CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 31 août 2012, n° 10-14875
PARIS
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Europcar France (SAS)
Défendeur :
Ministre de l'Économie et des Finances, DGCCRF
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Apelle
Avocats :
Mes Fisselier, Billard, Seng
Le 14 janvier 2008, le ministre de l'Économie et des Finances a prescrit aux enquêteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes la réalisation d'une enquête tendant à vérifier l'existence ou non de pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du Code du commerce et 81 du Traité instituant la Communauté européenne susceptibles d'être relevées dans le secteur de la location de véhicules. Le même jour, le chef de la Direction Nationale des Enquêtes de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a présenté au juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris une requête aux fins d'être autorisé à procéder à des visites domiciliaires au sein de la société Europcar.
Par ordonnance du 16 janvier 2008, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris a autorisé la Direction Nationale des Enquêtes de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes à effectuer lesdites visites et a saisi le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles, lequel a, le 17 janvier 2008, désigné des officiers de police judiciaire territorialement compétents pour assister aux opérations de visites et de saisies dans les locaux de la société Europcar sis <adresse> à Guyancourt - 78280.
Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées le 22 janvier 2008.
Par requête en date du 26 février 2008, la société Europcar a saisi le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code du commerce aux fins d'obtenir l'annulation des opérations de visite et de saisie ainsi que la restitution intégrale des pièces et documents saisis.
Suite à l'entrée en vigueur le 13 novembre 2008 de l'ordonnance n° 2008-1161 portant modernisation de la régulation de la concurrence dont l'article 1er a introduit un appel contre l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie rendue par un juge des libertés et de la détention, la société Europcar France a, le 12 décembre 2008, interjeté appel de l'ordonnance autorisant lesdites opérations de visite et de saisie auprès du premier président de la Cour d'appel de Paris.
Le 10 avril 2009, le juge des libertés et de la détention a donné acte à la Direction Nationale des Enquêtes de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de son accord pour restituer les documents couverts par la protection correspondance avocats clients et listés sous les n° 76, 220 et 17 de la pièce 7 ainsi que ceux listés dans la pièce 8 communiquées par la société requérante et placées sous scellés n° 5, ordonné la restitution desdits documents à la société Europcar France par la Direction Nationale des Enquêtes de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, fait défense à cette dernière de les utiliser en original ou en copie et débouté la société Europcar France du surplus de ses demandes.
Suite au pourvoi interjeté par la société Europcar France sur cette décision, la Cour de cassation a, le 2 juin 2010, cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 10 avril 2009 et ce aux motifs que le juge des libertés et de la détention était incompétent matériellement pour se prononcer sur la régularité des opérations de visites et de saisies à la date de son ordonnance en raison de l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence. La Cour de cassation a par voie de conséquence, renvoyé l'affaire devant le Premier président de la Cour d'appel de Paris pour qu'il soit à nouveau statué sur la question de la régularité des opérations de visites et de saisies.
C'est l'objet de la présente instance.
Parallèlement, le juge délégué du premier président de la Cour d'appel de Paris a, le 20 mai 2010, confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris autorisant lesdites opérations. Cette décision a été frappée d'un pourvoi qui a été rejeté par la Cour de cassation le 21 septembre 2011. Cette ordonnance est donc aujourd'hui définitive.
Par conclusions signifiées les 23 février 2011, et 18 mai 2012, la société Europcar France demande au premier président :
- de constater la violation des articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, L. 450-4 et R. 450-2 du Code du commerce, 56 du Code de procédure pénale, 9 du Code civil et de l'article préliminaire du Code de procédure pénale,
en conséquence,
- d'annuler l'ensemble des opérations de visite et de saisie pratiquées le 22 janvier 2008 dans ses locaux,
- d'annuler l'enquête de l'Administration et ses suites à tout le moins en ce qu'elles visent la société Europcar France,
- d'ordonner la restitution de l'intégralité des pièces saisies le 22 janvier 2008 dans les locaux de la société Europcar France, aucune copie comme aucun original ne pouvant être conservés ou utilisés par une autre personne ou autorité que son propriétaire,
en tout état de cause,
- de condamner le ministre de l'Economie et des Finances aux entiers dépens.
Dans ses conclusions signifiées le 30 septembre 2011, M. le ministre de l'Economie et des Finances sollicite du juge délégué que soient déclarées régulières les opérations de visite et de saisies réalisées le 22 janvier 2008 par la Direction Générale des Enquêtes de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes en présence des officiers de police judiciaire dans les locaux de la société Europcar France et de rejeter en conséquence la demande d'annulation et de restitution des documents formulés par ladite société.
SUR CE
Considérant que les parties ont produit en cours de délibéré des notes ; que, ces notes n'ayant pas été sollicitées à la fin de l'audience de plaidoirie, ne peuvent qu'être déclarées irrecevables ;
Considérant que la société Europcar France fait valoir en premier lieu que le délai apporté à la réponse à sa contestation sur le déroulement des opérations de visite et de saisie a été déraisonnable ;
Considérant que le présent recours concerne non le contrôle de l'autorisation de visites et de saisies déjà définitivement jugé mais le contrôle de la régularité du déroulement des opérations elles-mêmes suite à un arrêt de la Cour de cassation, la cassation étant intervenue en vertu des dispositions de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 donnant compétence au premier président de la cour d'appel pour connaître d'un recours sur le déroulement des opérations de visite ou de saisie et ce conformément aux dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales induisant la possibilité pour les parties d'un contrôle juridictionnel effectif indépendant ;
Que, si les opérations de saisie datent effectivement de plus de trois ans, l'affaire revient sur renvoi de la Cour de cassation, un pourvoi ayant été interjeté à l'encontre de la décision du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris par la société Europcar France elle-même ;
qu'il n'est donc justifié d'aucune atteinte qui aurait été portée aux droits de la défense ; que le délai s'explique d'une part par le fait que la procédure revient sur renvoi de la Cour de cassation et d'autre part par la décision de la société Europcar France de poser une question de priorité de constitutionnalité ;
Que le moyen d'annulation tiré d'une méconnaissance de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, sur le délai raisonnable dans lequel une affaire doit être jugée, ne peut de ce fait qu'être rejeté ;
Considérant que la société Europcar France soutient en deuxième lieu que, de par la destruction du scellé n° 5, que l'Administration a effectuée et ce alors que le juge des libertés et de la détention ne l'avait pas ordonnée, elle s'est trouvée privée de la preuve des dires qu'elle avançait ;
Que force est de constater toutefois que le procès-verbal établi à cet effet le 9 juillet 2009 précise "(...) Nous détruisons le DVD - préalablement contenu dans le scellé n° 5 ainsi que la copie détenue par l'Autorité de la concurrence. La société Europcar n'a pas souhaité détruire la copie du scellé 5 ; elle dispose donc toujours de l'intégralité des fichiers saisis le 22 janvier 2008 et inventoriés dans le procès-verbal de visites et de saisies établi le même jour" ; que la société Europcar France dispose ainsi tant de l'original des pièces saisies que de leur copie ainsi que de la copie des saisies expurgées des pièces qui ont été détruites ;
Que la société Europcar France conteste la rédaction de ce procès-verbal affirmant que son conseil a quitté les locaux de l'Autorité de la concurrence avant la destruction dudit scellé ; qu'il convient d'observer cependant que si le conseil de la société requérante a quitté effectivement les locaux, avant la fin des opérations de visite et de saisie, il n'a pas cru bon faire acter qu'il s'opposait à la destruction du scellé n° 5 et qu'il quittait les lieux du fait de cette destruction à venir ; que, par ailleurs, alors que la société requérante s'était étonnée de l'absence d'officiers de police judiciaire, les enquêteurs lui ont proposé de saisir le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris et de renvoyer à une autre date la restitution des pièces, ce qu'elle a refusé par l'intermédiaire de son conseil ;
Que dès lors aucune illégalité ne peut être retenue à l'encontre des enquêteurs, étant rappelé qu'en matière informatique la restitution, sur laquelle les parties s'étaient mises d'accord, a lieu par destruction des pièces saisies et ne peut donc constituer une voie de fait ; qu'il n'est donc pas nécessaire que cette destruction soit visée dans l'ordonnance autorisant la restitution de pièces saisies ;
Que le fait que la décision rendue autorisant la restitution de pièces saisies n'était pas encore définitive importe peu puisque les parties étaient d'accord pour la restitution desdites pièces ;
Que de par leur destruction, ces pièces couvertes par le secret professionnel ne sont plus dans la cause et ne peuvent plus être utilisées par l'Administration ; qu'il n'y a donc aucune violation grave et manifeste des droits de la défense, laquelle dispose des pièces saisies en original et de la copie du DVD détruit non contestée par l'autre partie et peut donc faire valoir ses droits sur la base de ces pièces ;
Considérant que la société Europcar France soulève en troisième lieu la nullité de la saisie et ce aux motifs que ses conseils n'ont pu intervenir lors de ladite saisie ;
Que d'une part, il est constant qu'un conseil a assisté à la saisie, d'autre part aux termes de l'article L. 450-4 du Code du commerce dans sa rédaction à la date à laquelle ont été opérées les opérations de visite et de saisie " (...) les enquêteurs, l'occupant des lieux ou son représentant ainsi que l'officier de police judiciaire et le cas échéant les agents et autres personnes mandatées par la commission européenne peuvent seuls prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisine" ce qui exclut les conseils ;
Que, si cette rédaction d'alors peut être regrettable, il n'en reste pas moins que les opérations de visite se sont déroulées légalement sous le contrôle effectif du juge des libertés et de la détention les ayant autorisées ; qu'il n'est pas justifié que la société Europcar, dont le conseil était présent lors des opérations de visite domiciliaire, ait saisi les officiers de police judiciaire d'une quelconque difficulté lors des opérations effectuées ;
Que dès lors la société Europcar France doit être déboutée de sa demande de nullité de ce chef, aucune atteinte au droit de la défense ne pouvant être retenue lors de ces opérations ;
Considérant que la société Europcar France soulève en quatrième lieu que l'Administration a fait preuve de déloyauté en saisissant des pièces qu'elle savait couvertes par le secret professionnel pour s'en servir ultérieurement ; que force est de rappeler de prime abord que les mails couverts par le secret professionnel et constituant le scellé n° 5 ont été détruits ; que l'Administration ne peut donc les utiliser ; que la société Europcar France ne justifie aucunement que ces pièces aient, avant leur destruction, orienté l'affaire ; que le fait que l'enquête ait porté par la suite sur les relations entre la société Europcar France et ses franchisés ou sur l'identité des personnes responsables d'éventuelles infractions découle de source, même si certaines pièces afférentes à ces questions basiques ont été saisies ; que la saisie d'un projet de rapport d'audit de concurrence de mise en conformité préparé par les avocats de la société Europcar France pour précisément attirer l'attention de l'entreprise sur le caractère éventuellement répréhensible de certains de ses comportements au regard des règles de concurrence en particulier au regard des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du Traité des Communautés Européennes (devenu l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) et lui proposer les mesures correctrices nécessaires le cas échéant, ne pourra de toutes façons servir de preuve dans la procédure au fond puisque cette pièce saisie a été détruite ;
Considérant, par ailleurs, sur le défaut d'établissement d'un inventaire régulier des messageries électroniques saisies invoqué en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article R. 450-2 du Code du commerce, " (...) les procès-verbaux prévus à l'article L. 450-4 relatent le déroulement de la visite et consignent les constatations effectuées. Ils sont dressés sur le champ. Ils comportent l'inventaire des pièces et documents saisis (...)" ;
Qu'aux termes de l'article L. 450-4 du même Code, "(...) les inventaires et mises sous scellés sont réalisés conformément à l'article 56 du Code de procédure pénale." et "Tous objets et documents saisis sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés" ;
Que les messages électroniques visés par la société Europcar France étaient stockés par l'entreprise sur un fichier unique sur le réseau informatique de l'entreprise ; que dès lors ne pouvait être saisie que la globalité de ce fichier dès lors qu'il contenait des éléments pour partie utiles à la preuve des agissements présumés, ce qui est le cas ; qu'ont été indiqués, par l'Administration, les éléments permettant de garantir au bénéfice de l'entreprise visitée l'origine des données saisies et l'absence de modification de ces données au cours de la procédure ; que ces éléments sont constitués par le nom du fichier, la taille du fichier, en octets, l'empreinte numérique du fichier soit la combinaison de chiffres et de lettres constituant le Code génétique du fichier et le chemin complet d'accès du fichier soit l'arborescence informatique aboutissant au fichier nommé par l'utilisateur, permettant de vérifier que ces pièces proviennent bien de la saisie effectuée ; que copie intégrale de ce qui a été saisi a été remis par ailleurs au représentant de la société Europcar France pour permettre à cette dernière d'effectuer une vérification des fichiers qui ont été appréhendés et d'exercer un recours, cette remise de copie ayant été actée au procès-verbal de visite et de saisie ; que cette copie, qui fait partie intégrante de la procédure, puisque son existence est attestée par le procès-verbal de visite et de saisie, a été réalisée en présence et sous le contrôle de l'officier de police judiciaire ; que l'inventaire des éléments saisis tel que prévu légalement, n'a pas à comporter la liste exhaustive des messages électroniques saisis ; que par ailleurs ces messages contenaient pour partie des éléments d'information entrant dans le champ de l'autorisation et qu'il s'agissait de messageries uniquement professionnelles dont la vocation est seulement de contenir des messages professionnels ; que le fait que ces messageries aient contenu des messages personnels est sans incidence sur la régularité desdites saisies ; que la saisie intégrale des messageries pertinentes, dans le cadre d'une enquête dûment autorisée dans l'intérêt économique, même si elle est susceptible d'inclure des documents personnels des salariés, ne s'avère pas disproportionnée compte tenu de l'impérieuse nécessité de garantir l'effectivité des droits de chacune des parties ; que certaines informations personnelles sont susceptibles par ailleurs de constituer des éléments, renseignements ou données utiles à l'enquête ;
Que, par voie de conséquence les prescriptions des articles L. 450-4, R. 450-2 du Code de commerce, 56 du Code de procédure pénale et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ont été respectées ; qu'il n'a été porté aucune atteinte aux droits de la défense, la société Europcar France ayant été en possession, au moment de la saisie, de la copie conforme des fichiers ayant fait l'objet d'une saisie et de leur inventaire ;
Considérant, par ailleurs, que les dispositions de l'article L. 450-4 du Code du commerce ne se limitent pas aux documents faisant expressément référence à l'objet de l'enquête ; que d'autres documents, en ce compris des documents émanant de sociétés étrangères, peuvent être de nature à établir la réalité des agissements suspectés, notamment au moyen d'une stratégie commune choisie par différentes entreprises ; que les présomptions d'entente supposée peuvent découler de recoupements d'informations qu'il appartiendra par la suite aux seuls juges du fond de retenir ou non comme preuve de pratiques anti-concurrentielles ; que dès lors l'annulation des saisies de ce chef doit être rejetée ;
Considérant que la société Europcar France ne peut par voie de conséquence qu'être déboutée de ses demandes tendant à voir annuler les opérations de visite et de saisie et à se voir restituer les pièces saisies autres que les pièces qui ont été détruites et dont l'Autorité de la concurrence ne pourra faire état pour quelque raison que ce soit ;
Considérant que la société Europcar France, partie succombante, doit être condamnée aux dépens.
Par ces motifs : Déclarons irrecevables les notes produites en cours de délibéré. Déboutons la société Europcar France de ses demandes tendant à voir annuler les opérations de visite et de saisie diligentées en son sein le 22 janvier 2008 et à voir ordonner la restitution de l'intégralité des pièces et documents saisis autres que les pièces qui ont été détruites. Disons que l'Autorité de la concurrence ne pourra faire état pour quelque raison que ce soit des pièces détruites. Condamnons la société Europcar France aux dépens de la présente instance.