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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 31 août 2012, n° 12/01761

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Aujourd'hui Sport (SAS), Le Parisien Libéré (SNC), Editions P. Amaury (SA), Amaury Medias (SAS), L'Equipe (SNC)

Défendeur :

Rapporteure de l'Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Apelle

Avocats :

Mes Olivier, Gunther

CA Paris n° 12/01761

31 août 2012

Par note en date du 10 décembre 2008, le Conseil de la concurrence, devenu depuis l'Autorité de la concurrence, a été saisi par la société Le Journal du Sport de pratiques anti-concurrentielles sur le marché de la presse quotidienne sportive.

Le 4 mai 2009, la rapporteure du Conseil de la concurrence a saisi le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny pour être autorisée à pratiquer des opérations de visites et de saisies dans les locaux des sociétés du groupe Amaury aux fins d'établir si ces dernières se livrent à des pratiques prohibées par l'article L. 420-2 du Code du commerce par un abus de position dominante à l'encontre du journal " le 10Sport.com ".

Le juge des libertés et de la détention a autorisé lesdites visites par ordonnance du 12 mai 2009.

Sur commission rogatoire de ce juge, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre a désigné, par ordonnance en date du 13 mai 2009, les agents de police judiciaire pour effectuer les opérations de visites et de saisies dans les entreprises ayant leurs locaux à Boulogne-Billancourt.

Les opérations de visites et de saisies ont eu lieu le 19 mai 2009 au sein des sociétés suivantes, toutes sociétés du groupe Amaury : Aujourd'hui Sport, Le Parisien Libéré, Les Editions P. Amaury, Amaury Medias et l'Equipe.

Le 25 mai 2009, ces sociétés ont formé un appel à l'encontre de l'ordonnance susvisée.

Par ordonnance en date du 17 juin 2010, le Premier président de la Cour d'appel de Paris a infirmé l'ordonnance autorisant les visites et saisies domiciliaires et ordonné la restitution des pièces saisies et ce aux motifs que l'Autorité ne disposait pas d'un faisceau de présomptions suffisantes pour solliciter des opérations de visite et de saisie et que la mesure autorisée par le juge n'apparaissait pas proportionnée à l'atteinte faite aux libertés.

Suite à un pourvoi de l'Autorité de la concurrence, la Cour de cassation a, le 11 janvier 2012, cassé et annulé en toutes ses dispositions l'ordonnance et a renvoyé l'affaire à la Cour d'appel de Paris.

C'est l'objet de la présente procédure.

Par conclusions signifiées le 21 mai 2012, chacune de ces sociétés a demandé au Premier président :

- de les recevoir en leurs conclusions et les dire bien fondées,

- de dire que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention a été rendue sur le fondement d'une commission rogatoire nulle et infondée,

- d'annuler les opérations de visite et de saisie effectuées le 19 mai 2009,

- d'ordonner la restitution des pièces et scellés visés dans la pièce n° 3, aucune copie ou original ne pouvant être utilisés par l'Autorité.

Par conclusions du 21 mai 2012, l'Autorité de la concurrence a demandé au Premier président de confirmer l'ordonnance principale ainsi que l'ordonnance prise sur commission rogatoire.

Sur ce

Considérant qu'aux termes de l'article L. 450-4 du Code du commerce, la demande d'autorisations et de visites doit comporter tous les éléments d'information de nature à justifier la visite ;

Considérant qu'il est constant que les sociétés appelantes ont un rôle déterminant dans le secteur concerné ; que le plaignant, lorsqu'il a saisi l'Autorité de la concurrence, venait de lancer un journal dans le même secteur, le journal l'Equipe, occupant jusqu'alors une situation monopolistique ;

Qu'il est avéré que le groupe Amaury a lancé peu après une publication dans le même format que celle du plaignant ; que si cet élément peut effectivement être un seul fait de concurrence non répréhensible, une entreprise étant en droit de se défendre ou de développer sa part de marché lorsqu'elle est confrontée à l'arrivée d'un concurrent, les déclarations du plaignant devant l'Autorité de la concurrence, à savoir que les sociétés du groupe Amaury offriraient aux annonceurs des remises tarifaires importantes et une offre couplée, sont confirmées par un de ces annonceurs ;

Que ces déclarations ne pouvaient que poser des interrogations sur le caractère régulier de cette attitude, pouvant rendre ainsi difficile l'accès à la publicité pour un concurrent des sociétés appelantes ;

Que par ailleurs l'attitude invoquée des kiosquiers semblant privilégier le journal l'Equipe est confirmée par le directeur général de l'Office de justification de la diffusion, association pour le contrôle de la diffusion des médias, et laisse planer un doute sur les raisons réelles de cette attitude ;

Que certes, ces faits sont de simples indices mais qui, à ce stade de la procédure, peuvent être à eux seuls révélateurs de pratiques anti-concurrentielles susceptibles de limiter ou de fausser le jeu de la concurrence et ce même si les autres éléments invoqués par le plaignant ne sont pas corroborés sérieusement par d'autres pièces exemptes de tout subjectivisme ;

Considérant que l'Autorité de la concurrence est libre de choisir la mesure qui lui semble le plus appropriée pour mener à bien ses investigations ;

Que s'agissant de la recherche de documents confidentiels, seules des opérations de visite et de saisie domiciliaire pouvaient permettre de mettre à jour ces documents notamment par la saisie des mails, une demande d'information ou de communication pouvant se révéler inefficaces, l'Autorité de la concurrence ne pouvant espérer une collaboration active des sociétés concernées ; que, s'il doit être usé des opérations de visite domiciliaire avec circonspection, cette mesure est inévitable face à des agissements présumés qui peuvent se révéler particulièrement complexes et difficiles à appréhender sur le plan factuel ;

Que cette mesure est par ailleurs la seule à pouvoir apporter des éléments justifiant ou anéantissant les déclarations du plaignant ;

Considérant qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, l'ordonnance principale entreprise et l'ordonnance prise sur commission rogatoire, qui n'est qu'une mesure d'exécution de l'ordonnance principale, ne peuvent qu'être confirmées ;

Considérant que les sociétés appelantes, parties succombantes, doivent être condamnées aux dépens.

Par ces motifs : Confirmons l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny du 12 mai 2009 ainsi que l'ordonnance prise sur commission rogatoire du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre en date du 13 mai 2009. Condamnons les sociétés appelantes aux dépens de la présente instance.