CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 13 septembre 2012, n° 10-07699
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Meubles Ikéa France (SNC)
Défendeur :
Bauri Distribution (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Pomonti, Luc
Avocats :
Mes Fromantin, Dolfi, Teytaud, Druesne
FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE
La SARL Bauri Distribution a travaillé depuis sa création en 1988 exclusivement pour le compte du magasin Ikéa de Lomme appartenant à la SNC Meubles Ikéa France. De 1988 à 2005, les prestations de la SARL Bauri Distribution portaient sur le transport et le montage des meubles vendus par Ikéa. Fin 2004, la SNC Meubles Ikéa France a lancé un appel d'offres pour les transports, auquel la SARL Bauri Distribution a infructueusement répondu. Elle a néanmoins conservé l'activité de montage du mobilier et y compris le montage des cuisines, qui n'avait pas fait l'objet d'un appel d'offres. Le 28 septembre 2009, par LRAR la SNC Meubles Ikéa France a informé la SARL Bauri Distribution de son intention de procéder à un appel d'offres pour les prestations d'installation de cuisines et salles de bains et a dénoncé le contrat la liant à cette dernière.
Le 2 décembre 2009, la SNC Ikéa a informé la SARL Bauri Distribution qu'elle n'était pas retenue à l'issue de l'appel d'offres.
A compter du 1er janvier 2010, la SNC Ikéa a cessé toute relation commerciale avec la SARL Bauri Distribution, qui s'est alors retrouvée sans activité. La SARL Bauri Distribution a, d'une part alerté la DRCCRF, et, d'autre part, été autorisée par une ordonnance du président du Tribunal de commerce de Lille du 18 janvier 2010 à faire assigner à bref délai la SNC Meubles Ikéa France. Par jugement rendu le 18 mars 2010, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Lille a :
- constaté l'existence de relations commerciales établies depuis 22 ans entre la SARL Bauri Distribution et la SNC Meubles Ikéa France,
- dit que le préavis contractuel est insuffisant,
- dit que la SNC Meubles Ikéa France devait respecter un préavis de 18 mois,
- dit que la rupture des relations commerciales mise en œuvre par la SNC Meubles Ikéa France vis-à-vis de la SARL Bauri Distribution comporte un caractère brutal au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,
- condamné la SNC Meubles Ikéa France à payer à la SARL Bauri Distribution la somme de 714 357 euro en réparation du préjudice économique subi,
- condamné la SNC Meubles Ikéa France à payer à la SARL Bauri Distribution la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté la SARL Bauri Distribution de sa demande de publication du jugement.
Vu l'appel interjeté le 2 avril 2010 par la société Meubles Ikéa France.
Vu les dernières conclusions signifiées le 9 mars 2012 par lesquelles la société Meubles Ikéa France demande à la cour :
Vu les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
Vu les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce,
Vu les dispositions de l'article 1382 du Code civil,
Vu les articles 4 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789,
A titre principal :
- d'infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté la société Bauri Distribution de sa demande de publication.
Statuant de nouveau :
- de débouter la société Bauri Distribution de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions
- de condamner la société Bauri Distribution à restituer la somme de 719 637,85 euro outre intérêts au taux légal à compter du 11 juin 2010.
A titre subsidiaire, si la cour retenait par extraordinaire une faute de Meubles Ikéa France au sens des articles L. 442-6-I-5° du Code de commerce, L. 420-2 du Code de commerce et 1382 du Code civil :
- de dire et juger que le préjudice en découlant correspond tout au plus à une perte de chance de réaliser sa marge brute habituelle.
- en conséquence, de condamner la société Bauri Distribution à restituer à la société Meubles Ikéa France le solde entre le préjudice ainsi évalué et la somme de 714 357 euro qui lui a été réglée.
- de débouter la société Bauri Distribution pour le surplus de ses demandes, fins et prétentions.
En tout état de cause :
- de condamner la société Bauri Distribution à régler à la société Meubles Ikéa France la somme de 20 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Meubles Ikéa France prétend que le délai de préavis a commencé à courir à compter du 1er octobre 2009, la société Bauri Distribution ne pouvant alors pas se méprendre sur l'intention ferme et définitive de la société Meubles Ikéa France de rompre leurs relations.
Elle ajoute que la transmission de dossiers à la société Bauri Distribution lui assurait une poursuite d'activité de sorte que le délai de préavis de 3 mois a bien été respecté.
La société Meubles Ikéa France soutient également qu'il faut faire une distinction entre l'activité antérieure de transporteur de Bauri Distribution à laquelle les parties ont mis fin en 2004/2005 en respectant un préavis de 15 mois, et son activité d'installateur de cuisines depuis fin 2005.
La société Meubles Ikéa France affirme qu'elle a dénoncé le contrat qui la liait à la société Bauri Distribution en toute transparence et conformément à sa politique que l'intimée connaissait de longue date parce qu'elle y avait été personnellement confrontée en 2004/2005 et qu'elle lui avait été expressément rappelée fin 2008/début 2009 à l'occasion de la signature du contrat à durée déterminée.
La société Meubles Ikéa France prétend que la société Bauri Distribution n'a jamais été liée à elle par une quelconque clause d'exclusivité et conteste l'existence d'une quelconque dépendance économique ou un prétendu abus de position dominante. En outre, la société Meubles Ikéa fait valoir l'absence de brutalité de la rupture compte tenu d'un délai de prévenance de trois mois, qui était suffisant pour permettre à la société Bauri Distribution de trouver d'autres débouchés et qu'elle n'a donc nullement abusé de son droit de rompre ses relations avec Bauri Distribution. En tout état de cause, selon la société Meubles Ikéa France, la société Bauri Distribution ne justifie pas d'un préjudice et, à titre subsidiaire, il ne pourrait résulter que d'une perte de chance de réaliser sa marge brute globale.
Vu les dernières conclusions signifiées le 10 février 2012 par lesquelles la société Bauri Distribution demande à la cour :
Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce
Vu l'article L. 420-2 du Code de commerce
- de constater l'existence de relations commerciales établies de vingt-deux années entre la société Bauri Distribution et la société Meubles Ikéa France.
- de constater que la société Bauri Distribution était soumise pour l'exécution de ses prestations à la sujétion totale de la société Meubles Ikéa France.
- de dire et juger qu'au regard des caractéristiques de la relation commerciale établie, un préavis de vingt-quatre mois aurait dû être mis en œuvre par la société Ikéa France.
- de dire et juger par conséquent que la société Meubles Ikéa France engage sa responsabilité civile quasi délictuelle pour rupture brutale d'une relation commerciale établie et faute de préavis suffisant.
- de dire et juger que la société Meubles Ikéa France engage sa responsabilité pour pratique discriminatoire vis-à-vis d'un fournisseur en état de dépendance économique.
- de condamner la société Meubles Ikéa France à verser à la société Bauri Distribution en réparation une somme de 1 040 700 euro, outre les intérêts au taux légal à compter de la décision à venir.
- d'ordonner la publication dans deux quotidiens à diffusion nationale aux frais de la société Meubles Ikéa France, du texte suivant : "Par arrêt de la Cour d'appel de Paris, la société Meubles Ikéa France a été condamnée pour violation de l'ordre public économique et plus précisément pour rupture brutale de relations commerciales établies et pratiques discriminatoires, à verser une indemnité d'un montant de [...] euro en réparation du préjudice subi par la société Bauri Distribution."
- de condamner la société Meubles Ikéa France au paiement d'une somme, en cause d'appel, de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. La société Bauri Distribution affirme qu'il y a une continuité de la relation d'affaires portant sur l'installation de cuisines entre Bauri Distribution et la société Meubles Ikéa France depuis 1988 et la durée de cette relation d'affaires n'a pas été remise en cause par la procédure d'appel d'offre de 2005. En outre, la société Bauri Distribution soutient qu'il n'est pas nécessaire de bénéficier d'une exclusivité contractuelle pour être en état de dépendance économique et qu'en l'espèce cette dépendance économique vis-à-vis de la société Meubles Ikéa France était totale ou quasi-totale (près de 100 % de son activité). En conséquence, la société Bauri Distribution estime que compte tenu de vingt-deux années de relations antérieures, et de sa sujétion totale à la société Meubles Ikéa France, elle peut légitimement et raisonnablement prétendre au respect d'un préavis de vingt-quatre mois. Elle considère que la société Meubles Ikéa France a engagé non seulement sa responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies mais également pour pratique discriminatoire et demande, outre l'indemnisation au titre du préavis non respecté, des dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 420-2 du Code de commerce. Enfin, la société Bauri Distribution affirme qu'il est nécessaire que les tiers soient informés de la violation de l'ordre public économique par la société Meubles Ikéa France par la publication d'un extrait de la décision dans deux quotidiens à diffusion nationale, les frais étant supportés par la société Meubles Ikéa France.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Il convient donc de déterminer si les relations d'affaires entre les parties constituent une relation commerciale établie, dans l'affirmative d'évaluer la durée de cette relation commerciale, de dire s'il y a eu rupture brutale de cette relation, ce qui implique de déterminer si un préavis a été octroyé et s'il était suffisant, de fixer le point de départ de ce préavis et d'établir le quantum de l'éventuelle indemnité due en réparation du non-respect d'un préavis suffisant. Si la société Meubles Ikéa France ne conteste pas l'existence d'une relation commerciale établie avec la société Bauri Distribution, elle considère que la relation rompue le 31 décembre 2009 concernait exclusivement une activité de pose et installation de cuisines démarrée le 1er janvier 2006, soit une relation de quatre ans. La société Bauri Distribution, quant à elle, estime que la relation commerciale a débuté en 1988, se caractérisant par une succession de conventions diverses et se matérialisant par l'existence d'un chiffre d'affaires constant entre les parties, de sorte qu'au moment de la rupture elle entretenait une relation de près de 22 ans avec la société Meubles Ikéa France. Il résulte effectivement des pièces produites par la société Bauri Distribution et notamment de l'analyse très minutieuse des relations commerciales ayant existé entre les parties faites par la Direction Régionale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DRCCRF) dans son rapport du 1er février 2010 qu'il existe bien une relation continue entre la société Meubles Ikéa France et la société Bauri Distribution depuis 1988.
Ainsi la DRCCRF relève que :
- "la société Bauri Distribution a été fondée en 1988 afin d'assurer la prestation de livraison et montage de meubles ;
- fin 2004, la société Meubles Ikéa France a souhaité réorganiser la gestion de ses prestataires de livraison et a, de ce fait, lancé un appel d'offres ; la société Bauri Distribution n'a pas été retenue pour continuer d'assurer le service de livraison ;
- la société Meubles Ikéa France, qui avait dans un premier temps proposé un préavis de trois mois, a prolongé ce préavis d'un an par la conclusion d'un avenant au contrat ;
- ce délai supplémentaire a permis à la société Bauri Distribution de se réorganiser et de recentrer son activité sur le montage de meubles et plus particulièrement la pose de cuisines vendues par Meubles Ikéa France ;
- à partir de 2005, l'activité de la société Bauri Distribution consiste quasi exclusivement en la pose de meubles de cuisine achetés auprès du magasin Ikéa, ce qui explique la modification au registre du commerce".
Il est donc établi que de tout temps l'activité de la société Bauri Distribution pour le compte de la société Meubles Ikéa France a comporté le montage de meubles. Il y a simplement eu un glissement de cette activité, où le transport dominait initialement, vers la pose de meubles, et plus précisément la pose de meubles de cuisine.
Contrairement à ce que soutient la société Meubles Ikéa France, l'objet social de la société Bauri Distribution a toujours comporté le montage de meubles. S'il y a eu modification de son objet social après le 30 juin 2006, celui-ci devenant "Pose et installations de cuisines, de salles de bain, sans fabrication" (cf. Kbis au 14 octobre 2008), l'activité antérieure comprenait, outre le transport, "le montage de meubles" (cf. Kbis au 30 juin 2006).
En outre, la société Meubles Ikéa France ne peut soutenir que la société Bauri Distribution n'aurait pas procédé à l'installation de cuisine avant 1988 alors que l'expert-comptable de cette dernière affirme dans une attestation du 7 janvier 2010 que "la société Bauri Distribution réalise des installations de cuisine pour la société Ikéa depuis 1988". D'ailleurs, si la société Bauri Distribution n'avait pas été l'installateur de cuisine de la société Meubles Ikéa France depuis 1988, cette dernière n'aurait pas manqué d'indiquer le nom de son installateur et de fournir les pièces justificatives s'y rapportant, ce qu'elle se garde bien de faire. La société Bauri Distribution produit également diverses attestations démontrant qu'elle était le partenaire de la société Meubles Ikéa France pour l'installation de cuisines et le montage de meubles. Il faut observer, qu'alors que la société Meubles Ikéa France a procédé en 2005 à un appel d'offres pour les prestations de transport, elle n'a par contre pas procédé à un appel d'offres pour la prestation d'installation de cuisine, ce qui militait aussi pour la continuité de la relation d'affaires des parties portant sur l'installation de cuisines. Dès lors, l'affirmation de la société Meubles Ikéa France selon laquelle l'activité à laquelle il a été mis un terme fin 2009 est celle d'installation de cuisines commencée le 1er janvier 2006 est inexacte. En définitive, la société Bauri Distribution a bien fourni depuis 1988 à la société Meubles Ikéa France une prestation de service de montage de meubles associée à l'activité de livraison, y compris le montage de cuisines. Le fait que l'activité de livraison ait été interrompue en 2005 n'a pas remis en cause la pérennité de l'activité de montage de meubles qui s'est progressivement intensifiée pour devenir, à partir de fin 2005, une activité exclusive de pose de cuisines. L'activité de montage de meubles apparaît donc comme une composante permanente de la relation commerciale de 1988 à fin 2009. La société Meubles Ikéa France ne saurait se prévaloir de la précarité de la relation commerciale au motif que la société Bauri Distribution aurait accepté en janvier 2009 le recours au processus d'appel d'offre alors qu'au contraire celle-ci s'en est inquiétée et que la société Meubles Ikéa France l'a rassurée par un mail du 6 janvier 2009 dans lequel elle indique que "la tacite reconduction me semble être un élément suffisant pour rassurer nos partenaires..."
Il existe donc entre les parties une relation commerciale établie d'une durée de près de 22 ans qui, de surcroît, présente des caractéristiques particulières soulignées dans le rapport de la DRCCRF du 1er février 2010 :
"- Cette relation commerciale s'établit selon un mode de fonctionnement propre à Meubles Ikéa France. Celui-ci est en effet pour Bauri Distribution un apporteur d'affaires et ne prend pas de commissions sur les poses de meubles de cuisines effectuées par son prestataire.
- En contrepartie, Meubles Ikéa France veut s'assurer d'une qualité de prestation en adéquation avec son image de marque. Dans ce but le prestataire est soumis à un contrôle de son travail à toutes les étapes de celui-ci, ainsi qu'au respect d'une grille tarifaire préétablie.
- Les échanges de courriers électroniques entre Bauri Distribution et Meubles Ikéa France ... montrent l'effectivité de ce contrôle qui s'opère sur tous les chantiers et les éléments fournis par Bauri Distribution.
- Si effectivement il n'y a aucun contrat d'exclusivité liant Ikéa à ces deux prestataires (Bauri Distribution et Cuisipose), force est de constater que pour répondre aux exigences qualitatives demandées par Ikéa, il était difficile à ces prestataires de poser des cuisines qui auraient été achetées auprès d'autres enseignes nationales." La DRCCRF a procédé à l'analyse des chiffres d'affaires HT de la société Bauri Distribution de 1999 à 2009 et il en ressort que le chiffre d'affaires réalisé avec Meubles Ikéa France varie entre 92 et 100 % du chiffre d'affaires total, la nature de la prestation assurée par la société Bauri Distribution pour la société Meubles Ikéa France rendant une diversification difficile, dans la mesure où la prestation de monteur de meubles de cuisine est totalement dépendante de l'activité de vente de cuisines équipées assurée par la société Meubles Ikéa France.
La DRCCRF souligne en effet :
"- Afin de s'assurer que la pose des meubles de cuisine ne trahisse pas l'image de marque d'Ikéa, la société Meubles Ikéa France impose à ses prestataires une façon de travailler précise, rigoureuse et contraignante, sur laquelle elle exerce un contrôle comme le démontre le cahier des charges établi par Meubles Ikéa France et le contrôle régulier de son respect effectué par ses représentants.
- Son organisation (celle de Bauri Distribution) est de fait totalement dépendante du contrat de vente conclu entre le client et Ikéa, en particulier les dates convenues entre Ikéa et le client pour la pose doivent être impérativement respectées par le poseur. L'activité même de poseur de cuisines équipées induit un lien de dépendance fort avec l'entreprise qui a assuré la vente de la cuisine.
- Cette relation étroite entre ces deux opérateurs économiques se retrouve chez les autres vendeurs de cuisines, ce qui explique que Bauri Distribution ait des difficultés pour retrouver de nouveaux clients après sa notification de rupture de relation commerciale par Meubles Ikéa France. Les autres revendeurs ont déjà leurs monteurs attitrés.
- Pour ces raisons, Meubles Ikéa France ne peut soutenir l'inexistence de lien de sujétion entre elle et Bauri Distribution. Cette sujétion de Bauri Distribution à Meubles Ikéa France est l'origine même de la dépendance économique de Bauri Distribution vis-à-vis de Meubles Ikéa France."
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que non seulement il existe entre les parties une relation commerciale établie d'une durée de près de 22 ans mais également une situation de dépendance économique de la société Bauri Distribution à l'égard de la société Meubles Ikéa France.
L'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce précise qu'il existe une faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Or, comme l'a relevé la DRCCRF, "lors de l'enquête les parties n'ont pas mis en question la qualité du travail fourni par la société Bauri Distribution". Il en est de même dans le cadre de la présente procédure, la société Meubles Ikéa France ne faisant pas plus état d'un cas de force majeure qui l'aurait obligée à rompre sa relation commerciale avec la société Bauri Distribution.
Il convient donc de déterminer si un préavis a été octroyé par la société Meubles Ikéa France, s'il était suffisant pour permettre à son partenaire commercial de connaître à l'avance avec certitude le temps dont il disposera pour reconstituer le chiffre d'affaires perdu ainsi que de fixer le point de départ de ce préavis.
La société Meubles Ikéa France soutient qu'initialement elle aurait accordé le préavis contractuel de trois mois puis qu'elle aurait proposé d'accorder trois mois supplémentaire, ce qui serait suffisant. Tout d'abord, la société Meubles Ikéa France ne saurait se prévaloir du préavis défini à l'article 6 de la dernière convention annuelle régularisée le 2 janvier 2009.
En effet, l'existence d'un préavis contractuel n'empêche pas le juge d'apprécier le caractère suffisant du préavis au regard des critères de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce.
Ensuite, lorsque la société Meubles Ikéa France a admis par courrier du 2 décembre 2009 que le préavis de trois mois était insuffisant et a indiqué qu'une proposition pour parvenir à un accord avant le 1er janvier 2010 serait transmise à la société Bauri Distribution, celle-ci en a pris acte par courrier RAR du 10 décembre 2009, sollicitant toutefois le respect d'un préavis conforme aux dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce. Puis, suite au mail de la société Meubles Ikéa France du 24 décembre 2009, indiquant que son conseil ne serait joignable qu'à compter du 4 janvier 2010, la société Bauri Distribution a indiqué, par LRAR du 30 décembre 2009, qu'elle était contrainte de constater qu'aucune proposition de la société Meubles Ikéa France ne lui était parvenue à l'expiration du délai contractuel. D'ailleurs, la société Bauri Distribution justifie que dès le 9 janvier 2010, son successeur, à savoir la société Meyer Services était présente dans les magasins Ikéa, en ses lieux et place. Il y a donc manifestement eu une rupture brutale de cette relation dans la mesure où le préavis donné par la société Meubles Ikéa France à son prestataire était manifestement insuffisant pour lui permettre de trouver une solution alternative à la perte d'un marché qui représentait plus de 90 % du chiffre d'affaires de la société Bauri Distribution. Comme l'a justement relevé la DRCCRF, "la situation de dépendance économique de Bauri Distribution à l'égard de Meubles Ikéa France constitue une circonstance aggravante de la rupture brutale des relations commerciales". Elle souligne que "cette dépendance économique est accrue par l'absence de maîtrise des prix des prestations assurées par Bauri Distribution, ceux-ci étant fixés de manière impérative par le cahier des charges de Meubles Ikéa France ... qui "aurait dû en effet tenir compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et en particulier de la situation de dépendance économique dans laquelle Bauri Distribution se trouvait à son égard, ainsi que du temps nécessaire à sa reconversion et à l'adaptation de sa structure afin de trouver une source de marchés alternative comparable." Elle ajoute : "tout partenaire commercial ne peut rompre qu'en ayant manifesté sa volonté par écrit avec un préavis non ambigu. La rupture a été d'autant plus brutale pour Bauri Distribution qu'elle était inattendue." Compte tenu de l'ensemble de ces éléments la durée du préavis doit être fixée à 24 mois. Il faut ajouter que, malgré la notification de l'appel d'offre le 28 septembre 2009, la société Meubles Ikéa France a continué à se comporter à l'égard de la société Bauri Distribution comme si l'appel d'offre n'était qu'une formalité ne remettant pas en cause la pérennité des relations commerciales entre les parties. Elle a en effet écrit à son prestataire le 15 octobre 2009 en lui demandant de s'équiper d'une clef 3G, dans la perspective imminente de la mise en place d'un nouveau logiciel "home planner". C'est ainsi que dès le 16 octobre 2009, la société Bauri Distribution a souscrit un abonnement de 24 mois auprès de SFR pour un accès en clef 3G. Il en résulte, comme l'a très justement retenu le tribunal, qu'au 28 septembre 2009, rien ne laissait présager de la cessation définitive des prestations de montage de cuisine pour le 31 décembre 2009, de sorte que cette date ne peut être retenue comme le point de départ du préavis. Ce n'est que par son courrier RAR du 2 décembre 2009 que la société Meubles Ikéa France a clairement informé la société Bauri Distribution de la rupture des relations commerciales en lui annonçant que sa candidature n'avait pas été retenue dans le cadre de l'appel d'offre et cette date constitue donc le point de départ du préavis dû par la société Meubles Ikéa France à la société Bauri Distribution. Ainsi, la société Bauri Distribution n'a bénéficié que d'un préavis d'un mois (décembre 2009) le chiffre d'affaires réalisé en 2010 avec la société Meubles Ikéa France correspondant à la réalisation des devis de novembre et décembre 2009. La société Meubles Ikéa France doit donc à la société Bauri Distribution une indemnité équivalente à 23 mois de marge brute. Cette dernière exerçant une activité de prestations de service, sa marge brute se confond avec son chiffre d'affaires. Il convient de retenir comme base de calcul, au vu des éléments fournis par l'expert-comptable de la société Bauri Distribution, les chiffres d'affaires HT concernant Ikéa de 2008 et 2009, soit 466 274 euro et 496 166 euro = 962 440 euro, soit 40 101 euro par mois, soit 922 338 euro pour 23 mois. La société Bauri Distribution réclame une indemnité supplémentaire de 100 000 euro au titre du préjudice résultant de l'exploitation par la société Meubles Ikéa France de sa situation de dépendance économique. Cependant, la situation de dépendance économique dans laquelle la société Bauri Distribution se trouvait à l'égard de la société Meubles Ikéa France a été prise en compte comme facteur aggravant de la rupture brutale des relations commerciales et indemnisée à ce titre. La société Bauri Distribution doit donc être déboutée de cette demande.
Elle demande enfin, en application des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce que soit ordonnée la publication d'un extrait de la présente décision dans deux quotidiens à diffusion nationale aux frais de la société Meubles Ikéa France. C'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que l'objectif de la présente procédure était de réparer le préjudice subi par la société Bauri Distribution. Cet objectif est atteint par l'allocation des dommages et intérêts ci-dessus établis, de sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de publication du présent arrêt. L'équité commande d'allouer à la société Bauri Distribution une indemnité de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnité allouée à la société Bauri Distribution, Statuant à nouveau sur ce point, Condamne la société Meubles Ikéa France à payer à la société Bauri Distribution la somme de 922 338 euro avec les intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, Déboute les parties de leurs plus amples demandes, Condamne la société Meubles Ikéa France à payer à la société Bauri Distribution la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Meubles Ikéa France aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.