Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-18.110
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Auto IES (SAS)
Défendeur :
Google France (SARL), Car Import (SARL), Directinfos.com (SARL), Banel, Google Ireland Ltd, Google Inc.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocat général :
M. Carre-Pierrat
Avocats :
SCP Hémery, Thomas-Raquin, Me Spinosi
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 février 2011), que la société Auto IES, qui exerce sur Internet une activité d'achat et de vente de véhicules automobiles, est titulaire des marques françaises semi-figurative IES et verbale Auto IES déposées respectivement les 21 février 1991 (marque dûment renouvelée) et 27 octobre 2000 pour désigner notamment, pour la première, les véhicules automobiles et leurs parties constitutives, l'entretien et la réparation de véhicules automobiles et, pour la seconde, les véhicules automobiles, cycles ou motocycles, la location avec option d'achat de véhicules, la location de garages et services de transport ; qu'après avoir fait constater que la saisie des termes "Auto IES" "AutoIES" "Auto-IES", et "IES" dans le moteur de recherche Google suscitait l'affichage de liens commerciaux renvoyant vers les sites Internet des sociétés Car Import, Directinfos.com et de M. Banel, la société Auto IES les a fait assigner en contrefaçon de marques, usurpation de nom commercial et de dénomination sociale et a recherché la responsabilité civile de la société Google France ; que les sociétés Google Ireland et Google Inc sont intervenues volontairement devant la cour d'appel ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Auto IES fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son action en contrefaçon de ses marques "ies" et "autoies" formée contre M. Banel et les sociétés Car Import et Directinfos.com, alors, selon le moyen : 1°) que le titulaire d'une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d'un mot-clé identique à sa marque, que l'annonceur a, sans le consentement dudit titulaire, sélectionné dans le cadre d'un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou services identiques à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée, dès lors qu'un tel usage est susceptible de porter atteinte à la fonction d'indication d'origine de la marque ; qu'une telle atteinte est caractérisée lorsque l'annonce, tout en ne suggérant pas l'existence d'un lien économique, reste à tel point vague sur l'origine des produits ou des services en cause qu'un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n'est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui y est joint, si l'annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, économiquement lié à celui-ci ; qu'en se contentant, en l'espèce, pour écarter l'existence d'une telle atteinte, d'une part, de relever que l'internaute moyen serait en mesure de distinguer les annonces figurant sous la rubrique "liens commerciaux" des résultats naturels de la recherche, et de comprendre qu'à la différence de ces derniers, les annonces litigieuses présentaient un caractère publicitaire, et d'autre part, de retenir que rien ne suggérait l'existence d'un lien économique avec la société Auto IES, sans constater que les annonces, prises en elles-mêmes, étaient suffisamment précises sur l'origine des produits et services pour que l'internaute soit en mesure de savoir si chacun des annonceurs était un tiers par rapport au titulaire de la marque, la cour d'appel a violé l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit s'interpréter au regard de la directive 89-104 sur les marques ; 2°) qu'en relevant que la mention "Et pourquoi pas votre annonce ?", figurant à la fin de la rubrique "Liens commerciaux", montrerait de manière explicite que cette rubrique était ouverte à tout annonceur sans aucune exclusivité, et indiquerait, par là-même, que les produits et services visés par ces liens proviendraient de tiers par rapport à la marque, quand il résultait, au contraire, précisément d'une telle constatation que la faculté d'exploiter des "liens commerciaux" étant ouverte aussi bien aux tiers qu'aux entreprises économiquement liées au titulaire de la marque, l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif ne pouvait être en mesure de savoir, pour chacune des annonces litigieuses, si celle-ci provenait d'un tiers ou d'une entreprise économiquement liée à la société Auto IES, et ce quand bien même ces annonces ne suggéreraient pas l'existence d'un lien économique avec cette société, la cour d'appel a violé l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit s'interpréter au regard de la directive 89-104 sur les marques ; 3°) que l'existence d'une atteinte à la fonction d'indication d'origine de la marque est caractérisée, dès lors que sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui y est joint, l'internaute n'est pas en mesure de savoir si l'annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ; qu'en relevant que l'identification des annonceurs, était possible dès lors que les noms de domaine figurant sous les annonces www.car-import.fr, www.directinfos.com.fr et www.occas.net renvoyaient à des sites Internet sur lesquels les éléments d'identification de l'éditeur (forme juridique, dénomination sociale, enseigne, numéro RCS) étaient indiqués, la cour d'appel, qui a ainsi pris en compte des éléments extérieurs aux termes et à la présentation des annonces, s'est déterminée par un motif inopérant, en violation de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit s'interpréter au regard de la directive 89-104 sur les marques ; 4°) qu'une atteinte à la fonction d'indication d'origine de la marque est susceptible d'être caractérisée dans une situation où l'annonce litigieuse apparaît tout de suite après l'introduction de la marque en tant que mot de recherche par l'internaute concerné et est affichée à un moment où la marque est, dans sa qualité de mot de recherche, également indiquée sur l'écran, et ce, même en l'absence de toute référence au titulaire de la marque sur la page d'écran ; qu'en relevant, pour débouter la société Auto IES de son action en contrefaçon à l'encontre des annonceurs, que la saisie du mot clé IES ne faisait apparaître aucun "résultat naturel" concernant la société Auto IES, quand une telle circonstance n'était, en elle-même, nullement de nature à exclure l'existence d'une atteinte à la fonction d'indication d'origine de la marque IES n° 1 645 545, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, en violation de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit s'interpréter au regard de la directive 89-104 sur les marques ;
Mais attendu que l'arrêt constate certes que les mots-clés "AutoIES", "Auto-IES", "Auto IES" et "IES" sont identiques aux marques dont la société Auto IES est titulaire et qu'ils sont utilisés comme mots-clés pour déclencher l'affichage de liens promotionnels vers des sites sur lesquels sont proposés des produits et services identiques à ceux pour lesquels les marques sont enregistrées ; qu'il relève toutefois que les annonces, qui sont classées sous la rubrique "liens commerciaux" et qui s'affichent sur une colonne nettement séparée de celle afférente aux résultats naturels de la recherche effectuée, avec ces mots-clés, sur le moteur de recherche de Google, comportent des messages qui, en eux-mêmes, se limitent à désigner le produit promu en des termes génériques ou à promettre des remises, sans référence implicite ou explicite aux marques, et sont chacune suivies de l'indication, en couleur, d'un nom de domaine ne présentant aucun rattachement avec la société Auto IES ; que la cour d'appel, qui en a déduit que chaque annonce était suffisamment précise pour permettre à un internaute moyen de savoir que les produits ou services visés par ces annonces ne provenaient pas de la société Auto IES ou d'une entreprise qui lui était liée économiquement mais, au contraire, d'un tiers par rapport au titulaire des marques, ce dont il ne résultait, en l'espèce, aucune atteinte à la fonction d'identification d'origine de la marque, a pu, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deuxième et quatrième branches, retenir qu'aucun acte de contrefaçon de marque ne pouvait être imputé à M. Banel et aux sociétés Car Import et Directinfos.com ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que la société Auto IES fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes en responsabilité à l'encontre des sociétés Google, alors, selon le moyen : 1°) que le rejet des demandes en responsabilité formées à l'encontre des sociétés Google France, Google Ireland et Google INC, étant fondé sur les motifs par lesquels la cour d'appel a retenu que l'usage par la société Car Import, la société Directinfos.com et M. Banel de mots-clés correspondant aux marques, à la dénomination sociale et au nom commercial de la société Auto IES ne présenterait pas un caractère répréhensible, la cassation à intervenir sur l'un ou l'autre des deux premiers moyens entraînera, par voie de conséquence, celle du chef critiqué par le second moyen, en application de l'article 624 du Code de procédure civile ; 2°) qu'est contraire aux usages loyaux du commerce le fait d'organiser le détournement de la clientèle d'autrui ; qu'en l'espèce, la société Auto IES faisait valoir que les sociétés Google France, Google Ireland et Google INC avaient commis des fautes engageant leur responsabilité, d'une part, en jouant un rôle actif, lors de la sélection des mots-clés, dans le choix par les annonceurs de signes proches des marques IES et Auto IES, et d'autre part, en n'agissant pas promptement pour supprimer les liens hypertextes commerciaux litigieux ; qu'elle reprochait, plus particulièrement, à ces sociétés d'avoir ainsi détourné sa clientèle, en déclenchant, dès lors que les internautes effectuent des recherches à partir de mots-clés correspondant à des signes proches de "Auto IES" ou "IES", l'affichage de liens hypertextes publicitaires renvoyant vers des sites Internet de sociétés concurrentes à la société Auto IES ; qu'en rejetant l'action de la société Auto IES contre les sociétés Google France, Google Ireland et Google INC, sans rechercher, comme elle y était invitée si, indépendamment de toute atteinte aux droits de la société Auto IES sur ses marques IES et Auto IES, et de tout risque de confusion avec sa dénomination sociale et son nom commercial Auto IES, ces sociétés n'avaient pas commis une faute en organisant ainsi le démarchage et le détournement de la clientèle de la société Auto IES, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) qu'en relevant que la société Auto IES serait mal venue d'invoquer la mauvaise foi des sociétés Google France, Google Ireland et Google INC, dans la mesure où elle avait été réservataire, en 2006, des mots-clés Car Import et Car-Import, "reproduction et imitation de la dénomination sociale de la société Car Import", ainsi que du mot clé Directinfos.com constitutif de la dénomination sociale de la société Directinfos.com, quand de telles circonstances demeuraient dénuées de toute incidence sur l'appréciation du caractère fautif des agissements reprochés aux sociétés Google France, Google Ireland et Google INC, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, en violation de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que les premier et deuxième moyens n'étant pas accueillis, la première branche est sans objet ;
Et attendu, en second lieu, que l'arrêt ayant relevé que l'usage par M. Banel et les sociétés Car Import et Directinfos.com des mots-clés correspondant aux marques, au nom commercial et à la dénomination sociale de la société Auto IES ne présentait aucun caractère répréhensible et que les différentes annonces n'étaient pas illicites, en a implicitement mais nécessairement déduit qu'en offrant un service permettant, à partir de ces mots-clés, l'affichage de liens commerciaux renvoyant aux sites Internet de sociétés concurrentes, les sociétés Google n'avaient commis aucun acte de démarchage ou de détournement de clientèle ; que la cour d'appel qui a procédé à la recherche prétendument omise a, abstraction faite du motif surabondant visé par la troisième branche, légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen non fondé, en sa deuxième branche, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Et attendu que le deuxième moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.