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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 31 août 2012, n° 11-13752

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

France Handling (Sté), Société de Fret et de Service (Sté), Worldwide Flight Services Holding (SA), Globale Service Handling (Sté)

Défendeur :

Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Apelle

Avocat :

Me Chesneau

CA Paris n° 11-13752

31 août 2012

Par note en date du 15 juin 2011, la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence a prescrit une enquête dans le secteur des services d'assistance en escale pour le traitement du fret aérien suite à une demande de clémence, faisant état de comportements illicites dans ce secteur consistant en des concertations sur la taxe - taxe poste inspection filtrage - dite "PIF" - ainsi que sur l'augmentation des tarifs notamment de sûreté-import et en l'échange d'informations sensibles sur l'ensemble de la tarification. Les services concernés par la présente procédure sont les services consistant en la manutention du fret avant embarquement ou après débarquement à l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle.

Par requête en date du 20 juin 2011, la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence a demandé au juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny l'autorisation de réaliser des opérations de visite et de saisie notamment dans les locaux des sociétés France Handling - FH - sise <adresse> à Tremblay-en-France 93290 - ayant pour activité l'assistance fret exploitation et gestion logistique de surfaces d'entrepôts libre et sous douane, de Fret et de Services - SFS - sise <adresse> Tremblay-en-France 95703 - Roissy-Charles de Gaulle Cedex - ayant pour activité celle de dégroupage et groupage de frets aériens, maritimes ou terrestres, de Worldwide Flight Services Holding SA - WFS - sise <adresse> Tremblay-en-France 95709 Roissy-Charles de Gaulle Cedex - qui a pour objet directement ou indirectement le groupage et la manutention de fret aérien, maritime ou terrestre, et Globale Services Handling - GHS - sise <adresse> Tremblay-en-France 95701 - Roissy-Charles de Gaulle, ayant une activité de prestations d'assistance aux opérateurs de fret.

Par ordonnance en date du 28 juin 2011, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny a autorisé lesdites opérations de visite domiciliaire.

Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées le 7 juillet 2011. Ces opérations ont fait l'objet de procès-verbaux et d'inventaires.

Les sociétés France Handling - FH - de Fret et de services - SFS - Worldwide Flight Services Holding SA - WFS - et Globale Services Handling - GSH - ont interjeté appel de l'ordonnance du 28 juin 2011.

C'est l'objet de la présente procédure.

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 22 mai 2012, les sociétés France Handling - FH - de Fret et de services - SFS - Worldwide Flight Services Holding SA - WFS - et Globale Services Handling - GSH - demandent au premier président :

a) à titre principal,

- de dire que, n'ayant pas eu accès à la version intégrale des annexes 2, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 17, 19 à 29 présentées au juge des libertés et de la détention, elles ont de ce fait été privées du caractère contradictoire de la procédure et de leur droit à un recours effectif et que les droits de la défense n'ont pas été respectés,

- de dire que le juge des libertés et de la détention n'a pas procédé à un contrôle effectif des éléments produits par l'Autorité de la concurrence,

- de dire que l'ordonnance n'est pas fondée au regard du texte de l'article L. 450-4 du Code de commerce,

en conséquence,

- de prononcer l'annulation de l'ordonnance entreprise dans son ensemble,

- d'ordonner la restitution de l'ensemble des originaux et des copies des documents papier et électroniques saisis dans leurs locaux respectifs lors desdites opérations,

- d'interdire à l'Autorité de la concurrence d'en conserver une copie par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit,

b) à titre subsidiaire,

- d'annuler l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a autorisé des opérations de visite et de saisie relativement à des faits ne se rapportant pas à "la taxe PIF", au "tarif import", au "tarif sûreté" ou à des échanges d'informations tarifaires entre les opérateurs d'assistance en escale fret,

en conséquence,

- d'ordonner la restitution de l'ensemble des originaux et des copies des documents saisis lors des opérations de visite et de saisie ne se rapportant pas à "la taxe PIF", au "tarif import", au "tarif sûreté" ou à des échanges d'informations tarifaires entre les opérateurs d'assistance en escale fret,

- d'interdire à l'Autorité de la concurrence et à tout tiers d'utiliser ou de divulguer tout ou partie des documents saisis ne se rapportant pas à "la taxe PIF", au "tarif import", au "tarif sûreté" ou à des échanges d'informations tarifaires entre les opérateurs d'assistance en escale fret,

- d'annuler l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a autorisé des opérations de visite et de saisie auprès de sociétés non identifiées pouvant appartenir au groupe France Handling,

en conséquence,

- d'ordonner la restitution de l'ensemble des originaux et des copies des documents saisis lors des opérations de visite et de saisie effectuées au sein des sociétés SFS et WFS et de leurs salariés et dirigeants,

- d'interdire à l'Autorité de la concurrence et à tout tiers d'utiliser ou de divulguer tout ou partie des documents saisis au sein des sociétés SFS et WFS et de leurs salariés et dirigeants,

- de condamner l'Autorité de la concurrence à leur payer la somme de dix mille euro - 10 000 euro - au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- de condamner l'Autorité de la concurrence aux dépens.

Par conclusions en date du 6 avril 2012, l'Autorité de la concurrence a sollicité la confirmation de l'ordonnance entreprise.

SUR CE

Considérant que les sociétés appelantes soulèvent en premier lieu la violation par l'Autorité de la concurrence du principe du contradictoire et du droit au recours juridictionnel effectif (violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et de l'article 16 du Code de procédure civile) ;

Considérant qu'il est constant que sur les 31 annexes produites au juge des libertés et de la détention, 19 sont dans la présente procédure "anonymisées" - soit les annexes 2, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 17, 19 à 29 - afin de ne pas dévoiler l'identité du demandeur à la procédure de clémence et que 14 des 19 annexes anonymisées comportent des informations occultées ;

Que les sociétés appelantes précisent ne pas souhaiter par cette procédure connaître l'identité du demandeur à la procédure de clémence mais sollicitent le pouvoir de se défendre sur l'intégralité du contenu des pièces sur lesquelles s'est fondé le juge des libertés et de la détention ;

Considérant que la procédure devant le juge des libertés et de la détention n'est pas contradictoire ; qu'il ne peut donc y avoir violation du respect du contradictoire à ce stade de la procédure ; que le premier juge a, par contre, comme il doit le faire, vérifié qu'il y avait bien un demandeur de clémence tout en préservant la confidentialité de celui-ci en ne laissant au dossier consultable par les entreprises visées que des éléments d'information occultés afin que ce demandeur ne puisse être identifié ; qu'aucune violation du respect du droit à un procès équitable ne peut être imputé de ce chef à l'Autorité de la concurrence ;

Qu'il importe de rappeler que le juge délégué, pour asseoir sa décision en cause d'appel, ne peut se fonder que sur des pièces transmises au juge des libertés et de la détention et qui laissent présumer une entente illicite ; que le juge délégué ne peut donc asseoir sa décision que sur des pièces ne souffrant aucune ambiguïté, le juge délégué auquel revient la décision de confirmer ou non l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ne pouvant que s'appuyer sur le contenu soumis à la contradiction des pièces versées en première instance ; qu'il n'y a donc à ce stade de la procédure aucune violation du principe du contradictoire ou du droit des sociétés appelantes à un recours effectif ;

Que, par ailleurs, les dispositions de l'article L. 450-4 du Code du commerce ne contreviennent pas à celles des articles 6, 8 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anti-concurrentielles ;

Que les sociétés appelantes seront, par voie de conséquence, déboutées de leur demande tendant à voir annuler l'ordonnance entreprise du chef d'une violation du respect du contradictoire ou du droit d'accès à un procès équitable ;

Considérant que les sociétés appelantes font grief au juge des libertés et de la détention d'avoir repris dans son ordonnance les termes de la requête de l'ordonnance ;

Que toutefois les motifs et le dispositif de l'ordonnance d'autorisation sont réputés être établis par le juge qui l'a rendue et signée ; qu'il ne peut dès lors y avoir annulation de l'ordonnance entreprise du fait que l'ordonnance attaquée reprend la motivation de la requête, la reproduction dans l'ordonnance de la motivation de la requête étant sans incidence sur la régularité de la décision ;

Considérant que les sociétés appelantes soulèvent par ailleurs une absence de contrôle juridictionnel effectif par le juge des libertés et de la détention des éléments produits par l'Autorité de la concurrence (violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 66 de la Constitution et 6 § 1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales) ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 450-4 du Code du commerce, le juge des libertés et de la détention "doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite" ;

Que le premier des agissements présumés concerne la fixation et l'application sur la base d'un accord commun entre les sociétés visées de la taxe "PIF" à un centime d'euro par kilogramme de fret ;

Que les sociétés appelantes font valoir que le juge des libertés et de la détention aurait opposé à tort l'annexe 8 comme une communication de ce tarif par la société France Handling alors que cette communication est le fait d'une compagnie aérienne cliente ;

Que cette annexe concerne une lettre en date du 31 octobre 2005 de la société France Handling elle-même à l'attention de la compagnie aérienne Air Burkina, lettre aux termes de laquelle il est précisé "les règlements européens (CE 2320 et 622) relatifs à la protection de la zone de sûreté à accès réglementé de l'aéroport ainsi que la mise en application de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2003, article 27-31 et 73 imposent la mise en place d'une inspection filtrage à l'entrée des magasins de fret situés en limites de zone publique et réservée, pour l'ensemble des personnes, véhicules, biens et produits susceptibles de pénétrer dans nos magasins.

La mise en œuvre de ces mesures de filtrage oblige France Handling à procéder à d'importantes modifications de ces installations et à mettre en place des postes d'inspection filtrage opérés par du personnel qualifié. L'importante augmentation des moyens que nous prévoyons de déployer d'ici la fin de l'année 2005 répondent aux obligations qui s'imposent aux compagnies aériennes et à leurs assistants de handling de même qu'aux occupants des zones de sûreté à accès réglementés.

Ces inspections filtrage ont pour but de renforcer la protection des aéronefs et de leurs passagers ce qui nous conduit à partager avec vous les charges additionnelles qui y sont attenantes. Ces charges additionnelles seront donc facturées sur la base de la totalité du fret traité dans notre magasin au tarif du 0,01 euro /kg de fret transporté, prenant effet au 1er janvier 2006 ;

Sur la facture correspondant à nos services, vous trouverez la ligne correspondant à cette prestation sous la section "contribution aux frais d'inspection filtrage (...)" ;

Que, si effectivement, la société France Handling est libre, dans le jeu normal, de choisir le taux à appliquer, le contenu de cette lettre correspond toutefois au taux dévoilé par le demandeur de clémence tel que cela résulte de la requête présentée par l'Autorité de la concurrence et donc à un taux pouvant être conclu suite à une entente, ce qui entraîne une violation des règles du libre jeu de la concurrence, ce sans qu'il soit d'utilité d'étudier les autres annexes visées et de savoir à qui, par qui et comment cette lettre a été adressée à une autre société ; que seuls les juges du fond auront à apprécier s'il s'agit d'une entente concertée ;

Que le deuxième agissement présumé concerne une concertation entre "handlers" pour l'augmentation des tarifs "sûreté" et "sécurité" ; qu'il ressort de l'annexe 14 qui relate une réunion en date du 10 décembre 2003 entre handlers qu'il est prévu une augmentation de concert de 4 à 5 % des tarifs pour le tarif import et sécurité ; qu'il résulte clairement de l'annexe 13, qui est une note interne du demandeur de clémence en date du 10 novembre 2003, une concertation tarifaire entre le demandeur de clémence et ses concurrents puisqu'il est mentionné dans cette note sous la rubrique tarifaire "adaptation de la grille tarifaire import et sûreté en accord avec les autres prestataires de la place" et au sujet des aéroports de province "adaptation des tarifs import et sûreté comme à Charles de Gaulle" ; que ces éléments sont suffisamment clairs pour laisser présumer une entente sur ces taxes, les prestataires de la place ne pouvant être que les handlers ;

Que le troisième des agissements soupçonnés concerne une concertation entre "handlers" sur l'ensemble de leur tarification par un échange d'informations sensibles ; que l'Autorité de la concurrence appuie son argumentation sur 7 annexes non discutées par les sociétés appelantes et qui traitent de discussions entre les sociétés visées d'informations sensibles concernant leur tarification et ce depuis 2004 ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments un faisceau d'indices permettant de présumer la participation des sociétés appelantes à des pratiques anticoncurrentielles, 13 annexes mentionnant au moins l'une des sociétés appelantes - annexes 1, 4, 5, 6, 8, 14, 15, 17, 18, 20, 21, 25 et 27 - et les annexes 18, 19, 20 et 27 permettant de comparer les tarifs sûreté pratiqués par les sociétés France Handling et Global Services Handling - GHS - au 1er janvier 2008 ; que, par ailleurs, peuvent être retenus comme éléments de présomption de faits non prescrits des documents ou éléments d'information datant de plus de cinq ans ;

Considérant que le juge des libertés et de la détention a pris soin, dans son ordonnance, de préciser le secteur concerné par son autorisation dans le secteur de l'économie soit celui relatif aux services d'assistance en escale pour le traitement du fret aérien ; qu'il est constant que les sociétés visées jouent un rôle primordial dans ce secteur ; que l'autorisation accordée vise également les agissements entrant dans le champ de pratiques prohibées ; que les sociétés appelantes sont ainsi informées à la fois de l'objet des mesures autorisées, des pratiques anticoncurrentielles présumées ainsi que du secteur concerné ;

Considérant que les sociétés appelantes demandent à titre subsidiaire que soit annulée l'ordonnance querellée et ce aux motifs qu'elle a autorisé des opérations de visite et de saisie au sein de sociétés non identifiées pouvant appartenir au groupe France Handling ;

Que les deux sociétés visées sont en fait les sociétés Worldwide Flight Services Holding - WFS - et de Fret et de Services - SFS - ayant la même adresse que la société France Handling ; qu'il s'agit donc de sociétés parfaitement identifiées et identifiables ;

Que la demande à titre subsidiaire, doit de ce fait être rejetée ;

Considérant que les sociétés appelantes, parties succombantes, doivent être déboutées de leurs demandes tendant à voir annuler l'ordonnance entreprise comme tendant à voir ordonner la restitution entre ses mains des pièces saisies ainsi que de leur demande au titre des frais irrépétibles et condamnées aux dépens.

Par ces motifs : Déboutons les sociétés France Handling - FH - de Fret et de services - SFS - Worldwide Flight Services Holding SA - WFS - et Globale Services Handling - GSH - de leurs demandes tendant d'une part à voir ordonner l'annulation de l'ordonnance entreprise dans son ensemble et la restitution de l'ensemble des originaux et des copies des documents papier et électroniques saisis dans leurs locaux respectifs lors des opérations de visite et de saisie d'autre part à voir interdire à l'Autorité de la concurrence d'en conserver une copie par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit. Déboutons les sociétés France Handling - FH - de Fret et de services - SFS - Worldwide Flight Services Holding SA - WFS - et Globale Services Handling - GSH - de leur demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile. Condamnons les sociétés France Handling - FH - de Fret et de services - SFS - Worldwide Flight Services Holding SA - WFS - et Globale Services Handling - GSH - aux dépens de la présente instance.