CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 septembre 2012, n° 11-05622
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
ALJ Productions (SAS)
Défendeur :
Endemol Productions (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roche
Conseillers :
Mme Luc, M. Vert
Avocats :
Mes Baechlin, Wilhelm, Teytaud, Colombet
Vu le jugement du 11 mars 2011 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a :
- donné acte à la SAS Endemol Productions anciennement dénommée SAS Endemol Développement qu'elle vient aux droits des Sociétés ASP Productions et So Nice Productions ;
- dit que la Société ALJ Productions a commis des actes de concurrence déloyale, en conséquence,
- interdit à la société ALJ Productions d'exploiter sur tous territoires, directement ou indirectement, et, en particulier, de diffuser l'émission "Dilemme" et/ou de représenter de quelque manière que ce soit et par quelque support de communication que ce soit l'émission "Dilemme" ou tout autre programme identique ou similaire qui concurrencerait les programmes des demanderesses, dans des conditions équivalentes à celles objet de la présente procédure, notamment à la télévision et sur Internet, et ce, sous astreinte de 100 000 euro par infraction constatée à compter de la signification de la présente décision ;
- condamné la société ALJ Productions à verser à la SAS Endemol Productions anciennement dénommée SAS Endemol Développement, venant aux droits des Sociétés ASP Productions et So Nice Productions la somme de 900 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant des actes de concurrence déloyale commis à son encontre ;
- condamné la société ALJ Productions à verser à la SAS Endemol Productions anciennement dénommée SAS Endemol Développement, venant aux droits des Sociétés ASP Productions et So Nice Productions, la somme de 100 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision, nonobstant appel et sans constitution de garantie ;
- débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires ;
Vu l'appel interjeté par la société ALJ Productions et ses conclusions du 2 avril 2012 ;
Vu les conclusions de la société Endemol Productions du 15 mars 2012 ;
SUR CE
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
Le Groupe Endemol, créé en 1994 à la suite d'une fusion entre deux sociétés néerlandaises de production de programmes de télévision, développe et produit des "formats" de programmes audiovisuels par l'intermédiaire de ses filiales internationales. C'est ainsi que la société Endemol International B.V est devenue le distributeur et concédant international exclusif des formats audiovisuels créés et développés par les différentes filiales du groupe et, en particulier, des formats de programmes dits de "téléréalité", celle-ci étant définie comme un genre d'émission télévisuelle dont le principe est de permettre aux téléspectateurs de suivre le quotidien d'individus pendant une période donnée.
Dans le cadre de cette activité, la société Endemol International B.V est le distributeur international exclusif du format d'émission dénommé "Big Brother" et de ses différentes adaptations.
La société Endemol Productions, filiale de la société Endemol France, a ainsi bénéficié des droits d'adaptation et d'exploitation en France de nombreux formats de téléréalité de la société Endemol International B.V, donnant ainsi naissance à "Loft-Story" et "Secret Story" - tous issus du format hollandais initial "Big Brother"- respectivement produits par ASP Productions et So Nice Productions (filiales d'Endemol en France).
La Société ALJ Productions est, pour sa part, une société de production de programmes audiovisuels, fondée par Madame Laroche-Joubert, ancienne directrice artistique des programmes du groupe Endemol. Elle a, dans le cadre de son activité, produit au cours de l'année 2010 le programme "Dilemme" qui a été diffusé sur la chaîne de télévision W9 du 20 mai au 15 juillet de ladite année.
Estimant que ce programme reprenait les caractéristiques essentielles de ses propres formats et programmes audiovisuels, la société Endemol Productions, venant elle-même aux droits des sociétés ASP Productions et So Nice Productions, a, par acte du 16 juillet 2010, assigné en dommages et intérêts ainsi qu'aux fins d'injonction la société ALJ Productions devant le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire.
La demanderesse sollicitait, en outre, que le jugement à intervenir soit déclaré opposable aux sociétés Banijay Entertainment et Edi TV (W9) qu'elle avait également mises dans la cause. Elle réclamait encore :
- la garantie de la société ALJ Productions contre toutes les conséquences dommageables résultant de la diffusion du programme "Dilemme" à l'égard des tiers et, en particulier, de la société Télévision Française 1 (TF1).
- une mesure de publication judiciaire de la décision à intervenir dans cinq journaux, magazines ou périodiques de leurs choix aux frais solidaires des sociétés ALJ Productions et Banijay Entertainment, sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser 10 000 euro, ainsi qu'en page d'accueil du site Internet de Banijay Entertainment et ce, pendant une durée ininterrompue de six mois à compter de la signification à intervenir.
C'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement susvisé présentement déféré, lequel a fait partiellement droit aux prétentions de la demanderesse au motif que la reprise des éléments essentiels des formats et programmes audiovisuels d'Endemol a nécessairement créé une confusion dans l'esprit du public, le concept et les émissions en litige étant identiques, destinés à un même public, avec, sur le fond et la forme, de grandes similitudes et des variantes peu importantes qui ne sauraient franchement distinguer les programmes en cause.
Le tribunal a, en revanche, débouté la société Endemol Productions de ses demandes formées sur des actes de désorganisation de l'entreprise et sur le parasitisme.
Sur la violation par la société ALJ Productions du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui :
Considérant que si l'intimée invoque le principe susmentionné et en infère l'irrecevabilité de l'argumentation de la société ALJ Productions, il y a lieu de rechercher la réalité du comportement procédural de cette dernière et d'apprécier si l'intéressée a changé d'opinion en droit avec l'effet d'induire en erreur l'autre partie en litige sur les intentions de son adversaire ;
Considérant, en l'espèce, que la société Endemol Productions impute à l'appelante, non pas un comportement procédural contradictoire qu'elle aurait adopté dans le cadre du présent litige, mais une position exprimée, par un tiers, en l'occurrence les sociétés du groupe Endemol, dans une procédure à laquelle elle n'était même pas partie, s'agissant de l'action en contrefaçon du droit d'auteur introduite par ces dernières à l'encontre de M6 du fait de la diffusion de l'émission de téléréalité d'enfermement les Colocataires ; que, par suite, la fin de non-recevoir alléguée ne peut qu'être écartée, les actions et comportements apparemment contradictoires invoqués n'étant pas de même nature ni formés contre les mêmes parties ni en exécution des mêmes contrats ;
Sur les actes de concurrence déloyale et de parasitisme allégués :
Considérant qu'il convient liminairement de rappeler que l'action en concurrence déloyale, qui a pour fondement non une présomption de responsabilité qui repose sur l'article 1384 du Code civil mais une faute engageant la responsabilité civile délictuelle de son auteur au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil, suppose l'accomplissement d'actes positifs dont la preuve, selon les modalités de l'article 1315 du Code civil, incombe à celui qui s'en déclare victime ; que, par ailleurs, le parasitisme se définit comme l'ensemble des comportements par lequel un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit de ses efforts et de son savoir-faire et s'approprie ainsi une valeur économique individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'une recherche et d'un travail de conception spécifique ; que, par suite, la concurrence déloyale par parasitisme suppose que celui en excipant puisse démontrer, d'une part, que son concurrent a procédé de façon illicite à la reproduction de données ou d'informations qui caractérisent son entreprise par la notoriété et l'originalité s'y attachant, elles-mêmes résultant d'un travail intellectuel et d'un investissement propre, d'autre part, qu'un risque de confusion puisse en résulter dans l'esprit de la clientèle potentielle, en l'occurrence les téléspectateurs des émissions considérées ; qu'en effet et sauf à méconnaître directement le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ainsi que la règle de la libre concurrence en découlant, le simple de fait de copier la prestation d'autrui n'est nullement fautif dès lors qu'il s'agit d'éléments usuels communs à toute une profession ou à tout un secteur d'activité particulier et pour lesquels il n'est pas justifié de droits de propriété intellectuelle ou d'un effort créatif ou organisationnel dans la mise en œuvre de données caractérisant l'originalité de l'œuvre ;
Sur les actes de concurrence déloyale invoqués :
Considérant que la société Endemol Productions soutient que la société appelante, notamment par le biais d'Alexia Laroche-Joubert et par la reprise d'un ensemble d'éléments de nature technique autant qu'esthétique, caractéristiques des programmes "Loft Story" et "Secret Story", a sciemment et de façon déloyale créé une confusion dans l'esprit du public entre son programme et ceux d'Endemol, pour réaliser des économies et profiter du succès et de la notoriété de cette dernière, c'est-à-dire de la valeur de ses programmes antérieurs ; que l'intimée précise dans ses écritures que la société ALJ Productions a puisé dans les formats et les programmes audiovisuels d'Endemol la trame et la plupart des éléments caractéristiques de son programme et qu'une telle reprise est parasitaire et a pour seul objet de tirer parti de la notoriété et des efforts intellectuels et financiers qu'elle-même a fournis ;
Considérant, toutefois, et en premier lieu, que si la société Endemol Productions met ainsi en cause la présence de Madame Laroche-Joubert en tant qu'animatrice gérante de la société ayant développé "Dilemme", il sera rappelé qu'en l'absence de clauses de non-concurrence, le principe de la liberté du commerce autorise quiconque à créer sa propre entreprise et que seul l'exercice effectif d'une activité concurrente de celle de leur employeur par des salariés encore dans les liens du contrat de travail constitue une faute de concurrence déloyale; qu'en l'occurrence il ressort des pièces du dossier que Madame Laroche-Joubert s'était bornée à préparer, sans recourir à aucun procédé déloyal, la création de la société appelante dont l'exploitation ne devait commencer qu'à l'issue de son départ du groupe Endemol ; que, par ailleurs, les anciens salariés sont libres d'utiliser dans de nouvelles fonctions le savoir-faire, l'expérience et les connaissances par eux acquis au sein de leur ancienne entreprise dès lors qu'ils ne commettent aucun détournement de secret de fabrication ; que si la société Endemol Productions fait néanmoins état d'un savoir-faire confidentiel permettant la mise en place d'un dispositif technique parfaitement adapté pour saisir et retransmettre quotidiennement les moments forts de la vie collective des candidats des émissions "Loft Story" et "Secret Story", elle ne démontre nullement être dépositaire d'une quelconque expertise confidentielle afférente à ces techniques et dont elle serait titulaire à titre exclusif ; que les techniques de captation et de production dont l'intéressée excipe, telles celles des "story" et "line up", des "camera run" ou du "switcher", sont connues de tous les prestataires travaillant dans le secteur audio-visuel et dans celui de la téléréalité en particulier ; que leur reprise n'est, de la sorte, constitutive d'aucun détournement illicite de savoir-faire ; que l'intimée n'établit ainsi ni la préexistence ni la consistance ni le caractère confidentiel du savoir-faire qu'elle allègue ni le caractère fautif des circonstances ayant permis d'y accéder, la société ALJ Productions n'ayant fait que mettre en œuvre les compétences et l'expérience personnelles de sa fondatrice, sans aucunement mettre à profit de connaissances particulières et confidentielles, propres à la société Endemol Productions et que celle-ci s'efforcerait de maintenir dans le secret ;
Considérant, en deuxième lieu, que si l'intimée reproche à la société appelante la reprise des éléments fondamentaux des formats d'enfermement d'Endemol au travers de concept de base de l'émission et d'éléments de base de l'émission identiques, il convient de relever que, dès 2001, le CSA avait identifié trois idées force caractérisant les émissions de téléréalité d'enfermement :
- enfermer des personnes sans relation antérieure entre elles dans un lieu clos,
- les observer et enregistrer en permanence, par le biais de caméra vidéo,
- soumettre l'issue du jeu à un programme d'auto-élimination des candidats par le groupe ou/et d'élimination par le public ; qu'à ce sujet et contrairement à ce qu'affirme la société Endemol Productions, il ne s'agissait aucunement pour le CSA d'identifier les caractéristiques des seuls formats de cette dernière mais celles de l'ensemble des programmes qui appartiennent à la catégorie des émissions de téléréalité considérées ;
Considérant, par suite, qu'au regard de ces caractéristiques structurantes du genre de la téléréalité d'enfermement et inhérentes à celle-ci la société Endemol Productions ne saurait utilement s'approprier des éléments tels que l'enfermement et l'isolation, le fait que les candidats vivent dans une maison dont ils ne peuvent sortir qu'ils n'aient aucun contact avec l'extérieur, soient filmés 24h/24 ou encore soient soumis à un système d'élimination ; que lesdits éléments, s'inférant et résultant directement de la définition ci-dessus rappelée de la téléréalité, ne sauraient être de nature à exercer une quelconque fonction d'identification aux yeux des téléspectateurs ;
Considérant que la société en Endemol Productions reproche, en troisième lieu, à la société ALJ Productions d'avoir repris les caractéristiques des lieux d'enfermement d'Endemol et notamment un loft spécialement construit, un style tendance épuré avec des couleurs vives, un jardin avec une piscine, deux chambres à coucher, un salon, un écran plat, une cuisine à l'américaine (...) ;
que, cependant, dès lors que les émissions de téléréalité d'enfermement consistent précisément à créer une situation spécifique ne laissant aux participants aucun échappatoire à une confrontation avec les autres et avec la nécessité en résultant d'entretenir une promiscuité entre les intéressés, le caractère nécessairement intrusif des émissions considérées commande un environnement dépouillé et ouvert, décoré dans le style contemporain ; que d'ailleurs les éléments revendiqués par l'intimée se retrouvent dans la plupart des émissions semblables diffusées à travers le monde (le salon, les chambres dortoir, la piscine etc. (...)) ;
Considérant, en quatrième lieu, que s'agissant de la reprise de la "mécanique des formats Endemol" il sera rappelé que la nomination des candidats entre eux et l'appel au vote des téléspectateurs pour sauver le candidat qu'ils préfèrent sont inhérents aux programmes de téléréalité, qu'ils soient, d'ailleurs, d'enfermement ou non ; que le fait que l'appel aux votes soit traité, au cours des émissions hebdomadaires, à l'aide d'un dispositif visuel associant le portait d'un candidat à un numéro et ce, dans le but de faciliter la participation du public, est en outre quasiment constant d'une émission de téléréalité à l'autre ; que de tels éléments sont donc totalement inopérants pour caractériser l'existence d'un risque de confusion ; que, de même, le système de doubles écrans situés, l'un sur le plateau des émissions hebdomadaires, l'autre dans le lieu de vie des candidats pour permettre une connexion visuelle entre les deux espaces, s'impose du fait de l'isolement des candidats ; qu'il s'agit au demeurant d'un dispositif qui se retrouve dans de nombreuses émissions de téléréalité d'enfermement de sorte qu'il n'est pas de nature à identifier dans l'esprit du public les formats de la société Endemol Productions ; qu'également les caractéristiques relevées par la société intimée, s'agissant du déroulement des émissions de lancement et des émissions quotidiennes sont, soit génériques des émissions de téléréalité, soit parfaitement banales dans le domaine audiovisuel ; qu'il en est notamment ainsi de la présentation lors de la première émission des candidats, ce qui est propre à tout jeu ; de leur présence au générique pour que le public puisse les identifier au même titre que des personnages de séries, de l'affichage des cagnottes ou encore du fait de voir les candidats se déshabiller ou prendre leur douche qui est la résultante du principe de filmage en continu ;
Considérant, en cinquième lieu, que la société Endemol Productions soutient qu'un risque de confusion résulterait également de la présélection des candidats en fonction de leurs profils psychologiques ou de leur physique ou leur personnalité et indique que la société ALJ Productions aurait repris l'essentiel de la typologie des candidats des programmes antérieurs "Loft Story" et "Secret Story" tels :
- le candidat musclé et tatoué dans le dos
- la candidate blonde avec son petit chien
- la candidate blonde pulpeuse
- la candidate brune aux cheveux longs
- le candidat mince, élancé, stratège dans l'émission
- le candidat très sportif
- le candidat excentrique, fan de mode
- le candidat séducteur ;
Considérant, néanmoins, que présélectionner des candidats selon des critères prédéterminés renvoyant aux stéréotypes physiques et psychologiques de l'époque et susceptibles de permettre aux téléspectateurs de se retrouver est une constante dans les émissions de téléréalité ; que, par ailleurs, la typologie des candidats que dresse l'intimée ne saurait constituer une caractéristique identifiant ses formats dès lors que les 8 "profils" susmentionnés ne se retrouvent aucunement dans chaque saison "Loft Story" ou de "Secret Story" et ne constituent donc pas l'ossature invariable des émissions de l'intéressée; qu'également les similitudes liées au rythme et aux heures de diffusion à la télévision ou encore à la présence d'un site Internet spécifique, ne sauraient davantage être considérées comme des éléments pertinents dans le cadre de l'appréciation du risque de confusion ; qu'à l'instar de nombreux autres formats de téléréalité, "Dilemme" est composé d'émissions quotidiennes et hebdomadaires qui permettent d'entretenir le caractère de "feuilleton" de ce genre de programme ; que, par suite, l'existence d'un résumé quotidien, d'un florilège hebdomadaire et de soirées exceptionnelles comme le "kick-off", la demi-finale ou la finale ne saurait constituer pour le public concerné un critère lui permettant de rattacher un programme à une entreprise de production en particulier ; que le choix de l'horaire de diffusion est, pour sa part, fixé uniquement par l'éditeur de la chaîne en fonction des scores d'audience qu'il pense obtenir et n'est que l'expression de la liberté de programmation des chaînes ; que la société Endemol Productions ne saurait davantage se plaindre de l'existence d'un site Internet dédié à l'émission avec possibilité de re-visionner le programme, pratique parfaitement banale et qui ne saurait davantage constituer un élément qui puisse permettre d'identifier la provenance commerciale d'une émission de téléréalité; que la pratique des "sites dédiés" est au demeurant très répandue parmi les téléréalités produites en France et à l'étranger, le développement de l'Internet ayant été concomitant à la prolifération du genre ; que, de même, la présence dans "Dilemme" d'un dispositif de caméras infra-rouge permettant de filmer des images des candidats pendant la nuit résulte directement du principe même du filmage en continu sur lequel reposent les émissions de téléréalité d'enfermement ;
Considérant que la société intimée impute, en dernier lieu, à l'appelante d'avoir usurpé purement et simplement le principe, initié dans le programme "Secret Story", de confronter les candidats à des "dilemmes" afin d'augmenter leurs gains (ex : pour un candidat homme, être contraint de s'habiller en femme ou perdre un avantage en nature ou financier) ; que, cependant, il sera souligné que la confrontation des candidats à des dilemmes n'a eu lieu que pendant une semaine seulement de la saison 3 de "Secret Story" et la séquence correspondante n'a donc occupé qu'une place totalement accessoire dans le jeu à la base de Secret Story qui est entièrement basé et structuré sur la découverte des secrets des candidats ; que la présence d'une semaine de dilemmes dans l'émission en cause est ainsi sans influence sur la comparaison des formats en cause ;
Considérant qu'il s'ensuit que les similitudes relevées par la société Endemol Productions et ci-dessus analysées entre les formats "Loft Story" et "Secret Story" sont intrinsèquement liées au genre de la téléréalité d'enfermement et ne font que renvoyer aux codes usuels en ce domaine et ce sans créer une quelconque identification aux formats revendiqués par l'intimée ;
Considérant, également, que si le bien-fondé de l'action en concurrence déloyale fondée sur la similitude de prestations ou de produits concurrents s'apprécie d'après les ressemblances, celles-ci doivent être examinées au regard de l'impression d'ensemble générée dans l'esprit du public, seules les similitudes portant sur des éléments identificateurs des programmes du concurrent pouvant ainsi être utilement retenues ; qu'en l'occurrence les titres des émissions "Loft Story" et "Secret Story" d'une part, et "Dilemme", d'autre part, sont différents et ne comportent aucune ressemblance visuelle, phonétique ou intellectuelle ; que, de même, le logo de l'émission "Dilemme" est distinct de ceux des émissions produites par l'intimée et ne comporte aucun élément suggérant une quelconque filiation avec ces derniers ; qu'également il sera observé que la participation d'un animateur de télévision au quotidien des candidats est l'une des innovations du format qui marque encore la différence de "Dilemme" par rapport au reste des émissions du même genre ; que, par ailleurs, alors que la promesse thématique d'une émission de téléréalité est un élément particulièrement identificateur des programmes, il échet de relever que le propre de l'émission "Dilemme" dont l'originalité réside dans le fait que les candidats sont soumis quotidiennement à des dilemmes, ludiques ou psychologiques, et doivent en assumer les conséquences est totalement distinct des concepts des programmes de la société intimée ; que, de la même façon, la présence de personnages en combinaison rouge apportant les éléments nécessaires à la réalisation des dilemmes et intervenant dans le lieu où sont enfermés les candidats est également un élément marquant et spécifique à l'identité visuelle du format considéré ;
Considérant, dans ces conditions, que les similitudes dont fait état l'intimée, outre qu'elles sont inhérentes au genre dont les programmes litigieux relèvent ainsi qu'il a été ci-dessus énoncé, ne sauraient, au regard de l'impression d'ensemble spécifique qui se dégage du programme "Dilemme" comparé à "Loft Story" et "Secret Story", entraîner aucun risque de confusion pour les téléspectateurs quant à l'origine du format qu'ils ne sauraient rattacher à un produit Endemol ;
Considérant, enfin, que si la société Endemol Productions reproche à l'appelante le fait que certains de ses anciens salariés ou prestataires ont travaillé à la production de l'émission "Dilemme", il convient de souligner que les intéressés n'étaient plus liés par une quelconque clause de non-concurrence ou engagement d'exclusivité à l'égard de l'intimée, laquelle n'établit, au-delà d'affirmations non corroborées, la réalité d'aucun acte concret de débauchage ; que la société Endemol Productions ne rapporte pas davantage la preuve d'un éventuel détournement par l'un de ces salariés ou prestataires de secrets de fabrique ou d'informations confidentielles dont elle aurait été dépositaire ; que c'est dès lors à bon droit que les Premiers Juges ont estimé à ce sujet que la société Endemol Productions ne démontrait pas l'existence de manœuvres ou de faits susceptibles de désorganiser l'entreprise indépendamment du préjudice concurrentiel normal et licite induit par la liberté du commerce et d'industrie ;
Sur les actes de parasitisme allégués :
Considérant qu'outre la création d'un risque de confusion et la désorganisation de son entreprise, la société Endemol Productions fait grief à la société ALJ Productions d'avoir, en reprenant les prétendues caractéristiques des émissions "Loft Story" et "Secret Story", indûment tiré profit de ses efforts intellectuels et financiers et, à ce titre, d'avoir également commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile ; que si l'intimée impute à ce propos à l'appelante la reprise de composantes particulières de ses programmes pour se placer dans le sillage du programme antérieur et ainsi profiter de son succès et si elle précise que la société ALJ Productions a pu de la sorte se dispenser d'investissements de départ, tant pécuniaires qu'intellectuels puisqu'elle a produit avec les prestataires habituels et certains salariés d'Endemol et en imitant les programmes "Loft Story" et "Secret Story", un programme connu, expérimenté et dont l'audience était assurée, ce qui aurait permis à l'intéressée de bénéficier d'avantages concurrentiels indus en profitant d'économies substantielles d'investissements (dépenses de recherches, de conception, de mise au point, de temps gagné, etc.) et d'éviter les aléas d'audience et les risques liés à la production d'un nouveau programme, il a été ci-dessus démontré que les éléments prétendument repris par l'appelante sont inhérents au genre de la téléréalité et ne sauraient, donc, constituer une valeur économique individualisée susceptible de procurer un avantage concurrentiel à celui s'en inspirant ;
Considérant, par ailleurs, que si la société intimée fait état des investissements matériels et financiers qu'elle aurait réalisés pour concevoir les éléments qu'elle reproche à l'appelante d'avoir repris à son compte, l'attestation de son expert-comptable selon laquelle le pôle création/développement du Groupe Endemol France aurait engagé des frais à hauteur de 2 069 077 euro durant l'exercice 2010 ne permet nullement de démontrer l'effectivité d'un quelconque investissement financier directement relatif au concept d'enfermement à la base des émissions "Loft Story" et "Secret Story" ;
qu'au surplus, cette pièce est afférente à l'exercice 2010 et, donc, insusceptible d'être rattachée aux émissions "Loft Story" et "Secret Story" qui ont été adaptées du concept "Big Brother" respectivement en 2001 et 2007 ; que l'intimée n'apporte pas davantage de précision utile et pertinente quant aux efforts intellectuels et financiers dont elle excipe; qu'il en de même de son savoir-faire confidentiel dont elle ne démontre ni l'existence ne les contours précis ; qu'en revanche la société ALJ Productions atteste, par les pièces produites, tant de coûts de personnels afférents au programme "Dilemme" et s'élevant à 1 629 640 euro que du dépôt de six formats auprès de la SCAM; qu'il ne saurait ainsi être utilement soutenu que la société ALJ Productions aurait usurpé une valeur économique dont la réalité n'est nullement avérée alors même qu'elle rapporte la preuve de la réalité des investissements effectués par ses soins pour mettre au point l'émission "Dilemme" ;
Considérant, en conséquence, qu'en produisant et exploitant l'émission "Dilemme", la société ALJ Productions n'a commis aucune faute à l'encontre de la société Endemol de nature à caractériser un acte de concurrence déloyale ou parasitaire et à engager sa responsabilité de ce chef ;
que la société intimée sera, dès lors, déboutée de l'ensemble des demandes formées à son encontre à ce titre, et ce sans qu'il soit besoin de rechercher la réalité du préjudice dont elle fait état ;
Sur les demandes reconventionnelles de la société ALJ Productions :
Considérant que si cette dernière se fonde sur la publication sur son site Internet d'un communiqué de presse faisant état de la décision du Tribunal de commerce de Paris du 11 mars 2011 en des termes estimés tronqués et mensongers et si elle sollicite à ce titre la somme de 500 000 euro, elle se borne à faire état en termes généraux du préjudice considérable subi de ce fait et de l'entrave apportée nécessairement à son activité de producteur de programmes audiovisuels auprès de ses partenaires commerciaux ; qu'elle n'apporte aucun élément précis et concret susceptible de démontrer la réalité du préjudice dont elle excipe à ce titre ; que, par suite, et en l'absence de tout élément probatoire utilement versé aux débats, sa demande indemnitaire ne peut être que rejetée ;
Considérant, en revanche, qu'il y a lieu d'ordonner la restitution par la société Endemol Productions à la société appelante des sommes versées par cette dernière en application de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré, lesdites sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure du présent arrêt ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a donné acte à la société Endemol Productions de ce qu'elle vient aux droits des sociétés ASP Productions et So Nice Productions ainsi qu'en ce qu'il a débouté l'intéressée de ses demandes plus amples ou contraires, de l'infirmer pour le surplus, et, statuant à nouveau, de rejeter l'ensemble des demandes formées par la société Endemol Productions, d'ordonner à cette dernière de rembourser à la société ALJ Productions des sommes versées par celle-ci en application de l'exécution provisoire attachée au jugement infirmé, lesquelles sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de la notification du présent arrêt, et de débouter la société appelante du surplus de ses prétentions ;
Par ces motifs : - Confirme le jugement en ce qu'il a donné acte à la société Endemol Productions de ce qu'elle vient aux droits des sociétés ASP Productions et So Nice Productions ainsi qu'en ce qu'il a débouté l'intéressée de ses demandes plus amples ou contraires, - L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau, - Rejette l'ensemble des demandes formées par la société Endemol Productions, - Ordonne à cette dernière de rembourser à la société ALJ Productions les sommes versées par celle-ci en application de l'exécution provisoire attachée au jugement infirmé, lesquelles sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de la notification du présent arrêt, - Déboute la société ALJ Productions du surplus de ses demandes, - Condamne la société Endemol Productions aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, - La condamne également à verser à la société ALJ Productions la somme de 100 000 euro au titre des frais hors dépens.