CA Orléans, ch. soc., 5 juillet 2012, n° 11-03628
ORLÉANS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Borie
Défendeur :
Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Velly
Conseillers :
Mme Paffenhoff, M. Lebrun
Avocats :
Mes Peignard, Bellet
Résumé des faits et de la procédure
Madame Colette Borie exerçait la profession de secrétaire comptable avant de se rapprocher de la société Yves Rocher, en vue de devenir directrice d'un institut. Il lui était précisé que pour intégrer le réseau, elle devait devenir commerçante indépendante en créant une société et en signant un contrat de franchise, ce qui pouvait constituer un investissement qui serait, à terme, un capital retraite.
Dans ce contexte de confiance, elle a créé, le 28 septembre 2010, la société Beauté Dorée, société à responsabilité limitée au capital de 20 000 euro, dont le siège social était fixé 34, rue Dorée à Montargis, qui correspondait à l'adresse de l'institut de la société. Ce local de 30 mètres carrés comprenait quatre cabines de soins.
Parallèlement, elle a accepté de signer un contrat de franchise, le 8 novembre 1990, et a procédé à l'acquisition d'un droit au bail pour un montant de 121 960 euro avant de faire réaliser des travaux pour 96 000 euro ; les parties ont régularisé un second contrat de franchise le 24 février 1999 et elle a dû réaliser des travaux pour mettre le magasin aux normes pour un coût de 68 602 euro.
En 2005, la société a procédé à l'acquisition d'un local 46, rue Dorée à Montargis et a contraint Madame Borie à y poursuivre son activité. La société, à cette occasion, lui a soumis la signature d'un contrat de location-gérance, le 2 avril 2005, pour une durée de trois ans. Elle a dirigé une équipe de sept à huit salariés, l'institut étant ouvert du lundi au samedi de 9 h 00 à 19 h 00.
Le 19 mars 2008, elle a saisi le Conseil des prud'hommes de Montargis, section encadrement d'une action contre cette société pour voir requalifier les contrats de franchise en contrat de travail ainsi que le contrat de location-gérance et voir condamner cette société à lui régler 162 235,20 euro de salaires bruts calculés sur cinq ans sur la base des minima correspondant au plafond de la sécurité sociale et à la valeur du point d'indice.
La société Yves Rocher, de son côté, a soulevé l'incompétence du conseil des prud'hommes au profit du Tribunal de commerce de Vannes.
Par jugement du 15 novembre 2011, ce conseil des prud'hommes a :
- dit que les relations contractuelles entre les deux entreprises existant depuis 1990 se sont poursuivies à partir du 2 avril 2005 sous la forme d'un contrat de gérance libre faisant suite aux contrats antérieurs de franchise,
- dit que les activités de la SARL Beauté Dorée dont Madame Colette Borie est la gérante n'entrent pas dans le cadre des articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail,
- s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Vannes,
- dit qu'à défaut de contredit dans le délai de 15 jours, le dossier serait transmis à cette juridiction en application de l'article 97 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 de ce même Code,
- réservé les dépens.
Le 16 novembre 2011, Madame Borie a formé un contredit motivé au greffe du conseil des prud'hommes
Demandes et moyens des parties
1° ceux de Madame Borie appelante.
Vu les articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail et des dispositions du contrat de gérance libre, elle sollicite :
- qu'il soit constaté qu'au-delà de l'existence de la SARL Beauté Dorée, l'activité était, en fait, exercée personnellement par elle,
- qu'elle-même réunit toutes les conditions posées par l'article L. 7321-2 du Code du travail,
- en conséquence, qu'elle bénéficie des dispositions de ce Code,
- en conséquence, faire droit au contredit qu'elle a formé,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Vannes,
- valider la compétence du Conseil des prud'hommes de Montargis pour statuer sur ses demandes,
- renvoyer les parties devant cette juridiction pour qu'il soit statué sur le fond du dossier,
- condamner la société à lui verser une somme de 3 000 euro pour les frais de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur la compétence du Conseil des prud'hommes de Montargis, elle soutient que le principe a été maintes fois rappelé par la Cour de cassation : l'existence d'une société commerciale d'exploitation et la signature d'un contrat commercial ne peuvent priver une personne physique des droits qu'elle détient à titre individuel des dispositions de l'article L. 7321-2 du Code du travail.
Elle rappelle que le contrat de travail est une qualification d'ordre public qui ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle. Ainsi, dès lors que les conditions d'exercice révèlent l'existence d'un lien de subordination juridique, la relation de travail est une relation salariée.
Il n'est même pas besoin de s'interroger sur le caractère fictif au nom de la société mais de démontrer que la personne travaille dans les conditions du salariat.
Elle s'attache à démontrer que les conditions posées par cet article ont bien été remplies, le dernier contrat est en effet conclu à compter du 2 avril 2005 pour une durée de cinq ans :
- première condition : vente de marchandises de toutes natures fournies exclusivement ou presque par une seule entreprise. En effet, chaque année, le chiffre d'affaires généré par la vente des produits s'avère supérieur à celui généré par les soins. Il s'agit de chiffres d'affaires puisque l'article évoque la vente et non la marge.
En outre, l'activité de soins est liée aux produits vendus exclusivement par la société. Elle-même expose qu'elle réservait la majorité de son temps à l'accueil des clients et à la présentation des produits, au conseil, au planning des rendez-vous, au planning des vendeuses et des esthéticiennes, à la gestion de la caisse, à la passation des commandes, à la gestion des stocks, à la gestion et la présentation des linéaires et à la gestion administrative et fonctionnelle de l'institut au quotidien,
- deuxième condition, la fourniture du local d'exploitation : en l'espèce, il est incontestable qu'elle exerçait sa profession dans un local fourni par la société qui lui a procuré, en outre, le matériel publicitaire et l'enseigne et qui dispose d'un droit de regard sur son aménagement et la présentation des produits,
- troisième condition : la société imposait toute les conditions d'exploitation : sa rémunération était fixée par la société à travers le compte d'exploitation prévisionnelle et celle-ci procédait à des contrôles réguliers de l'institut pour s'assurer qu'elle respectait toutes les consignes, comme en atteste le bilan de compétences, le rapport de qualimétrie, le bilan de conformité, la grille d'évaluation et les contrôles de la gestion. La grille de salaire des esthéticiennes et des salariées est également gérée par la société.
Le contrat régularisé entre les parties lui imposait une quantité d'obligations, comme la présentation des produits, l'aménagement et l'équipement des cabines de soins, l'agencement de l'institut, les campagnes publicitaires, les assurances, les catalogues, etc.
Les catalogues adressés chaque mois confirment les conditions d'exploitation imposées concernant les périodes de promotion, les partenaires commerciaux, les mailings, les cadeaux clients. Les guides de procédure ne lui laissaient aucune marge de manœuvre tandis qu'étaient organisés des contrôles réguliers de la conformité de l'institut. Des mailings fréquents permettaient aussi un meilleur suivi des consignes.
- quatrième condition : les prix des produits étaient également imposés par la société, comme en font foi les catalogues de prix des produits et les affiches publicitaires ou encore le site Internet de la société. De cette façon, les 100 instituts pratiquaient tous les prix imposés par la société. Ainsi celle-ci déterminait elle seule la politique des prix et Madame Borie ne disposait d'aucune autonomie de décision en restant dans l'incapacité totale de mener une politique personnelle de prix.
2° ceux de la société Yves Rocher.
Elle souhaite :
- la confirmation, en toutes ses dispositions, du jugement déféré,
- que soient écartées des débats, au visa des articles 5 du Code civil et 455 du Code de procédure civile, toutes les pièces qui ne concernent pas le contentieux opposant Madame Borie à elle-même,
- le débouté du contredit de celle-ci,
- et sa condamnation à 5 000 euro de frais au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à tous les dépens.
D'emblée, elle entend souligner que Madame Borie ne travaillait pas pour elle avant de créer sa propre société et que, par la suite les seules relations contractuelles qui aient existé l'ont été avec la seule société Beauté Dorée.
À cet égard, Madame Borie ès qualités de gérante de la société, se présentait vis-à-vis de tous les tiers comme commerçante à part entière, en passant des contrats avec eux, en recrutant et gérant elle-même son personnel dont elle déterminait les horaires et les rémunérations qui étaient les siennes.
Elle affirme qu'elle n'avait aucun pouvoir de direction ni de sanction vis-à-vis de cette gérante, en l'absence de toute fictivité de cette société à responsabilité limitée.
L'article L. 7181-1-2 du Code du travail a prévu quatre critères pour permettre une requalification en contrat de travail : l'existence d'une activité de vente de marchandises ou de denrées, la fourniture exclusive de ses marchandises et denrées par une seule entreprise industrielle commerciale, l'exercice de l'activité dans un local fourni ou agréé par l'entreprise et l'exercice de l'activité aux conditions et prix imposées par le cocontractant, ces critères s'avérant cumulatifs.
- L'activité de vente : la cour se doit de rechercher et de comparer les différentes activités pour déterminer ce qu'il en est de la vente de marchandises ou de denrées par rapport à ses autres activités. Au 31 mars 2005, la société disposait de 543 magasins dans son réseau puisqu'une large part de l'activité de ces centres de beauté est en effet consacrée à la dispense de soins.
Elle évoque le pourcentage de marge brute qui, pour les années 2005, 2006, 2007 donnait 34,61 %, 34,20 % et 36 % concernant les soins. Si l'on s'en tient au chiffre d'affaires, les soins dépassent 15 %, et si l'on s'en tient à la marge, il s'agit de 34 %.
- L'exclusivité de fournitures : l'article 7-2 du contrat de gérance libre précisait que la société avait la possibilité de mettre en vente des produits comparables à ceux commercialisés par la société Yves Rocher. Ce point-là ne permet donc pas, à lui seul, la requalification.
- le local : la location-gérance choisie par Madame Borie s'effectue bien dans le cadre de l'exploitation d'un fonds de commerce au sein d'un local loué.
- les conditions d'exploitation : elle souligne qu'il existe dans le réseau un ensemble de normes relatives à l'identité propre et à l'uniformité du réseau qu'il convient de respecter, s'agissant d'un savoir-faire se rapportant notamment au domaine technique promotionnel commercial et publicitaire et c'est dans ce cadre que la société Beauté Dorée devait appliquer des procédures mises au point par la société Yves Rocher qui constituaient la spécificité de son savoir-faire.
Il ne s'agissait pas d'une coercition mais du souhait logique pour que la gérante libre présente un niveau de qualité d'accueil et de service irréprochables correspondant à l'image de marque de la société.
Les articles cinq - 1,5 - 3,5 - 4,5 - 5,6 - du contrat démontrent que la gérante libre bénéficiait d'une autonomie de gestion et de direction qui reste totale à partir du moment où le savoir-faire développé par la société n'est pas en cause. C'est elle-même qui choisissait son expert-comptable et ses compagnies d'assurances et elle dénie avoir imposé les prix qui n'étaient simplement que recommandés.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La notification du jugement est intervenue le 16 novembre 2011 et, ce jour même, Madame Borie a régularisé un contredit auprès du Conseil des prud'hommes de Montargis, en ayant soin d'y joindre 41 pages de motivation, conformément à l'article 82 du Code de procédure civile. Ce recours est donc recevable en la forme.
1° sur la demande d'écarter des débats certaines pièces.
L'article 5 du Code civil dispose qu'il est défendu au juge de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises.
L'article 455 du Code de procédure civile édictait, quant à lui que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec indication de leur date. Le jugement doit être motivé. Il énonce la décision sous forme de dispositif.
Au vu de ces articles, la société Yves Rocher prétend au rejet des pièces qui ne concernent pas le contentieux l'opposant à Madame Borie, sans les citer expressément. Cependant, elle n'hésite pas, page 9 de ses conclusions, à évoquer des arrêts des Cours d'appel de Rouen et Aix-en-Provence ou de jugements des Conseils des prud'hommes de Lens et de Vannes qui ne concernent pas directement le contentieux sur lequel la cour statue aujourd'hui. Il serait logique que la société s'applique à elle-même le traitement qu'elle veut voir appliquer aux autres.
Cette cour n'entend pas sortir des prescriptions imposées par les articles 5 et 455 précités, mais tient à rappeler que les moyens des parties pour soutenir leur thèse restent libres, à condition de respecter la contradiction des conclusions et des pièces que commandent les articles 15 et 16 du Code de procédure civile.
En l'état, la société ne démontre pas que son adversaire y a dérogé, en conséquence de quoi la cour rejettera comme mal fondées, les demandes de la société Yves Rocher à cet égard.
2° sur l'exception d'incompétence du Conseil des prud'hommes de Montargis soutenue
Le 30 mai 2007, Madame Borie a écrit à la société : "je dois déplorer que les bilans sont déficitaires et non conformes aux bilans prévisionnels que vous aviez remis. Je dois en outre déplorer des pratiques qui furent les vôtres et qui ont favorisé cette situation. Je me refuse à assumer la charge des pertes subies. Je dois constater que vous ne m'avez pas permis d'exécuter le contrat de façon autonome et indépendante. Vous avez exercé un contrôle constant sur l'évolution de mon chiffre d'affaires et sur les comptes. Vous ne m'avez laissé aucune marge de manœuvre dans la gestion de l'exploitation (...). C'est pourquoi je considère que c'est à vous d'assumer les risques de l'exploitation. La situation financière qu'est aujourd'hui la mienne vous est imputable puisqu'aucune faute de gestion ne peut m'être reprochée et que j'ai fourni tous les efforts nécessaires et possibles pour tenter de redresser la situation. Vos carences répétées dans l'approvisionnement et vos nombreuses erreurs dans ce domaine constituent ainsi de graves manquements aux obligations contractuelles qui expliquent directement le déficit subi."
Le 25 mars 2008, la société lui répondait en dénonçant le contrat de location-gérance à effet du 1er octobre 2008 et elle refusait de la dédommager des investissements réalisés par ses soins.
Les articles L. 7321-1 et 2 du Code du travail disposent :
- que les dispositions du présent Code du travail sont applicables aux gérants de succursales dans la mesure de ce qui est prévu au présent titre,
- qu'est gérant de succursale toute personne.
1° chargée par le chef d'entreprise ou avec son accord de se mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l'entreprise, en vue de recevoir d'eux des dépôts de vêtements ou d'autres objets ou de leur rendre des services de toute nature.
2° dont la profession consiste essentiellement, soit à vendre des marchandises de toutes natures qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposées par celle-ci, soit à recueillir les commandes ou à recevoir les marchandises à traiter manutentionnées ou transportées pour le compte d'une seule entreprise lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise.
L'existence d'une relation de travail salarié ne dépend, ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à la convention qui les lie, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle. Par ailleurs l'existence d'une société commerciale d'exploitation et la signature d'un contrat commercial ne peuvent priver une personne physique des droits qu'elle tient à titre individuel des dispositions de cet article, sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur le caractère fictif ou non de la société avec laquelle le contrat de gérance mandat a été conclu.
Il convient d'appréhender ce problème par l'analyse des critères cumulatifs.
A) l'existence d'une activité de vente ou de denrées.
L'article précité évoque la vente, et non la marge, en sorte que c'est le chiffre d'affaires qui devra guider la réflexion. En 2007, la société Beauté Dorée enregistre un chiffre d'affaires de 570 000 euro en produits et 106 000 euro en soins. En 2006, les chiffres respectifs étaient de 565 452 euro et 97 650 euro et, en 2005, 561 343 euro et 100 288 euro. La société n'exerçait aucune autre activité que les deux seules prévues au contrat de location-gérance : la vente de marchandises et la dispense de soins.
Les catalogues de vente versés au débat prouvent que tous les produits utilisés par les esthéticiennes en cabines de soins étaient fournis par la société : le linge de cabines, la cire d'épilation, la crème, les spatules jetables, les bancs de cire, les mouchoirs jetables, les rouleaux de papier de protection, le savon, les produits pour désinfecter, et les tenues de travail.
Au même titre que les autres directrices de l'institut, Madame Borie réservait la majorité de son temps aux tâches de directrice d'une succursale : accueil des clientes et présentation des produits, conseil à celles-ci sur la surface de vente, planning des rendez-vous, planning des vendeuses des esthéticiennes, gestion de la caisse et des remises en banque, passation des commandes, gestion des stocks, gestion et présentation des linéaires, gestion administrative et fonctionnelle de l'institut au quotidien, toutes tâches directement et étroitement liées à la vente de produits.
B) l'exclusivité de fourniture.
L'article 2 du contrat de gérance libre prévoyait que le fonds mis en location-gérance avait pour objet principal d'assurer ce contrat d'exclusivité, l'écoulement au détail des produits fabriqués ou distribués par elle.
L'article 7-2 de ce même contrat prévoyait la possibilité de mettre en vente des produits qui, par leurs caractéristiques et leurs qualités étaient comparables à ceux commercialisés par la société Yves Rocher. Ils devaient être compatibles avec l'image des instituts. Cependant, cette société ne démontre pas que ces autres produits aient été vendus par la société Beauté Dorée.
C) le local.
Au terme des articles 4-1 et 4-2 du contrat de gérance libre, Madame Borie devait prendre le fonds dans son état actuel tel qu'il est décrit dans l'état des lieux, sans aucun recours contre la société Yves Rocher pour quelque cause que ce soit.
Par ailleurs, il était précisé que la gérante libre, n'ayant que la jouissance du fonds, ne pourrait en aucun cas disposer, sous quelque forme que ce soit des éléments le composant, par conséquent les aliéner, les donner, engager, ni les enlever sous peine de nullité de tous actes faits par elle, directement ou indirectement au mépris de la présente clause.
L'article 5-2 stipulait que la gérante libre jouirait du fonds remis en gérance. La société Yves Rocher était locataire des murs et propriétaire du fonds. Ainsi Madame Borie exerçait sa profession dans un local fourni par la société Yves Rocher.
En outre, cette dernière société conseillait la gérante pour équiper le local, notamment en lui fournissant le matériel publicitaire et l'enseigne et disposait d'un droit de regard sur son aménagement et la présentation des produits.
D) les conditions d'exploitation.
Le contrat régularisé entre les parties confirme que la société Yves Rocher imposait à Madame Borie de prendre le fonds dans son état à la date de signature du contrat, de ne pas disposer du fichier de la clientèle de quelque façon que ce soit sans l'accord de la société, les procédures de mise au point concernant les soins, les produits à vendre en exclusivité dans l'institut, les techniques de soins, la décoration, l'éclairage intérieur et extérieur.
Ces conditions concernaient également l'agencement de l'institut, l'aménagement et l'équipement des cabines de soins, la présentation des produits, les techniques de vente de conseil, les méthodes de soins, les campagnes publicitaires, la comptabilité et les assurances.
Elle devait tenir informée la société de son chiffre d'affaires, de ses frais de promotion et de publicité, faciliter aux représentants de la société tout contrôle de toute nature, fournir les états financiers annuels, bilans et comptes de résultats, les jours et horaires d'ouverture, laisser la société visiter l'institut toutes les fois qu'elle le jugerait utile, solliciter l'accord de la société pour apporter une amélioration, à l'institut et s'approvisionner exclusivement auprès de la société Yves Rocher.
Les catalogues adressés chaque mois, concernaient l'aménagement des vitrines principales et secondaires, les affiches, la présentation des îlots des gondoles des meubles et des comptoirs de caisses, les uniformes et chaussures des esthéticiennes, les badges portés par le personnel, les relances des clientes, les périodes de promotion, les partenaires commerciaux les mailings et les cadeaux clients.
Les nombreux guides de procédure imposaient à l'institut les contrats de location et la maintenance du matériel informatique, les procédures d'ouverture et de fermeture de l'encaissement et de tenue de caisses, le suivi de ses affaires.
Un échantillon des courriels adressés à Madame Borie à travers le terminal permet de confirmer que de manière ordinaire le respect strict des consignes était renouvelé fréquemment : "merci de respecter les consignes du scénario" le 15 janvier 2008, le 7 novembre 2006 : "strict respect des plans commerciaux" le 24 novembre 2006 : "autour et ci-dessous vos objectifs du mois" le 4 juillet 2006 : "pour soutenir votre chiffre d'affaires, nous avons décidé de prolonger la période de deux mois à 50 % jusqu'au 5 juillet. En comptoirs vous proposerez le SDA à 3,95 euro comme prévu page 29 de votre scénario de juillet". Le 20 novembre 2006 : "voici un planning de vos livraisons". Le 30 septembre 2008 : "nous avons identifié une erreur dans le scénario d'octobre à la page 26. Le bon ordre est donc le suivant pour les quatre meubles" et ainsi de suite (...).
E) les prix des produits.
Les catalogues envoyés régulièrement à Madame Borie permettent de déterminer que ceux-ci fixaient les prix comme le catalogue intitulé le scénario, le catalogue mentionné promotion et le catalogue annuel intitulé livre vert de la beauté. Le huit août 2003 il est faxé : "afin de booster l'activité spontanée du mois d'août, nous avons décidé de déclencher l'offre de pilotage prévue au scénario page 14 pour toute la chaîne. Tous les prix 1,95 euro passent ce matin à 1,05 euro. Cela concerne les minis Vao, le gel douche et sa chair végétale.
En outre, les prix étaient imposés sur les affiches publicitaires, les bandeaux publicitaires, les îlots ou encore les socles distribués par la société Yves Rocher et entreposés dans l'institut.
Cette société n'hésitait pas à adresser des courriels aux clientes des instituts les informant des réductions de prix initialement fixés. Par exemple, en février 2008 le catalogue scénario apprend que les clientes ont reçu l'offre suivante : "un produit acheté égal le deuxième à 1,40 euro sur un produit de beauté".
Madame Borie n'avait d'autre choix que d'appliquer toutes les réductions de 50 % annoncées régulièrement par la société aux clientes sur une gamme déterminée de produits.
Dans le catalogue scénario de janvier 2003, la société évoque les cadeaux distribués à toutes les clientes à compter du 2 janvier 2003 et mentionne diverses remises.
Le site Internet de la société précisait que les offres privilège des centres de beauté étaient valables dans les 550 centres de France.
Une centaine de tickets de caisse identiques ont été versés au débat qui prouvent que les mêmes prix étaient offerts au travers des instituts couvrant la France entière.
Dans ces conditions, il est clair que la société Yves Rocher déterminait seule la politique des prix et que Madame Borie ne disposait d'aucune autonomie de décision en restant dans l'incapacité totale de mener une politique personnelle de prix.
Le droit du travail étant d'ordre public, la cour estime que les conditions de droit et factuelles exigées par l'article précité s'avèrent toutes réunies, en sorte que le jugement contesté sera infirmé, le Conseil des prud'hommes de Montargis étant seul compétent pour connaître des demandes formées par Madame Borie à l'encontre de la société Yves Rocher.
L'équité commande de lui allouer une somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de débouter les demandes sur ce fondement de la société Yves Rocher qui succombe en ses prétentions aujourd'hui.
Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe : - Reçoit, en la forme, le contredit de Madame Colette Borie, - Au fond, infirme en toutes ses dispositions le jugement critiqué (Conseil des prud'hommes de Montargis, section encadrement, 15 novembre 2011) et, statuant à nouveau, - Dit que le Conseil des prud'hommes de Montargis est seul compétent pour statuer sur les demandes formées par Madame Borie, - Renvoie les parties devant cette juridiction pour qu'il soit statué sur le fond du dossier, - Condamne la société anonyme Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher à lui régler la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, - Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, - Condamne cette société aux dépens de première instance et d'appel.