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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 31 août 2012, n° 09-13945

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Centre Scientifique et Technique du Bâtiment

Défendeur :

Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Apelle

Avocat :

Me Elkins

TGI Paris, JLD, du 3 juin 2009; TGI Meau…

3 juin 2009

Par note du 4 mai 2009, la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence a prescrit une enquête dans le secteur de la certification, de la production et de la distribution des produits de construction d'isolation thermique.

Par requête du 11 mai 2009, la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence a demandé au juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris, l'autorisation de réaliser des opérations de visite et de saisie dans les locaux du CSTB - Centre Scientifique et Technique du Bâtiment.

Par ordonnance en date du 3 juin 2009, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris a autorisé lesdites visites domiciliaires.

Par ordonnance du 5 juin 2009, rendue sur commission rogatoire du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Meaux a désigné le chef de service de police territorialement compétent pour nommer les officiers de police judiciaire qui assisteront aux opérations de visite et de saisie dans les locaux du CSTB à Champs-sur-Marne <adresse> et à Paris <adresse>.

Les opérations de visite et de saisie ont eu lieu le 11 juin 2009 dans les locaux du CSTB et ont fait l'objet de procès-verbaux et d'un inventaire.

Le 4 janvier 2011, le CSTB formait un recours à l'encontre des opérations de saisie elles-mêmes.

Le 2 novembre 2010, le juge délégué du Premier président de la Cour d'appel de Paris ordonnait avant dire droit une mesure d'expertise.

Suite au pourvoi interjeté par l'Autorité de la concurrence, la Cour de cassation a, le 16 juin 2011, cassé et annulé en toutes ses dispositions l'ordonnance du 2 novembre 2010 et renvoyé l'affaire devant la juridiction du Premier président de la Cour d'appel de Paris autrement composée.

C'est en cet état qu'intervient la présente procédure.

Par conclusions en date du 5 avril 2012, l'Autorité de la concurrence demande au Premier président, suite à l'arrêt de la Cour de cassation,

- de déclarer régulières les opérations de visite et de saisie menées dans les locaux du CSTB le 11 juin 2009,

- de constater son accord pour restituer, sous son contrôle, les cotes 1 à 3 du scellé 22, les 12 documents cités en pages 5 et 6 des conclusions du CSTB et les fichiers informatiques listés dans la pièce 11 jointe aux conclusions du CSTB à l'exception des fichiers de l'annexe A.

Par conclusions récapitulatives en date du 29 février 2012, le CSTB demande au Premier président :

- de déclarer irrégulières les saisies effectuées dans ses locaux listés en pièce 11 dans la mesure où les libellés indiqués dans l'inventaire dressés par les agents de l'Autorité ne permettent pas au juge de vérifier que les saisies se situent dans le champ de l'autorisation judiciaire obtenue,

- de déclarer irrégulières les opérations de visite et de saisie menées dans ses locaux le 11 juin 2009 dans la mesure où elles ont mené à la saisie massive et indifférenciée de documents relevant du secret des correspondances avocat-client,

- d'annuler les opérations de visites et de saisie menées dans ses locaux le 11 juin 2009,

- d'ordonner la restitution de tous les documents saisis par les agents de l'Autorité de la concurrence dans ses locaux lors des opérations de visite et de saisies le 11 juin 2009, plus particulièrement tous les documents couverts par le secret des correspondances avocat-client à savoir les fichiers informatiques listés en pièce 11 et le document en version papier du scellé n° 22 cotes 1 à 3.

SUR CE

Considérant que la présente procédure est enregistrée sous les numéros 09-13945 et 11-12056, qu'il convient pour une bonne administration de la justice de joindre les deux dossiers qui ont le même objet ;

Considérant que le CSTB demande en premier lieu au Premier président de déclarer les opérations de visite et de saisie effectuées sur son site irrégulières et ce aux motifs qu'elles ont permis aux enquêteurs de l'Autorité de la concurrence de saisir un nombre important de documents qui sortent du champ de l'enquête autorisée ou sont couverts par le secret professionnel ;

Considérant que l'Autorité de la concurrence sollicite, suite au renvoi de la Cour de Cassation, que soient déclarées régulières les opérations de visite et de saisie ;

Considérant que les saisies des messageries de MM. A, B, C, D, E, F et de Mme G, salariés du CSTB, apparaissaient sous les libellés tels que 'outlook.ost', 'divers.pst', 'backup.pst', 'C2009.pst', 'C2008.pst' ou 'archive' ou 'BalFDossiers personnels.pst' ; que ces noms ont été choisis par les salariés du CSTB et non par l'Autorité de la concurrence ; que les intitulés de tels fichiers ne peuvent amener à conclure à l'absence de lien entre ces fichiers et le champ d'autorisation donnée puisque ces noms copiés par les rapporteurs correspondent à ceux se trouvant sur les ordinateurs des personnes concernées par l'opération de visite et de saisie dans lesdits locaux ; que, par ailleurs, la fonction habituelle de telles messageries étant par nature professionnelle, le seul choix de regroupements ou qualifications de messages effectués par l'utilisateur ne saurait suffire à démontrer qu'il s'agit d'évidence d'éléments à caractère personnel ; qu'aucune irrégularité quant à ces saisies ne peut donc être relevée de ce chef ;

Considérant que les éléments permettant de garantir au bénéfice de l'entreprise visitée l'origine des données saisies et l'absence de modification au cours de la procédure ont été indiqués par l'Autorité de la concurrence ; que ces éléments sont constitués par le nom du fichier, la taille du fichier, l'empreinte numérique du fichier et le chemin complet permettant de vérifier que ces pièces proviennent bien de la saisie effectuée ; que copie intégrale de ce qui a été saisi a été remis par ailleurs au représentant du CSTB pour permettre à ce dernier d'effectuer une vérification des fichiers qui ont été appréhendés et au CSTB d'exercer un recours, cette remise de copie ayant été actée au procès-verbal de visite et de saisie ; que cette copie, qui fait partie intégrante de la procédure, puisque son existence est attestée par le procès-verbal de visite et de saisie, a été réalisée en présence et sous le contrôle de l'officier de police judiciaire ; que l'inventaire des éléments saisis tel que prévu légalement n'a pas à comporter la liste exhaustive des messages électroniques saisis, pouvant viser des groupes de messages ;

Que par ailleurs ces messages contenaient pour partie des éléments d'information entrant dans le champ de l'autorisation et qu'il s'agissait de messageries uniquement professionnelles dont la vocation n'est de contenir que des messages professionnels ; que le fait que ces messageries aient contenu des messages personnels est sans incidence sur la régularité desdites saisies ; que la saisie intégrale des messageries pertinentes, dans le cadre d'une enquête dûment autorisée dans l'intérêt économique, même si elle est susceptible d'inclure des documents personnels des salariés, ne s'avère pas disproportionnée compte tenu de l'impérieuse nécessité de garantir l'effectivité des droits de chacune des parties ; que certaines informations personnelles sont susceptibles par ailleurs de constituer des éléments, renseignements ou données utiles à l'enquête ;

Que, par voie de conséquence les prescriptions des articles L. 450-4, R. 450-2 du Code de commerce et 56 du Code de procédure pénale ont été respectées de ce chef et ce sans qu'il soit besoin d'étudier les éléments de fait produits qui n'auraient leur importance que si l'inventaire avait été peu clair, non remis à l'entreprise saisie ou non identifiable ;

Considérant que le CSTB soutient par ailleurs que la saisie des fichiers informatiques aurait été massive et indifférenciée ;

Considérant qu'aux termes de l'article 450-4 du Code de commerce, l'Autorité de la concurrence peut saisir tous supports d'informations ; qu'il est constant en l'espèce que l'Autorité de la concurrence a procédé à la saisie, par voie de copie, d'une sélection de fichiers informatiques en rapport avec le champ d'autorisation donnée ; que la saisie n'a donc pas été massive et indifférenciée ;

Que, par ailleurs, le fait que certains mails seraient hors champ de l'autorisation ne remet pas pour autant en cause la validité de la saisie des messageries elle-même à partir du moment où il a été vérifié préalablement que ces messageries, formant un tout indissociable, contenaient des éléments en rapport avec l'enquête, ce qui n'est pas sérieusement contesté ;

Considérant enfin que les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce ne contreviennent pas à celles des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anti-concurrentielles et que les droits à un procès équitable et à un recours effectif sont garantis tant par l'intervention du juge des libertés et de la détention qui vérifie le bien-fondé de la requête de l'administration que par le contrôle exercé par la Cour d'appel ;

Considérant que le CSTB soutient en dernier lieu que partie des mails saisis concernaient les relations client-avocat, documents par définition insaisissables du fait de la protection du secret des correspondances avocat-client ;

Considérant que le secret de la correspondance entre avocat et client est protégé effectivement par l'article 56 du Code de procédure pénale et par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 qui dispose " en toutes matières que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention officielle, les notes d'entretien et plus généralement toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ";

Qu'il est constant que les mails visés par le CSTB dans sa pièce 11 dans sa totalité comme les cotes 1 à 3 du scellé 22 ainsi que les douze documents cités en pages 5 et 6 des conclusions du CSTB sont des mails client-avocat qui ne peuvent être saisis ; qu'il convient donc d'ordonner leur restitution sous forme de destruction mais ce sans prononcer l'annulation du procès-verbal établi à cette occasion, la saisie seule des documents couverts par le secret professionnel devant être annulée ; qu'en effet la restitution qui ménage l'ensemble des intérêts en présence constitue la sanction la plus adaptée ; qu'il n'y a donc pas lieu de donner suite à la demande de nullité de l'ensemble des opérations de visite et de saisie qui présente un caractère disproportionné et reviendrait à annuler une partie des saisies intervenues dans des conditions parfaitement régulières ;

Que, restitués au CSTB lesdits mails ne peuvent en aucun cas servir de base à une accusation et à une sanction et que donc leur éventuelle connaissance par l'Autorité de la concurrence ne peut emporter aucune décision de sa part, l'Autorité de la concurrence ne pouvant absolument pas les utiliser ;

Considérant que, par voie de conséquence il échet :

- d'ordonner la restitution entre les mains du CSTB par destruction des mails visés par le CSTB dans sa pièce 11 ainsi que les douze documents cités en pages 5 et 6 des conclusions du CSTB,

- d'ordonner la restitution des cotes 1 à 3 du scellé 22,

- de débouter le CSTB de ses autres demandes, aucune violation du secret professionnel ne pouvant être mis en cause en la présente instance et l'Autorité de la concurrence ne pouvant utiliser à quelque fin que ce soit les pièces saisies et devant être détruites,

- de débouter l'Autorité de la concurrence de ses autres demandes,

- de laisser à la charge de chacune des parties les dépens qu'elles ont engagés, chacune succombant pour partie, exception faite des frais de l'expertise qui seront mis à la charge du CSTB.

Par ces motifs : Ordonnons la jonction des dossiers n° 09-13945 et 11-12056. Ordonnons la restitution entre les mains du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment - CSTB - par destruction des fichiers listés par le CSTB dans sa pièce 11 ainsi que les douze documents cités en pages 5 et 6 des conclusions du CSTB et ce dès que la présente ordonnance sera devenue définitive. Ordonnons la restitution entre les mains du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment - CSTB - des documents en version papier du scellé numéro 22 cotes 1 à 3. Disons que l'Autorité de la concurrence ne pourra en aucun cas et pour quelque raison que ce soit utiliser les documents dont il est ordonné la restitution par destruction. Déboutons le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment - CSTB - de ses autres demandes. Déboutons l'Autorité de la concurrence de ses autres demandes, Disons que chacune des parties supportera les dépens qu'elle a engagés, à l'exception des frais de l'expertise. Laissons à la charge du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment - CSTB - la totalité des frais des expertises.