Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 5 septembre 2012, n° 10-18464

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Aurego (SARL)

Défendeur :

SFBC (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

Avocats :

SCP Badie, Simon-Thibaut, Juston, Mes Sider, Garcia

T. com. Antibes, du 24 sept. 2010

24 septembre 2010

FAITS - PROCEDURE - DEMANDES :

Par "contrat de franchise" du 15 février 2006 la SAS Le Moulin de Paiou créée en 2002 dont le président est Monsieur Jean-Yves Clabaut a concédé aux époux Jean-Baptiste Martinez [bijoutier joaillier depuis 1978]/Brigitte Lambrecht, auxquels s'est ensuite substituée la SARL Aurego, les droits d'exploitation d'un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie-sandwicherie à l'enseigne "Le Moulin de Paiou" situé à Montigny les Cormeilles (95); il a été stipulé notamment :

- une durée de 5 ans à compter de l'ouverture du magasin le 7 octobre 2006 ;

- une assistance initiale et permanente du franchiseur au franchisé ;

- le paiement par ce dernier d'un droit d'entrée de 40 000 euro HT et d'une redevance de 6 % HT du chiffre d'affaires réalisé mensuellement ;

- en cas de rupture par le franchisé l'engagement de celui-ci à payer une indemnité destinée à compenser le préjudice d'exploitation du franchiseur, égale à la moyenne des redevances dues au cours des 12 derniers mois multipliée par le nombre de mois restant à courir jusqu'à l'échéance du contrat avec un minimum de 12 mois (article 12.4).

Le 4 décembre 2008 la société Aurego a assigné la société Le Moulin de Paiou [devenue la SAS SFBC] en nullité et à titre subsidiaire en résolution du contrat de franchise ; le Tribunal de commerce d'Antibes, par jugement du 24 septembre 2010 visant les articles 1134 et 1315 du Code civil ainsi que L. 330-3 du Code de commerce a :

* confirmé le parfait respect par la seconde société de ses obligations pré-contractuelles d'ordre public prévues par les dispositions de ce 3e article ;

* débouté la première société en sa demande de nullité du contrat ;

* débouté la même en sa demande subsidiaire de résolution de ce contrat ;

* prononcé la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Aurego avec effet au 26 décembre 2008 ;

* condamné la même à payer à la société Le Moulin de Paiou les sommes de :

- 43 827,81 euro au titre des redevances restant dues d'octobre 2006 à décembre 2008 ;

- 30 000 euro au titre de l'indemnité de rupture ;

- 5 845,41 euro au titre de l'indemnité contractuelle ;

* dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts ;

* condamné la société Aurego à payer à la société Le Moulin de Paiou la somme de 4 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Aurego a régulièrement interjeté appel le 15 octobre 2010. Par conclusions du 15 février 2011 elle soutient notamment que :

- le contrat de franchise est nul :

- absence de cause par vacuité du savoir-faire, lequel a une origine frauduleuse (copie de celui de la franchise Petrin Ribeirou de 1996 laquelle a d'ailleurs assigné la société Le Moulin de Paiou en usurpation), et est absent faute d'être original et d'avoir un caractère secret, substantiel et identifié ;

- le franchiseur a commis un dol vu cette copie ;

- il y a eu non-respect de l'obligation précontractuelle d'information, car absence d'informations sincères préalables sur le chiffre d'affaires prévisionnel et l'étude de marché ; le loyer représentait plus de 25 % de ce chiffre alors que le maximum est de 6,5 % ; la rentabilité prévue entre 7,26 à 10,65 % n'a été que de 1 %, et le chiffre d'affaires annoncé de 600 000 euro n'a été pour le réseau Le Moulin de Paiou que de 388 377 euro ;

- à titre subsidiaire le contrat doit être résolu [en réalité résilié] judiciairement aux torts exclusifs du concédant :

- manquement à son obligation d'assistance technique et commerciale ;

- absence de conseils, opérations commerciales et soutien adaptés aux difficultés ;

- absence de réelle publicité ;

- absence de notoriété de la marque.

L'appelante demande à la cour, vu les règlements européens d'exemption des 22 décembre 1999 et 30 novembre 1988 et celui de la Commission du 27 avril 2004, les articles 331 du Code de procédure civile, 1108, 1109 et 1116 du Code civil, L. 330-3, R. 330-1 et R. 330-2 du Code de commerce, 1383, 1184 et 1147 du Code civil, de réformer le jugement et de :

* constater l'origine douteuse du objet du contrat, et l'absence de ce savoir-faire ne répondant pas aux normes du caractère secret, substantiel et identifié ;

* à titre principal :

- prononcer la nullité du contrat de franchise pour absence de cause ;

- constater que le franchiseur n'a pas rempli son obligation précontractuelle d'information ;

- dire et juger que le consentement d'elle-même a été vicié en l'absence de toute information loyale et sincère ;

- prononcer la nullité du contrat de franchise pour dol ;

- condamner la société SFBC à lui payer à titre de restitution toutes les sommes perçues en exécution du contrat annulé à savoir :

- 47 840 euro TTC au titre du droit d'entrée ;

- 20 577,54 euro au titre des redevances mensuelles et de publicité (versement attesté par l'expert-comptable d'elle-même) ;

- condamner la même à lui payer la somme de 500 000 euro à titre de légitimes dommages et intérêts pour attitude dolosive ;

* à titre strictement subsidiaire :

- constater que le franchiseur n'a pas respecté ses obligations contractuelles (assistance technique, conseil, opérations commerciales, publicité, notoriété de la marque) et a failli à ses obligations précontractuelles d'information, mais également à son devoir d'assistance et de conseil dans le cadre des étapes précontractuelles ;

- prononcer la résolution [en réalité la résiliation] du contrat aux torts exclusifs de la société SFBC ;

- condamner celle-ci à lui payer la somme de 500 000 euro à titre de légitimes dommages et intérêts pour attitude dolosive ;

* à titre très infiniment subsidiaire :

- constater que la société SFBC ne justifie pas de sa qualité à agir, compte tenu de la cession de son fonds de commerce de franchiseur à la société MDP Franchise ;

- déclarer irrecevables toutes demandes formulées par la première société dans l'attente de la communication de l'acte de cession ;

- dire et juger que les redevances au titre du budget publicitaire ne sont pas dues, et qu'il en est de même des redevances mensuelles postérieures au mois de juin 2006 date à laquelle le franchiseur n'a su apporter aucun soutien au franchisé dont la situation économique était totalement obérée par sa propre carence ;

* condamner la société SFBC à lui payer la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 23 mai 2011 la SAS SFBC répond notamment que :

- le contrat de franchise a une cause qui est un savoir-faire ; elle est différente du Petrin Ribeirou ; le concept se distingue du secret de fabrication ;

- elle n'a pas commis de dol ; la société Aurego la savait ancienne de Petrin Ribeirou ;

- elle a respecté l'obligation précontractuelle d'information ;

- elle n'a pas manqué à son obligation d'assistance et a donné des conseils, a respecté son obligation de publicité, a une marque notoire ;

- le franchisé n'a pas respecté l'apport en compte courant prévu au dossier de financement, ni le concept Le Moulin de Paiou.

L'intimée demande à la cour, vu les articles 1134, 1147 et 1382 du Code civil, de confirmer le jugement sauf pour l'indemnité de rupture et de condamner la société Aurego à :

- lui verser à ce titre la somme de 100 345,22 euro ;

- lui payer la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 mai 2012.

MOTIFS DE L'ARRET :

L'article du site Internet www.franchise-magazine.com publié le 6 octobre 2009 sous le titre "Moulin de Paiou change de propriétaire" précise que cette enseigne a été acquise le 16 juillet précédent par le groupe Forest, qui a créé "MDP Franchise" pour prendre la tête du réseau de franchise. Pour autant il n'est pas démontré que la société SFBC ne vient pas aux droits de la société Le Moulin de Paiou, et l'entité "MDP Franchise" n'a pas été assignée. C'est donc à tort que la société Aurego invoque le défaut de qualité à agir de son adversaire et l'irrecevabilité des demandes de celui-ci.

Sur la cause du contrat de franchise du 15 février 2006 :

La franchise Petrin Ribeirou a le 1er août 2007 assigné Le Moulin de Paiou devant le Tribunal de grande instance de Grasse en parasitisme fautif et en concurrence déloyale, mais cette juridiction n'a pas encore rendu sa décision ; par suite la société Aurego ne peut affirmer que la franchise Le Moulin de Paiou est une copie de la franchise Petrin Ribeirou. De plus la première diffère de la seconde par les enseigne, mobilier, matériels et agencements des magasins, ainsi que par la farine utilisée qui permet de réaliser des pains spécifiques, d'où l'originalité et le caractère substantiel et identifié critiqués à tort par la société Aurego. En outre celle-ci ne peut invoquer une absence du savoir-faire de la société Le Moulin de Paiou en raison de son caractère non secret, car en matière de boulangerie, activité qui est très ancienne et très pratiquée, le secret est difficilement concevable. Enfin le savoir-faire Le Moulin de Paiou existait depuis presque 4 années lorsqu'a été signé le contrat de franchise.

Le jugement sera confirmé pour avoir débouté la société Aurego de son argument d'absence de cause dudit contrat.

Sur le dol de la société Le Moulin de Paiou :

Le contrat du 15 février 2006 stipule en page 2 : "Le franchisé reconnaît avoir eu le temps nécessaire pour réfléchir et se faire conseiller avant la signature dudit contrat. Il reconnaît en outre avoir reçu 20 (vingt) jours au moins avant la signature du présent contrat, un Document d'Information Préalable (DIP)", et ce document a effectivement été remis le 9 décembre 2005 à Madame Martinez de la future société Aurego.

Le résultat prévisionnel type de ce DIP mentionnait pour la première année un chiffre d'affaires de 500 000 à 600 000 euro et un résultat de 36 287 à 63 019 euro, et pour la deuxième respectivement 525 000 à 630 000 euro et 56 075 à 78 822 euro. Les comptes annuels de la société Aurego, clos le 31 juillet, n'ont dégagé que :

- de l'ouverture début octobre 2006 au 31 juillet 2007 un chiffre d'affaires de 297 424 euro (soit sur un an 356 908,80 euro) et une perte de 46 092 euro ;

- du 1er août 2007 au 31 juillet 2008 un chiffre d'affaires de 482 165 euro et une perte de 6 279 euro.

Cette différence de résultat s'explique en partie parce que la société Aurego, pour financer ses besoins d'un montant de 542 000 euro, a emprunté à la BNP Paribas la somme de 317 000 euro [soit 58,49 %] avec à compter de septembre 2006 un remboursement mensuel de 4 526,13 euro soit annuel de 54 313,56 euro. Par ailleurs cette société n'a quasiment pas réalisé l'apport personnel de ses associés à hauteur de 215 000 euro qui était prévu dans son plan de financement. Le loyer annuel dû par la société Aurego (62 000 euro au lieu des 36 000 du DIP) n'a pas été critiqué par elle avant le bail du 12 juillet 2006, et représente non 25 % de son chiffre d'affaires mais seulement 17,37 % la première année, et 12,86 % la seconde. En outre les 8 autres magasins franchisés créés entre juillet 2005 et septembre 2007, soit contemporains de la société Aurego, ont eu de 2006 à 2008 (pièce n° 9 de l'intéressée) des chiffres d'affaires annuels inférieurs pour 5 d'entre eux aux mentions du DIP, ce qui permet de retenir que la situation de cette société n'a pas été unique. Enfin Monsieur Martinez de la future société Aurego a lui-même réalisé l'étude de marché ainsi que le dossier financier de la boulangerie.

De ces éléments il ressort que le consentement donné par la société Aurego au contrat de franchise n'a été vicié qu'en partie par les informations contenues dans le DIP de la société Le Moulin de Paiou, lequel précisait en page 60 être basé sur des hypothèses et ne pouvoir être considéré comme un acquis. Par suite c'est à juste titre que le tribunal de commerce a écarté la demande de la première société en nullité du contrat de franchise pour dol de la seconde.

Sur l'exécution ou non par la société Le Moulin de Paiou de ses obligations contractuelles :

Cette société justifie avoir procédé à plusieurs actes vis-à-vis de son franchisé la SARL Aurego dont notamment :

- le conseil écrit le 12 octobre 2006 d'offrir une dégustation gratuite à la clientèle du centre commercial où se trouve le magasin ;

- la diffusion à ses franchisés, entre le 19 octobre 2006 et le 14 novembre 2008, d'une trentaine de notes de service concernant les différents moments de l'année (bûches de Noël, galettes et brioches des rois, fêtes des mères et des grands-mères, Pâques) avec des conseils pratiques pour les actions commerciales et les recettes ;

- des gestes financiers exceptionnels (lettres du 18 décembre 2006 et 19-23 avril 2007) ;

- des audits du magasin les 29 janvier, 15 février et 13 juin 2007 ;

- l'envoi de spécialistes techniques et commerciaux du 15 au 23 février 2007, ce qui a été apprécié par la société Aurego dans un courrier du 27 suivant ;

- une convention les 22 et 23 janvier 2008, à laquelle ladite société n'a pas assisté mais dont elle a reçu le compte-rendu.

Par ailleurs la société Le Moulin de Paiou a fait imprimer divers documents publicitaires en couleurs pour les moments de l'année précités ce qui démontre l'utilisation de la redevance de 1 % HT du chiffre d'affaires HT de l'article 8.1 du contrat de franchise, et surtout a transmis 3 000 tracts le 20 septembre 2007 à la société Aurego en renonçant à leur facturation pourtant prévue.

C'est en conséquence à tort que la société Aurego demande la résiliation du contrat puisqu'elle invoque contre la société Le Moulin de Paiou, dont la marque est notoire vu sa diffusion, des reproches qui ne sont pas constitués.

Sur les demandes chiffrées :

La somme de 43 827,81 euro retenue par le jugement au titre des redevances restant dues par la société Aurego d'octobre 2006 à décembre 2008 correspond à la réalité de la créance de la société Le Moulin de Paiou aujourd'hui la société SFBC.

L'indemnité contractuelle de 5 845,41 euro fixée par le tribunal de commerce au titre du maintien, après la rupture du contrat de franchise, des éléments matériels caractéristiques de la franchise Le Moulin de Paiou (enseigne, indications sur les sacs de farine et sachets de vente, etc.) est stipulée à l'article 13.3 du contrat qui la qualifie lui-même de "clause pénale" ; or la cour constate que la résiliation de ce contrat notifiée le 11 décembre 2008 par la société Le Moulin de Paiou a pris effet le 25 suivant, et que dès le 19 janvier 2009 la société Aurego a fait constater par Huissier de Justice la disparition de ces éléments ; ce délai de moins d'un mois était techniquement nécessaire car cette société a dû faire appel à une intervenante extérieure la société Ages, et rend la somme précitée "manifestement excessive" en totalité au sens de l'article 1152 alinéa 2 du Code civil ; le jugement sera donc infirmé pour avoir condamné la société Aurego.

Le montant de l'indemnité de rupture de l'article 12.4 du contrat de franchise a été correctement calculé à 35 416,07 euro par la société SFBC (pièce n° 53), d'où un complément de 5 416,07 euro par rapport au jugement qui n'avait retenu que 30 000 euro.

Enfin l'équité ne permet pas de rejeter en totalité la demande faite par la société SFBC au titre des frais irrépétibles d'appel.

Décision : LA COUR, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire. Infirme le jugement du 24 septembre 2010 pour avoir condamné la SARL Aurego à payer la somme de 5 845,41 euro au titre de l'indemnité contractuelle. Confirme tout le surplus du jugement et condamne en outre la SARL Aurego à payer à la SAS SFBC : la somme de 5 416,07 euro à titre de complément d'indemnité de rupture ; une indemnité de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel. Rejette toutes autres demandes. Condamne la SARL Aurego aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.