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Décisions

Cass. com., 11 septembre 2012, n° 11-14.620

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Carrefour (SA), Interdis (SNC)

Défendeur :

Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

SCP Delaporte, Briard, Trichet, Me Haas

T. com. Paris, du 8 oct. 2007

8 octobre 2007

LA COUR : - Donne acte à la société Carrefour du désistement de son pourvoi ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2011), que la société Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est (la société Salins du Midi) était en relation commerciale depuis une trentaine d'années avec le groupe Promodès d'abord, puis, après la fusion en 1999 de ce dernier avec le groupe Carrefour, avec la centrale d'achat du nouveau groupe, la société Interdis ; qu'elle concluait chaque année avec cette dernière des accords commerciaux de référencement de ses produits destinés soit aux grandes et moyennes surfaces, soit à la restauration hors foyer, ainsi que des accords de coopération commerciale, contrats-cadres de prestations et de services de promotion que le groupe Carrefour devait fournir pour ses produits ; qu'au cours de l'année 2002, le groupe Carrefour a fermé deux entrepôts situés en Ile-de-France, rendant impossible la livraison des produits de la société Salins du Midi dans vingt-et-un hypermarchés de cette région, de sorte que, le 8 novembre 2002, la société Salins du Midi a dénoncé une rupture partielle de la relation commerciale ; que le 29 août 2003, la société Interdis a notifié à la société Salins du Midi la cessation de leur relation pour les produits destinés aux grandes et moyennes surfaces au 31 décembre 2003 ; qu'en 2004, la société Salins du Midi ayant refusé d'acquitter une facture au titre de la coopération commerciale pour 2003, la société Interdis a retenu à son tour le paiement d'une facture de produits ; que la société Salins du Midi a cessé de fournir les produits pour la restauration hors foyer ; qu'elle a ensuite assigné la société Interdis en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale, d'abord partielle, puis totale de leur relation commerciale, réclamant en outre le paiement de sa facture de produits et, en application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, le remboursement des sommes versées au titre de la coopération commerciale ; que la société Interdis a demandé paiement de sa facture de coopération commerciale ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Interdis fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Salins du Midi la somme de 180 000 euro en réparation du préjudice dû à la rupture partielle des relations commerciales, alors, selon le moyen, que si la rupture partielle d'une relation commerciale peut donner lieu à dommages-intérêts, la simple diminution des commandes, même localisée sur certain entrepôts approvisionnés par le producteur, ne caractérise pas une rupture brutale dès lors que les autres entrepôts compris dans la même relation commerciale continuent, voire augmentent leurs approvisionnements à des conditions normales et que l'absence de commande de certain entrepôts n'a pas d'impact significatif sur le chiffre d'affaires global réalisé dans le cadre de cette relation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a constaté que l'impact du défaut d'approvisionnement des hypermarchés Ile-de-France sur le chiffre d'affaires global réalisé par la société Salins du Midi avec le groupe Carrefour a été faible, se ramenant à une diminution de 2,73 % ou 5,4 %, ne devait pas se limiter à réduire la durée du préavis, mais encore rechercher si, dans ces conditions, la cessation des commandes des entrepôts approvisionnant les hypermarchés d'Ile-de-France pouvait caractériser une rupture brutale de la relation commerciale existante entre le groupe Carrefour et la société Salins du Midi ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ;

Mais attendu que, selon l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, toute rupture brutale, même partielle, d'une relation commerciale établie engage la responsabilité de son auteur ; que la cour d'appel, qui a constaté que la société Interdis avait, vers le milieu de l'année 2002, interrompu la livraison des magasins en Ile-de-France au prétexte de la fermeture de ses entrepôts, cependant que les supermarchés de cette région étaient encore approvisionnés en produits concurrents de ceux de la société Salins du Midi, a justifié sa décision sans être tenue de procéder aux recherches inopérantes visées par le moyen ; que celui-ci n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Interdis reproche à l'arrêt de la condamner à payer à la société Salins du Midi la somme de 1 200 000 euro pour la rupture totale des relations commerciales, alors, selon le moyen, que si le respect d'un délai de préavis s'impose en cas de rupture d'une relation commerciale établie, même en l'absence de dépendance économique d'une partie envers l'autre, il appartient au juge de fixer la durée du préavis en fonction de toutes les circonstances de nature à influer sur l'appréciation d'un délai raisonnable, notamment l'absence de dépendance économique des parties entre elles, le caractère plus au moins stable de leur relation, et leurs responsabilités respectives dans l'échec des négociations qui ont précédé la rupture ; qu'en statuant par les motifs précités, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces constatations ne caractérisaient pas d'absence de dépendance économique des Salins du Midi par rapport à Carrefour et l'instabilité des relations entre les parties depuis plus de deux [années] avant la rupture, et sans rechercher non plus, comme elle y était invitée, si Salins du Midi n'avait pas fait obstacle à l'aboutissement des négociations ayant précédé la rupture, et sans enfin expliquer pourquoi un préavis d'un an était nécessaire à Salins du Midi pour trouver des solutions alternatives, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ;

Mais attendu qu'ayant constaté non seulement que la relation commerciale avait été ininterrompue pendant plus de trente ans, mais aussi que les parties n'étaient parvenues que difficilement à des accords pour les trois dernières années et que la part de chiffre d'affaires de la société Salins du Midi avec la société Interdis était toujours demeurée modeste, l'arrêt en déduit que le préavis aurait dû être de l'ordre d'une année ; que la cour d'appel, qui a ainsi pris en compte la durée de la relation et l'ensemble des circonstances de l'espèce, a justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen : - Attendu que la société Interdis fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Salins du Midi la somme 1 900 000 euro au titre du solde en matière de coopération commerciale, alors, selon le moyen : 1°) que si le fait d'obtenir un avantage disproportionné au regard de la valeur du service rendu engage la responsabilité de son auteur, la disproportion n'est pas caractérisée par le seul fait que le prix du service rendu, dont la réalité est établie, est fixée forfaitairement par un pourcentage sur le chiffre d'affaires réalisé, c'est-à-dire sur le montant des ventes dont ces services ont assuré la promotion ; que pour justifier l'existence d'une disproportion manifeste entre la rémunération d'Interdis et la valeur du service commercial effectivement rendu par elle, la cour d'appel relève que "le poste "classification, sélection, assortiment" des produits ne saurait valoir 25 à 26 % du chiffre d'affaires selon les années, soit toujours de l'ordre du quart, ni la "mise en avant en magasins" 14,30 %, la différence entre les deux types de prestations étant d'ailleurs peu claire ; qu'en réalité les facturations n'étaient pas faites en considération des prestations effectuées avec paiement à la prestation, mais qu'un taux était défini globalement avant les prestations, même si leur valeur effective n'y correspondait pas (...) que ce taux était "mis" en fonction d'une politique tarifaire globale et indépendamment de la réalité, en tous cas de la valeur effective, des prestations de coopération commerciale... que le référencement était conditionné par des taux de coopération commerciale élevés ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à établir le caractère disproportionné des prestations commerciales qui avaient été facturées et dont elle avait admis la réalité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-I-1° et 2° du Code de commerce ; 2°) que pour établir la valeur réelle des prestations litigieuses, le juge ne peut statuer par une motivation générale et abstraite et doit se prononcer concrètement, par une décision motivée, sur la nature et l'importance des prestations réellement fournies et sur les éléments qui lui permettent d'en déterminer la valeur ; qu'en se bornant, pour condamner Interdis au remboursement de la somme de 2 900 000 euro, à déclarer qu'"eu égard à l'ensemble des éléments du litige et des documents fournis, la cour estime que la valeur réelle des prestations commerciales ne peut être supérieure à la moitié environ des sommes facturées", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-II du Code de commerce ; 3°) que l'article L. 442-6-I du Code de commerce dispose, en sa rédaction applicable à la cause comme en sa rédaction actuelle, que "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel" de se livrer à certaines pratiques définies par le texte en ses paragraphes suivants, parmi lesquelles figure notamment le fait d'obtenir du partenaire un avantage manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ; que cette différence de valeur a ainsi la nature d'un fait générateur de responsabilité ; qu'elle caractérise la faute et se distingue du préjudice causé par cette faute ; qu'en confondant le préjudice réparable et la faute et en s'abstenant de rechercher la consistance du préjudice que cette différence de valeur a causé à Salins du Midi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-I du Code de commerce ; 4°) que, la responsabilité n'est engagée en vertu du texte précité que dans la mesure où l'avantage litigieux est manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ; que tout dépassement de cette valeur ne caractérise pas une disproportion manifeste ; que dès lors, l'indemnité mise à la charge d'Interdis ne pouvait équivaloir aux sommes facturées au-delà de la valeur réelle, mais devait être limitée aux sommes perçues et manifestement disproportionnées ; qu'en s'abstenant de rechercher dans quelle mesure le prix facturé des prestations commerciales était manifestement disproportionné, la cour d'appel a, à nouveau, privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que les contrats de coopération commerciale se donnaient pour objectif de "définir ensemble une politique globale de coopération commerciale dans un but commun de création de valeur et plus particulièrement afin d'avoir une offre adaptée au marché et au besoin des clients", l'arrêt relève qu'au-delà de cette déclaration d'intention elle-même assez floue, les services concernés n'étaient pas clairement définis, s'agissant en particulier des prestations de "clarification et positionnement spécifique de l'assortiment des produits, aides au lancement de produits nouveaux, communication ou mise en avant, optimisation des coûts", et que leur évaluation, telle qu'elle résulte des annexes, révèle une disproportion manifeste, seule "l'utilisation d'un centre de règlement des fournisseurs", qui n'était d'ailleurs facturée que 1,20 % du chiffre d'affaires, paraissant correspondre au service rendu ; que les juges soulignent à cet égard le coût élevé de la prestation "classification, sélection, assortiment" des produits, facturée 25 à 26 % du chiffre d'affaires selon les années, et qui, selon eux, ne devait pas excéder la moitié de ce taux, et de la "mise en avant en magasins", facturée à 14,30 %, sans d'ailleurs que la différence entre les deux types de prestations apparaisse nettement ; qu'ils relèvent encore que les facturations n'étaient pas établies en considération de la consistance des services rendus, mais en fonction d'un taux global arrêté préalablement, ainsi qu'il résulte d'un document dans lequel la société Interdis compare les tarifs de la société Salins du Midi à ceux de l'un de ses concurrents, puis conclut que, pour être compétitif, "il est nécessaire de mettre 50 % de coopération commerciale" ; qu'ils constatent qu'effectivement, un taux global, de 46 % en moyenne du chiffre d'affaires, dénué de rapport avec la valeur réelle des prestations fournies, était imposé à la société Salins du Midi, laquelle avait intérêt à ce que ses marques soient représentées dans la grande distribution où le groupe Carrefour détient une importante part de marché, ce qu'elle a accepté de plus en plus difficilement les trois dernières années, provoquant finalement la rupture des relations ; qu'ils en déduisent qu'est établie une disproportion manifeste entre la rémunération et la valeur des services commerciaux rendus ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, déduites de son appréciation souveraine des éléments de la cause, et d'où ressort l'absence de lien entre la valeur effective des services rendus et leur rémunération forfaitaire, manifestement excessive, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, en second lieu, que, dès lors qu'est démontrée une disproportion manifeste entre la valeur du service rendu et la rémunération perçue, le partenaire qui a payé est fondé à obtenir la réparation de son préjudice, constitué par la totalité des sommes versées en trop ; que la cour d'appel, qui a ordonné le remboursement des sommes excédant la valeur réelle des services, dont elle a souverainement apprécié le montant, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.