Cass. com., 11 septembre 2012, n° 11-17.458
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Carrefour (SA), Carrefour France (SAS), Carrefour marchandises internationales (SAS)
Défendeur :
Jean-Marc Valensi (SAS), Valensi
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Michel-Amsellem
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Delaporte, Briard, Trichet, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi principal formé par les sociétés Carrefour SA, Carrefour marchandises internationales et Carrefour France SAS venant aux droits de la société Carrefour hypermarchés France, que sur le pourvoi incident relevé par la société Jean-Marc Valensi et M. Jean-Marc Valensi : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Jean-Marc Valensi, qui exerce une activité de fabrication de bijoux, entretenait des relations commerciales avec les sociétés du groupe Carrefour depuis 1990 ; qu'en février 2003, la société Carrefour marchandises internationales (la société CMI) l'a informée de son intention de mettre un terme définitif à leurs relations commerciales à l'issue d'un préavis de deux ans avec une cessation progressive de son approvisionnement conformément à un plan de désengagement défini en termes de chiffre d'affaires pour 2003 et 2004 ; que des négociations se sont alors engagées entre les parties, la société Jean-Marc Valensi tentant de faire revenir les sociétés du groupe Carrefour sur la décision de rupture ; que par lettre du 24 mai 2004, la société CMI lui a fait de nouvelles propositions consistant dans la continuation partielle de leurs relations commerciales en 2005 et 2006 avec une réalisation d'un certain chiffre d'affaires en 2005 et d'un montant à déterminer ultérieurement pour 2006 ; que cette proposition a été refusée par la société Jean-Marc Valensi par lettre du 1er juin 2004 ; qu'à la suite de nouvelles négociations qui n'ont pu aboutir, la société CMI, par lettre du 18 février 2005, rappelant à la société Jean-Marc Valensi les termes de sa correspondance du 12 février 2003 et faisant état de dysfonctionnements intervenus pendant les mois précédents, lui a notifié l'arrêt total de leurs relations commerciales à l'issue d'un nouveau préavis de 18 mois qui devait se terminer le 17 août 2006 ; que la société Jean-Marc Valensi a fait assigner la société CMI en réparation du préjudice résultant de la rupture qu'elle qualifiait de brutale ; qu'elle a également fait assigner les sociétés Carrefour SA, société Holding du groupe, et Carrefour hypermarchés France en invoquant la nullité de contrats de coopération commerciale sans contrepartie qui lui auraient été imposés et demandé la restitution des sommes indûment payées par elle à cette occasion ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal : - Attendu que les sociétés du groupe Carrefour font grief à l'arrêt d'avoir déclaré non prescrites les demandes de la société Jean-Marc Valensi au titre de la coopération commerciale postérieure à 1995, alors, selon le moyen : 1°) que l'action en nullité se prescrit par 5 ans après la conclusion de l'acte lorsque la nullité est relative ; que après avoir constaté que "la nullité sur le fondement de l'article 1131 du Code civil est une nullité relative", tout en appliquant un délai de prescription décennal, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 1131 et 1304 du Code civil ; 2°) que la cause n'est illicite qu'à raison de son objet ou du motif qui a déterminé les parties à contracter ; qu'en retenant que les contrats et factures produits par la société Jean-Marc Valensi ne satisfaisaient pas aux prescriptions des articles L. 441-6 et L. 441-3 du Code de commerce pour prononcer la nullité des contrats, sans relever que leur objet était en lui-même illicite, ni analyser la cause déterminante du consentement des parties, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1131 et 1133 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir rappelé que les sociétés du groupe Carrefour soutenaient que les demandes de la société Jean-Marc Valensi au titre de la coopération commerciale étaient prescrites en application de l'article L. 110-4 du Code de commerce qui, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008, prévoyait une prescription de dix ans pour les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants si elles ne sont pas soumises à une prescription plus courte, c'est exactement que l'arrêt, faisant application de ce texte, a, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la première branche et sans avoir, pour statuer sur la question de la prescription, à procéder à la recherche visée par la seconde branche, retenu que la prescription de dix ans devait s'appliquer à l'action en annulation des contrats de coopération commerciale ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que la société Jean-Marc Valensi fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré prescrites ses demandes concernant la coopération commerciale antérieure à 1995, alors selon le moyen, que toute convention ou clause contraire à des dispositions relevant de l'ordre public économique est entachée d'une nullité absolue ; que les contrats contraires aux dispositions des articles L. 441-3, L. 441-6 et L. 442-6 du Code de commerce sont donc entachés d'une nullité absolue ; qu'en affirmant, pour déclarer prescrite l'action en nullité de la société Valensi concernant les opérations de coopération commerciale afférentes aux années 1992, 1993 et 1994, que la nullité encourue n'était pas une nullité absolue mais une nullité relative, la cour d'appel a violé les textes susvisés ensemble les articles 1131 et 1304 du Code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
Mais attendu qu'après avoir rappelé que les sociétés du groupe Carrefour soutenaient que les demandes de la société Jean-Marc Valensi au titre de la coopération commerciale étaient prescrites en application de l'article L. 110-4 du Code de commerce qui dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 prévoyait une prescription de dix ans pour les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants si elles ne sont pas soumises à une prescription plus courte, c'est exactement que l'arrêt retient que la prescription de dix ans énoncée par ce texte s'applique aux demandes fondées sur la nullité d'ordre public économique des contrats de coopération commerciale ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur les troisième et quatrième moyens du pourvoi principal réunis : - Attendu que ce moyen ne serait de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le premier moyen de ce même pourvoi, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; - Attendu que pour condamner la société Carrefour SA, in solidum avec les sociétés Carrefour France et CMI, à payer à la SAS Jean-Marc Valensi la somme de 378 438 euro à la suite de la rupture des relations commerciales, l'arrêt, après avoir relevé que la société Carrefour SA n'était pas intervenue dans les relations avec la société Jean-Marc Valensi et que le courrier de rupture des relations commerciales émane de de la société CMI, retient que la société Carrefour SA définissait néanmoins la politique commerciale du groupe et avait un intérêt direct dans la commercialisation des produits des hypermarchés du groupe ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi la société Carrefour SA était intervenue dans la rupture des relations commerciales et avait pu engager sa responsabilité à ce titre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le premier moyen de ce pourvoi, pris en sa quatrième branche : - Vu les articles L. 441-3 et L. 442-6 du Code de commerce ; - Attendu que pour condamner la société Carrefour SA, in solidum avec les sociétés Carrefour France et CMI, à payer à la société Jean-Marc Valensi la somme de 1 293 146,43 euro, l'arrêt après avoir relevé que la société Carrefour SA n'était pas intervenue dans les relations avec la société Jean-Marc Valensi et que les contrats de coopération commerciale avaient été négociés avec la société CMI, puis signés par la Carrefour France, retient que la société Carrefour SA définissait néanmoins la politique commerciale du groupe et avait un intérêt direct dans la commercialisation des produits des hypermarchés du groupe ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi sans préciser en quoi la société Carrefour SA était intervenue dans la conclusion des contrats de coopération commerciale et avait pu engager sa responsabilité à ce titre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Carrefour SA, in solidum avec les sociétés Carrefour France et CMI, à payer à la société Jean-Marc Valensi les sommes de 378 438 euro et de 1 293 146,43 euro ; l'arrêt rendu le 24 mars 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.