, sur le fondement de l'article L. 442-6-I (5°) du Code de commerce.

La société Areva s'est opposée à la demande et a réclamé reconventionnellement le remboursement de prestations indûment facturées.

Par jugement du 16 mars 2011, le tribunal a débouté les parties de leurs prétentions respectives.

Ayant régulièrement relevé appel de ce jugement en vue de sa réformation, la société La Languedocienne demande à la cour de :

- dire et juger que la société Areva T & D Protection & Contrôle a rompu brutalement les relations commerciales établies avec elle,

- condamner en conséquence la société Areva à lui payer la somme de 915 514 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi de ce fait,

- la condamner au paiement de la somme de 107 373 euro au titre du préjudice économique consécutif à la rupture brutale,

- condamner la société Areva à lui payer la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour le comportement parfaitement déloyal dont elle a fait preuve pendant le préavis,

- ordonner la publication du jugement (sic) à intervenir dans dix journaux au choix de la demanderesse parmi les journaux suivants : Les Echos, L'Expansion, La Tribune, L'Usine Nouvelle, Le Figaro Economie, Le Monde Economie, Le Point, Investir, Challenge Magazine économique, Challenge Magazine interne Areva Entreprendre, Management Magazine, et aux frais de la défenderesse, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 3 000 euro HT ainsi que sur un quart de page d'accueil des sites Internet des défenderesses pendant une période de deux mois,

- débouter la société Areva de sa demande reconventionnelle,

- la condamner à payer la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, la société La Languedocienne fait essentiellement valoir que :

- débutée en 1992, la relation commerciale a duré 16 années, peu important qu'en vertu de l'avenant du 29 novembre 2002, le contrat de partenariat ait été renouvelé, de façon expresse, à sa date anniversaire,

- elle a réalisé une part de près de 50 % de son chiffre d'affaires avec la société Areva T & D Protection & Contrôle en 2000 et d'environ 30 % au cours des six dernières années, soit en moyenne 1 450 000 euro, ce qui caractérise une dépendance économique importante,

- les prestations effectuées pour le compte de la société Areva étaient spécifiques et ont d'ailleurs nécessité des investissements particuliers, inutilisables pour d'autres clients,

- après avoir dénoncé le contrat de partenariat, la société Areva lui a fait croire, en l'invitant à participer à son nouveau projet logistique baptisé "Argos", que le contrat serait renouvelé, ce qui l'a ainsi amenée à réaliser des investissements et à mettre en place de nouvelles dispositions techniques et commerciales,

- par courriel du 6 août 2008, la société Areva lui a même donné son accord pour l'application de nouveaux tarifs à compter du 1er octobre 2008,

- en réalité, pendant la période d'appel d'offres, elle avait déjà fait le choix de son successeur, la société Géodis, avec laquelle elle a débauché les salariés de son entreprise affectés exclusivement aux relations avec elle,

- elle aurait dû, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, bénéficier d'un préavis de deux années,

- son préjudice correspond à la perte de marge commerciale brute sur le chiffre d'affaires moyen réalisé avec la société Areva durant deux années (1 525 857 euro x 30 % x 2 = 915 514 euro) à laquelle s'ajoutent les coûts liés à la désorganisation de son activité de production et à l'impossibilité de récupérer certains investissements (107 373 euro).

La société Areva T & D Protection & Contrôle, aux droits de laquelle vient la société Schneider Electric protection & Contrôle, conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société La Languedocienne de ses prétentions ; subsidiairement, elle demande qu'il lui soit fait injonction de verser aux débats l'intégralité de ses comptes de résultats, grands livres et balances des comptes généraux pour les exercices 2006 à 2008 ; elle sollicite, plus subsidiairement encore, l'instauration d'une mesure d'expertise visant à déterminer les conséquences de la prétendue rupture brutale des relations commerciales.

Formant appel incident, elle conclut à la condamnation de la société La Languedocienne à lui payer la somme de 126 494,90 euro en remboursement de surfacturations effectuées de septembre 2006 à mars 2008, assortie des intérêts légaux à compter de la première demande, capitalisés, outre l'allocation de la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle expose en substance que :

- l'article L. 442-6-I (5°) ne s'applique pas à la rupture d'un contrat à durée déterminée, sans possibilité de renouvellement tacite, ce qui est le cas, en l'espèce, en l'état de l'avenant du 29 novembre 2002 liant les parties,

- en toute hypothèse, la société La Languedocienne ne pouvait bénéficier d'un préavis supérieur à six mois, dès lors que le contrat-type de sous-traitance institué par le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 vise un délai de préavis maximum de trois mois lorsque la relation a duré un an et plus et que les parties avaient, en l'occurrence, convenu d'un préavis de six mois au regard d'un contrat conclu pour une durée d'un an, sans tacite reconduction,

- elle a, de fait, bénéficié d'un préavis de neuf mois, ayant été informée, dès le 22 février 2008, de l'intention de son cocontractant de ne pas poursuivre leurs relations dans les conditions antérieures,

- la situation de dépendance économique, alléguée, n'est pas établie en l'absence de communication par la société La Languedocienne de ses comptes de résultats, d'autant qu'elle a poursuivi des relations commerciales avec d'autres sociétés du groupe Areva,

- les prestations effectuées pour son compte ne présentaient aucune spécificité et les investissements réalisés en 2003 et 2004 ont été amortis,

- elle a d'ailleurs offert de racheter à la société La Languedocienne, sous réserve de son bon état, le stock d'emballages et de conditionnements spéciaux au prix de 16 677,94 euro,

- contrairement à ce qui est affirmé, elle n'a jamais laissé entendre à la société La Languedocienne que son contrat serait renouvelé ou qu'elle serait retenue à l'issue de l'appel d'offres,

- ainsi, le courriel du 6 août 2008 relatif à la mise en application de nouveaux tarifs au 1er octobre 2008, ne remet pas en cause la résiliation déjà notifiée,

- il lui est également imputé le débauchage de salariés, dont la preuve n'est pas rapportée,

- le préjudice invoqué lié à la perte de marge, comme ses modalités de calcul, ne sont pas établis, à défaut notamment de production des comptes de résultats, grands livres et balances des comptes généraux, et le coût des licenciements consécutifs à l'arrêt des relations commerciales, qui pourrait constituer un chef de préjudice indemnisable, ne se trouve pas davantage justifié,

- enfin, pour la seule période de septembre 2006 à mars 2008, certaines prestations d'emballage, de conditionnement et de transport ont été surfacturées par rapport à la tarification contractuellement applicable.

MOTIFS DE LA DECISION :

L'article L. 442-6 I (5°) du Code de commerce dispose que tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers engage sa responsabilité s'il rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Ce texte a vocation à sanctionner la rupture brutale d'une relation commerciale établie, intervenue sans motif légitime de la part de son auteur, qui engage ainsi sa responsabilité sur un fondement délictuel à l'égard du cocontractant auquel la rupture cause un préjudice, même si un préavis prévu contractuellement a été respecté, dès lors que celui-ci est jugé insuffisant ; il importe peu, pour son application, que le contrat, dans lequel s'inscrit la relation, a été conclu pour une durée déterminée, stipulée renouvelable tacitement ou par l'effet d'un accord express, du moment que la relation entretenue entre les parties est stable.

Au cas d'espèce, le fait qu'à compter du 1er novembre 2002, le contrat de partenariat conclu entre la société Gec Alsthom et la société La Languedocienne l'ait été pour une durée de deux ans et que son renouvellement éventuel, par périodes annuelles, ait été soumis à un accord express et écrit des parties, n'a pas pour effet d'exclure l'application de l'article L. 442-6 I (5°) susvisé.

Force est, en effet, de constater que malgré les modifications apportées aux conditions de durée et de renouvellement du contrat, les parties ont entretenu une relation commerciale, sans interruption, pendant plus de quinze ans et que cette relation a évolué au fil du temps vers un accroissement des tâches confiées à la société La Languedocienne, chargée à compter de novembre 2002 de la gestion du stock et des expéditions, ainsi que de la sous-traitance logistique, en plus de l'emballage et du conditionnement des produits de la société Gec Alsthom.

Le chiffre d'affaires réalisé par la société La Languedocienne, dans le cadre de ses relations avec la société Gec Alsthom devenue la société Areva, s'est toujours maintenu, de 1993 à 2007, entre 30 et 49 % de son chiffre d'affaires total selon les renseignements fournis par le cabinet d'expertise comptable "Axiome Alpha" ; en outre, pour l'exécution des prestations qui lui étaient confiées, la société La Languedocienne a dû réaliser divers investissements, tels l'achat de logiciels spécifiques conçus et développés pour répondre à la demande de son partenaire et l'installation d'un dispositif de régulation de température et d'humidité pour l'équipement d'une salle de stockage à empoussièrement limité.

Ces éléments sont de nature à établir que les parties avaient inscrit leur relation dans la durée, alors que les prestations, qui en étaient l'objet, étaient par nature pérennes.

A défaut d'usages reconnus ou d'accords professionnels, la durée du préavis de rupture doit être appréciée eu égard aux circonstances ; il a déjà été indiqué que le respect du préavis contractuel - six mois en l'occurrence - n'a pas pour effet d'exonérer l'auteur de la rupture de la responsabilité délictuelle, qu'il est susceptible d'encourir sur le fondement de l'article L. 442-6 I (5°) ; la société Areva venant aux droits de la société Gec Alsthom n'est pas davantage fondée à soutenir que la société La Languedocienne ne pouvait bénéficier d'un préavis supérieur à six mois, au motif que le contrat-type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, approuvé par le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003, prévoit un délai de préavis maximum de trois mois lorsque la relation a duré un an et plus.

La stabilité, du moins apparente, dans laquelle se trouvait installée la relation commerciale entre les parties, que caractérisent plus de 15 années d'une collaboration ininterrompue, un volume d'affaires significatif, de l'ordre de 30 % du chiffre global, et l'existence d'investissements spécifiques, justifiait que soit accordé à la société La Languedocienne un préavis de 18 mois, que celle-ci aurait pu mettre à profit pour réorganiser son entreprise et trouver de nouveaux marchés.

Contrairement à ce que soutient la société Areva, le préavis, dont a bénéficié la société La Languedocienne, n'a pas été de neuf mois, puisqu'elle s'est bornée à informer son partenaire, notamment par courriels des 15 et 22 février 2008, qu'elle allait recourir à un appel d'offres, mais n'a pris l'initiative de résilier le contrat de partenariat que par courrier recommandé du 30 mai 2008, à effet du 30 novembre suivant ; le point de départ du préavis est donc la date à laquelle la société La Languedocienne a été effectivement informée de la rupture du contrat.

Ayant ainsi bénéficié d'un préavis de six mois, insuffisant eu égard aux circonstances, la société La Languedocienne a donc subi un préjudice, qui correspond à la marge commerciale brute dont elle a été privée durant le reliquat de préavis de douze mois qui aurait dû lui être accordé et au cours duquel son activité de prestataire pour le compte de la société Areva aurait dû être poursuivie.

La société La Languedocienne produit notamment ses bilans et comptes de résultats pour les années 2006, 2007 et 2008, ainsi que deux attestations de son expert-comptable, le cabinet "Axiome Alpha", dont il résulte qu'au cours de la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2007, correspondant aux cinq derniers exercices comptables complets - l'exercice 2008 n'est que de onze mois -, le chiffre d'affaires moyen annuel réalisé par la société La Languedocienne avec la société Gec Alsthom Protection & Contrôle devenue la société Areva T & D Protection & Contrôle, à l'exclusion des autres entités du groupe, a été de 1 427 278 euro, soit un chiffre d'affaires moyen mensuel de 118 940 euro ; la cour estime que les documents ainsi communiqués sont suffisants pour lui permettre d'apprécier le préjudice subi par la société La Languedocienne, du fait de la rupture brutale de la relation commerciale, même si les grands livres et balances des comptes généraux ne sont pas produits aux débats ; d'ailleurs, la société Arena, qui se contente d'affirmer que n'est pas rapportée la preuve du préjudice et de ses modalités de calcul, était parfaitement en mesure, à partir des éléments tirés de sa propre comptabilité, de corroborer ou pas les chiffres d'affaires qu'a réalisés la société La Languedocienne de 2003 à 2007, ce qu'elle ne fait pas.

Compte tenu d'un taux de marge de 30 %, le préjudice de la société La Languedocienne s'établit en définitive à la somme de : 118 940 euro x 30 % x 12 = 428 184 euro, arrondie à 428 000 euro, somme au paiement de laquelle la société Schneider Electric, venant aux droits de la société Areva, doit être condamnée.

Les dommages et intérêts ainsi alloués ont vocation à réparer le préjudice de la société La Languedocienne lié à la rupture brutale de la relation, du fait de l'insuffisance du préavis contractuel.

Pour le surplus, il n'est pas établi que les licenciements opérés par la société La Languedocienne, qui se borne à fournir une liste de salariés licenciés avec le montant des indemnités perçues, sont la conséquence directe de la brutalité de la rupture et auraient donc pu être évités si celle-ci avait disposé d'un préavis suffisant ; la société La Languedocienne n'apparaît pas, non plus, fondée à obtenir une indemnisation supplémentaire au titre des investissements réalisés dans le cadre de la relation commerciale, alors que l'indemnisation réclamée de ce chef fait double emploi avec la perte de marge subie durant la période de préavis, outre le fait qu'il n'est pas justifié que les investissements en matériels et développements informatiques spécifiques étaient non encore amortis à la date de la rupture ; quant à la valeur du stock des emballages et conditionnements spéciaux restés entre ses mains, elle ne saurait davantage constituer un préjudice indemnisable comme découlant directement de la brutalité de la rupture, étant observé qu'aucune stipulation du contrat de partenariat conclu en 1996 entre les parties ne met à la charge de la société Gec Alsthom devenue la société Areva une reprise du stock des emballages et conditionnements spéciaux, en cas de rupture à son initiative.

Il n'est pas justifié, par ailleurs, d'ordonner, à titre de mesure réparatrice, la publication de l'arrêt dans divers journaux ou périodiques.

Enfin, rien ne permet d'affirmer que la société Areva, après la notification de la rupture par courrier du 30 mai 2008, a usé de manœuvres pour faire croire à la société La Languedocienne qu'elle serait retenue à l'issue de l'appel d'offres, alors qu'elle avait, en réalité, déjà choisi son successeur, la société Géodis.

A cet égard, il résulte des pièces produites que la société La Languedocienne a participé à diverses réunions de travail organisées par la société Areva, dans le cadre du projet logistique de celle-ci baptisé "Argos" et qu'elle s'est engagée à mettre en place, dès le mois de juillet 2008, les nouvelles dispositions techniques et commerciales voulues par son donneur d'ordre, lequel lui avait transmis, en février 2008, le cahier des charges V 1.1. "Sous-traitance logistique" établi en vue de l'appel d'offres ; si par courriel du 6 août 2008, la société Areva a donné son accord à la société La Languedocienne pour "la mise en application des nouveaux tarifs à compter du 1er octobre 2008", il ne peut en être déduit, malgré la proximité de la date d'effet de la rupture précédemment notifiée, qu'elle ait entendu renoncer à celle-ci en accréditant l'idée selon laquelle la société La Languedocienne serait retenue à l'issue de l'appel d'offres ; le fait que le projet de contrat avec le futur logisticien, transmis le 30 septembre 2008 à la société La Languedocienne, porte la mention d'un logiciel "G-on line" appartenant à la société Géodis, ne permet pas davantage de déduire que cette société était d'ores et déjà choisie, alors qu'une version du cahier des charges, datée du 14 août 2008, désigne, à diverses reprises, la société La Languedocienne ou "LD" comme le prestataire logistique.

Le fait que l'un de ses anciens salariés, affecté aux relations avec la société Areva (Cyrille Rouquier), a été embauché par cette société à compter du 16 juin 2008, ne permet pas de déduire que la décision de celle-ci de ne pas retenir la société La Languedocienne à l'issue de l'appel d'offres était déjà prise ; quant à la démission d'un autre salarié (Julien Crozo) à effet du 14 août 2008, il n'est pas établi que celui-ci a été embauché par la société Géodis et que cette embauche était seulement dictée par le choix de cette société comme nouveau prestataire.

La demande de la société La Languedocienne en paiement de la somme de 50 000 euro en indemnisation du préjudice consécutif au comportement déloyal dont aurait fait preuve la société Areva pendant le préavis, n'apparaît pas en conséquence fondée.

L'article 10 de l'avenant du 29 novembre 2002 au contrat de partenariat dispose que les prix, définis en annexe 1, sont fermes et non révisables pendant toute la durée de l'avenant, lequel a été conclu pour une durée de deux ans, renouvelable, par périodes annuelles, à compter du 1er novembre 2004 ; il n'est pas discuté qu'à compter de cette date, le contrat a été renouvelé jusqu'à la résiliation intervenue au 30 novembre 2008, sans modification des clauses contractuelles insérées dans l'avenant de novembre 2002.

L'annexe 1 intitulée "tarifs" prévoit ainsi une majoration de 25 %, par rapport au tarif antérieur, des emballages express, qui correspondent à des livraisons devant être effectuées selon des délais courts, telles que définies à l'article 14 de l'avenant, c'est-à-dire soumises aux codes délais "C" (de J + 1 à J + 2) ou "D" (à J + 1 avant 9h00) ; la majoration de 25 %, prévue contractuellement, concerne les emballages réalisées pour les livraisons expresses et non les conditionnements liés à de telles livraisons ; la société La Languedocienne n'est pas fondée à soutenir que la commune intention des parties, lors de la rédaction de l'avenant du 29 novembre 2002, était de majorer de 25 % le tarif des emballages comme des conditionnements, alors que l'annexe 1 différencie très clairement le tarif applicable au conditionnement des colis et celui applicable à la confection des emballages.

Il ressort des éléments fournis que la société La Languedocienne a majoré de 33 %, au lieu de 25 %, les prestations relatives aux emballages express, de septembre 2006 à janvier 2007, avant de revenir à une majoration de 25 % à compter de février 2007, et que pour les conditionnements, elle a appliqué une majoration de 33 %, de septembre 2006 à janvier 2007, et de 25 %, de février 2007 à mars 2008, alors qu'elle ne pouvait prétendre à aucune majoration de tarif.

La surfacturation des prestations d'emballage et de conditionnement ressort ainsi à la somme de 26 027,91 euro ; la société La Languedocienne ne saurait, pour faire échec à l'action en répétition de l'indu de la société Areva, invoquer la prétendue mauvaise foi de celle-ci, n'ayant jamais élevé de protestation à réception des factures, ni soutenir que la tarification a été tacitement acceptée et s'est donc contractualisée.

L'annexe 1 de l'avenant de novembre 2002 dispose également, concernant la sous-traitance logistique, une rémunération du prestataire à hauteur de 8 % du coût logistique (hors frais attachés) par dossier import-export ; la société Areva conteste la facturation de "frais administratifs dossiers", d'un montant de 45,75 euro par transport, qu'a pratiqué son prestataire ; elle n'établit pas cependant que ces frais administratifs, ainsi forfaitisés, ne correspondent à aucune prestation réellement exécutée pour son compte, alors que la société La Languedocienne assumait la charge de l'établissement des documents "Export" et/ou douaniers, générant nécessairement des frais attachés à sa mission de sous-traitance logistique ; elle n'apparaît pas dès lors fondée à prétendre que les frais administratifs, qui lui ont été facturés régulièrement depuis novembre 2002, l'ont été indûment.

La société La Languedocienne doit ainsi être condamnée au seul paiement de la somme de 26 027,91 euro assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 avril 2009, date de signification par la société Areva de ses conclusions devant le tribunal de commerce, capitalisés conformément à l'article 1154 du Code civil, dont les dispositions sont d'ordre public.

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, la société Schneider Electric, venant aux droits de la société Areva, doit être condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société La Languedocienne la somme de 4 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau, Dit que la société Areva T & D Protection & Contrôle, aux droits de laquelle vient la société Schneider Electric protection & Contrôle, a engagé sa responsabilité, sur le fondement de l'article L. 442-6, 5° du Code de commerce, en raison de la rupture brutale de la relation commerciale entretenue depuis 1993 avec la société La Languedocienne, Condamne la société Schneider Electric, venant aux droits de la société Areva, à payer à la société La Languedocienne la somme de 428 000 euro à titre de dommages et intérêts compensatoires de son préjudice, Condamne la société La Languedocienne à payer à la société Schneider Electric, venant aux droits de la société Areva, la somme de 26 027,91 euro, indûment perçue sur ses prestations d'emballage et de conditionnement, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 avril 2009, Dit que les intérêts sur cette somme, ayant plus d'un an d'ancienneté, seront eux-mêmes productifs d'intérêts, Ordonne, en tant que de besoin, la compensation des créances et dettes réciproques, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Schneider Electric, venant aux droits de la société Areva, aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société La Languedocienne la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.