Livv
Décisions

TUE, 6e ch., 27 septembre 2012, n° T-360/06

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Heijmans NV

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jaeger

Juges :

MM. Wahl, Soldevila Fragoso (rapporteur)

Avocats :

Mes Smeets, Van den Oord

Comm. CE, du 13 sept. 2006

13 septembre 2006

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

Faits à l'origine du litige

1 Le groupe Heijmans exerce ses activités dans divers secteurs de la construction. La requérante, Heijmans NV, est la société mère dudit groupe, actionnaire à 100 % de Heijmans Nederland BV, qui détient elle-même 100 % de Heijmans Infrastructuur BV (ci-après " Heijmans Infra "), anciennement Heijmans Infrastructuur en Milieu BV, qui détient à son tour 100 % de Wegenbouwmaatschapppij J. Heijmans BV (ci-après " Wegenbouw Heijmans "), filiale d'exploitation qui possède des parts dans une série de centrales d'enrobage.

2 Par lettre du 20 juin 2002, la société British Petroleum a informé la Commission des Communautés européennes de l'existence alléguée d'une entente relative au marché du bitume routier aux Pays-Bas et a présenté une demande visant à obtenir une immunité d'amende au titre de la communication de la Commission du 19 février 20002 sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).

3 Les 1er et 2 octobre 2002, la Commission a procédé à des vérifications-surprises, notamment dans les locaux de Heijmans Infra. Les 10 février et 5 avril 2004, la Commission a adressé des demandes de renseignements à plusieurs sociétés, dont la requérante. Celle-ci a répondu le 2 mars 2004.

4 Le 18 octobre 2004, la Commission a engagé une procédure et a adopté une communication des griefs, adressée le 19 octobre 2004 à plusieurs sociétés, dont la requérante, Heijmans Infra et Wegenbouw Heijmans Ces trois sociétés y ont répondu conjointement le 18 mai 2005. Une audition a eu lieu les 15 et 16 juin 2005.

5 Le 13 septembre 2006, la Commission a adopté la décision C (2006) 4090 final, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] [Affaire COMP/F-38.456 - Bitume (Pays-Bas)] (ci-après la " décision attaquée "), dont un résumé est publié au Journal officiel de l'Union européenne du 28 juillet 2007 (JO L 196, p. 40) et qui a été notifiée à la requérante le 25 septembre 2006.

6 La Commission a indiqué, dans la décision attaquée, que les sociétés destinataires de celle-ci avaient participé à une infraction unique et continue à l'article 81 CE, consistant à fixer ensemble régulièrement, durant les périodes concernées, le prix brut pour la vente et l'achat de bitume routier aux Pays-Bas (ci-après le " prix brut "), une remise uniforme sur le prix brut pour les constructeurs routiers participant à l'entente et une remise maximale réduite sur le prix brut pour les autres constructeurs routiers.

7 La requérante a été reconnue coupable, avec Heijmans Infra, de cette infraction, pour la période du 1er avril 1994 au 15 avril 2002 et s'est vu infliger, solidairement avec Heijmans Infra, une amende de 17,1 millions d'euro.

Procédure et conclusions des parties

8 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 décembre 2006, la requérante a introduit le présent recours.

9 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 de son règlement de procédure, a posé des questions écrites aux parties. Les parties ont répondu à ces questions dans le délai imparti.

10 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l'audience du 28 juin 2011.

11 Un membre de la sixième chambre ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal s'est désigné, en application de l'article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure, pour compléter la chambre.

12 Par ordonnance du 18 novembre 2011, le Tribunal (sixième chambre), dans sa nouvelle composition, a rouvert la procédure orale et les parties ont été informées qu'elles seraient entendues lors d'une nouvelle audience.

13 Les parties ont été entendues lors d'une nouvelle audience le 25 janvier 2012.

14 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision attaquée pour autant qu'elle est dirigée contre elle ;

- à titre subsidiaire, réduire le montant de l'amende qui lui a été infligée ;

- condamner la Commission aux dépens.

15 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner la requérante aux dépens.

En droit

16 À l'appui de ses conclusions, la requérante soulève six moyens.

17 Le premier moyen est tiré de la violation de l'article 81 CE, des articles 2, 7 et 23 du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), ainsi que du principe de proportionnalité.

18 En ce qui concerne les cinq autres moyens, la requérante a entendu effectuer un renvoi aux moyens soulevés par Heijmans Infra dans la requête T-359-06. Ces moyens sont tirés de la violation de l'article 81 CE ainsi que de l'article 7 et de l'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003, de la violation de l'article 81 CE, des articles 11 et 16 du règlement n° 1-2003, du principe de sollicitude et des principes généraux de bonne administration, d'égalité et des droits de la défense, de la violation de l'obligation de motivation et de l'appréciation erronée de la durée de l'infraction, de son importance et de sa gravité.

Sur le renvoi aux moyens soulevés dans la requête T-359-06

Arguments des parties

19 En ce qui concerne ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens, la requérante s'est bornée à les énumérer, en indiquant que, concernant leur exposé, elle renvoyait à la requête de Heijmans Infra jointe en annexe, tout en précisant que cela ne signifiait pas qu'elle acceptait d'endosser la responsabilité du contenu ou de la portée des actes de celle-ci.

20 La Commission souligne que la requérante ne saurait renvoyer à des moyens invoqués par une autre partie dans une autre affaire, les dispositions de l'article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoyant que la requête doit contenir l'objet du litige et un exposé sommaire des moyens invoqués (arrêt du Tribunal du 14 décembre 2005, Honeywell/Commission, T-209-01, Rec. p. II-5527, points 53 à 68).

Appréciation du Tribunal

21 Aux termes des dispositions de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la requête doit contenir l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués. De plus, selon l'article 48, paragraphe 2, dudit règlement, " [l]a production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure ". Il résulte de ces dispositions que tout moyen qui n'est pas suffisamment articulé dans la requête introductive d'instance doit être considéré comme irrecevable.

22 Il résulte en outre de la jurisprudence que l'exposé sommaire des moyens de la partie requérante doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l'appui (arrêts du Tribunal du 24 février 2000, ADT Projekt/Commission, T-145-98, Rec. p. II-387, point 66, et du 16 mars 2004, Danske Busvognmænd/Commission, T-157-01, Rec. p. II-917, point 45). Des exigences analogues sont requises lorsqu'un grief est invoqué au soutien d'un moyen (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo Och Domsjö/Commission, T-352-94, Rec. p. II-1989, point 333).

23 Par ailleurs, selon une jurisprudence bien établie, afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu'un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit, sur lesquels celui-ci se fonde, ressortent, à tout le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (ordonnance de la Cour du 28 novembre 2008, Combescot/Commission, C-525-07 P, non publiée au Recueil, points 28 et 29, et arrêt du Tribunal du 20 septembre 2011, Evropaïki Dynamiki/BEI, T-461-08, non encore publié au Recueil, point 79).

24 À cet égard, si le corps de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d'autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l'absence des éléments essentiels de l'argumentation en droit, qui, en vertu des dispositions ci-dessus rappelées, doivent figurer dans la requête (ordonnance du Tribunal du 21 mai 1999, Asia Motor France e.a./Commission, T-154-98, Rec. p. II-1703, point 49). En outre, il n'appartient pas au Tribunal de rechercher et d'identifier, dans les annexes, les moyens et les arguments qu'il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (arrêts du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit " PVC II ", T-305-94 à T-307-94, T-313-94 à T-316-94, T-318-94, T-325-94, T-328-94, T-329-94 et T-335-94, Rec. p. II-931, point 39, et du 21 mars 2002, Joynson/Commission, T-231-99, Rec. p. II-2085).

25 Il convient de relever que le juge de l'Union a pu accepter que des moyens non exposés expressément dans la requête puissent être considérés comme validement soulevés du fait d'un renvoi aux moyens soulevés dans une autre affaire dans les seuls cas où la partie requérante avait renvoyé à ses propres écrits dans une autre affaire (arrêt Honeywell/Commission, point 20 supra, point 62). À l'inverse, le Tribunal considère qu'autoriser le renvoi à une requête introduite par une autre requérante permettrait le contournement des exigences impératives de l'article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure (arrêt Honeywell/Commission, point 20 supra, points 63 et 64).

26 En l'absence d'identité des requérantes, un tel renvoi n'est pas possible. Il convient, par conséquent, de considérer que le renvoi par la requérante à la requête déposée par Heijmans Infra dans l'affaire T-359-06 n'a pas pour effet d'incorporer dans sa requête les moyens soulevés par Heijmans Infra dans ladite affaire.

27 Il convient dès lors de rejeter les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens comme irrecevables.

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 81 CE, des articles 2, 7 et 23 du règlement n° 1-2003, ainsi que du principe de proportionnalité

Sur l'erreur de droit tirée de la prise en compte du seul lien capitalistique pour présumer de l'exercice effectif d'une influence déterminante de la société mère sur la politique commerciale de sa filiale

- Arguments des parties

28 La requérante affirme que la Commission n'a pas prouvé sa participation à l'infraction en cause. Elle soutient que la Commission, qui ne peut sanctionner des omissions, mais uniquement des actes, était tenue de démontrer l'existence d'un accord de volontés aboutissant à une action commune des entreprises sur le marché.

29 Par ailleurs, ni le traité ni le règlement nº 1-2003 ne permettraient à la Commission d'infliger une amende à une société mère pour une infraction commise par une filiale sur le seul fondement de la détention de la totalité du capital de cette dernière. Elle rappelle à cet égard les principes de la responsabilité personnelle, de l'individualité des peines et du respect de la présomption d'innocence.

30 En outre, le fait de lui imputer la responsabilité de l'infraction commise par Heijmans Infra serait contraire au principe de proportionnalité, dans la mesure où cette imputation pourrait avoir pour elle-même ainsi que pour l'ensemble des sociétés du groupe des conséquences très dommageables.

31 La Commission aurait également méconnu le principe d'égalité, car elle n'aurait pas procédé à une imputation de l'infraction selon les mêmes critères concernant le groupe Shell.

32 La requérante souligne que le juge de l'Union effectue une distinction entre les cas où une société mère détient purement et simplement une participation à 100 % de sa filiale et ceux où cette détention ne s'effectue que de manière indirecte, au sein d'un groupe ayant des activités économiques très distinctes (arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Siderúrgica Aristrain/Commission, C-196-99 P, Rec. p. I-11005, point 98).

33 Enfin, selon la requérante, l'interprétation faite par la Commission de la jurisprudence relative à l'imputation de la responsabilité d'une infraction à une société mère est comparable au principe de responsabilité solidaire en droit civil, or ni l'article 81 CE ni le règlement n° 1-2003 ne le prévoient.

34 La Commission rejette l'ensemble des arguments de la requérante.

- Appréciation du Tribunal

35 À titre liminaire, il y a lieu d'indiquer qu'il ressort de la décision attaquée que la Commission n'a imputé à la requérante la responsabilité de l'infraction en cause qu'en raison de sa détention de la totalité du capital de Heijmans Infra, qui a directement participé à l'infraction, et non en raison de sa propre participation directe à l'infraction (considérants 273, 274 et 278).

36 Il convient en outre d'écarter, à titre liminaire, comme inopérant l'argument de la requérante selon lequel l'article 81 CE ne sanctionne pas des omissions, mais seulement des actes, la Commission n'ayant nullement entendu lui imputer l'infraction en cause en raison de son défaut de surveillance du comportement de Heijmans Infra.

37 La requérante estime par ailleurs que ni l'article 81 CE, ni le règlement n° 1-2003, ni la jurisprudence ne permettent à la Commission d'imputer la responsabilité d'une infraction commise par une filiale à sa société mère la détenant à 100 %, en dehors de circonstances très particulières, non réunies en l'espèce.

38 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que le droit de la concurrence de l'Union vise les activités des entreprises (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, point 59) et que la notion d'entreprise au sens de l'article 81 CE inclut des entités économiques consistant chacune en une organisation unitaire d'éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé, organisation pouvant concourir à ce qu'une infraction visée par cette disposition soit commise (voir arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T-9-99, Rec. p. II-1487, point 54, et la jurisprudence citée). La notion d'entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêt de la Cour du 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C-217-05, Rec. p. I-11987, point 40).

39 Le comportement anticoncurrentiel d'une entreprise peut être imputé à une autre lorsqu'elle n'a pas déterminé son comportement sur le marché de manière autonome, mais a appliqué pour l'essentiel les directives émises par cette dernière, eu égard en particulier aux liens économiques et juridiques qui les unissaient (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Metsä-Serla e.a./Commission, C-294-98 P, Rec. p. I-10065, point 27 ; du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189-02 P, C-202-02 P, C-205-02 P à C-208-02 P et C-213-02 P, Rec. p. I-5425, point 117, et du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97-08 P, Rec. p. I-8237, point 58). Ainsi, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère, ces deux entreprises constituant une entité économique (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48-69, Rec. p. 619, points 133 et 134).

40 Ce n'est donc pas une relation d'instigation relative à l'infraction entre la société mère et sa filiale, ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu'elles constituent une seule entreprise, au sens susmentionné, qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d'un groupe de sociétés. En effet, il y a lieu de rappeler que le droit de la concurrence de l'Union reconnaît que différentes sociétés appartenant à un même groupe constituent une entité économique, et donc une entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE, si les sociétés concernées ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T-203-01, Rec. p. II-4071, point 290).

41 Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, d'une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d'autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une telle influence (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 39 supra, point 60, et la jurisprudence citée).

42 Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d'une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l'amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n'apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C-286-98 P, Rec. p. I-9925, point 29, et Akzo Nobel e.a./Commission, point 39 supra, point 61).

43 S'il est vrai que la Cour a évoqué aux points 28 et 29 de l'arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 42 supra, hormis la détention de 100 % du capital de la filiale, d'autres circonstances, telles que l'absence de contestation de l'influence exercée par la société mère sur la politique commerciale de sa filiale et la représentation commune des deux sociétés durant la procédure administrative, il n'en demeure pas moins que de telles circonstances n'ont été relevées par la Cour que dans le but d'exposer l'ensemble des éléments sur lesquels le Tribunal avait fondé son raisonnement dans cette affaire, et non pour subordonner la mise en œuvre de la présomption susmentionnée à la production d'indices supplémentaires relatifs à l'exercice effectif d'une influence de la société mère sur sa filiale (arrêts de la Cour Akzo Nobel e.a./Commission, point 39 supra, point 62, et du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C-90-09 P, non encore publié au Recueil, point 41).

44 En l'espèce, c'est à bon droit que, dans la décision attaquée, la Commission a fait application de cette présomption en considérant que la requérante, société mère à 100 % de Heijmans Infra pendant l'ensemble de la période infractionnelle, avait exercé une influence déterminante sur cette dernière et que, partant, elle l'a considérée comme responsable de l'infraction commise par cette dernière (considérant 274).

45 Il convient de rejeter l'argument de la requérante selon lequel la Commission ne pouvait faire application de cette présomption au motif qu'elle n'avait détenu la totalité du capital de Heijmans Infra que de manière indirecte et qu'elle constitue un groupe ayant des activités très diverses. Le juge de l'Union considère en effet que l'existence de sociétés intermédiaires entre la filiale et la société mère est sans influence sur la possibilité de faire application de cette présomption (arrêt General Química e.a./Commission, point 43 supra, points 86 et 87 ; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, T-354-94, Rec. p. II-2111, points 80 à 85, et du 27 septembre 2006, Akzo Nobel/Commission, T-330-01, Rec. p. II-3389, points 78 et 83). Par ailleurs, la requérante ne saurait se prévaloir de l'arrêt Siderúrgica Aristrain/Commission, point 32 supra, qui concerne la situation spécifique dans laquelle une société s'est vu attribuer la responsabilité d'une infraction commise par une société sur laquelle elle ne détenait aucun pouvoir de direction, au seul motif qu'elles étaient détenues par la même société mère.

46 La requérante soutient également que la Commission a méconnu le principe d'individualité des peines et des sanctions en vertu duquel une entreprise ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés, principe qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d'aboutir à des sanctions en vertu des règles de concurrence de l'Union (arrêt de la Cour du 14 juillet 2005, ThyssenKrupp Stainless et ThyssenKrupp Acciai speciali Terni/Commission, C-65-02 P et C-73-02 P, Rec. p. I-6773, point 82). Toutefois, comme l'a déjà souligné le Tribunal, ce principe doit se concilier avec la notion d'entreprise, au sens de l'article 81 CE, telle qu'interprétée par la jurisprudence (voir point 38 ci-dessus). En effet, comme cela a été rappelé au point 40 ci-dessus, ce n'est pas une relation d'instigation relative à l'infraction entre la société mère et sa filiale, ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu'elles constituent une seule entreprise au sens de l'article 81 CE qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d'un groupe de sociétés. Dès lors, la requérante a été condamnée pour une infraction qu'elle est censée avoir commise personnellement en raison des liens économiques et juridiques qui l'unissaient à Heijmans Infra, liens qui lui permettaient de déterminer le comportement de cette dernière sur le marché (voir, en ce sens, arrêt Metsä-Serla e.a./Commission, point 39 supra, point 34). Il s'ensuit que, en l'espèce, l'imputation à la société mère de l'infraction commise par sa filiale ne va pas à l'encontre du principe d'individualité des peines et des sanctions (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Arkema/Commission, T-168-05, non publié au Recueil, points 105 à 108).

47 La requérante estime par ailleurs que l'approche retenue par la Commission est contraire au principe de présomption d'innocence reconnu par l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la " CEDH ") et par l'article 48 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1). En vertu des dispositions de l'article 2 du règlement n° 1-2003, qui reflète le principe de la présomption d'innocence affirmé à l'article 6, paragraphe 2, de la CEDH, la charge de la preuve d'une violation de l'article 81, paragraphe 1, CE incombe à l'autorité qui l'allègue.

48 Le recours à une telle présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale détenue à 100 % n'entraîne pas un renversement de la charge de la preuve, mais fixe le niveau de preuve à respecter pour déterminer si la responsabilité d'une infraction incombe à la société mère ou à la filiale. Dans la mesure où le fait que la société mère détient la totalité du capital de sa filiale permet de présumer qu'une influence est exercée, cette présomption est réputée satisfaire aux exigences en matière de charge de la preuve si la société mère ne la réfute pas en présentant des preuves concluantes en sens contraire (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 38 supra, point 79). Ainsi, en amont de la question de la répartition de la charge de la preuve, les parties sont toutes appelées à satisfaire à leur obligation d'exposer leurs thèses (conclusions de l'avocat général Mme Kokott sous l'arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 39 supra, Rec. p. I-8241, point 74, et sous l'arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C-105-04 P, Rec. p. I-8725, I-8730, point 73).

49 En outre, la présomption de l'exercice effectif d'une influence déterminante vise notamment à ménager un équilibre entre l'importance, d'une part, de l'objectif consistant à réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence, en particulier à l'article 81 CE, et d'en prévenir le renouvellement et, d'autre part, des exigences de certains principes généraux du droit de l'Union tels que, notamment, les principes de présomption d'innocence, de personnalité des peines et de la sécurité juridique ainsi que les droits de la défense, y compris le principe d'égalité des armes. C'est notamment pour cette raison qu'elle est, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence constante exposée aux points 41 et 42 ci-dessus, réfragable (arrêt de la Cour du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C-521-09 P, non encore publié au Recueil, point 59). Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence qu'une présomption, même difficile à renverser, demeure dans des limites acceptables tant qu'elle est proportionnée au but légitime poursuivi, qu'existe la possibilité d'apporter la preuve contraire et que les droits de la défense sont assurés (voir arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 62, et la jurisprudence citée).

50 Par ailleurs, selon la requérante, l'interprétation retenue par la Commission de la jurisprudence relative à l'imputation à une société mère de la responsabilité d'une infraction commise par sa filiale serait comparable au principe de responsabilité solidaire en droit civil, alors même que ni l'article 81 CE ni le règlement n° 1-2003 ne le prévoient. Il convient de rejeter cet argument dès lors que le droit de la concurrence de l'Union repose sur le principe de la responsabilité personnelle de l'entité économique ayant commis l'infraction. Or, si la société mère fait partie de cette unité économique, qui peut être constituée de plusieurs personnes juridiques, cette société mère est considérée comme solidairement responsable avec les autres personnes juridiques constituant cette unité des infractions au droit de la concurrence. En effet, même si la société mère ne participe pas directement à l'infraction, elle exerce, dans une telle hypothèse, une influence déterminante sur les filiales qui ont participé à celle-ci (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 39 supra, point 77). La solidarité apparaît ainsi comme une conséquence normale de l'imputation de responsabilité du comportement d'une société à une autre, en particulier lorsque ces deux sociétés constituent une même entreprise (arrêt du Tribunal du 31 mars 2009, ArcelorMittal Luxembourg e.a./Commission, T-405-06, Rec. p. II-771, point 117).

51 Par ailleurs, la requérante considère que le fait de lui imputer la responsabilité de l'infraction commise par Heijmans Infra serait contraire au principe de proportionnalité en raison des conséquences dommageables de cette imputation.

52 À cet égard, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union, exige que les actes des institutions ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu'un choix s'offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante (arrêts de la Cour du 11 juillet 2002, Käserei Champignon Hofmeister, C-210-00, Rec. p. I-6453, point 59 ; du 9 septembre 2004, Espagne et Finlande/Parlement et Conseil, C-184-02 et C-223-02, Rec. p. I-7789, point 57, et du 7 juillet 2009, S.P.C.M. e.a., C-558-07, Rec. p. I-5783, point 41). Il ressort cependant de la jurisprudence que la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour décider quelles sont les entités d'une entreprise qu'elle considère comme responsables d'une infraction au droit de la concurrence (arrêts de la Cour Imperial Chemical Industries/Commission, point 39 supra, points 130 à 140 ; du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6-72, Rec. p. 215, point 15, et du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6-73 et 7-73, Rec. p. 223, points 36 à 41 ; arrêts du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T-65-89, Rec. p. II-389, point 154, et Michelin/Commission, point 40 supra, point 290). De plus, la requérante n'a établi devant le Tribunal ni la réalité des conséquences dommageables de cette imputation, ni que la Commission n'aurait pas tenu compte de ces éventuelles conséquences. Dès lors, la Commission n'a pas méconnu, en l'espèce, le principe de proportionnalité en décidant de tenir la société mère pour responsable d'une infraction commise par sa filiale détenue à 100 %.

53 Enfin, la requérante estime que la Commission aurait méconnu le principe d'égalité, car elle n'aurait pas procédé à une imputation de l'infraction selon les mêmes critères concernant le groupe Shell. Il ressort cependant de la décision attaquée que, eu égard à l'imputation de la responsabilité de l'infraction, la Commission a fait application au groupe Shell des mêmes principes que ceux utilisés pour la requérante. En effet, bien que Shell Nederland Verkoopmaatschappij BV ait été la personne morale ayant participé directement à l'entente, la communication des griefs avait également été envoyée à ses sociétés mères. Par ailleurs, à la suite de changements organisationnels intervenus au sein du groupe en 2005, la Commission a envoyé la décision attaquée à Shell Nederland Verkoopmaatschappij ainsi qu'aux autres sociétés destinataires de la communication des griefs toujours existantes à la date d'envoi de la décision attaquée, ces sociétés constituant ensemble l'entreprise Shell, solidairement responsable de l'infraction (considérants 205 à 210 de la décision attaquée). Cet argument doit dès lors également être écarté.

54 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en imputant à la requérante la responsabilité de l'infraction commise par Heijmans Infra.

Sur les erreurs manifestes d'appréciation relatives à l'imputation de la responsabilité de l'infraction commise par Heijmans Infra

- Arguments des parties

55 La requérante estime que la Commission a commis des erreurs manifestes d'appréciation des circonstances particulières sur lesquelles elle a entendu se fonder dans la décision attaquée pour lui imputer la responsabilité de l'infraction commise par Heijmans Infra.

56 Elle affirme ainsi qu'elle s'occupe principalement de la gestion du groupe, alors que sa filiale Wegenbouw Heijmans était en charge de la production de bitume et de l'obtention de projets de construction et d'entretien routiers et que Heijmans Infra était responsable de la coordination desdites activités, et notamment de l'achat de matières premières. Dès lors, l'achat du bitume ne constituant qu'une partie négligeable du chiffre d'affaires consolidé du groupe, il serait peu probable qu'elle soit intervenue elle-même de manière active sur ce marché ou qu'elle ait fait usage de son pouvoir d'instruction dans ce domaine. Les sociétés chargées de l'achat de bitume au sein du groupe disposeraient d'ailleurs d'une véritable autonomie et elle n'aurait ainsi jamais donné d'instruction à Heijmans Infra relative à l'infraction en cause.

57 Alors que les trois éléments jugés déterminants par l'avocat général M. Mischo dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 42 supra, afin d'établir la responsabilité de la société mère n'auraient pas été réunis, la Commission aurait retenu la responsabilité de la société mère. En effet, en l'espèce, la requérante n'aurait pas eu connaissance de la pratique anticoncurrentielle en cause, sa participation dans Heijmans Infra n'aurait pas été modifiée et il n'y aurait aucune complémentarité entre ses activités et celle de Heijmans Infra. De plus, contrairement à l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 42 supra, la requérante souligne qu'elle ne s'est pas présentée comme l'unique interlocuteur de la Commission pendant la procédure administrative.

58 La requérante estime en outre que les éléments complémentaires auxquels la Commission a fait référence dans la décision attaquée pour lui imputer l'infraction ne seraient pas pertinents, dès lors qu'ils concernent exclusivement son identité et la définition de son objet social et ne font que refléter des obligations imposées par le droit néerlandais des sociétés.

59 La Commission se serait en outre méprise en considérant que deux membres de sa direction auraient également été membres de la direction de Heijmans Infra. La requérante précise à cet égard que, si, dans sa réponse à la communication des griefs, elle n'a formulé des remarques qu'à propos de l'une seule de ces deux personnes, il est évident que la portée de ses observations s'étendait à toutes les autres situations similaires.

60 Par ailleurs, la requérante estime que la simple circonstance selon laquelle deux sociétés partagent les mêmes locaux ne saurait suffire à établir l'existence d'une entreprise unique. De plus, en l'espèce, chaque société louerait une partie des locaux à son propre compte et à ses propres risques.

61 Enfin, elle précise que, si une amende avait été infligée uniquement à ses filiales, elle aurait été consolidée dans son compte de résultat et aurait ainsi eu un effet dissuasif suffisant. Elle serait d'ailleurs disposée à déposer une garantie pour le paiement de l'amende par les sociétés ayant participé à l'infraction, sans que cela puisse être interprété comme un indice de sa propre culpabilité dans l'infraction.

62 La Commission réfute l'ensemble des arguments de la requérante et soutient que, en tout état de cause, deux arguments soulevés par la requérante, relatifs à la part négligeable de l'achat de bitume dans son chiffre d'affaires et au fait que l'infraction ne saurait lui être imputée en raison des seules conséquences de l'achat de bitume par ses filiales sur sa position financière, sont irrecevables, car ils n'ont pas été présentés lors de la phase administrative.

- Appréciation du Tribunal

63 À titre préalable, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, s'agissant de l'application des articles 81 CE et 82 CE, aucune disposition du droit de l'Union n'impose au destinataire de la communication des griefs de contester ses différents éléments de fait ou de droit au cours de la procédure administrative, sous peine de ne plus pouvoir le faire ultérieurement au stade de la procédure juridictionnelle, une telle limitation étant contraire aux principes fondamentaux de légalité et de respect des droits de la défense (arrêt de la Cour du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C-407-08 P, Rec. p. I-6371, points 89 à 92). Il convient dès lors de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la Commission, tirée de l'impossibilité pour la requérante d'invoquer, dans le cadre de son recours en annulation, des éléments de preuve destinés à réfuter la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante sur Heijmans Infra.

64 À titre principal, il s'agit, en répondant aux griefs visant à établir que la Commission aurait commis des erreurs manifestes d'appréciation en lui imputant la responsabilité de l'infraction commise par Heijmans Infra, de déterminer si la requérante a apporté des éléments permettant de renverser la présomption selon laquelle ces deux sociétés constituaient une entité économique unique.

65 Aux considérants 273 à 278 de la décision attaquée, la Commission a exposé qu'elle pouvait faire application de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de la requérante sur Heijmans Infra pour l'ensemble de la période infractionnelle, soit du 1er avril 1994 au 15 avril 2002. Elle a ensuite estimé que plusieurs éléments relatifs à la structure de l'entreprise venaient renforcer cette présomption. Ainsi, elle a indiqué que les statuts de la requérante mentionnaient, parmi ses objectifs, la gestion de sociétés dans le domaine de la construction de routes et la participation à des appels d'offre et que les statuts de Heijmans Infra mentionnaient que tout prêt supérieur à 50 000 euro, toute participation dans d'autres entreprises, tout démarrage de nouvelles activités et toute ouverture ou fermeture de bureaux ou agences régionaux devaient être approuvés par Heijmans Nederland, détenue à 100 % par la requérante. Les statuts de Heijmans Infra imposent de même à sa direction de se conformer aux instructions de ses actionnaires et, donc, indirectement, de la requérante, qui la détient à 100 %, en ce qui concerne ses orientations générales, en matière de politique financière, sociale, économique et de personnel. La Commission a relevé enfin qu'un directeur de Heijmans Infra était également directeur de la requérante au moment de l'infraction et que ces deux sociétés étaient établies à la même adresse (considérant 275).

66 La requérante estime que ces éléments, dont certains seraient inexacts, ne constituent pas des preuves suffisantes de l'exercice effectif d'une influence déterminante sur Heijmans Infra.

67 En premier lieu, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le contrôle exercé par la société mère sur sa filiale ne doit pas nécessairement avoir un lien avec le comportement infractionnel (voir point 40 ci-dessus, et arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 39 supra, point 59, et General Química e.a./Commission, point 43 supra, points 38, 102 et 103). Il n'est dès lors pas nécessaire d'examiner si la requérante a effectivement exercé une influence sur le comportement infractionnel de Heijmans Infra. Par ailleurs, à la supposer établie, l'affirmation de la requérante relative à la faiblesse des coûts d'achat du bitume, au regard de son chiffre d'affaires global, ne saurait suffire à prouver qu'elle ait laissé une autonomie totale à Heijmans Infra pour définir son comportement sur le marché.

68 Si la requérante affirme que ses filiales jouissent d'une grande autonomie, elle n'apporte cependant aucun élément à l'appui de cette allégation. De plus, il ressort des pièces du dossier que plusieurs éléments établissent l'existence de liens hiérarchiques importants et actifs entre la requérante et Heijmans Infra (voir point 65 ci-dessus). Ainsi, les statuts de la requérante et de Heijmans Infra indiquent clairement que la requérante est chargée de la gestion de ses sociétés d'exploitation, celles-ci étant tenues de lui soumettre un certain nombre de décisions stratégiques pour approbation et de se conformer à ses instructions en matière de politiques financière, sociale, économique et de personnel.

69 En deuxième lieu, la requérante affirme que la Commission n'était pas en droit de faire application de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante dès lors que les éléments requis par la jurisprudence issue de l'arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 42 supra, n'étaient pas réunis en l'espèce. Il convient cependant de rappeler que, si la Cour a évoqué dans cet arrêt d'autres circonstances, hormis la détention de 100 % du capital de la filiale, afin d'imputer à une société mère la responsabilité de l'infraction commise par sa filiale, elle ne l'a fait qu'afin d'exposer l'ensemble des éléments sur lesquels le Tribunal avait fondé son raisonnement, et non pour subordonner la mise en œuvre de la présomption susmentionnée à la production d'indices supplémentaires relatifs à l'exercice effectif d'une influence de la société mère sur sa filiale (voir point 43 ci-dessus). Cet argument doit dès lors être écarté.

70 En troisième lieu, la requérante estime que les éléments complémentaires auxquels la Commission a fait référence ne feraient que refléter des obligations imposées par le droit national. Le Tribunal rappelle à cet égard qu'une société ne saurait se prévaloir de la réglementation nationale pour échapper aux règles de l'Union, les notions juridiques utilisées par le droit de l'Union devant être en principe interprétées et appliquées de façon uniforme dans l'ensemble de l'Union (arrêt de la Cour du 1er février 1972, Hagen, 49-71, Rec. p. 23, point 6).

71 En quatrième lieu, la circonstance, à la supposer établie, selon laquelle la décision attaquée mentionnerait de manière erronée qu'un directeur de Heijmans Infra était également directeur de la requérante au moment de l'infraction est sans influence sur la légalité de la décision attaquée dès lors qu'elle ne saurait à elle seule suffire à renverser la présomption selon laquelle, en détenant la totalité de son capital, la requérante a exercé une influence déterminante sur Heijmans Infra.

72 En tout état de cause, il ressort de la communication des griefs (point 332) que la Commission avait indiqué que deux membres de la direction de la requérante étaient également membres de la direction de Heijmans Infra et que la requérante s'est bornée, dans sa réponse du 20 mai 2005 à la communication des griefs, à indiquer que l'une de ces deux personnes n'avait pas exercé une telle double fonction. Or, il résulte d'une jurisprudence constante que, dans le cadre d'un recours en annulation en vertu de l'article 230 CE, la légalité de l'acte attaqué doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l'acte a été pris, et notamment des éléments d'information dont l'institution pouvait disposer au moment où elle l'a arrêté (arrêt de la Cour du 7 février 1979, France/Commission, 15-76 et 16-76, Rec. p. 321, point 7). Dès lors, il ne saurait être fait grief à la Commission d'avoir mentionné dans la décision attaquée que l'un des directeurs de Heijmans Infra était également directeur de la requérante au moment de l'infraction.

73 En cinquième lieu, la requérante a reproché à la Commission d'avoir tenu compte de la circonstance selon laquelle elle partageait les mêmes locaux avec Heijmans Infra. Le juge de l'Union considère cependant que, lors de son appréciation de l'existence d'une entité économique unique entre la société mère et sa filiale, il doit tenir compte de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties, relatifs aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre les deux sociétés, dont le caractère et l'importance peuvent varier selon les caractéristiques propres à chaque cas d'espèce (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 39 supra, point 65). Si certaines circonstances, telles que la consolidation des comptes au niveau du groupe, sont dépourvues de pertinence (arrêt General Química e.a./Commission, point 43 supra, point 108), d'autres éléments, qui ne sauraient, à eux seuls, permettre d'établir l'existence d'une entité économique unique, peuvent néanmoins constituer dans leur ensemble un faisceau d'indices concordants suffisants. La circonstance selon laquelle une société mère et sa filiale détenue à 100 % partagent les mêmes locaux peut ainsi constituer un indice supplémentaire de l'existence d'une entité économique unique.

74 En sixième lieu, la circonstance selon laquelle la Commission aurait pu atteindre son objectif dissuasif en infligeant une amende uniquement à Heijmans Infra, pour le paiement de laquelle elle aurait été disposée à constituer une garantie bancaire, ne saurait permettre de renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de la requérante sur Heijmans Infra.

75 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les éléments présentés par la requérante ne permettent pas de renverser la présomption selon laquelle, en détenant la totalité de son capital, elle a exercé une influence déterminante sur Heijmans Infra. Il y a, dès lors, lieu de conclure que la requérante constitue avec Heijmans Infra une entreprise au sens de l'article 81 CE, sans qu'il soit besoin de vérifier si la requérante a effectivement exercé une influence déterminante sur le comportement infractionnel de Heijmans Infra.

76 Le premier moyen doit, par conséquent, être rejeté dans son ensemble.

77 Eu égard à l'ensemble de ce qui précède, il convient de rejeter le recours dans son ensemble.

Sur les dépens

78 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Heijmans NV est condamnée aux dépens.