TUE, 6e ch., 27 septembre 2012, n° T-361/06
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ballast Nedam NV
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jaeger
Juges :
MM. Wahl, Soldevila Fragoso (rapporteur)
Avocats :
Mes Bosman, van de Hel, Oude Elferink
LE TRIBUNAL (sixième chambre),
Faits à l'origine du litige
1 La requérante, Ballast Nedam NV, dirige le groupe Ballast Nedam, qui opère dans le secteur de la construction aux Pays-Bas. En 1995, le groupe a racheté les sociétés de construction routière Eemsmond Wegenbouw BV et Bruil Infrastructuur BV, devenant ainsi un acteur important du secteur de la construction routière aux Pays-Bas, ces activités étant centralisées au sein de la société Ballast Nedam Grond en Wegen BV (ci-après " BNGW "), filiale détenue à 100 % par Ballast Nedam Infra BV (ci-après " BN Infra "), elle-même détenue à 100 % par la requérante. À partir du 1er octobre 2000, les activités de construction routière du groupe étaient exercées directement par BN Infra. Depuis le 14 février 2003, Ballast Nedam Nederland BV constitue la société intermédiaire entre la requérante et BN Infra.
2 Par lettre du 20 juin 2002, British Petroleum a informé la Commission des Communautés européennes de l'existence alléguée d'une entente relative au marché du bitume routier aux Pays-Bas et a présenté une demande visant à obtenir une immunité d'amendes au titre de la communication de la Commission sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).
3 Les 1er et 2 octobre 2002, la Commission a procédé à des vérifications surprises dans les locaux de certaines sociétés. La Commission a adressé des demandes de renseignements à plusieurs sociétés, dont BN Infra, le 4 juillet 2003, à laquelle celle-ci a répondu le 12 septembre 2003. Le 10 février 2004, la Commission a adressé une demande de renseignements à la requérante, à laquelle celle-ci a répondu le 9 mars 2004.
4 Le 18 octobre 2004, la Commission a engagé la procédure administrative et a adopté une communication des griefs, adressée le lendemain à plusieurs sociétés, dont la requérante et BN Infra, à laquelle la requérante a répondu le 20 mai 2005.
5 Le 13 septembre 2006, la Commission a adopté la décision C (2006) 4090 final, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] [Affaire COMP/F-38.456 - Bitume (Pays-Bas)] (ci-après la " décision attaquée "), dont un résumé est publié au Journal officiel de l'Union européenne du 28 juillet 2007 (JO L 196, p. 40) et qui a été notifiée à la requérante le 25 septembre 2006.
6 Dans la décision attaquée, la Commission a indiqué que les sociétés destinataires de celle-ci avaient participé à une infraction unique et continue à l'article 81, paragraphe 1, CE, consistant à fixer ensemble régulièrement, durant les périodes concernées, pour la vente et l'achat de bitume routier aux Pays-Bas, le prix brut, une remise uniforme sur le prix brut pour les constructeurs routiers participant à l'entente et une remise maximale réduite sur le prix brut pour les autres constructeurs routiers.
7 La requérante a été reconnue coupable de cette infraction, pour la période allant du 21 juin 1996 au 15 avril 2002, tout comme sa filiale BN Infra. La Commission a en effet présumé qu'elle avait exercé une influence déterminante sur ses filiales BN Infra et BNGW pendant cette période. La requérante et BN Infra se sont vu infliger solidairement une amende de 4,65 millions d'euro.
Procédure et conclusions des parties
8 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 décembre 2006, la requérante a introduit le présent recours.
9 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 de son règlement de procédure, a posé des questions écrites aux parties. Les parties ont répondu à ces questions dans le délai imparti.
10 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l'audience du 30 juin 2011.
11 Un membre de la sixième chambre ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal s'est désigné, en application de l'article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, pour compléter la chambre.
12 Par ordonnance du 18 novembre 2011, le Tribunal (sixième chambre), dans sa nouvelle composition, a rouvert la procédure orale et les parties ont été informées qu'elles seraient entendues lors d'une nouvelle audience.
13 Par lettres, respectivement, des 25 et 28 novembre 2011, la Commission et la requérante ont informé le Tribunal qu'elles renonçaient à être entendues une nouvelle fois.
14 En conséquence, le président du Tribunal a décidé de clore la procédure orale.
15 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- à titre principal, annuler la décision attaquée pour autant qu'elle la concerne ;
- à titre subsidiaire, annuler partiellement la décision attaquée en tant qu'elle la concerne et fixe la durée de l'infraction et réduire le montant de l'amende qui lui a été infligée ;
- condamner la Commission aux dépens.
16 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter le recours ;
- condamner la requérante aux dépens.
En droit
17 À l'appui de ses conclusions, la requérante soulève deux moyens, tirés, le premier, d'erreurs manifestes d'appréciation et de droit dans l'imputation à la requérante de la responsabilité de l'infraction commise par BN Infra et BNGW et, le second, d'une violation de l'article 27, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), et des droits de la défense, la Commission n'ayant pas indiqué dans la communication des griefs qu'elle présumait la responsabilité de la requérante.
Sur le premier moyen, tiré d'erreurs de droit et d'erreurs manifestes d'appréciation dans l'imputation de la responsabilité de l'infraction commise par BN Infra et BNGW à la requérante
Sur l'erreur de droit tirée de la prise en compte du seul lien capitalistique pour présumer l'exercice d'une influence déterminante de la société mère sur la politique commerciale de ses filiales
- Arguments des parties
18 La requérante estime que la Commission a violé l'article 81 CE en lui imputant la responsabilité de l'infraction commise par BN Infra et BNGW en se fondant sur le seul fait qu'elle les détenait à 100 %. Le juge de l'Union aurait pourtant clairement considéré que la seule détention de la totalité du capital d'une filiale ne saurait à elle seule démontrer l'existence d'un contrôle de la société mère sur sa filiale (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C-286-98 P, Rec. p. I-9925, point 28, et du Tribunal du 15 septembre 2005, DaimlerChrysler/Commission, T-325-01, Rec. p. II-3319, points 218 et 219).
19 En l'espèce, elle n'aurait pris part aux accords collusoires ni de façon directe ni de façon indirecte, ne se serait jamais présentée comme l'interlocuteur de BN Infra ou de BNGW lors de la procédure administrative et aurait explicitement fait valoir dans sa réponse à la communication des griefs que BN Infra disposait d'une réelle autonomie. BN Infra et BNGW auraient ainsi défini leur politique commerciale sans son intervention et sans qu'elles aient à lui rendre des comptes, son rôle étant, à l'époque de l'infraction, limité à des aspects de nature essentiellement financière. Il appartenait, dès lors, à la Commission d'établir qu'elle avait exercé une influence déterminante sur le comportement commercial de BN Infra et de BNGW sur le marché en cause et qu'il existait un lien entre cette influence et le comportement infractionnel.
20 La requérante considère que la Commission ne pouvait, en revanche, se fonder sur des éléments très généraux, tels que la consolidation des résultats financiers, les décisions en matière de fusions, l'utilisation des bénéfices des filiales, la politique d'investissements, d'achats et de ventes ou la nomination de leurs directeurs, pour établir qu'elle avait exercé une influence déterminante sur le comportement commercial de BN Infra et de BNGW. En effet, de tels critères correspondraient aux obligations qui incombent à toute société mère en vertu du code civil néerlandais, et reconnaître la pertinence de tels éléments reviendrait à créer une présomption irréfragable de responsabilité pour faute à l'encontre des sociétés mères. Selon la jurisprudence, le critère approprié serait celui de la possibilité pour une société mère de définir le comportement commercial de sa filiale, au sens de sa politique de distribution et de prix (arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission, 107-82, Rec. p. 3151).
21 Ainsi, selon la requérante, les critères retenus par la Commission relatifs à l'imputation de la responsabilité de l'infraction commise par une filiale à une société mère violent la présomption d'innocence reconnue par l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la " CEDH ").
22 La Commission rejette l'ensemble des arguments de la requérante.
- Appréciation du Tribunal
23 La Commission a estimé, dans la décision attaquée, que la participation aux accords collusoires s'effectuait, du 21 juin 1996 au 30 septembre 2000, par l'intermédiaire de salariés de BNGW puis, à compter du 1er octobre 2000 et jusqu'au 15 avril 2002, par le biais du directeur de BN Infra. Elle a choisi de tenir la requérante pour responsable de l'infraction au titre de l'ensemble de la période infractionnelle, puisqu'elle avait détenu la totalité du capital de BN Infra et de BNGW et était ainsi présumée avoir effectivement exercé sur elles une influence déterminante (considérants 293 à 297 de la décision attaquée).
24 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que le droit de la concurrence de l'Union vise les activités des entreprises (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, point 59) et que la notion d'entreprise, au sens de l'article 81 CE, inclut des entités économiques consistant chacune en une organisation unitaire d'éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé, organisation pouvant concourir à ce qu'une infraction visée par cette disposition soit commise (voir arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T-9-99, Rec. p. II-1487, point 54, et la jurisprudence citée). La notion d'entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêt de la Cour du 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C-217-05, Rec. p. I-11987, point 40).
25 Le comportement anticoncurrentiel d'une entreprise peut être imputé à une autre lorsqu'elle n'a pas déterminé son comportement sur le marché de manière autonome, mais a appliqué pour l'essentiel les directives émises par cette dernière, eu égard en particulier aux liens économiques et juridiques qui les unissaient (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Metsä-Serla e.a./Commission, C-294-98 P, Rec. p. I-10065, point 27 ; du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189-02 P, C-202-02 P, C-205-02 P à C-208-02 P et C-213-02 P, Rec. p. I-5425, point 117, et du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97-08 P, Rec. p. I-8237, point 58). Ainsi, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère, ces deux entreprises constituant une entité économique (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48-69, Rec. p. 619, points 133 et 134).
26 Ce n'est donc pas une relation d'instigation relative à l'infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu'elles constituent une seule entreprise, au sens susmentionné, qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d'un groupe de sociétés. En effet, il y a lieu de rappeler que le droit de la concurrence de l'Union reconnaît que différentes sociétés appartenant à un même groupe constituent une entité économique, et donc une entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE, si les sociétés concernées ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T-203-01, Rec. p. II-4071, point 290).
27 Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, d'une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d'autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une telle influence (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 25 supra, point 60, et la jurisprudence citée).
28 Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d'une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l'amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n'apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comportait de façon autonome sur le marché (arrêts Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 18 supra, point 29, et Akzo Nobel e.a./Commission, point 25 supra, point 61).
29 S'il est vrai que la Cour a évoqué, aux points 28 et 29 de l'arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 18 supra, hormis la détention de 100 % du capital de la filiale, d'autres circonstances, telles que l'absence de contestation de l'influence exercée par la société mère sur la politique commerciale de sa filiale et la représentation commune des deux sociétés durant la procédure administrative, il n'en demeure pas moins que de telles circonstances n'ont été relevées par la Cour que dans le but d'exposer l'ensemble des éléments sur lesquels le Tribunal avait fondé son raisonnement dans cette affaire, et non pas pour subordonner la mise en œuvre de la présomption susmentionnée à la production d'indices supplémentaires relatifs à l'exercice effectif d'une influence de la société mère sur sa filiale (arrêts de la Cour Akzo Nobel e.a./Commission, point 25 supra, point 62, et du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C-90-09 P, non encore publié au Recueil, point 41).
30 La requérante considère que l'approche retenue par la Commission est contraire à la présomption d'innocence reconnue par l'article 6 de la CEDH. En vertu des dispositions de l'article 2 du règlement n° 1-2003, qui reflète la présomption d'innocence affirmée à l'article 6, paragraphe 2, de la CEDH, la charge de la preuve d'une violation de l'article 81, paragraphe 1, CE incombe à l'autorité qui l'allègue. Comme l'a souligné l'avocat général Mme Kokott dans ses conclusions sous l'arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 25 supra (Rec. p. I-8241), le recours à une telle présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale détenue à 100 % n'entraîne pas un renversement de la charge de la preuve, qui serait problématique au regard de ces dispositions, mais fixe le niveau de preuve à respecter pour déterminer si la responsabilité d'une infraction incombe à la société mère ou à la filiale. Dans la mesure où le fait que la société mère détient la totalité du capital de sa filiale permet de présumer qu'une influence est exercée, cette présomption est réputée satisfaire aux exigences en matière de charge de la preuve si la société mère ne la réfute pas en présentant des preuves concluantes en sens contraire (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 24 supra, point 79). Ainsi, en amont de la question de la répartition de la charge de la preuve, les parties sont toutes appelées à satisfaire à leur obligation d'exposer leurs thèses (conclusions de l'avocat général Mme Kokott sous les arrêts de la Cour du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C-105-04 P, Rec. p. I-8725, I-8730, point 73, et Akzo Nobel e.a./Commission, précitées, point 74).
31 La requérante estime, par ailleurs, que l'interprétation retenue par la Commission de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale détenue à 100 % rend son renversement impossible.
32 Il ressort cependant de la jurisprudence de la Cour que, afin de renverser la présomption selon laquelle une société mère détenant 100 % du capital social de sa filiale exerce effectivement une influence déterminante sur celle-ci, il incombe à ladite société mère de soumettre à l'appréciation de la Commission, puis, le cas échéant, du juge de l'Union, tout élément qu'elle considère de nature à démontrer qu'elles ne constituent pas une entité économique unique, relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques, entre sa filiale et elle-même, lesquels peuvent varier selon les cas et ne sauraient donc faire l'objet d'une énumération exhaustive (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 25 supra, point 65, et General Química e.a./Commission, point 29 supra, points 51 et 52). Contrairement à ce que soutient la requérante, il s'agit, dès lors, d'une présomption réfragable qu'il lui appartenait de renverser.
33 En ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel les obligations auxquelles une société mère est contrainte en droit néerlandais rendraient tout renversement de ladite présomption impossible, il convient de rappeler qu'une société ne saurait se prévaloir de la réglementation nationale pour échapper aux règles du droit de l'Union, les notions juridiques utilisées par ce dernier devant être, en principe, interprétées et appliquées de façon uniforme dans l'ensemble de la Communauté (arrêt de la Cour du 1er février 1972, Hagen, 49-71, Rec. p. 23, point 6). En tout état de cause, au regard de l'ensemble des principes rappelés précédemment concernant l'existence d'une telle présomption et les critères permettant de la renverser, il apparaît que les éléments relatifs aux obligations imposées aux sociétés mères par le droit néerlandais à l'égard de leurs filiales renforcent la présomption appliquée par la Commission à l'égard de la requérante en ce qui concerne le contrôle exercé par la requérante sur BN Infra et BNGW.
34 Enfin, la requérante soutient que la Commission a accordé une trop grande importance à des éléments très formels et généraux pour établir qu'elle avait exercé une influence déterminante sur BN Infra et BNGW.
35 Il y a tout d'abord lieu de rappeler, à cet égard, que les indices supplémentaires de l'exercice effectif de l'influence déterminante de la requérante sur le comportement de ses filiales fournis par la Commission constituent des éléments de preuve additionnels, qui, par-delà la présomption tirée de la détention par la requérante de la totalité du capital de ses filiales, sont venus confirmer non pas la participation matérielle effective de la requérante à l'infraction en cause, mais l'influence déterminante de celle-ci sur le comportement de ses filiales et l'usage effectif de ce pouvoir (arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, ARBED/Commission, C-176-99 P, Rec. p. I-10687, point 20 ; voir également arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 25 supra, point 62).
36 Par ailleurs, comme cela a été rappelé au point 32 ci-dessus, le juge de l'Union considère que, lors de son appréciation de l'existence d'une entité économique unique entre la société mère et sa filiale, il doit tenir compte de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties, relatifs aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre les deux sociétés, dont le caractère et l'importance peuvent varier selon les caractéristiques propres à chaque cas d'espèce (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 25 supra, point 65). Si certaines circonstances, telle que la consolidation des comptes au niveau du groupe, sont dépourvues de pertinence (arrêt General Química e.a./Commission, point 29 supra, point 108), d'autres éléments, tels que des liens personnels étroits entre la société mère et sa filiale ou la capacité de la société mère à réorganiser les tâches assignées à ses différentes filiales, s'ils ne sauraient, à eux seuls, permettre d'établir l'existence d'une entité économique unique, peuvent néanmoins constituer dans leur ensemble un faisceau d'indices concordants suffisants.
37 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en considérant que la requérante, société mère à 100 % de BN Infra et de BNGW, ayant exercé une influence déterminante sur ces dernières, était responsable de l'infraction qu'elles avaient commise.
Sur les erreurs manifestes d'appréciation relatives à l'imputation à la requérante de la responsabilité de l'infraction commise par BN Infra et BNGW
- Arguments des parties
38 La requérante estime que la Commission a commis des erreurs manifestes d'appréciation eu égard aux circonstances particulières sur lesquelles elle a entendu se fonder dans la décision attaquée pour lui imputer la responsabilité de l'infraction commise par BN Infra et BNGW.
39 Elle souligne, à titre préalable, que la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante ne concernait pas BNGW lors de la procédure administrative et que la Commission s'est bornée, dans la décision attaquée, au sujet de cette dernière, à mentionner la réorganisation interne des activités de construction routière en 2000. Elle estime, dès lors, que les autres éléments avancés par la Commission au stade de la procédure juridictionnelle sont irrecevables.
40 Selon elle, la Commission a ainsi tenu compte, à tort, de la composition de son conseil d'administration, limitée à deux personnes, cet élément permettant seulement d'établir qu'elle n'était pas en mesure de contrôler le comportement de BN Infra et de BNGW sur le marché, compte tenu des très nombreuses activités du groupe. De même, la Commission aurait interprété de manière erronée les fonctions du " concern council ", qui regroupe son conseil d'administration et les directeurs généraux des grands départements du groupe et qui ne discute que des sujets stratégiques concernant l'ensemble du groupe. La présence de représentants de BN Infra et de BNGW au sein de cette instance constituerait d'ailleurs une indication du positionnement indépendant de celles-ci au sein du groupe, qui seraient ainsi en mesure d'y défendre leur autonomie. La Commission aurait, en outre, commis une erreur de fait en considérant que le salarié de BN Infra ayant participé aux réunions de l'entente à compter du mois d'octobre 2000 faisait partie du " concern council " pendant la période infractionnelle, celui-ci ne l'ayant rejoint qu'en février 2004, lors de sa nomination au poste de directeur général de BN Infra. De même, le fait qu'elle soit établie à la même adresse que BN Infra ne serait pas pertinent, les deux sociétés étant domiciliées dans des bâtiments différents. Enfin, la réorganisation des activités de construction routière du groupe en octobre 2000 ne fournirait aucune indication quant à l'absence d'autonomie commerciale de BN Infra, toute société mère ayant la possibilité de réorganiser son groupe.
41 La requérante rappelle, en outre, comme elle l'avait souligné dans sa réponse à la communication des griefs, qu'elle n'est qu'une holding financière et que BN Infra et BNGW sont individuellement responsables des aspects commerciaux, financiers et juridiques de leur exploitation ainsi que de leur politique de personnel. Celles-ci sont tenues de présenter un plan d'entreprise, soumis à la requérante, dans lequel seraient uniquement exposées les grandes lignes de leur stratégie ainsi que des prévisions financières. Certaines de leurs décisions seraient, en outre, soumises à son autorisation, mais dans des domaines complètement étrangers à la politique commerciale. Le droit des sociétés néerlandais imposerait également à toute société mère d'entretenir certaines relations avec ses filiales, notamment en ce qui concerne la nomination des directeurs par l'assemblée générale des actionnaires, la prise de décision relative à l'utilisation des bénéfices, l'élaboration des comptes consolidés à partir de rapports financiers des filiales ou encore les décisions de modification de la structure du groupe.
42 BN Infra serait ainsi, depuis le mois d'octobre 2000, entièrement libre de déterminer son comportement commercial, notamment en matière d'achat de matières premières, seules les offres concernant des travaux d'une certaine valeur ou présentant un profil de risques spécifique étant soumises à un comité des contrats auquel participe la requérante. De plus, BN Infra ne serait tenue de demander l'autorisation du conseil d'administration de la requérante qu'en cas de conclusion d'accords de coopération sortant du cadre de son exploitation normale.
43 De même, jusqu'en octobre 2000, BNGW aurait librement décidé de la conclusion des marchés de travaux de construction routière, à l'exception des travaux dont la valeur dépassait un certain seuil, qui étaient soumis au comité des contrats, mais qui n'auraient représenté qu'une faible part de son chiffre d'affaires. BNGW n'aurait, en outre, été tenue de transmettre chaque trimestre au conseil d'administration de la requérante que ses résultats financiers, et elle n'aurait jamais mentionné de projets individuels. Enfin, la direction de BNGW n'aurait rempli de fonctions dans d'autres sociétés du groupe, dont BN Infra, que pendant une période très limitée, au cours de l'année 2000, et le fait que le salarié de BNGW ayant participé aux réunions de l'entente soit devenu directeur commercial de BN Infra à partir du mois d'octobre 2000 serait sans influence sur le degré d'autonomie dont jouissait BNGW jusqu'à cette date.
44 La Commission estime que la requérante n'a pas réussi à renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de sa part sur le comportement commercial de BN Infra et de BNGW et que, en tout état de cause, plusieurs éléments mentionnés dans la décision attaquée montrent, à titre subsidiaire, que la requérante a effectivement exercé une influence déterminante sur la politique de BN Infra et de BNGW.
45 Par ailleurs, dans la réplique, la Commission a considéré que la requérante avait présenté certains éléments destinés à renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de sa part sur le comportement commercial de BN Infra et de BNGW pour la première fois dans la requête, ce qui serait contraire à la jurisprudence du Tribunal (arrêt du 27 septembre 2006, Akzo Nobel/Commission, T-330-01, Rec. p. II-3389, point 89). Cependant, en réponse à une question posée par le Tribunal relative à l'arrêt de la Cour du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission (C-407-08 P, Rec. p. I-6371, points 89 à 92), la Commission a déclaré ne plus s'opposer à la recevabilité des arguments de la requérante tendant à renverser ladite présomption.
46 Enfin, la Commission a estimé que, si le Tribunal devait juger recevables les éléments présentés pour la première fois devant lui par la requérante et destinés à renverser cette même présomption, il devrait permettre à la Commission de répondre à ces arguments au cours de la procédure juridictionnelle.
- Appréciation du Tribunal
47 Il s'agit, en examinant les griefs visant à établir que la Commission a commis des erreurs manifestes d'appréciation en imputant à la requérante la responsabilité de l'infraction commise par BN Infra et BNGW, de déterminer si la requérante a apporté des éléments permettant de renverser la présomption selon laquelle ces trois sociétés constituaient une entité économique unique.
48 À titre préalable, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, s'agissant de l'application des articles 81 CE et 82 CE, aucune disposition du droit de l'Union n'impose au destinataire de la communication des griefs de contester ses différents éléments de fait ou de droit au cours de la procédure administrative, sous peine de ne plus pouvoir le faire ultérieurement au stade de la procédure juridictionnelle, une telle limitation étant contraire aux principes fondamentaux de légalité et de respect des droits de la défense (arrêt Knauf Gips/Commission, point 45 supra, points 89 à 92).
49 En ce qui concerne la question de savoir si la Commission pouvait également apporter des indices complémentaires relatifs à l'existence d'une entité économique unique entre la requérante et BNGW au stade contentieux, il convient de rappeler que, dans le cadre d'un recours en annulation introduit en vertu de l'article 230 CE, si la Commission ne saurait avancer, à l'appui de la décision attaquée, de nouveaux éléments de preuve à charge non retenus dans celle-ci, elle est cependant en droit de répondre aux arguments de la requérante lorsque celle-ci cherche à établir, sur la base d'autres documents qu'elle a déposés devant le Tribunal, que la thèse de la Commission est erronée en fait (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T-67-00, T-68-00, T-71-00 et T-78-00, Rec. p. II-2501, points 175 et 176). De plus, la Cour a déjà reconnu que l'auteur d'une décision attaquée pouvait apporter des précisions au stade de la procédure contentieuse afin de compléter une motivation déjà suffisante en elle-même, celles-ci pouvant être utiles au contrôle interne des motifs de la décision exercé par le juge de l'Union, en ce qu'elles permettent à l'institution d'expliciter les raisons qui sont à la base de sa décision (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C-298-98 P, Rec. p. I-10157, point 46).
50 Il convient donc de conclure que la Commission était, en l'espèce, en droit de répondre aux arguments présentés par la requérante au stade de la procédure juridictionnelle, tendant à renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de sa part sur le comportement commercial de BNGW.
51 À titre principal, il convient de rappeler que, aux termes des considérants 293 à 297 de la décision attaquée, la Commission a exposé, d'abord, qu'elle pouvait faire application de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de la requérante sur BNGW pour la période allant du 21 juin 1996 au 30 septembre 2000, puis sur BN Infra pour la période allant du 1er octobre 2000 au 15 avril 2002. Elle a, ensuite, estimé que plusieurs éléments relatifs à la structure du groupe venaient renforcer cette présomption. Ainsi, le conseil d'administration de la requérante ne comprend que deux personnes, qui forment, avec les directeurs généraux des grands départements, le " concern council ", dont était membre le salarié de BN Infra ayant participé directement à l'entente depuis 2000. De plus, la Commission a relevé que la requérante et BN Infra étaient établies à la même adresse. Enfin, elle a souligné les compétences institutionnelles d'organisation du groupe dont disposait la requérante, que celle-ci a notamment exercées en 2000 en réorganisant l'activité de construction routière.
52 En premier lieu, si la requérante considère que la Commission aurait dû s'appuyer sur des éléments permettant d'apprécier son rôle sur le comportement anticoncurrentiel en cause afin de considérer qu'elle pouvait être responsable de l'infraction commise par ses filiales, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le contrôle exercé par la société mère sur ses filiales ne doit pas nécessairement avoir un lien avec le comportement infractionnel (voir point 26 ci-dessus et arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 25 supra, point 59, et General Química e.a./Commission, point 29 supra, points 38, 102 et 103). Il n'est, dès lors, pas nécessaire d'examiner si la requérante a effectivement exercé une influence sur le comportement infractionnel de BN Infra et de BNGW.
53 En deuxième lieu, les éléments présentés par la requérante aux fins d'établir qu'elle n'avait pas exercé d'influence déterminante sur le comportement commercial de BN Infra et de BNGW ne permettent pas de renverser la présomption d'exercice d'une telle influence. En effet, l'argument selon lequel son conseil d'administration ne serait composé que de deux personnes, ce qui rendrait le suivi des nombreuses activités du groupe plus difficile, ne saurait suffire à lui seul à renverser cette présomption, dès lors qu'il ne permet pas d'établir que la requérante avait renoncé à l'exercice de son pouvoir de contrôle sur BN Infra et BNGW. De même, les affirmations de la requérante selon lesquelles la présence des directeurs de BN Infra et de BNGW au " concern council " constituait une indication du positionnement indépendant de celles-ci dans l'organisation du groupe ne saurait suffire à prouver qu'elle leur ait laissé une autonomie totale pour définir leur comportement sur le marché, d'autant que l'existence du " concern council " indique, en soi, que la requérante participait étroitement à la détermination des objectifs stratégiques de ses filiales. Par ailleurs, le fait que BN Infra et BNGW aient mené une politique commerciale relativement autonome, en deçà d'un certain seuil, ne permet pas, à lui seul, d'infirmer le constat selon lequel, en tant qu'actionnaire à 100 %, la requérante exerçait effectivement une influence déterminante sur le comportement commercial de BN Infra et de BNGW. En effet, cet argument n'est pas déterminant pour renverser la présomption selon laquelle elle exerçait effectivement une influence déterminante au-delà de ce même seuil. Enfin, la circonstance selon laquelle la direction de BNGW n'aurait rempli de fonctions dans d'autres sociétés du groupe, dont BN Infra, que pendant une période très limitée ne saurait suffire à établir l'autonomie de BNGW à l'égard de la requérante. En effet, cet argument n'ajoute pas d'éléments permettant de renverser la présomption au titre de la période pendant laquelle la direction de BNGW a rempli ces fonctions.
54 En troisième lieu, la requérante soutient qu'elle n'était qu'une holding financière se tenant à l'écart des activités opérationnelles de BN Infra et de BNGW. La notion de holding recouvre des situations variées, mais, de manière générale, une holding peut être définie comme une société qui détient des participations dans une ou plusieurs sociétés en vue de les contrôler (arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T-69-04, Rec. p. II-2567, point 60). Si la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante peut, en principe, être remise en cause lorsqu'une société mère se comporte comme une pure holding financière, il ressort du dossier que, en l'espèce, la requérante ne se comportait pas comme telle. Ainsi, l'assemblée générale des actionnaires de la requérante était chargée de nommer les directeurs des filiales et d'approuver un certain nombre de décisions stratégiques importantes de celles-ci, telles que l'utilisation des bénéfices, les actions en justice, les crédits bancaires, les investissements ou encore la coopération avec d'autres entreprises. De même, l'existence du " concern council " indique que la requérante participait étroitement à la détermination des objectifs stratégiques de ses filiales et de la structure du groupe, comme l'a d'ailleurs montré la restructuration des activités de construction routière en 2000. Enfin, les filiales étaient tenues de soumettre chaque trimestre de nombreuses informations à la requérante, telles que les plans d'entreprise, les offres de travaux supérieures à un certain montant et leurs rapports financiers. L'ensemble de ces éléments démontre que le rôle de la requérante allait au-delà de celui d'une simple holding financière.
55 En tout état de cause, il ressort de l'ensemble de ces éléments, et plus particulièrement de l'existence de liens économiques et organisationnels importants entre la requérante et ses filiales, que la Commission a pu, à juste titre, conclure à l'absence d'autonomie de ces dernières et, partant, à l'existence d'une entité économique unique.
56 La circonstance selon laquelle la requérante et BN Infra sont établies à la même adresse, bien qu'il s'agisse de bâtiments distincts, et se présentent sous la même dénomination à l'égard des tiers peut également constituer un indice qui, corroboré par d'autres, permet de constater l'existence d'une entité économique unique. Enfin, la circonstance selon laquelle le salarié de BN Infra ayant directement participé aux réunions de l'entente à compter du mois d'octobre 2000 a rejoint le " concern council " en 2004, soit après la fin de la période infractionnelle, constitue un indice supplémentaire de l'existence de liens hiérarchiques et de relations étroites entre BN Infra et la requérante. À cet égard, il convient d'ailleurs de relever que, contrairement à ce qu'affirme la requérante, la Commission n'a fait aucune mention, dans la décision attaquée, du fait que ce salarié faisait partie du " concern council " pendant la période infractionnelle.
57 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les éléments présentés par la requérante, lors de la phase administrative et de la procédure juridictionnelle, ne permettent pas de renverser la présomption selon laquelle, en détenant 100 % du capital de BN Infra et de BNGW, elle a effectivement exercé sur elles une influence déterminante. Il y a lieu, dès lors, de confirmer la conclusion, figurant dans la décision attaquée, selon laquelle la requérante constituait avec BN Infra et BNGW une entreprise au sens de l'article 81 CE, sans qu'il soit besoin de vérifier si elle a exercé une influence sur le comportement infractionnel de BN Infra et de BNGW.
Sur le second moyen, tiré de la violation de l'article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1-2003 et des droits de la défense
Arguments des parties
58 La requérante affirme que, en ayant omis d'indiquer dans la communication des griefs qu'elle présumait la responsabilité de la requérante en se fondant sur le fait qu'elle exerçait effectivement une influence déterminante sur BNGW, pendant la période du 21 juin 1996 au 1er octobre 2000, la Commission a violé l'article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1-2003 et ses droits de la défense. Elle estime, dès lors, que le montant de l'amende devrait être réduit proportionnellement à la durée de l'infraction et ainsi être fixé à 1 213 650 euro.
59 La Commission n'aurait, en effet, pas indiqué dans la communication des griefs qu'elle considérait BNGW comme une filiale de BN Infra, ni qu'elle estimait que la requérante avait exercé une influence déterminante sur BNGW. L'article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1-2003 et le juge de l'Union exigeraient pourtant que le destinataire de la communication des griefs soit mis en mesure de faire connaître son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l'appui de son allégation de l'existence d'une infraction au traité (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 24 supra, point 66).
60 La requérante estime que la seule mention de BNGW à deux reprises dans la communication des griefs (point 342 et note en bas de page n° 518) ne serait pas suffisante. En effet, la Commission, d'une part, aurait désigné à tort BNGW comme le prédécesseur en droit de BN Infra et, d'autre part, n'aurait, à aucun moment, désigné BNGW comme une entité juridique indépendante ayant pris part à l'entente et sur la politique commerciale de laquelle la requérante aurait exercé une influence déterminante. De même, le seul rappel par la Commission des règles générales relatives à l'imputation aux sociétés mères des infractions commises par leurs filiales ne saurait se substituer à l'identification des filiales en cause. Enfin, la requérante considère que le fait qu'elle ait fait référence à BNGW de manière générale dans sa réponse à la communication des griefs ne suffit pas à considérer que la Commission avait satisfait aux exigences fixées par la jurisprudence quant au contenu de la communication des griefs (arrêts de la Cour ARBED/Commission, point 35 supra, point 23, et du 14 juillet 2005, ThyssenKrupp/Commission, C-65-02 P et C-73-02 P, Rec. p. I-6773, point 85).
61 Par ailleurs, lors de l'audience, la requérante a soutenu que, en tout état de cause, elle ne saurait être tenue au paiement de l'amende si le Tribunal décidait, dans l'affaire T-362-06, d'annuler la décision attaquée en tant qu'elle concerne l'imputation du comportement de BNGW à BN Infra, la responsabilité d'une société mère ne pouvant aller au-delà de la responsabilité de sa filiale.
62 La Commission réfute l'ensemble des arguments de la requérante. Lors de l'audience, en réponse aux arguments de la requérante relatifs aux conséquences à tirer d'une éventuelle annulation partielle de la décision attaquée dans l'affaire T-362-06, la Commission a considéré que l'amende infligée à la requérante devait être maintenue en tout état de cause, dès lors qu'elle dispose d'une marge d'appréciation concernant la question de savoir quelles sont les entités d'une entreprise qu'elle considère comme étant responsables d'une infraction.
Appréciation du Tribunal
- Sur la violation des droits de la défense
63 L'article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1-2003 est rédigé comme suit :
" Avant de prendre les décisions prévues aux articles 7, 8 et 23 et à l'article 24, paragraphe 2, la Commission donne aux entreprises et associations d'entreprises visées par la procédure menée par [elle] l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par [elle]. La Commission ne fonde ses décisions que sur les griefs au sujet desquels les parties concernées ont pu faire valoir leurs observations. Les plaignants sont étroitement associés à la procédure. "
64 Selon la jurisprudence, le respect des droits de la défense exige que l'entreprise intéressée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l'appui de son allégation de l'existence d'une infraction au traité (arrêts de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, point 10, et du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C-310-93 P, Rec. p. I-865, point 67). De même, selon une jurisprudence constante, eu égard à son importance, la communication des griefs doit préciser sans équivoque la personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes et être adressée à cette dernière (arrêts de la Cour du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, C-395-96 P et C-396-96 P, Rec. p. I-1365, points 143 et 146, et ARBED/Commission, point 35 supra, point 21 ; arrêt Akzo Nobel/Commission, point 45 supra, point 87). Il importe également que la communication des griefs indique en quelle qualité une entreprise se voit reprocher les faits allégués (arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C-322-07 P, C-327-07 P et C-338-07 P, Rec. p. I-7191, point 39).
65 Il convient cependant de rappeler que, selon la jurisprudence, la décision ne doit pas nécessairement être une copie exacte de la communication des griefs (arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125, point 68). Dès lors, ce n'est que si la décision finale met à la charge des entreprises concernées des infractions différentes de celles visées dans la communication des griefs ou retient des faits différents qu'une violation des droits de la défense devra être constatée (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41-69, Rec. p. 661, points 26 et 94, et arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T-39-92 et T-40-92, Rec. p. II-49, points 49 à 52). Tel n'est pas le cas lorsque les différences alléguées entre la communication des griefs et la décision finale ne portent pas sur des comportements autres que ceux sur lesquels les entreprises concernées s'étaient déjà expliquées et qui, partant, sont étrangers à tout nouveau grief (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T-191-98, T-212-98 à T-214-98, Rec. p. II-3275, point 191).
66 À cet égard, il doit être souligné que, aux fins de faire valoir une violation des droits de la défense concernant les griefs repris dans la décision attaquée, les entreprises en cause ne sauraient se contenter d'invoquer la simple existence de différences entre la communication des griefs et la décision attaquée, sans exposer de manière précise et concrète en quoi chacune de ces différences constitue, dans le cas d'espèce, un grief nouveau au sujet duquel elles n'ont pas eu l'occasion d'être entendues (arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 65 supra, point 192). En effet, selon la jurisprudence, une violation des droits de la défense doit être examinée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d'espèce, en ce qu'elle dépend essentiellement des griefs retenus par la Commission pour établir l'infraction reprochée aux entreprises concernées (arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, ICI/Commission, T-36-91, Rec. p. II-1847, point 70).
67 La requérante estime que, en l'espèce, la Commission n'a pas satisfait à ses obligations en omettant d'indiquer dans la communication des griefs qu'elle présumait sa responsabilité en se fondant sur le fait qu'elle avait exercé une influence déterminante sur BNGW, pendant la période allant du 21 juin 1996 au 1er octobre 2000.
68 Dans la communication des griefs, la Commission a tout d'abord rappelé que chaque groupe d'entreprises concerné constituait une seule entreprise et que la société mère du groupe était en mesure d'exercer une influence déterminante sur le comportement de ses filiales (point 324). Elle a, ensuite, indiqué que la requérante avait participé à l'entente par l'intermédiaire du directeur de BNGW (point 236 de la communication des griefs), puis de BN Infra (point 339 de la communication des griefs) et que, la requérante contrôlant la totalité du capital de BN Infra (précédemment Ballast Nedam Wegenbouw BV et BNGW) par le biais de l'entité intermédiaire Ballast Nedam Nederland, elle présumait l'exercice d'une influence déterminante de la société mère sur le comportement de ces deux filiales. La Commission a, enfin, apporté certains éléments supplémentaires relatifs à l'existence d'une entreprise unitaire entre la requérante et BN Infra (point 340 de la communication des griefs). Au vu de l'ensemble de ces éléments, la Commission a décidé qu'il convenait d'adresser la communication des griefs à BN Infra pour sa participation (et celle de ses prédécesseurs) directe aux accords et à la requérante pour sa participation par le biais de l'exercice effectif d'une influence déterminante sur le comportement de BN Infra (point 342 de la communication des griefs).
69 Il ressort de l'ensemble de ces éléments que, même si la rédaction retenue dans la communication des griefs aurait pu être plus claire, notamment en ce qui concerne la relation entre BN Infra et BNGW, la Commission a fourni à la requérante les éléments suffisants pour comprendre les faits et les circonstances utilisés à l'appui de son allégation de l'existence d'une infraction et a précisé sans équivoque les personnes juridiques susceptibles de se voir infliger des amendes. En effet, le simple fait que la Commission n'ait fourni dans la communication des griefs aucun élément de preuve supplémentaire relatif à l'existence d'une entreprise unitaire entre la requérante et BNGW ne suffit pas à considérer qu'elle n'a pas clairement indiqué qu'elle entendait faire application de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de la requérante sur le comportement commercial de BN Infra et de BNGW. Le Tribunal considère ainsi que, sur la base des informations figurant dans la communication des griefs, la requérante ne pouvait ignorer qu'elle était susceptible d'être la destinataire d'une décision finale de la Commission en qualité de société mère de BNGW.
70 Force est d'ailleurs de constater que, en réponse à cette allégation formulée dans la communication des griefs, la requérante a fait valoir, dans sa réponse à la communication des griefs, que BN Infra n'était pas le successeur de BNGW, mais sa société mère à 100 % et a présenté des arguments destinés à établir l'autonomie de BNGW à son égard.
71 Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la requérante a été mise en mesure, dès le stade de la communication des griefs, de comprendre la portée du grief formulé par la Commission en ce qui concerne sa participation à l'infraction en qualité de société mère de BNGW et d'assurer ainsi utilement sa défense.
- Sur les effets de l'arrêt d'annulation dans l'affaire T-362-06
72 La requérante a soutenu lors de l'audience que, dès lors qu'elle était considérée comme formant avec BN Infra une même entreprise au sens de l'article 81 CE, la réduction du montant de l'amende infligée à BN Infra aurait pour conséquence que l'amende qui lui a été infligée solidairement en tant que société mère devrait également être réduite.
73 En tout état de cause, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de ces arguments, il convient de rappeler que l'annulation par le Tribunal, dans l'affaire T-362-06, de l'article 1er, sous a), de la décision attaquée en tant qu'elle a imputé le comportement infractionnel de BNGW à BN Infra du 21 juin 1996 au 1er octobre 2000 résulte du fait que la Commission a méconnu les droits de la défense de BN Infra en omettant de lui indiquer, dans la communication des griefs, qu'elle la tenait pour responsable de l'infraction commise par BNGW en sa qualité de société mère de BNGW, et non en sa qualité de successeur en droit. Si le Tribunal a estimé que la Commission avait ainsi méconnu les droits de la défense de BN Infra, il n'a, en revanche, pas conclu à l'absence de comportement infractionnel de BNGW.
74 Or, il ressort de la décision attaquée (considérant 295) que la Commission a présumé l'exercice d'une influence déterminante de la requérante sur BNGW en raison de la détention indirecte de la totalité de son capital.
75 La requérante ne saurait, dès lors, soutenir que la Commission n'était pas en mesure de lui imputer le comportement infractionnel de BNGW pour la période allant du 21 juin 1996 au 1er octobre 2000 ni de la condamner solidairement au paiement de l'amende. Selon une jurisprudence constante, la Commission dispose, en effet, d'une marge d'appréciation pour décider quelles sont les entités au sein d'une entreprise qu'elle considère comme responsables d'une infraction (arrêts du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T-65-89, Rec. p. II-389, point 154, et Michelin/Commission, point 26 supra, point 290). Rien ne s'oppose, dès lors, à ce que la requérante soit tenue pour seule responsable du comportement de BNGW.
76 Il convient, enfin, de relever que la requérante n'a pas contesté l'existence de l'infraction commise par BNGW pour la période allant du 21 juin 1996 au 1er octobre 2000 et que, conformément au point 57 ci-dessus, elle n'est pas parvenue à renverser la présomption selon laquelle, en détenant 100 % du capital de BNGW, elle a effectivement exercé sur elle une influence déterminante.
77 Il résulte de ce qui précède que l'argumentation de la requérante relative aux conséquences à tirer de l'annulation partielle de la décision attaquée dans l'affaire T-362-06 doit être rejetée.
78 Il convient donc de rejeter le second moyen et, partant, le recours dans son ensemble.
Sur les dépens
79 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Ballast Nedam NV est condamnée aux dépens.