Livv
Décisions

TUE, 6e ch., 27 septembre 2012, n° T-357/06

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Koninklijke Wegenbouw Stevin BV

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jaeger

Juges :

MM. Wahl, Soldevila Fragoso (rapporteur)

Avocats :

Mes Pijnacker Hordijk, de Vries, Reintjes

Comm. CE, du 13 sept. 2006

13 septembre 2006

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

Faits à l'origine du litige

I - La requérante

1 Koninklijke Volker Wessels Stevin est un groupe de construction néerlandais qui rassemble plus d'une centaine de sociétés d'exploitation. La société mère, Koninklijke Volker Wessels Stevin NV (ci-après " KVWS "), opère dans le domaine de la construction routière par l'intermédiaire de la société Volker Wessels Stevin Verkeersinfra BV et de la requérante, sa filiale, Koninklijke Wegenbouw Stevin BV, chargée de la négociation et de l'achat de bitume pour l'ensemble du groupe, en vue de la production d'asphalte aux Pays-Bas. Pendant la période infractionnelle, KVWS détenait la totalité du capital de la requérante, par l'intermédiaire des sociétés holdings Volker Wessels Stevin Infra BV et Volker Wessels Stevin Verkeersinfra.

II - La procédure administrative

2 Par lettre du 20 juin 2002, la société British Petroleum (ci-après " BP ") a informé la Commission des Communautés européennes de l'existence alléguée d'une entente relative au marché du bitume routier aux Pays-Bas et a présenté une demande visant à obtenir une immunité d'amendes conformément aux dispositions de la communication de la Commission du 19 février 2002 sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 45, p. 3, ci-après la " communication sur la coopération ").

3 Le 1er octobre 2002, la Commission a procédé à des vérifications surprises, notamment dans les locaux de la requérante. Lors de cette inspection, la requérante, dans un premier temps, a refusé l'entrée du bâtiment aux agents de la Commission dans l'attente de l'arrivée de ses avocats externes et, dans un second temps, s'est opposée à les laisser accéder au bureau de l'un de ses directeurs. La Commission a, dès lors, demandé l'assistance des autorités nationales afin de procéder à ces vérifications. Les agents de la Commission ont procédé à la rédaction de deux procès-verbaux relatifs à ces incidents le 3 octobre 2002, qui ont été transmis à la requérante dans le cadre de l'accès au dossier accordé par la Commission le 19 octobre 2004.

4 La Commission a adressé des demandes de renseignements à plusieurs sociétés, dont la requérante, le 30 juin 2003, à laquelle celle-ci a répondu le 12 septembre 2003. Le 10 février 2004, la Commission a envoyé une nouvelle demande de renseignements, à laquelle KVWS a répondu le 2 mars 2004.

5 Le 12 septembre 2003, l'entreprise Kuwait Petroleum a introduit une demande d'application de la communication sur la coopération, à laquelle était jointe une déclaration d'entreprise. La société Shell Nederland Verkoopmaatschappij BV (ci-après " SNV ") a également introduit une telle demande le 10 octobre 2003, accompagnée d'une déclaration d'entreprise et d'une déclaration d'un ancien collaborateur à la retraite. Les entreprises Total et Nynas ont par ailleurs demandé, dans leur réponse à la communication des griefs, que leur réponse à la demande de renseignements de la Commission soit prise en compte au titre de la communication sur la coopération.

6 Le 18 octobre 2004, la Commission a engagé une procédure et a adopté une communication des griefs, adressée le 19 octobre 2004 à plusieurs sociétés, dont KVWS, la requérante et Volker Wessels Stevin Infra.

7 À la suite de l'audition des sociétés concernées les 15 et 16 juin 2005, Nynas et Kuwait Petroleum ont apporté, respectivement les 28 et 30 juin 2005, des précisions à l'égard de certaines déclarations utilisées par la Commission dans la communication des griefs et contestées lors de l'audition par d'autres sociétés, qui ont été transmises à l'ensemble des parties. La requérante a réagi à ces documents le 26 août 2005. De même, elle a répondu le 28 juin 2005 à une demande de renseignements qui faisait suite à une question orale de la Commission, posée lors de l'audition, et cette réponse a été transmise à l'ensemble des parties le 24 mai 2006. Le 25 janvier 2006, la Commission a adressé une lettre à l'ensemble des parties, afin d'apporter des précisions à un passage de la communication des griefs relatif à la fixation des prix, à laquelle la requérante a répondu le 16 février 2006. Enfin, le 24 mai 2006, la Commission a transmis à la requérante l'ensemble des passages des réponses des autres entreprises à la communication des griefs qu'elle envisageait d'utiliser comme preuve contre elle, et la requérante a présenté ses observations sur ces documents le 12 juin 2006.

III - La décision attaquée

8 Le 13 septembre 2006, la Commission a adopté la décision C (2006) 4090 final, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] [Affaire COMP-F-38.456 - Bitume (Pays-Bas)] (ci-après la " décision attaquée "), dont un résumé est publié au Journal officiel de l'Union européenne du 28 juillet 2007 (JO L 196, p. 40) et qui a été notifiée à la requérante le 25 septembre 2006.

9 La Commission a indiqué que les sociétés destinataires de la décision attaquée avaient participé à une infraction unique et continue à l'article 81 CE, consistant à fixer ensemble régulièrement, durant les périodes concernées, pour la vente et l'achat de bitume routier aux Pays-Bas, le prix brut, une remise uniforme sur le prix brut pour les constructeurs routiers participant à l'entente (ci-après les " grands constructeurs " ou le " W5 ") et une remise maximale réduite sur le prix brut pour les autres constructeurs routiers (ci-après les " autres constructeurs " ou les " petits constructeurs ").

10 La requérante s'est vu infliger, solidairement avec KVWS, une amende de 27,36 millions d'euro pour avoir commis cette infraction pour la période du 1er avril 1994 au 15 avril 2002.

11 S'agissant du calcul du montant des amendes, la Commission a qualifié l'infraction de très grave, eu égard à sa nature, même si le marché géographique concerné était limité (considérant 316 de la décision attaquée).

12 Afin de tenir compte de l'importance spécifique du comportement de chaque entreprise impliquée dans l'entente et de son impact réel sur la concurrence, la Commission a opéré une distinction entre les entreprises concernées en fonction de leur importance relative sur le marché en cause, mesurée par leurs parts de marché, et les a regroupées en six catégories.

13 Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission a retenu un montant de départ de 9,5 millions d'euro pour la requérante (considérant 322 de la décision attaquée). Elle a considéré qu'il n'était pas nécessaire de lui appliquer un coefficient multiplicateur afin de garantir l'effet dissuasif de l'amende, compte tenu de la taille et du chiffre d'affaires du groupe Koninklijke Volker Wessels Stevin (considérant 323 de la décision attaquée).

14 En ce qui concerne la durée de l'infraction, la Commission a estimé que la requérante avait commis une infraction de longue durée, celle-ci étant supérieure à cinq ans, et a retenu une durée totale de huit ans, du 1er avril 1994 au 15 avril 2002, augmentant ainsi le montant de départ de 80 % (considérant 326 de la décision attaquée). Le montant de base de l'amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, a donc été fixé à 17,1 millions d'euro pour la requérante (considérant 335 de la décision attaquée).

15 La Commission a fait application de plusieurs circonstances aggravantes à l'égard de la requérante. En premier lieu, elle a estimé que, la requérante s'étant rendue coupable de refus de coopération et de tentatives d'obstruction lors des vérifications effectuées dans ses locaux, le 1er octobre 2002, une augmentation de 10 % du montant de base de l'amende devait lui être appliquée (considérants 340 et 341 de la décision attaquée). En second lieu, elle a considéré que la requérante avait joué un rôle d'incitateur et de meneur de l'entente justifiant une nouvelle augmentation de 50 % du montant de base de l'amende (considérants 342 à 349 de la décision attaquée).

16 La Commission a, par ailleurs, estimé qu'aucune circonstance atténuante ne pouvait être retenue à l'égard de la requérante (considérants 350 à 360 de la décision attaquée).

Procédure et conclusions des parties

17 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 décembre 2006, la requérante a introduit le présent recours.

18 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 de son règlement de procédure, a invité les parties à déposer certains documents et leur a posé des questions. Les parties ont déféré à ces demandes dans le délai imparti.

19 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l'audience du 26 mai 2011.

20 Un membre de la sixième chambre ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal s'est désigné, en application de l'article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure, pour compléter la chambre.

21 Par ordonnance du 18 novembre 2011, le Tribunal (sixième chambre), dans sa nouvelle composition, a rouvert la procédure orale et les parties ont été informées qu'elles seraient entendues lors d'une nouvelle audience.

22 Par lettres, respectivement, des 25 et 28 novembre 2011, la requérante et la Commission ont informé le Tribunal qu'elles renonçaient à être entendues une nouvelle fois.

23 En conséquence, le président du Tribunal a décidé de clore la procédure orale.

24 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- à titre principal, annuler la décision attaquée en tant qu'elle s'applique à elle ;

- à titre subsidiaire, annuler l'article 2 de la décision attaquée dans la mesure où il la concerne et réduire substantiellement le montant de l'amende qui lui a été infligée ;

- condamner la Commission aux dépens ;

25 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner la requérante aux dépens.

En droit

26 La requérante demande, à titre principal, l'annulation de la décision attaquée et, à titre subsidiaire, la suppression ou la réduction de l'amende qui lui a été infligée par la Commission dans ladite décision.

I - Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision attaquée

A - Remarques introductives

27 À l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision attaquée, la requérante soulève trois moyens, tirés, le premier, d'erreurs de fait, le deuxième, d'erreurs de droit dans l'appréciation des conditions requises pour l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE et, le troisième, de la violation d'une formalité substantielle et des droits de la défense dont elle était en droit de se prévaloir.

1. Arguments des parties

28 La requérante rappelle que, selon une jurisprudence constante, la Commission doit faire état de preuves précises et concordantes afin d'établir une infraction à l'article 81 CE et que l'existence d'un doute dans l'esprit du juge à ce sujet doit profiter à l'entreprise (arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T-67-00, T-68-00, T-71-00 et T-78-00, Rec. p. II-2501, point 179, et du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T-44-02 OP, T-54-02 OP, T-56-02 OP, T-60-02 OP et T-61-02 OP, Rec. p. II-3567, points 60 et 62). Elle estime que, en l'espèce, la Commission a méconnu ces principes lors de son appréciation de l'existence de l'infraction comme dans la qualification de la nature de l'infraction. En effet, elle aurait, à tort, mis sur un pied d'égalité l'infraction très grave commise par les fournisseurs de bitume (ci-après les " fournisseurs "), que constitue l'entente sur les prix et la répartition du marché, et la simple structure de négociation commune mise en place par les grands constructeurs, qui n'aurait visé qu'à répondre à l'entente des fournisseurs et à obtenir des conditions d'achat plus avantageuses. En raison de cette appréciation erronée du fonctionnement de l'entente, la Commission aurait accordé une trop grande importance aux déclarations des fournisseurs et aurait ignoré des moyens de preuve pourtant évoqués dans la communication des griefs, dont certains étaient contemporains de l'infraction.

29 La Commission rejette les arguments de la requérante.

2. Appréciation du Tribunal

30 Il convient tout d'abord de rappeler que, conformément aux dispositions de l'article 2 du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), et à la jurisprudence antérieure (arrêts de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185-95 P, Rec. p. I-8417, point 58, et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49-92 P, Rec. p. I-4125, point 86), la charge de la preuve d'une violation de l'article 81, paragraphe 1, CE incombe à l'autorité qui l'allègue, celle-ci étant tenue d'établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l'existence des faits constitutifs d'une infraction. Le juge de l'Union a, en outre, précisé que l'existence d'un doute dans l'esprit du juge doit profiter à l'entreprise destinataire de la décision constatant une infraction (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continental/Commission, 27-76, Rec. p. 207, point 265) et que, conformément à la présomption d'innocence, le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l'existence de l'infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d'un recours tendant à l'annulation d'une décision infligeant une amende (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 28 supra, point 177). Cependant, chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l'infraction. Il suffit que le faisceau d'indices invoqué par l'institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 28 supra, point 180). Dans le cadre de l'examen de ce premier moyen, il appartient donc au Tribunal d'examiner si la Commission détenait suffisamment de preuves de l'existence de faits constitutifs d'une infraction à l'article 81, paragraphe 1, CE.

31 La Cour a, en outre, précisé que, lorsque la Commission a réussi à réunir des preuves documentaires à l'appui de l'infraction alléguée et que ces preuves apparaissent suffisantes pour démontrer l'existence d'un accord de nature anticoncurrentielle, il n'est pas nécessaire d'examiner si l'entreprise accusée avait un intérêt commercial audit accord (arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C-403-04 P et C-405-04 P, Rec. p. I-729, point 46). Dans le cas où le Tribunal considérerait que la Commission a établi l'existence d'un accord de nature anticoncurrentielle, il ne lui appartiendrait dès lors pas de répondre aux arguments relatifs à l'intérêt commercial de la requérante à l'entente.

32 Par ailleurs, la requérante soutient que la Commission aurait accordé de manière générale une trop grande importance aux déclarations des fournisseurs et qu'elle aurait, en conséquence, ignoré certains moyens de preuve. Il convient de préciser, à cet égard, que la Commission n'est pas tenue, dans la décision attaquée, de vérifier et de répondre à chaque allégation des parties présentée lors de la procédure administrative, mais qu'il lui appartient, conformément aux dispositions de l'article 253 CE, d'exposer de façon claire et non équivoque son raisonnement, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. Cette exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts de la Cour du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296-82 et 318-82, Rec. p. 809, point 19 ; du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56-93, Rec. p. I-723, point 86, et du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367-95 P, Rec. p. I-1719, point 63).

B - Erreurs de fait

33 La requérante considère que la Commission a commis six erreurs de fait.

1. Sur la première erreur de fait, tirée de la méconnaissance de l'opposition entre les intérêts des fournisseurs et ceux des grands constructeurs

a) Arguments des parties

34 La requérante souligne que les fournisseurs et les grands constructeurs détenaient des intérêts diamétralement opposés, les premiers cherchant à augmenter les prix de vente et à s'attribuer des clients, en tentant de s'assurer de la collaboration des seconds. Elle estime que la Commission n'a pas démontré que les grands constructeurs auraient poursuivi un objectif commun avec les fournisseurs. Elle rappelle que plusieurs éléments de preuve, dont une note interne de SNV du 6 février 1995, permettaient d'établir que seuls les fournisseurs avaient mis en place une entente dans les années 1980 et que l'ensemble de ceux-ci y participaient, et que ces éléments ont été méconnus par la Commission. De même, elle estime que d'autres éléments permettent de confirmer que l'entente mise en place par les fournisseurs a provoqué la collaboration entre les grands constructeurs, ce que la Commission n'a d'ailleurs pas contesté. Elle précise que, en revanche, la collaboration entre les grands constructeurs n'a débuté que lors de la première moitié des années 1990, la production d'asphalte ayant alors été réorganisée de manière importante aux Pays-Bas, entraînant une réduction significative du nombre de centrales d'enrobage et l'apparition de centrales détenues conjointement par plusieurs grands constructeurs. Les réunions de concertation avec les fournisseurs auraient également été la conséquence obligatoire d'un changement législatif aux Pays-Bas, ayant mené à l'introduction, en 1990, dans les cahiers des charges de construction routière, de la règle du certificat d'origine, qui devait être obtenu par les constructeurs.

35 Elle reproche en outre à la Commission d'avoir, dans un objectif de renforcement de sa théorie de l'existence d'une entente bilatérale entre fournisseurs et grands constructeurs, renoncé à poursuivre ses investigations relatives aux accords de répartition du marché conclus entre les fournisseurs, alors même que la communication des griefs comportait de nombreux indices à ce sujet, et qu'elle-même avait produit de nombreux éléments de preuve s'y rapportant. De même, la Commission aurait ignoré plusieurs indices relatifs à des échanges d'informations confidentielles concernant l'utilisation des capacités de production, les clients et les prix entre fournisseurs, tout comme l'existence d'ententes entre ces fournisseurs dans d'autres pays d'Europe. Enfin, elle souligne que les grands constructeurs n'ont jamais organisé d'accords de coopération pour l'achat d'autres matières premières.

36 La Commission rejette les arguments de la requérante.

b) Appréciation du Tribunal

37 La requérante estime que la Commission n'a pas tenu compte d'éléments permettant d'établir que l'ensemble des fournisseurs avait mis une entente en place dans les années 1980, alors que les grands constructeurs n'y ont pris part, en réaction, que lors de la première moitié des années 1990. Elle se fonde notamment sur la note interne de SNV du 6 février 1995, saisie par la Commission lors des vérifications et versée au dossier administratif. Il convient de constater qu'il ressort de ce document qu'un salarié de SNV a effectué une synthèse relative au marché de la construction routière aux Pays-Bas, dans laquelle il décrit la situation de surcapacité du marché et les " origines du cartel " depuis 1980. Il mentionne ainsi la création de " Nabit ", organisation professionnelle des entreprises de bitume, en 1980, période d'instabilité des prix du bitume, puis la mise en place du projet " Star ", entente composée des cinq principaux constructeurs routiers et des principaux fournisseurs, qui aurait pris fin en 1993, et enfin le fait que les grands constructeurs ont exigé une plus grande stabilité des prix en 1995, afin que les volumes et la répartition des marchés retrouvent approximativement leur situation de 1993. Le document souligne, en conclusion, la part de responsabilité tant des pouvoirs publics que des grands constructeurs et des fournisseurs dans l'apparition de certains accords. Ce document ne permet cependant pas à lui seul de déterminer clairement si une entente existait avant 1994, ni si les fournisseurs ont imposé l'entente aux grands constructeurs.

38 Par ailleurs, il convient de prendre également en compte d'autres éléments de preuve mentionnés dans la décision attaquée. Ainsi, dans une autre note interne du 9 février 1995, également saisie par la Commission lors des vérifications et versée au dossier administratif, deux salariés de SNV exposent la situation du marché néerlandais de la construction routière et soulignent notamment l'existence d'accords sur les prix et les marchés entre les grands constructeurs, qui bénéficiaient d'une remise spécifique, et les fournisseurs, au détriment des entités adjudicatrices et des autres constructeurs. Ces salariés qualifient la situation de " coopération entre deux cartels " et sont conscients qu'il existe un risque de sanction par la Commission. Ils indiquent que SNV a tenté de mettre fin à cette situation à partir de 1992, mais qu'elle n'y est pas parvenue, et examinent les possibilités d'évolution de la situation et les risques qui y sont liés (maintien de la coopération et suppression partielle ou totale de la coopération). Ce document confirme le caractère bilatéral de l'entente et infirme, en revanche, la théorie de la requérante selon laquelle une entente existait du seul côté des fournisseurs avant 1994, qui l'auraient imposée aux grands constructeurs. De plus, un rapport interne en date du 20 février 1992, saisi par la Commission lors des vérifications et versé au dossier administratif, de la société Wintershall AG, producteur de bitume routier destinataire de la décision attaquée par laquelle lui a été infligée une amende de 11,625 millions d'euro, fait état de contacts entre SNV et la requérante, cette dernière ayant demandé à SNV, en tant que " marketleader ", d'effectuer des propositions de coopération entre les fournisseurs et le W5, correspondant à un monopole d'achat. Le document indique que Wintershall avait signalé à la requérante, lors d'une visite de cette dernière dans ses locaux le 18 février 1992, que cette démarche était problématique au regard du droit des ententes. La requérante a essayé de remettre en cause la crédibilité de ce document en indiquant qu'elle n'entretenait que peu de contacts commerciaux avec Wintershall et qu'il était peu crédible qu'elle ait transmis une information aussi confidentielle à son interlocuteur. Néanmoins, il apparaît peu plausible que Wintershall ait délibérément retranscrit une information erronée dans un compte rendu purement interne de 1992. En tout état de cause, la seule circonstance, à la supposer établie, selon laquelle la requérante n'entretenait que peu de contacts commerciaux avec Wintershall ne saurait suffire à remettre en cause la valeur probante de ce document.

39 Le Tribunal estime, dès lors, que plusieurs documents concordants contemporains de l'infraction ou datant de la période ayant précédé sa mise en place permettaient à la Commission de considérer que l'entente n'avait pas trouvé son origine dans une entente antérieure mise en place par les fournisseurs et que ces derniers ne l'avaient pas imposée aux grands constructeurs.

40 La requérante reproche, en outre, à la Commission d'avoir renoncé, malgré les nombreux indices mentionnés dans la communication des griefs, à poursuivre les investigations relatives à des accords de répartition du marché qu'auraient conclus les fournisseurs aux Pays-Bas, à des échanges réguliers d'informations confidentielles entre les fournisseurs, relatives à l'utilisation des capacités de production, aux clients et aux prix, et à l'existence d'ententes dans d'autres pays d'Europe conclus par ces fournisseurs.

41 Il convient, tout d'abord, de souligner que, d'une part, l'existence d'éventuelles autres ententes entre les fournisseurs n'est pas incompatible avec la théorie de l'existence d'une entente bilatérale entre ces fournisseurs et le W5 et que, d'autre part, la Commission n'a pas exclu que les grands constructeurs aient participé à d'autres accords avec les fournisseurs (points 174 et 175 de la communication des griefs).

42 Par ailleurs, il ne saurait être fait grief à la Commission, dans le cadre de ce recours, de ne pas avoir inclus d'autres éventuels accords dans la décision attaquée. En effet, un tel argument, à le supposer fondé, ne saurait avoir une influence sur la légalité de la décision attaquée.

43 En tout état de cause, il y a lieu de rappeler la nature préliminaire de la communication des griefs, la fonction de ce document, telle que définie par les règlements de l'Union, consistant à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises pour qu'elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission adopte une décision définitive (arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T-352-94, Rec. p. II-1989, point 63 ; Cascades/Commission, T-308-94, Rec. p. II-925, point 42, et du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission, T-86-95, Rec. p. II-1011, point 442). Si la Commission doit ainsi adopter une décision finale fondée sur les seuls griefs au sujet desquels les parties ont pu faire valoir leurs observations (article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1-2003), elle n'est cependant pas tenue de reprendre tous les éléments mentionnés dans la communication des griefs, surtout si ces éléments devaient apparaître insuffisants. Dès lors, la décision ne doit pas nécessairement être une copie exacte de la communication des griefs (arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125, point 68).

44 En ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel la mise en place de l'entente du côté des grands constructeurs, dans les années 1990, aurait été une réaction à la restructuration du marché de l'asphalte par les pouvoirs publics néerlandais (mise en place d'un certificat d'origine dans le cahier des charges des marchés de construction routière qui rendait difficile tout changement de fournisseur pendant une année civile, diminution du nombre de centrales d'enrobage et mise en place de centrales détenues conjointement par plusieurs grands constructeurs), il y a lieu de souligner que la requérante n'a pas indiqué la raison pour laquelle ces évolutions de la réglementation nationale auraient conduit le W5 à mettre l'entente en place. Or, selon la jurisprudence, en l'absence d'une disposition réglementaire contraignante imposant un comportement anticoncurrentiel, la Commission ne peut conclure à une absence d'autonomie dans le chef des opérateurs mis en cause que s'il apparaît sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants que ce comportement leur a été unilatéralement imposé par les autorités nationales par l'exercice de pressions irrésistibles, telles que la menace de l'adoption de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes (arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Minoan Lines/Commission, T-66-99, Rec. p. II-5515, points 176 à 179). En l'espèce, la requérante n'a pas fourni d'élément permettant de considérer que les comportements qui lui sont reprochés aient trouvé leur origine dans la législation nationale néerlandaise.

45 Enfin, la circonstance, à la supposer établie, selon laquelle les grands constructeurs n'auraient jamais organisé d'accords de coopération pour l'achat d'autres matières premières est sans influence sur l'existence de la présente infraction.

46 Il convient donc de conclure que la Commission n'a pas commis d'erreur d'appréciation portant sur les intérêts des fournisseurs et ceux des grands constructeurs.

2. Sur la deuxième erreur de fait, relative au contenu des accords entre fournisseurs et grands constructeurs

a) Arguments des parties

47 La requérante estime que la Commission a erronément apprécié le contenu des accords passés entre les fournisseurs et les grands constructeurs. Ainsi, premièrement, les fournisseurs auraient toujours été seuls à l'origine des augmentations du prix brut du bitume routier aux Pays-Bas (ci-après le " prix brut "), les grands constructeurs n'ayant réussi qu'à une seule occasion, en mars 2000, à contester l'augmentation annoncée par les fournisseurs. Il ressortirait de nombreuses pièces du dossier, et notamment des déclarations de Kuwait Petroleum et de Nynas, fournisseurs de bitume destinataires de la décision attaquée par laquelle leur a été infligée une amende, respectivement, de 16,632 et 13,5 millions d'euro, que les fournisseurs prenaient toujours seuls l'initiative d'une hausse des prix et convoquaient les grands constructeurs afin de la leur imposer. Deuxièmement, la remise spécifique accordée par les fournisseurs au W5 était considérée comme justifiée d'un point de vue commercial en raison des quantités de bitume achetées par ces sociétés et elle ne constituait qu'un point de départ pour les négociations individuelles menées par chaque constructeur avec chaque fournisseur. Troisièmement, la requérante rappelle que de nombreux éléments du dossier administratif permettent de constater que les petits constructeurs se comportaient de la même manière que leurs concurrents plus importants dans leurs négociations avec les fournisseurs, en exigeant d'obtenir les prix les plus bas, et que le W5 se doutait que ces derniers leur accordaient une remise plus importante. La réaction du W5, lorsque, en 2000, il a découvert que les petits constructeurs avaient bénéficié d'une remise équivalente à la leur, aurait été d'exiger individuellement ou collectivement (mais cela n'aurait été le cas qu'à une seule occasion) une remise plus importante auprès des fournisseurs. En tout cas, la requérante affirme que le W5 ne disposait d'aucun moyen de contrôler le respect par les fournisseurs de leur engagement, voire de les sanctionner s'ils accordaient des remises plus élevées aux petits constructeurs. Quatrièmement, la requérante souligne que la Commission donne l'impression trompeuse que la remise accordée au W5 était toujours plus importante, alors que, en 2002, celle-ci était revenue au niveau de 1994 et que, en revanche, la hausse du prix brut a été constante pendant la période infractionnelle.

48 La Commission rejette les arguments de la requérante.

b) Appréciation du Tribunal

49 En ce qui concerne, premièrement, l'argument selon lequel plusieurs documents permettent d'établir que les fournisseurs étaient seuls à l'origine de l'augmentation du prix brut et que la remise accordée au W5 dépendait uniquement des quantités achetées, les grands constructeurs pouvant, par ailleurs, renégocier cette remise de manière individuelle avec chaque fournisseur, tout comme le faisaient les petits constructeurs, il convient de souligner la nécessité de prendre en compte les accords conclus entre le W5 et les fournisseurs de manière globale, ceux-ci concernant à la fois le prix brut, la remise minimale accordée au W5 et la remise maximale applicable aux petits constructeurs.

50 En premier lieu, plusieurs documents cités dans la décision attaquée attestent de la conclusion d'accords entre les deux parties sur le prix brut, celui-ci n'étant pas fixé de manière unilatérale par les fournisseurs et imposé aux grands constructeurs, comme le soutient la requérante. Ainsi, dans une note de la société Hollandsche Beton Groep (ci-après " HBG ") du 8 juillet 1994, constructeur routier aux Pays-Bas et destinataire de la décision attaquée, par laquelle lui a été infligée une amende de 7,2 millions d'euro, il est fait mention d'accords entre le W5 et les compagnies pétrolières sur le prix brut jusqu'au 1er janvier 1995 (considérant 94 de la décision attaquée). Par ailleurs, la note interne de SNV du 9 février 1995 fait également mention des accords sur les prix conclus entre le W5 et les fournisseurs (considérant 89 de la décision attaquée). De même, une note de SNV du 14 juillet 2000 fait référence à des accords collectifs sur le prix brut conclus entre les fournisseurs et le W5 en 1995 (considérant 90 de la décision attaquée). En outre, des notes de la requérante relatives à des réunions les 12 mars et 14 septembre 1999 font état des résultats de ces concertations en ce qui concerne le prix brut et la remise accordée au W5 (considérants 104 et 106 de la décision attaquée). Des notes de HBG de 1999 et 2000 se réfèrent également aux accords sur les augmentations de prix et les compensations et au rejet par le W5 de la proposition de majoration des prix des fournisseurs pour le 1er avril 2000 (considérants 107 et 110 de la décision attaquée). Des notes de HBG et de la requérante se réfèrent, par ailleurs, à une réunion du 1er mars 2001, au cours de laquelle les fournisseurs souhaitaient baisser le prix brut alors que le W5 préférait maintenir le prix brut en vigueur (considérants 115 et 116 de la décision attaquée). Enfin, dans sa réponse du 12 septembre 2003 à une demande de renseignements de la Commission comme dans sa réponse du 20 mai 2005 à la communication des griefs, la requérante a admis que les fournisseurs et le W5 avaient conclu des accords à partir des propositions de prix brut effectuées par les fournisseurs (considérant 97 de la décision attaquée).

51 Les déclarations de Kuwait Petroleum des 12 septembre, 1er octobre et 9 octobre 2003 et de Nynas du 2 octobre 2003 (considérant 70 de la décision attaquée), citées par la requérante, ne permettent pas de mettre en cause la conclusion selon laquelle le prix brut n'était pas fixé de manière unilatérale par les fournisseurs et imposé aux grands constructeurs. En effet, ces déclarations ne permettent que de conclure à l'existence de réunions préparatoires entre les fournisseurs au cours desquelles ces derniers s'accordaient sur les propositions de prix qui seraient faites aux grands constructeurs lors des réunions de l'entente.

52 En second lieu, la décision attaquée fait référence à de nombreux documents qui attestent que les négociations entre les fournisseurs et les grands constructeurs portaient également sur la remise accordée au W5 et la remise maximale accordée aux autres constructeurs routiers. C'est, par exemple, le cas de la réponse de la requérante du 12 septembre 2003 à une demande de renseignements de la Commission, dans laquelle celle-ci a indiqué que les discussions entre les fournisseurs et les grands constructeurs portaient à la fois sur les " barèmes de prix " et " les remises standard " (considérant 72 de la décision attaquée). De même, une note interne de HBG du 28 mars 1994 fait état du prix standard, de la remise accordée au W5 et d'une remise maximale accordée aux autres constructeurs (considérant 93 de la décision attaquée). Une note interne de HBG du 24 février 1994 montre également l'importance que les grands constructeurs accordaient au fait d'obtenir une remise non concédée aux petits constructeurs et d'éviter que la remise soit appliquée à l'ensemble des constructeurs (considérant 95 de la décision attaquée). En outre, un rapport interne de HBG du 14 septembre 1999 effectue un résumé des accords sur les " augmentations et les compensations " de 1999 conclus entre le W5 et les fournisseurs (considérant 107 de la décision attaquée). La réponse de Kuwait Petroleum du 16 septembre 2003 à une demande de renseignements de la Commission indique également que la réunion de concertation du 27 mars 1998 avait permis de traiter du prix brut et des remises (considérant 103 de la décision attaquée). Une note interne de la requérante relative à une réunion du 12 mars 1999 fait également référence au prix brut et à la remise convenue pour le W5 (considérant 104 de la décision attaquée). Des notes de HBG et de la requérante se réfèrent, par ailleurs, à la réunion du 1er mars 2001, en précisant le prix brut convenu, la remise accordée au W5 et celle accordée aux autres constructeurs (considérant 116 de la décision attaquée). Une note interne de la requérante du 23 mai 2001, confirmée par sa réponse du 12 septembre 2003 à une demande de renseignements, fait également état du prix brut et de la remise accordée au W5 (considérant 119 de la décision attaquée). Dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante, citant l'un de ses salariés, a, de même, indiqué que " les augmentations du prix standard ne constituaient pas un problème tant que les remises suivaient " (considérant 149 de la décision attaquée). Enfin, une analyse de SNV du 9 février 1995 indique l'importance pour le W5 de bénéficier d'une remise plus importante que celle accordée aux petits constructeurs (considérant 153 de la décision attaquée).

53 Ces différents éléments de preuve permettent d'établir que les accords conclus entre les grands constructeurs et les fournisseurs portaient à la fois sur le prix brut et sur la remise spécifique accordée au W5. La circonstance, à la supposer établie, selon laquelle des divergences et des conflits aient pu apparaître quant au niveau de ce prix et des remises lors de ces négociations entre les fournisseurs et les grands constructeurs ne suffit pas à établir l'affirmation de la requérante selon laquelle les fournisseurs auraient imposé les hausses du prix brut au W5.

54 En ce qui concerne, deuxièmement, l'argument de la requérante selon lequel la remise qui était accordée au W5 aurait été commercialement justifiée en raison des quantités achetées, il y a lieu d'examiner les quantités achetées individuellement par chaque membre du W5, et non la quantité globale achetée par l'ensemble de ses membres. Il ressort ainsi de la décision attaquée que les petits constructeurs ne bénéficiaient pas de la même remise que les membres du W5, alors même qu'ils achetaient parfois, individuellement, des quantités de bitume plus importantes que les membres du W5. Ainsi, dans une déclaration effectuée le 12 juillet 2002, un salarié de BP a indiqué que les fournisseurs méconnaissaient souvent les accords conclus avec le W5 en accordant une remise plus importante à certains petits constructeurs qui leur achetaient des quantités plus importantes de bitume. La Commission avait, d'ailleurs, déjà répondu à cet argument au considérant 157 de la décision attaquée, en soulignant, en outre, d'une part, que les grands constructeurs eux-mêmes avaient reconnu qu'ils négociaient en général une remise supplémentaire en fonction des quantités achetées individuellement et, d'autre part, que l'existence d'un mécanisme de sanctions en cas d'octroi aux petits constructeurs d'une remise supérieure à celle arrêtée dans les accords (et ce, même en considérant, comme l'affirme la requérante, que ce mécanisme n'ait été utilisé qu'une seule fois) constituait un indice supplémentaire de ce que la remise accordée au W5 n'était pas proportionnelle aux volumes achetés. Il ressort, par ailleurs, d'un document interne de HBG du 23 décembre 1999 que la remise accordée au W5 lors des réunions de concertation s'expliquait " en raison des quantités totales et de l'avantage sur ceux qui ne particip[ai]ent pas au système " (considérant 108 de la décision attaquée). Ces divers éléments, ainsi que l'importance accordée par le W5 au niveau de leur remise lors des réunions de l'entente (voir point 52 ci-dessus), permettent de considérer que la requérante n'a pas établi que la remise accordée au W5 dépendait des volumes achetés.

55 Troisièmement, il convient de préciser que la requérante ne saurait se prévaloir de la circonstance selon laquelle les petits constructeurs se comportaient de la même manière que leurs concurrents plus importants dans leurs négociations avec les fournisseurs, en exigeant d'obtenir les prix les plus bas, dès lors que, au regard du droit de la concurrence, la situation d'une entreprise qui négocie individuellement ses prix avec un fournisseur est différente de celle d'entreprises qui agissent de manière collective.

56 En outre, en ce qui concerne l'affirmation de la requérante selon laquelle le W5 ne disposait d'aucun moyen de contrôler le respect de leurs engagements par les fournisseurs, il y a lieu de relever que plusieurs éléments de preuve concordants permettent d'établir que le W5 avait mis en place un mécanisme de sanction dans l'hypothèse où les fournisseurs accorderaient aux petits constructeurs une remise supérieure à celle fixée (voir également points 94 à 96 ci-dessous). Il ressort, en effet, de la décision attaquée que la Commission s'est fondée sur plusieurs éléments concordants qui font état de sanctions financières individuelles ou, au moins une fois, collectives par le W5 à l'égard des fournisseurs accordant une remise trop importante aux petits constructeurs ainsi que de changements de fournisseur en cas de découverte d'une telle remise (considérants 82 à 86 de la décision attaquée). Ainsi, dans un rapport interne de Wintershall du 4 mars 1996 relatif à une visite à la société de construction Heijmans NV, il est fait état de ces sanctions pour l'année 1995 (considérant 82 de la décision attaquée). De même, un rapport de HBG relatif à la concertation du 14 septembre 1999 relate une interrogation sur la remise importante accordée à deux petits constructeurs (considérant 83 de la décision attaquée). En ce qui concerne l'année 2000, la requérante elle-même ainsi que BP font état d'une amende collective infligée aux fournisseurs à la suite de la découverte de la remise effectuée à Krekel, un petit constructeur (considérant 84 de la décision attaquée). Kuwait Petroleum et BP ont également confirmé dans leurs déclarations le mécanisme de sanctions en cas de découverte de l'attribution d'une remise trop importante à un petit constructeur (considérants 85 et 86 de la décision attaquée). Dans la note interne de SNV du 9 février 1995, il est également fait mention d'une menace de diminution des commandes de bitume en cas d'offres compétitives présentées à des constructeurs non membres du W5 (considérant 86 de la décision attaquée). Enfin, dans un document relatif à une concertation du 4 mai 2001, la requérante a également fait mention d'une amende infligée à Nynas en raison de sa politique des prix (considérant 117 de la décision attaquée), ce qui a été confirmé par Kuwait Petroleum dans sa déclaration du 12 septembre 2003 (considérant 118 de la décision attaquée).

57 En ce qui concerne, quatrièmement, l'argument de la requérante selon lequel le prix du bitume aurait augmenté de manière continue pendant la période infractionnelle, alors que la remise accordée au W5 aurait retrouvé en 2002 son niveau de 1994, celui-ci manque en fait. Il ressort, en effet, de l'annexe 1 de la décision attaquée que le prix brut a beaucoup fluctué de 1994 à 2002 et n'a pas systématiquement augmenté, des baisses, également, intervenant régulièrement. En ce qui concerne l'évolution de la remise spécifique accordée au W5, il ressort des documents mentionnés aux considérants 93 à 125 de la décision attaquée que celle-ci suivait généralement les hausses du prix brut et a ainsi continuellement augmenté au cours de la période 1998-2000, pour retrouver en 2002 un niveau proche de celui de 1994 [60 florins néerlandais (NGL) en 2002, 50 NGL en 1994]. La requérante ne saurait, dès lors, soutenir que la remise accordée au W5 était devenue proportionnellement moins importante que la hausse du prix brut.

58 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Commission n'a pas commis d'erreur d'appréciation concernant le contenu des accords entre fournisseurs et grands constructeurs et qu'il convient de rejeter ce deuxième argument.

3. Sur la troisième erreur de fait, tirée de l'appréciation erronée de l'intérêt des grands constructeurs à l'entente

a) Arguments des parties

59 La requérante estime que la Commission a commis une erreur d'appréciation de l'intérêt du W5 à l'entente. Ainsi, dans la décision attaquée, la Commission, d'une part, aurait renoncé à la théorie présentée dans la communication des griefs, selon laquelle le W5 avait un intérêt à maintenir le prix brut artificiellement haut, et, d'autre part, aurait présenté une nouvelle théorie. Selon la Commission, qui se serait fondée sur une note de SNV du 6 février 1995, les membres du W5 auraient eu intérêt à ce que les prix du bitume augmentent de manière simultanée et substantielle, afin de faire progresser l'indice établi par un organisme sans but lucratif chargé de publier les prix du bitume routier, mais ils auraient également tiré un bénéfice d'une diminution des prix du bitume à la condition que celle-ci soit progressive et étalée dans le temps. En effet, une telle diminution n'aurait pas entraîné de baisse de l'indice en question et leur aurait permis de ne pas répercuter cette baisse sur les entités adjudicatrices. La requérante, tout en affirmant ne pas avoir une connaissance détaillée du mode de fixation de cet indice, indique savoir que cet indice était révisé mensuellement sur la base des données relatives à l'ensemble des prix d'achat, collectées directement par l'organisme chargé de l'établir et individuellement auprès d'un certain nombre de centrales d'enrobage, et avoir constaté que l'évolution effective de cet indice ne permettait pas de corroborer la théorie de la Commission. Elle indique également que les grands constructeurs ne se seraient pas opposés à une baisse du prix brut du bitume lors de la réunion du 12 avril 2000, mais que, à la suite de leur tentative de retrait des réunions de concertation avec les fournisseurs, ceux-ci les avaient menacés de réduire concomitamment le prix brut et la remise qui leur était accordée, ce à quoi ils s'étaient opposés. Le même phénomène se serait d'ailleurs reproduit en mars 2001. Par ailleurs, elle souligne qu'une hausse de prix intervenant au cours de la saison des chantiers routiers ne présente que des inconvénients pour un constructeur, car seuls 5 % des chantiers comportaient une clause de dédommagement liée à l'évolution du prix des matières premières. Elle précise, en outre, qu'il était parfois possible pour un constructeur de répercuter cette hausse de prix du bitume en l'absence de clause spécifique, mais que cette possibilité valait pour l'ensemble des constructeurs, y compris les petits constructeurs. Enfin, elle indique que les augmentations de prix survenant au début de la saison des chantiers routiers pouvaient être répercutées plus facilement et que l'ensemble des constructeurs avaient dès lors intérêt à une stabilité des prix au cours de cette saison, alors même que les fournisseurs souhaitaient augmenter leurs prix à tout moment.

60 La Commission rejette l'ensemble des arguments de la requérante.

b) Appréciation du Tribunal

61 Le juge de l'Union a déjà considéré que des participants à une même entente pouvaient avoir des intérêts économiques complémentaires (arrêt du Tribunal du 13 décembre 2006, FNCBV e.a./Commission, T-217-03 et T-245-03, Rec. p. II-4987, point 322). En l'espèce, la Commission a considéré que les fournisseurs comme le W5 avaient un intérêt commun à l'existence d'accords sur le prix brut et les remises, ceux-ci ayant eu pour effet de restreindre la concurrence du côté des fournisseurs et des grands constructeurs. La requérante estime que la Commission a commis une erreur d'appréciation de l'objectif du W5, qui n'était pas de nuire au consommateur final, mais de limiter les effets des hausses de prix imposées par les fournisseurs.

62 Il convient de rappeler, tout d'abord, conformément au point 31 ci-dessus, qu'il n'est pas nécessaire d'examiner si l'entreprise accusée avait un intérêt commercial auxdits accords lorsque la Commission a réussi à réunir des preuves documentaires à l'appui de l'infraction alléguée et que ces preuves apparaissent suffisantes pour démontrer l'existence d'un accord de nature anticoncurrentielle (arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, point 31 supra, point 46). Ce n'est donc qu'à titre subsidiaire que le Tribunal examine la question d'une appréciation erronée de l'objectif du W5.

63 À titre préalable, il convient de rappeler brièvement le fonctionnement du Centrum voor regelgeving en onderzoek in de grond-, water- en wegenbouw en de Verkeerstechniek (CROW, Centre pour la régulation et la recherche en matière d'ingénierie civile et de trafic), organisme sans but lucratif qui était notamment chargé de publier mensuellement les prix du bitume routier depuis les années 1970 (considérants 25 et 26 de la décision attaquée), à partir des éléments sur lesquels les parties se sont accordées.

64 La publication du prix du bitume routier par le CROW s'effectuait, jusqu'au 1er novembre 1995, après consultation des producteurs d'asphalte. Après cette date, le calcul était effectué par le CBS (bureau central de la statistique), organe gouvernemental, à partir d'une étude de marché portant sur plusieurs centrales d'enrobage, soit avant l'application d'une éventuelle remise aux constructeurs, et cet indice des prix, publié par le CROW (ci-après l'" indice CROW"), servait de référence pour les marchés de construction routière à long terme comportant une clause de règlement des risques. En effet, pour ces marchés, en cas d'augmentation de l'indice CROW au-delà d'un certain seuil, les pouvoirs adjudicateurs étaient tenus d'indemniser les constructeurs. À l'inverse, en cas de baisse de l'indice CROW en deçà d'un certain seuil, les constructeurs devaient dédommager les pouvoirs adjudicateurs. Il en résulte que les constructeurs n'étaient, dès lors, pas défavorisés par une hausse des prix lorsque ceux-ci augmentaient de manière simultanée, faisant ainsi augmenter l'indice CROW. En revanche, les constructeurs n'avaient pas intérêt à une baisse de prix, qui, si elle entraînait une baisse de l'indice CROW, les obligeait à rembourser leur cocontractant du différentiel de prix.

65 La requérante, tout en soutenant ne pas connaître précisément le mécanisme de calcul de l'indice CROW, a fourni devant le Tribunal un document retraçant l'évolution effective de cet indice entre 1997 et 2005, en soutenant qu'il infirmait la théorie exposée par la Commission aux considérants 25 et 26 de la décision attaquée, selon laquelle les fournisseurs augmentaient leurs prix de manière simultanée et substantielle et ne les baissaient que de manière très progressive. Ce document ne fournit cependant aucune indication sur le fait de savoir si les prix augmentaient de manière simultanée et diminuaient de manière disjointe. Il permet uniquement de constater que, au cours de la période 1997-2005, l'indice CROW relatif au prix du bitume a constamment augmenté, à l'exception de la période allant du mois de février 1998 au mois d'avril 1999. L'annexe 1 de la décision attaquée confirme d'ailleurs que, sur l'ensemble de la période infractionnelle, le prix brut du bitume routier a augmenté de 253 NGL. Ainsi, le Tribunal estime que l'examen du fonctionnement de cet indice conforte l'explication de la Commission selon laquelle, pour les contrats comportant une clause de règlement des risques, les constructeurs n'étaient pas pénalisés par une hausse des prix et n'avaient, en revanche, pas intérêt à une baisse des prix. Il n'est cependant pas indispensable de déterminer le mécanisme exact de calcul de cet indice, qui fait débat entre les parties, afin de pouvoir apprécier l'intérêt du W5 à l'entente.

66 La requérante conteste, par ailleurs, l'affirmation de la Commission selon laquelle les grands constructeurs se seraient opposés à une baisse du prix brut du bitume en 2000 et en 2001. Il ressort cependant des notes prises par un salarié de la requérante lors de la réunion de l'entente du 12 avril 2000, dont la Commission fait état au considérant 111 de la décision attaquée, que les grands constructeurs étaient inquiets d'une baisse du prix brut qui leur coûterait cher, en raison d'une baisse de l'indice CROW. La requérante indique qu'il convient de replacer ce document dans son contexte, à savoir que les grands constructeurs avaient indiqué aux fournisseurs qu'ils souhaitaient se retirer de l'entente, ce à quoi les fournisseurs avaient répondu en les menaçant de réduire brutalement le prix brut ainsi que la remise spécifique qui leur était accordée. Cette affirmation n'est cependant étayée par aucun élément de preuve et, en tout état de cause, ne permet pas de considérer que la Commission aurait commis une erreur d'appréciation en estimant que les grands constructeurs ne souhaitaient pas voir baisser les prix du bitume ni leur remise spécifique.

67 En ce qui concerne l'année 2001, la Commission a indiqué, aux considérants 115 et 116 de la décision attaquée, qu'il ressortait de documents de HBG et de la requérante que les fournisseurs souhaitaient réduire le prix brut en raison du différentiel de prix avec les pays voisins, alors que le W5 avait proposé de maintenir le prix brut et d'accroître sa remise, et qu'il a finalement été décidé de réduire légèrement le prix brut (- 20 NGL) et de maintenir la remise à un niveau élevé (80 NGL). À cet égard, la requérante estime que la Commission a commis une erreur d'appréciation des faits, dès lors qu'il ressort de ces documents que les fournisseurs souhaitaient maintenir le niveau des prix après remise, mais voulaient réduire le prix brut ainsi que leur remise. Il convient cependant de souligner que la Commission a utilisé ces documents afin d'établir que les grands constructeurs n'avaient pas intérêt à une baisse du prix brut ni à une baisse de leur remise spécifique et qu'ils n'étaient, ainsi, pas de simples victimes des fournisseurs.

68 Par ailleurs, la requérante tente de minimiser l'importance de l'indice CROW en indiquant que seuls 5 % des marchés publics comportaient une clause de dédommagement liée à l'évolution du prix des matières premières. La Commission précise que, selon un autre constructeur membre du W5, 10 à 15 % des marchés publics comportaient une telle clause. En tout état de cause, le Tribunal relève qu'il ressort de nombreux documents que cette question faisait l'objet de discussions lors des réunions de l'entente [considérants 94 (note de HBG du 8 juillet 1994), 101 (note interne de BP de 1996), 107 (rapport de HBG du 14 septembre 1999), 111 (notes de la requérante du 12 avril 2000) et 115 (notes de HBG du 16 février 2001) de la décision attaquée], ce qui permet de la considérer comme un élément central des négociations, quel que soit le nombre de marchés publics concernés. De plus, la requérante a, elle-même, fait référence à ce type de clauses dans sa réponse du 12 septembre 2003 à une demande de renseignements du 30 juin 2003, en indiquant qu'une remise spécifique lui avait été accordée pour les travaux pour lesquels aucune imputation n'avait été contractuellement convenue en cas d'augmentation du prix du bitume.

69 En outre, la requérante indique, d'une part, que, s'il était parfois possible pour un constructeur de répercuter une hausse de prix du bitume sur le pouvoir adjudicateur en l'absence de clause de règlement des risques, cette possibilité valait pour l'ensemble des constructeurs, y compris les petits constructeurs, et, d'autre part, qu'une augmentation de prix survenant au début de la saison pouvait être répercutée plus facilement par l'ensemble des constructeurs et que tous avaient ainsi intérêt à une stabilité des prix au cours de la saison. Cet argument ne saurait cependant suffire à remettre en cause l'appréciation de la Commission concernant l'intérêt du W5 à l'entente. En effet, au regard du droit de la concurrence, il convient d'opérer une distinction entre, d'une part, les négociations effectuées de manière bilatérale entre deux entreprises et, d'autre part, les accords collectifs sur les prix et sur les remises spécifiques, conclus de manière collective. La circonstance selon laquelle les petits constructeurs avaient également intérêt à des variations de prix intervenant au début de la saison des chantiers routiers ne suffit pas à neutraliser l'impact négatif, au regard des règles de concurrence, de la remise plus importante accordée au W5.

70 Enfin, il y a lieu de souligner que la requérante a, elle-même, indiqué dans sa réponse à la communication des griefs que les membres du W5 pouvaient accepter une hausse du prix brut à la condition qu'ils obtiennent une remise plus importante que les petits constructeurs (considérant 149 de la décision attaquée).

71 Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que les fournisseurs et le W5 avaient un intérêt commun à l'existence d'accords sur le prix brut et sur les remises et que l'intérêt des grands constructeurs s'explique à la fois par le mécanisme des clauses de règlement des risques dans les marchés publics et par la remise spécifique dont ils bénéficiaient, qui leur procurait un avantage concurrentiel par rapport aux petits constructeurs pour l'obtention des marchés publics. Dès lors, la Commission n'a pas commis d'erreur d'appréciation de l'intérêt du W5 à l'entente.

4. Sur la quatrième erreur de fait, tirée de l'absence d'impact de l'entente sur la concurrence sur le marché de la construction routière

a) Arguments des parties

72 La requérante fait grief à la Commission d'avoir considéré que le prix du bitume constituait un facteur de coût très important pour les entreprises de construction routière, alors même qu'elle avait indiqué dans sa réponse à la communication des griefs que le coût d'achat du bitume ne représentait qu'environ 1,5 % du coût total d'un chantier routier et que les autres constructeurs membres du W5 ont confirmé ce chiffre à la Commission. Les différences de prix liées à la remise spécifique accordée au W5 ne s'élevant qu'à 1 %, elle suppose que la Commission n'a maintenu cette fausse affirmation qu'afin de démontrer le caractère bilatéral de l'entente. Par ailleurs, elle estime que le fait que les grands constructeurs exigeaient une remise importante ne relevait que de leur stratégie d'achat et ne constituait pas un instrument de limitation de la concurrence. Enfin, elle considère que la Commission ne saurait apporter un élément de preuve au stade de la procédure juridictionnelle.

73 La Commission réfute les arguments de la requérante.

b) Appréciation du Tribunal

74 Il convient de rappeler, à titre préalable, que l'objet et l'effet anticoncurrentiels d'un accord sont des conditions non pas cumulatives, mais alternatives, pour apprécier si un tel accord relève de l'interdiction énoncée à l'article 81, paragraphe 1, CE. Or, le caractère alternatif de cette condition, marqué par la conjonction " ou ", conduit à la nécessité de considérer en premier lieu l'objet même de l'accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué. Au cas cependant où l'analyse de la teneur de l'accord ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence, il conviendrait alors d'en examiner les effets et, pour le frapper d'interdiction, d'exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible. Il n'est par ailleurs pas nécessaire d'examiner les effets d'un accord dès lors que l'objet anticoncurrentiel de ce dernier est établi (arrêt de la Cour du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C-501-06 P, C-513-06 P, C-515-06 P et C-519-06 P, Rec. p. I-9291, point 55). En l'espèce, la Commission était donc uniquement tenue d'établir que les accords avaient pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, sans être tenue de démontrer les effets anticoncurrentiels concrets desdits accords.

75 Il ressort de la décision attaquée que la Commission a estimé que les accords fixant le prix brut du bitume, une remise spécifique minimale accordée au W5 ainsi qu'une remise maximale accordée aux petits constructeurs visaient à porter atteinte à la concurrence dans le secteur de la construction routière et que la prise en considération des effets concrets desdits accords était dès lors superflue pour apprécier s'ils relevaient de l'interdiction énoncée à l'article 81, paragraphe 1, CE (considérants 155 à 160). La Commission n'a donc examiné les effets desdits accords, aux considérants 79 à 86 et 169 à 174, qu'à titre subsidiaire.

76 La requérante considère que la Commission a commis une erreur d'appréciation de l'impact de l'entente sur le marché de la construction routière, notamment en raison de la faible part du coût d'achat du bitume dans le coût total d'un chantier (1,5 %). La Commission remet ce chiffre en cause en indiquant que la requérante a utilisé une méthode de calcul très extensive et qu'un document public de l'office statistique néerlandais soulignait, en 2006, l'impact du prix du bitume sur les coûts des travaux routiers. La requérante conteste la recevabilité de ce document comme élément de preuve, dès lors qu'il n'a été apporté qu'au stade de la procédure juridictionnelle.

77 Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de ce document, il suffit de constater que, en l'espèce, la Commission s'est fondée sur d'autres éléments afin d'établir que la remise spécifique accordé au W5 avait un impact sur la concurrence dans le secteur de la construction routière. En effet, dans la décision attaquée, sans chiffrer la part du coût du bitume dans la construction routière, elle a néanmoins relevé que " l'important pour le W5 était moins le niveau absolu du prix net du bitume que le fait qu'il bénéficiait d'un avantage relatif par rapport aux constructeurs routiers ne faisant pas partie du W5 ", cet avantage relatif pouvant " lui permettre de remporter des appels d'offres publics pour les travaux nécessitant une consommation relativement élevée de bitume " (considérants 70 et 153 de la décision attaquée). Cette affirmation repose sur plusieurs documents concordants du dossier administratif. En premier lieu, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante a ainsi indiqué que " les prix nets du bitume représent[ai]ent par conséquent le coût de revient réel du bitume pour le constructeur routier individuel " et que, " [p]our ce dernier, ces prix [étaie]nt donc le point de départ du calcul du coût de revient d'une tonne d'asphalte en tant que composant d'un chantier de construction routière ". En deuxième lieu, dans sa note interne du 9 février 1995, SNV avait souligné que le W5 " attachait une grande importance à la possibilité d'avoir les prix d'achat les plus bas par rapport à la concurrence ", le niveau absolu de prix étant beaucoup moins important. En troisième lieu, dans sa déclaration du 9 octobre 2003, Kuwait Petroleum a précisé que les grands constructeurs pouvaient savoir si un fournisseur avait méconnu les accords de l'entente en offrant une remise plus importante à un petit constructeur grâce au Cobouw, quotidien néerlandais répertoriant les appels d'offres et les résultats des adjudications dans le secteur de la construction aux Pays-Bas (considérant 70 de la décision attaquée). Enfin, dans un compte rendu, en date du 31 octobre 2001, d'une visite à Van Kessel, un petit constructeur, Veba, un fournisseur, a confirmé que le plus important, pour ce constructeur, n'était pas le prix absolu, mais d'obtenir le prix le plus bas possible.

78 Le Tribunal estime, dès lors, que ces éléments permettent d'établir que la remise spécifique accordée au W5 avait un impact sur la concurrence dans le secteur de la construction routière, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la part exacte du coût du bitume dans le coût total d'un chantier routier.

79 La requérante estime, par ailleurs, que le fait que les grands constructeurs exigeaient une remise importante ne relevait que de leur stratégie d'achat, qui était efficace, mais qui ne constituait pas un instrument de limitation de la concurrence. Il convient cependant de rappeler que, au regard du droit de la concurrence, les accords collectifs sur les prix et les remises spécifiques conclues de manière collective sont en principe interdits et ne relèvent pas d'une simple stratégie commerciale, contrairement à de simples négociations commerciales effectuées de manière bilatérale entre deux entreprises.

80 Il ressort de ce qui précède que la Commission n'a pas commis d'erreur d'appréciation de l'impact de l'entente sur le marché de la construction routière.

5. Sur la cinquième erreur de fait, relative au fonctionnement de l'entente : origine et évolution dans le temps de l'entente et mécanisme de sanctions

a) Arguments des parties

81 La requérante considère que la Commission a commis trois erreurs de fait relatives au fonctionnement de l'entente.

82 En premier lieu, alors que plusieurs déclarations concordantes de fournisseurs (BP, Kuwait Petroleum et Nynas) ainsi qu'un document interne de la requérante établiraient que seuls les fournisseurs auraient été à l'initiative de l'entente, la Commission aurait choisi de citer les déclarations contraires de SNV dans la décision attaquée.

83 En deuxième lieu, la Commission se serait méprise sur l'évolution dans le temps de l'entente. Ainsi, aucune discussion n'aurait eu lieu entre le W5 et les fournisseurs avant 1996, date à partir de laquelle avaient lieu des réunions qui n'étaient que des formalités, celles-ci ne différant pas des discussions bilatérales entre un fournisseur et un acheteur individuel, notamment de celles menées par chaque petit constructeur. Ce ne serait qu'à partir de 1999 que la situation aurait évolué, le W5 ayant jugé utile d'arrêter une position commune avant chaque réunion avec les fournisseurs en raison de la forte évolution des prix du bitume et de la découverte d'une remise importante accordée aux petits constructeurs.

84 En troisième lieu, la Commission aurait mal apprécié le rôle des grands constructeurs dans l'application du mécanisme de sanctions. En effet, ces derniers n'auraient exigé qu'une seule fois, en avril 2000, une remise collective supplémentaire à la suite de la découverte d'une remise importante accordée aux petits constructeurs. À cette occasion, la société ExxonMobil, que la Commission a pourtant considérée comme ne faisant pas partie de l'entente, aurait également accordé une remise supplémentaire au W5. La Commission ne disposerait d'aucun élément permettant d'établir qu'un mécanisme de sanctions aurait été mis en œuvre à une autre occasion. Par ailleurs, plusieurs éléments figurant dans le dossier de la Commission permettraient de constater que les petits constructeurs exigeaient, eux aussi, de bénéficier des prix après remise les plus bas du marché.

85 La Commission réfute l'ensemble de ces arguments.

b) Appréciation du Tribunal

86 En ce qui concerne le premier argument concernant les éléments de preuve relatifs à l'origine de l'entente, la Commission s'est fondée sur plusieurs documents concordants pour attribuer conjointement aux fournisseurs et aux grands constructeurs l'origine de l'entente. Il convient de rappeler, à titre préalable, que les déclarations de fournisseurs mentionnées au considérant 70 de la décision attaquée et dont la requérante cherche à se prévaloir ne concernent que les réunions préparatoires des fournisseurs et qu'elles ne fournissent aucun élément relatif à l'origine de l'entente.

87 Plusieurs documents contemporains du début de l'entente permettent, en revanche, de corroborer la thèse de la Commission selon laquelle le W5 était intéressé par la mise en place de l'entente au même titre que les fournisseurs. Ainsi, dans la note interne de SNV du 6 février 1995, il est fait état de l'inquiétude des grands constructeurs face à l'instabilité des prix du bitume en 1994 qui " mettait en péril le prix CROW et les mises en adjudication ". Par ailleurs, une note interne du 9 février 1995 de SNV confirme le caractère bilatéral de l'entente, qu'elle qualifie de " coopération entre deux cartels ". De même, un rapport de Wintershall du 20 février 1992 mentionne le fait que la requérante a pris contact avec SNV afin de lui demander d'effectuer des propositions sur les possibilités de coopération future entre les fournisseurs et le W5. Enfin, dans une note interne du 8 juillet 1994, HBG fait état de son inquiétude face à la décision des fournisseurs de ne pas suivre les accords conclus en mars 1994.

88 Le Tribunal estime que la Commission a considéré à juste titre que ces documents permettaient d'établir que le W5 était, conjointement avec les fournisseurs, à l'origine de l'entente. Les instructions du secrétariat interne de la requérante, dont cette dernière cherche à se prévaloir, dans lesquelles il est indiqué que l'initiative des concertations des grands constructeurs avec les fournisseurs émanait de SNV, et qui concernent plutôt la question de l'identité du meneur de l'entente, ne sauraient, à elles seules, remettre en cause la conclusion tirée de l'examen des documents susmentionnés.

89 Dans le cadre du deuxième argument, la requérante reproche à la Commission d'avoir apprécié de façon erronée l'évolution de l'entente dans le temps. Il ressort cependant de la décision attaquée que plusieurs éléments de preuve concordants permettent d'attester de l'existence et de l'évolution de l'infraction de 1994 à 2002 (considérants 93 à 126).

90 Ainsi, pour les années 1994 et 1995, la Commission a fait état d'éléments prouvant l'existence des accords entre les fournisseurs et le W5 ainsi que la mise en œuvre de ces accords (considérants 93 à 99 de la décision attaquée).

91 En outre, selon la décision attaquée, si le mécanisme de conclusion des accords a été modifié en 1996, SNV et la requérante n'étant à partir de cette date plus chargées de conclure seules un accord pour le compte de l'ensemble des participants à l'entente, ce changement organisationnel n'a cependant pas affecté les éléments sur lesquels portait l'entente (considérant 100).

92 De même, aucun élément ne permet de considérer que les réunions de l'entente auraient changé de nature en 1999, et notamment que ce ne serait qu'à partir de cette date que les grands constructeurs se seraient réunis afin de préparer les réunions avec les fournisseurs. Ainsi, il ressort notamment de la réponse de la requérante du 12 septembre 2003 à une demande de renseignements que les membres du W5 se rencontraient immédiatement avant (ou après) les concertations avec les fournisseurs afin de préparer (ou d'évaluer) collectivement la concertation (considérant 72 de la décision attaquée). Plusieurs fournisseurs ont également confirmé que les grands constructeurs se réunissaient avant la réunion de l'entente afin de la préparer (considérants 73 à 75 de la décision attaquée). Par ailleurs, la circonstance selon laquelle les relations entre les deux groupes de l'entente seraient devenues plus tendues à compter de 1999 est sans influence sur la qualification de ces réunions au regard du droit de la concurrence. Enfin, l'argument de la requérante tendant à qualifier les réunions s'étant tenues les premières années de l'entente de simples discussions bilatérales entre fournisseurs et acheteurs doit être rejeté, des accords collectifs sur les prix et les remises spécifiques conclues de manière collective ne pouvant être comparés à des négociations commerciales effectuées de manière bilatérale entre deux entreprises.

93 À propos du troisième argument, la requérante considère que la Commission a surestimé le rôle joué par le W5 dans le mécanisme de sanctions, celui-ci n'étant intervenu qu'une seule fois, en 2000. Elle estime, en outre, que les menaces régulières du W5 de changer de fournisseurs constituaient un comportement commercial identique à celui adopté par les petits constructeurs.

94 Il ressort cependant de la décision attaquée que la Commission s'est fondée à juste titre sur plusieurs éléments concordants qui font état de sanctions financières individuelles ou, au moins une fois, collectives par le W5 à l'égard des fournisseurs accordant une remise trop importante aux petits constructeurs ainsi que de changements de fournisseur en cas de découverte d'une telle remise. Ainsi, dans un rapport interne de Wintershall du 4 mars 1996, relatif à une visite à Heijmans, il est fait état de ces sanctions pour l'année 1995 (considérant 82 de la décision attaquée). De même, un rapport de HBG relatif à la concertation du 14 septembre 1999 relate une interrogation sur la remise importante accordée à deux petits constructeurs (considérant 83 de la décision attaquée). En ce qui concerne l'année 2000, la requérante elle-même ainsi que BP font état d'une amende collective infligée aux fournisseurs à la suite de la découverte de la remise effectuée à Krekel, un petit constructeur (considérant 84 de la décision attaquée). Kuwait Petroleum a également confirmé le mécanisme de sanctions dans ses déclarations du 9 octobre 2003 (considérant 85 de la décision attaquée). BP a de même déclaré, le 16 septembre 2003, en réponse à une demande de renseignements, que la requérante avait renoncé à se fournir auprès de Veba, en 2002, à la suite de la découverte d'une remise importante accordée à un petit constructeur (considérant 86 de la décision attaquée). Dans la note interne de SNV du 9 février 1995, il est également fait mention d'une menace de diminution des livraisons de bitume en cas d'offres compétitives présentées à de grands constructeurs non membres du W5 (considérant 86 de la décision attaquée). Dans sa déclaration du 12 septembre 2003, Kuwait Petroleum a confirmé que, si un fournisseur accordait à un petit constructeur une remise supérieure à celle fixée, le W5 menaçait de ne plus s'approvisionner auprès de ce fournisseur (considérant 86 de la décision attaquée). Enfin, dans un document relatif à la concertation du 4 mai 2001, la requérante a également fait mention d'une amende infligée à Nynas en raison de sa politique de prix (considérant 117 de la décision attaquée), ce qui a été confirmé par Kuwait Petroleum dans sa déclaration du 12 septembre 2003 (considérant 118 de la décision attaquée). Le fait que Nynas a indiqué, dans sa réponse écrite à certaines questions de la Commission, qu'une sanction collective ne serait intervenue qu'une seule fois ne suffit pas à infirmer l'existence d'une sanction individuelle prise à son égard.

95 Le Tribunal estime que la Commission a pu considérer à juste titre que ces documents faisaient référence, de manière précise, au mécanisme de l'amende collective infligée aux fournisseurs par le W5 en ce qui concerne l'année 2000. Par ailleurs, ils montrent, dans leur ensemble, qu'il existait un mécanisme individuel et collectif de sanctions en cas de non-respect des accords de l'entente pendant l'ensemble de sa durée. Les sanctions consistaient soit en un arrêt des commandes au fournisseur ayant enfreint lesdits accords, soit en une amende infligée au fournisseur fautif ou à l'ensemble des fournisseurs.

96 Il ressort, dès lors, de l'ensemble de ce qui précède que la Commission n'a pas commis d'erreur d'appréciation en ce qui concerne l'origine de l'entente, son évolution dans le temps et le mécanisme de sanctions.

6. Sur la sixième erreur de fait, relative au rôle d'ExxonMobil dans l'entente

a) Arguments des parties

97 La requérante estime que la Commission a commis une erreur de fait en abandonnant toute référence à ExxonMobil dans la décision attaquée alors que, dans la communication des griefs, elle avait considéré qu'ExxonMobil s'était totalement conformée aux accords de l'entente, dont elle était régulièrement informée. À titre d'exemple, ExxonMobil avait pris à sa charge une part importante de la remise supplémentaire accordée au W5 à titre de sanction en avril 2000, comme le montrerait la note de crédit transmise à la requérante par ExxonMobil le 15 novembre 2000. Cet élément serait important pour comprendre le fonctionnement de l'entente, qui regroupait l'ensemble des fournisseurs.

98 La Commission rappelle qu'elle ne disposait pas de preuves suffisantes afin d'établir la participation d'ExxonMobil à l'entente.

b) Appréciation du Tribunal

99 Il apparaît que l'argument soulevé par la requérante est inopérant, dès lors que, même à le supposer fondé, il serait insusceptible d'exercer une influence sur la légalité de la décision attaquée en tant qu'elle concerne la requérante (arrêts du Tribunal du 5 juin 1996, Günzler Aluminium/Commission, T-75-95, Rec. p. II-497, point 55 ; du 27 février 1997, FFSA e.a./Commission, T-106-95, Rec. p. II-229, point 199, et du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission, T-126-99, Rec. p. II-2427, point 49). En effet, à supposer qu'il existe suffisamment de preuves de la participation d'ExxonMobil à l'entente, cet élément ne suffirait pas à remettre en cause l'existence de l'infraction ni la participation de la requérante à cette infraction. S'il était établi qu'ExxonMobil avait également participé à l'entente et, donc, que l'ensemble des fournisseurs du marché avait pris part à l'entente, cela ne modifierait pas l'appréciation de la Commission sur l'existence de faits constitutifs d'une infraction à l'article 81, paragraphe 1, CE ou la participation de la requérante à cette infraction.

100 Il convient, dès lors, de rejeter cet argument et, partant, l'ensemble des arguments de la requérante faisant état d'erreurs de fait commises par la Commission dans la décision attaquée, soulevés au soutien de ses conclusions tendant à l'annulation de cette dernière.

C - Erreurs de droit

1. Remarques introductives

101 La requérante reproche à la Commission d'avoir commis cinq erreurs de qualification juridique des faits au regard de l'article 81 CE. Elle souligne notamment que la Commission a accordé plus d'attention à la remise spécifique accordée au W5 qu'à l'entente sur les prix et la répartition du marché mise en place par les seuls fournisseurs.

102 Cet argument manque en fait. En effet, il ressort des considérants 155 à 159 de la décision attaquée que la Commission a examiné les différents éléments des accords (fixation des prix, remise uniforme pour le W5, remise moins importante pour les autres constructeurs) au regard des dispositions de l'article 81, paragraphe 1, CE, sans privilégier un élément au détriment d'un autre.

2. Sur la première erreur de qualification juridique des faits, tirée de l'absence de participation des grands constructeurs à l'entente des fournisseurs

a) Arguments des parties

103 La requérante considère que, dans son appréciation du comportement des grands constructeurs au regard de l'article 81 CE, la Commission leur a, à tort, imputé l'ensemble des comportements des fournisseurs. La seule circonstance selon laquelle ils n'auraient pas porté plainte contre les fournisseurs auprès d'une autorité de la concurrence ne saurait suffire à les rendre auteurs de l'infraction.

104 La Commission rappelle que les intérêts des fournisseurs et ceux des grands constructeurs se recoupaient suffisamment pour justifier un comportement anticoncurrentiel de ces deux parties.

b) Appréciation du Tribunal

105 Le Tribunal rappelle qu'il convient de prendre en compte les accords conclus entre le W5 et les fournisseurs de manière globale, ceux-ci concernant à la fois le prix brut, la remise minimale accordée au W5 et la remise maximale applicable aux petits constructeurs (voir points 44 à 53 ci-dessus), et que la Commission a pu procéder à juste titre à cette appréciation globale des accords en cause afin de les qualifier au regard des dispositions de l'article 81, paragraphe 1, CE. Cette appréciation globale des accords ne saurait cependant être assimilée à une imputation du comportement des fournisseurs aux grands constructeurs.

3. Sur la deuxième erreur de qualification juridique des faits, tirée de l'absence d'objet anticoncurrentiel de l'entente

a) Arguments des parties

106 La requérante estime que la Commission n'a pas établi que le comportement du W5 avait un objet anticoncurrentiel, au détriment des consommateurs finals.

107 En effet, d'une part, le juge de l'Union aurait rappelé que, si un accord visant à limiter le commerce parallèle devait en principe être considéré comme ayant pour objet de restreindre la concurrence, c'est en tant qu'il peut être présumé qu'il prive les consommateurs finals de ses avantages (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services/Commission, T-168-01, Rec. p. II-2969, point 121). Or, le seul objectif du W5 aurait été d'obtenir la remise la plus avantageuse possible, ce qui aurait été rendu possible par le volume des achats effectués par l'ensemble des membres du W5 et qui aurait finalement bénéficié aux consommateurs finals.

108 D'autre part, la requérante souligne que la recherche d'une stabilité des prix d'achat ne constitue pas, en tant que telle, un objectif de restriction de concurrence.

109 La Commission rejette les arguments de la requérante.

b) Appréciation du Tribunal

110 Il y a lieu de rappeler que, pour relever de l'interdiction énoncée à l'article 81, paragraphe 1, CE, un accord doit avoir " pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ". Selon une jurisprudence constante, le caractère alternatif de cette condition, marqué par la conjonction " ou ", conduit d'abord à la nécessité de considérer l'objet même de l'accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué. Au cas cependant où l'analyse des clauses de cet accord ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence, il conviendrait alors d'en examiner les effets et, pour le frapper d'interdiction, d'exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint ou faussé de façon sensible (arrêts de la Cour du 30 juin 1966, LTM, 56-65, Rec. p. 337, 359, et du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C-209-07, Rec. p. I-8637, point 15 ; arrêt du Tribunal du 9 juillet 2009, Peugeot et Peugeot Nederland/Commission, T-450-05, Rec. p. II-2533, point 43). Pour apprécier si un accord est prohibé par l'article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considération de ses effets concrets est donc superflue lorsqu'il apparaît que celui-ci a pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (arrêts de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56-64 et 58-64, Rec. p. 429, 496, et du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C-105-04 P, Rec. p. I-8725, point 125). Cet examen doit être effectué à la lumière du contenu de l'accord et du contexte économique dans lequel il s'inscrit (arrêts de la Cour du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission, 29-83 et 30-83, Rec. p. 1679, point 26 ; du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C-551-03 P, Rec. p. I-3173, point 66, et Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité, point 16). Enfin, cette méthode d'analyse est d'application générale et n'est pas réservée à une catégorie d'accords [arrêt du Tribunal du 2 mai 2006, O2 (Germany)/Commission, T-328-03, Rec. p. II-1231, point 67].

111 La requérante ne saurait se prévaloir de l'arrêt GlaxoSmithKline Services/Commission, point 107 supra (point 121), dès lors que, selon la Cour, " l'article 81 CE vise, à l'instar des autres règles de concurrence énoncées dans le traité, à protéger non pas uniquement les intérêts des concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle ", et que, " dès lors, la constatation de l'existence de l'objet anticoncurrentiel d'un accord ne saurait être subordonnée à ce que les consommateurs finals soient privés des avantages d'une concurrence efficace en termes d'approvisionnement ou de prix " (arrêt GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., point 74 supra, points 62 à 64). Interrogée par le Tribunal lors de l'audience, la requérante a elle-même reconnu que, à la lumière de cette jurisprudence, cet argument avait peu de chance de prospérer.

112 Il s'agit donc de déterminer, en l'espèce, si les accords en cause avaient un objet anticoncurrentiel.

113 L'article 81, paragraphe 1, CE mentionne expressément comme accord interdit le fait de " fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction " et d'" appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ". Or, il ressort des points 49 à 58 ci-dessus que, en l'espèce, les accords avaient pour but, d'une part, de fixer les prix d'achat et de vente du bitume et, d'autre part, d'accorder une remise préférentielle aux membres du W5. La nature même de ces accords suffit, dès lors, à considérer qu'ils avaient pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun.

114 L'argument de la requérante selon lequel ces accords visaient à obtenir une stabilité des prix d'achat ne saurait suffire à remettre en cause cette conclusion. En effet, il convient de rappeler que ces accords doivent être examinés dans leur ensemble et que, en tout état de cause, la recherche d'une stabilité des prix ne diffère pas de la fixation des prix d'achat (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T-329-01, Rec. p. II-3255, point 197).

115 Le Tribunal estime qu'il résulte de ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que le comportement des membres du W5 et des fournisseurs avait un objectif anticoncurrentiel.

4. Sur la troisième erreur de qualification juridique des faits, tirée du refus de la Commission de faire application des dispositions de l'article 81, paragraphe 3, CE et des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale

a) Arguments des parties

116 Selon la requérante, la Commission a commis une erreur de qualification juridique des faits en considérant que le fait pour le W5 de négocier collectivement une remise ne pouvait être qualifié d'" achats collectifs " au sens des dispositions de l'article 81, paragraphe 3, CE, lesquels seraient autorisés par les lignes directrices sur l'applicabilité de l'article 81 [CE] aux accords de coopération horizontale (JO 2001, C 3, p. 2, ci-après les " lignes directrices sur les accords de coopération horizontale ").

117 Elle souligne, tout d'abord, que, dans la décision attaquée, la Commission a apprécié son comportement uniquement au regard de l'article 81, paragraphe 3, CE et non au regard des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, dont elle aurait, en tout état de cause, donné une interprétation trop restrictive. Ces lignes directrices lui seraient pourtant applicables, dès lors qu'elles concernent les comportements des acheteurs sur leur propre marché de vente et que la Commission n'aurait pas établi que le W5 avait codéterminé le prix brut avec les fournisseurs. En l'espèce, le W5 aurait ainsi mis en place une concertation destinée à obtenir des prix d'achat plus avantageux, dans l'intérêt du consommateur final, équivalents à une organisation d'achat commune.

118 Par ailleurs, la Commission aurait commis plusieurs erreurs d'appréciation dans l'analyse de son comportement au regard des dispositions de l'article 81, paragraphe 3, CE. Ainsi, la Commission aurait, tout d'abord, effectué un parallèle erroné entre les notions d'achat commun et de vente commune, seule cette dernière étant interdite par l'article 81 CE. De plus, selon la requérante, il appartenait à la Commission de procéder à une analyse du pouvoir de marché des grands constructeurs, afin d'examiner s'ils pouvaient effectivement restreindre la concurrence, en tenant compte du fait que les petits constructeurs réussissaient systématiquement à obtenir une remise supérieure à celle accordée au W5.

119 En outre, la requérante conteste le considérant 157 de la décision attaquée, dans lequel la Commission indique que, individuellement, les membres du W5 n'achetaient pas nécessairement des quantités supérieures à celles achetées par un petit constructeur. Elle estime, en effet, que cette affirmation ne repose sur aucune preuve, la Commission n'ayant pas sollicité auprès des petits constructeurs de données relatives à leurs achats, et qu'elle ne constitue ainsi qu'une simple hypothèse. En tout état de cause, un fournisseur pourrait très bien accorder une remise plus importante à une société qui achète des volumes moins importants pour des motifs commerciaux spécifiques, notamment lorsque le potentiel d'achat de cette société est important. De même, le fait que la négociation du W5 avec les fournisseurs ne consistait qu'à fixer une remise collective minimale, qui pouvait être augmentée individuellement par la suite, montrerait que le comportement du W5 était conforme au droit de la concurrence.

120 Enfin, la requérante remet en cause le considérant 313 de la décision attaquée, dans lequel la Commission affirme que les grands constructeurs restreignaient la concurrence entre eux, dès lors que chaque grand constructeur négociait bilatéralement le montant de sa remise avec le fournisseur. De plus, conformément à la jurisprudence de la Cour (arrêt de la Cour du 12 septembre 2000, Pavlov e.a., C-180-98 à C-184-98, Rec. p. I-6451, points 92 et suivants), une réglementation qui ne produit d'effets restrictifs qu'à l'égard d'un seul facteur de coût, lequel est, de surcroît, peu important, ne provoque pas une restriction sensible de la concurrence. Or, en l'espèce, la requérante rappelle que le bitume ne représente que 1,5 % des coûts totaux pour une société de construction routière.

121 La Commission rejette l'ensemble des arguments de la requérante.

b) Appréciation du Tribunal

122 À titre liminaire, le Tribunal rappelle qu'il résulte d'une jurisprudence constante qu'il appartient aux entreprises demandant le bénéfice d'une exemption au titre de l'article 81, paragraphe 3, CE d'établir, sur la base de preuves documentaires, le caractère justifié d'une exemption. Dans cette perspective, il ne saurait être fait grief à la Commission de n'avoir pas proposé d'autres solutions ni indiqué ce qu'elle considérait comme justifiant l'octroi d'une exemption (arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19, point 52, et arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T-191-98, T-212-98 à T-214-98, Rec. p. II-3275, point 220). Il appartient uniquement à la Commission, au titre de son obligation de motivation, de mentionner les éléments de fait et de droit et les considérations qui l'ont amenée à prendre une décision rejetant la demande d'exemption, sans que la requérante puisse exiger qu'elle discute tous les points de fait et de droit qu'elle a soulevés au cours de la procédure administrative (arrêt du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T-29-92, Rec. p. II-289, points 262 et 263). Il s'ensuit qu'il appartient à la requérante d'établir que la Commission a commis une erreur de droit ou de fait en refusant de lui octroyer une exemption au titre de l'article 81, paragraphe 3, CE.

123 En l'espèce, la Commission a exposé, aux considérants 162 à 168 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle considérait que la participation du W5 aux accords ne constituait pas des achats collectifs au sens des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale. Ainsi, la Commission rappelle, au considérant 163 de la décision attaquée, que ces dispositions n'ont pas pour objet d'autoriser les accords de coopération horizontale de manière générale, mais exposent les principes permettant de les apprécier au regard des dispositions de l'article 81 CE, de tels accords pouvant créer des problèmes de concurrence. En l'espèce, elle précise, au considérant 165 de la décision attaquée, que les accords en cause avaient pour objet de restreindre la concurrence et avaient des conséquences pour des entreprises n'y participant pas (fixation des prix pour tous les constructeurs des Pays-Bas et détermination des plafonds de remise pour les petits constructeurs). En outre, et en tout état de cause, ainsi qu'il est indiqué à juste titre par la Commission au considérant 166 de la décision attaquée, le W5 n'a pas procédé à des achats lors de ces négociations avec les fournisseurs, lesquelles n'avaient pour objet que de fixer des prix et des remises, comportement que le point 124 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale qualifie d'entente déguisée. De plus, il convient de souligner que le W5 a conclu ces accords avec un groupe de vendeurs qui adoptait également un comportement collusoire. Enfin, les dispositions de l'article 81, paragraphe 3, CE ne sont, en tout état de cause, pas applicables, dès lors que, selon le point 133 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, les accords d'achat ne peuvent être exemptés s'ils imposent des restrictions qui ne sont pas indispensables aux bénéfices économiques apportés par les accords. En effet, en l'espèce, les accords en cause imposaient des restrictions aux petits constructeurs sous forme de remises limitées, restrictions visant des tiers et non indispensables à la réalisation des avantages économiques recherchés.

124 Contrairement à ce qu'affirme la requérante, il résulte de ce qui précède que la Commission ne s'est pas bornée à apprécier son comportement au regard du seul article 81, paragraphe 3, CE, mais qu'elle a également tenu compte des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale.

125 La requérante considère, par ailleurs, que la Commission a commis une erreur de droit en estimant que les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale n'autorisaient aucun comportement spécifique, mais exposaient les principes guidant l'appréciation de tels accords au regard des dispositions de l'article 81 CE. Il ressort cependant clairement de leur point 1 qu'elles ont pour objet d'exposer " les principes sur lesquels repose l'appréciation des accords de coopération horizontale en vertu de l'article 81 CE ". La Commission n'a donc pas commis d'erreur de droit sur ce point.

126 La requérante considère, en outre, que la Commission a commis une erreur de droit en assimilant l'achat commun à la vente commune, alors que seule cette dernière est interdite par les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale. Elle aurait ainsi, au considérant 159 de la décision attaquée, ajouté une condition imposant aux acheteurs d'adopter un comportement autonome sur le marché, alors même que les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale n'imposaient pas une telle condition. Il ressort cependant du considérant 159 de la décision attaquée, relatif à l'application des dispositions de l'article 81, paragraphe 1, CE, et non de celles de l'article 81, paragraphe 3, CE, que la Commission s'est limitée à répondre à l'argument, soulevé par certaines entreprises lors de la procédure administrative, relatif aux spécificités du marché néerlandais et qu'elle n'a pas entendu interpréter les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale. Cet argument doit donc être rejeté.

127 La requérante reproche également à la Commission de ne pas avoir procédé à une analyse du pouvoir de marché des membres du W5 afin de déterminer s'il pouvait effectivement restreindre la concurrence. Cependant, la Commission estime, à juste titre, qu'elle n'était pas tenue de procéder à une telle analyse, dès lors qu'il ne s'agissait pas d'un accord de coopération par lequel les acheteurs visaient à contrebalancer les vendeurs, mais d'une entente collective sur les prix entre deux groupes. Par ailleurs, il ressort du considérant 24 de la décision attaquée qu'elle a précisé, à titre préalable, que les membres du W5 détenaient 36 des 51 centrales d'enrobage existant aux Pays-Bas en 2002, soit plus de 70 % d'entre elles. Il convient, en outre, d'indiquer que, aux termes des dispositions du point 18 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, il n'est pas nécessaire d'examiner les effets réels sur la concurrence et le marché des accords qui ont pour objet de restreindre la concurrence par la fixation des prix, la limitation de la production ou encore la répartition des marchés ou des clients, ces accords étant présumés produire des effets négatifs sur le marché. La Commission ayant considéré que les accords en cause visaient par nature à restreindre la concurrence (considérant 165 de la décision attaquée), il ne lui appartenait dès lors pas de procéder à une analyse approfondie du pouvoir de marché des membres du W5.

128 La requérante considère, en outre, que la Commission a commis une erreur de fait en affirmant, sans aucun élément de preuve, que, individuellement, les membres du W5 n'achetaient pas nécessairement des quantités supérieures à celles achetées par un petit constructeur. Il ressort cependant de la décision attaquée que la Commission s'est fondée sur plusieurs éléments de preuve pour considérer que la remise dont bénéficiait le W5 n'était pas liée au volume des achats de ses membres et que la remise spécifique dont ils bénéficiaient visait à léser les autres constructeurs (voir points 50 et 51 ci-dessus). Par ailleurs, la circonstance selon laquelle chaque membre du W5 essayait d'obtenir une remise supplémentaire à la remise collective en fonction des quantités achetées constitue un indice supplémentaire de ce que la remise collective n'était pas liée au volume des achats du W5.

129 Enfin, la requérante conteste l'affirmation de la Commission selon laquelle les accords auraient eu pour objet de restreindre la concurrence (considérants 166 et 313 de la décision attaquée). Elle estime que ces accords, d'une part, n'ont pas restreint la concurrence entre les membres du W5 et, d'autre part, n'ont pas limité la concurrence entre l'ensemble des constructeurs, le bitume ne représentant que 1,5 % des coûts totaux de ces entreprises. Il ressort cependant de la décision attaquée que, en fixant conjointement avec les fournisseurs, qui couvraient 80 % du marché, le prix brut et la remise pour l'ensemble de leurs achats futurs, les membres du W5 ont limité la concurrence qui pouvait exister entre eux. Par ailleurs, s'il est vrai que la Cour a pu considérer, dans le cas spécifique d'une réglementation établissant une affiliation obligatoire à un régime de pension complémentaire, que celui-ci n'affectait pas la concurrence (arrêt Pavlov e.a., point 120 supra, point 95), il a déjà été établi correctement par la Commission, à titre surabondant, que, en l'espèce, la remise spécifique accordée au W5 avait un impact sur la concurrence dans le secteur de la construction routière, compte tenu du mécanisme des appels d'offres existant dans le secteur de la construction routière (voir points 69 à 73 ci-dessus).

130 Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que la Commission n'a commis aucune erreur de droit ou de qualification juridique des faits en refusant de considérer que la participation du W5 aux accords constituait des " achats collectifs " au sens des dispositions de l'article 81, paragraphe 3, CE, qui sont autorisés par les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale.

5. Sur la quatrième erreur de qualification juridique des faits, tirée de la définition inexacte du marché en cause et de l'appréciation erronée de la position des grands constructeurs sur le marché

a) Arguments des parties

131 La requérante estime que la Commission a commis une erreur de qualification juridique des faits en définissant de manière trop restrictive le marché en cause pour apprécier la position du W5. Ainsi, en suivant le point de vue défendu par les fournisseurs, la Commission aurait limité son appréciation du marché en cause dans le seul objectif de démontrer que les grands constructeurs détenaient une part de marché de 49,5 % du côté des achats (considérant 29 de la décision attaquée). La requérante rappelle que les griefs formulés à l'encontre de la définition du marché retenue par la Commission ne sauraient revêtir une dimension autonome par rapport à ceux relatifs à l'atteinte à la concurrence (arrêt du Tribunal du 16 décembre 2003, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, T-5-00 et T-6-00, Rec. p. II-5761, point 123).

132 Ainsi, en premier lieu, elle considère que la Commission n'a pas fourni de motifs suffisants permettant d'exclure le bitume industriel du marché en cause, notamment en n'indiquant pas qu'il n'existait pas d'offre de substitution pertinente.

133 En second lieu, elle conteste la décision de la Commission de limiter géographiquement le marché en cause aux Pays-Bas. En effet, seule Kuwait Petroleum aurait encore produit du bitume aux Pays-Bas pendant la période infractionnelle, les autres fournisseurs important le bitume vendu aux Pays-Bas de Belgique et d'Allemagne et détenant une organisation de vente structurée au niveau du Benelux. La Commission aurait ainsi négligé des indices clairs établissant l'existence d'une concertation transfrontalière entre fournisseurs. De même, elle aurait écarté sans raison les affirmations concordantes de plusieurs grands constructeurs, selon lesquelles le marché néerlandais du bitume était isolé des autres marchés par les fournisseurs, qui les empêchaient de s'approvisionner à l'étranger (considérant 174 de la décision attaquée). Cependant, si la Commission avait tenu compte de la Belgique et de la partie ouest de l'Allemagne dans sa définition du marché en cause, la part de marché détenue par le W5 aurait été inférieure à 15 %. Or, les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale indiqueraient que, en cas d'achat commun par plusieurs entreprises, celles-ci ne détiendraient pas de pouvoir de marché lorsque leurs parts de marché cumulées sont inférieures à 15 %.

134 La Commission réfute l'ensemble des arguments de la requérante.

b) Appréciation du Tribunal

135 Dans le cadre de l'application de l'article 81 CE, la Commission doit déterminer si la pratique concertée en cause est susceptible d'affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun. Les parties s'opposent sur la question de l'étendue de cette obligation incombant à la Commission et sur la définition du marché en cause retenue par la Commission dans la décision attaquée.

136 Selon la jurisprudence, la définition du marché pertinent, dans le cadre de l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, a pour seul objet de déterminer si l'accord en cause est susceptible d'affecter le commerce entre les États membres et a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (ordonnance de la Cour du 16 février 2006, Adriatica di Navigazione/Commission, C-111-04 P, point 31, et conclusions de l'avocat général M. Mengozzi sous l'arrêt de la Cour du 9 juillet 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C-511-06 P, Rec. p. I-5843, I-5848, points 196 et 197).

137 Par ailleurs, ainsi que le Tribunal l'a déjà précisé dans sa jurisprudence, l'obligation d'opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l'article 81 CE n'est pas absolue, mais s'impose à la Commission uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n'est pas possible de déterminer si l'entente en cause est susceptible d'affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (arrêts du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T-62-98, Rec. p. II-2707, point 230 ; du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T-44-00, Rec. p. II-2223, point 132, et du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T-38-02, Rec. p. II-4407, point 99).

138 La définition du marché pertinent apparaît nécessaire pour vérifier si, dans une situation déterminée, la condition prévue à l'article 81, paragraphe 3, sous b), CE pour déclarer l'inapplicabilité du paragraphe 1 du même article est remplie [en ce sens, voir communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5) et arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission (T-213-00, Rec. p. II-913, point 226)], alors qu'elle ne l'est pas pour vérifier si les trois autres conditions prévues à l'article 81, paragraphe 3, CE sont remplies (arrêt CMA CGM e.a./Commission, précité, point 226).

139 En l'espèce, d'une part, il convient de relever que la Commission a refusé, à juste titre, de faire application des dispositions de l'article 81, paragraphe 3, CE, et notamment de celles de l'article 81, paragraphe 3, sous b, CE (points 122 à 130 ci-dessus). D'autre part, si la requérante soutient que la définition erronée du marché en cause retenue par la Commission a eu un impact sur l'appréciation du pouvoir de marché des membres du W5, qui aurait été, en réalité, beaucoup moins important que celui qui leur a été prêté, elle ne conteste cependant pas que les accords en cause étaient susceptibles d'affecter le commerce entre les États membres et avaient pour objet, à tout le moins, de stabiliser les prix d'achat, ce qui, ainsi qu'il a été démontré (voir points 113 à 115 ci-dessus), avait pour conséquence, en l'espèce, de restreindre et de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun. Par conséquent, l'application faite par la Commission de l'article 81 CE n'exigeant pas, en l'espèce, une définition préalable du marché pertinent, celle-ci pouvait se borner à faire référence au produit concerné par l'entente ainsi qu'au territoire visé.

140 La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir fourni de motifs suffisants pour exclure le bitume industriel du marché en cause, notamment en n'indiquant pas qu'il n'existait pas d'offre de substitution pertinente. Compte tenu de l'absence d'obligation de définition du marché incombant à la Commission, aucune violation de l'obligation de motivation ne saurait être constatée sur ce point (arrêt Groupe Danone/Commission, point 137 supra, point 99).

141 La requérante soutient, en outre, que la Commission a limité à tort la définition géographique du marché en cause aux Pays-Bas, alors même qu'une seule entreprise pétrolière produisait du bitume sur le territoire des Pays-Bas, que les autres fournisseurs importaient leur bitume d'Allemagne ou de Belgique et que certains d'entre eux disposaient d'une organisation de vente pour le Benelux. Il ressort cependant des considérants 27 et 28 de la décision attaquée que la Commission a pris en compte ces éléments factuels et qu'elle a néanmoins indiqué que la commercialisation du bitume s'effectuait à un niveau purement national, compte tenu des exigences qualitatives nationales, du mécanisme de règlement des risques et de la structure de propriété des centrales d'enrobage.

142 Par ailleurs, les indices évoqués par la requérante afin d'accréditer la thèse de l'existence d'une entente en Belgique n'apparaissent pas, à eux seuls, suffisants pour démontrer que la Commission aurait commis une erreur de droit dans la définition du marché en cause. En tout état de cause, ces indices ont été pris en compte par la Commission dans la décision attaquée. Il s'agit ainsi, d'une part, d'un compte rendu manuscrit établi par Kuwait Petroleum d'une concertation entre fournisseurs (Nynas, Klöckner, SNV, BP, Smid & Hollander et Kuwait Petroleum), en date du 4 mars 1994, faisant mention de la nécessité de " relever le niveau de prix en Belgique ". Il s'agit, d'autre part, de documents faisant état de ce que SNV détiendrait une organisation structurée de vente au niveau du Benelux, un seul manager ayant été chargé de la commercialisation du bitume pour le Benelux de 1993 à 1998, tout comme ExxonMobil, dont les organisations de vente seraient gérées par les mêmes personnes aux Pays-Bas et en Belgique.

143 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Commission n'a commis d'erreur ni de droit ni de qualification juridique des faits en définissant le marché en cause.

6. Sur la cinquième erreur de qualification juridique des faits, tirée de l'absence d'effets indirects induits sur le marché en aval de la construction routière

a) Arguments des parties

144 Selon la requérante, la Commission a commis une erreur de qualification juridique des faits en estimant que les accords en cause avaient des effets indirects induits sur le marché en aval de la construction routière. Elle rappelle que les coûts d'achat du bitume ne constituent qu'une part minime du chiffre d'affaires des entreprises de construction routière aux Pays-Bas, sauf dans les rares cas de chantiers impliquant uniquement la livraison de très grandes quantités d'asphalte (moins de 10 % des chantiers), pour lesquels les constructeurs sont en tout état de cause en mesure de négocier une remise supplémentaire. La Commission aurait, en outre, omis d'étayer par des calculs son affirmation selon laquelle une différence minime dans le prix d'achat du bitume pouvait constituer un élément déterminant dans l'obtention de marchés publics. Par ailleurs, la Commission n'aurait pas établi que le niveau du prix brut aux Pays-Bas était supérieur à celui du prix à l'étranger. Les données relatives aux évolutions des prix dans plusieurs pays auraient, en effet, été éliminées de la version non confidentielle des documents provenant des fournisseurs et plusieurs documents montreraient que le niveau des prix aux Pays-Bas était, en fait, comparable à celui des pays voisins.

145 La Commission rejette les arguments de la requérante.

b) Appréciation du Tribunal

146 La requérante soutient, tout d'abord, que la Commission n'a pas prouvé que le prix du bitume, qui ne représente qu'une part négligeable des coûts d'un chantier routier, puisse avoir un impact sur la concurrence en causant des effets induits indirects sur le marché en aval de la construction routière. Il convient cependant de rappeler, conformément aux points 74 à 79 et 110 à 115 ci-dessus, que les accords avaient pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Dès lors, la Commission n'avait pas à démontrer les effets anticoncurrentiels concrets desdits accords.

147 La requérante reproche, par ailleurs, à la Commission de ne pas avoir suffisamment établi que le niveau du prix brut aux Pays-Bas était supérieur à celui pratiqué dans les pays voisins pendant la période infractionnelle. Il ressort cependant de la décision attaquée (considérant 174) que la Commission s'est appuyée sur plusieurs documents saisis lors de ses vérifications, dont une note interne de SNV du 9 février 1995, qui fait état de certaines différences de prix qui étaient, à première vue, injustifiables entre les Pays-Bas et les pays voisins, ainsi que sur la déclaration de Kuwait Petroleum en date du 9 octobre 2003, qui fait également mention d'un écart de prix entre les Pays-Bas et ses voisins. La Commission s'est également fondée sur des notes saisies dans les locaux de la requérante, relatives aux concertations ayant eu lieu les 12 avril 2000 et 29 janvier 2002. Pour l'année 2000, ces notes mentionnent que le niveau des prix nets aux Pays-Bas était supérieur de 25 NLG à celui des prix en Belgique (considérant 111 de la décision attaquée). De même, pour l'année 2002, ces notes font apparaître que le prix net aux Pays-Bas était de 183 euro contre 162 euro en Allemagne et en Belgique et 158 euro en France (considérant 123 de la décision attaquée). Ces éléments de preuve concordants apparaissent suffisants pour établir que le niveau du prix brut aux Pays-Bas était plus élevé que dans les pays voisins.

148 Par ailleurs, si la requérante reproche à la Commission d'avoir rendu confidentielles les données relatives aux évolutions des prix dans plusieurs pays provenant des fournisseurs, il convient de souligner que, aucune pratique anticoncurrentielle n'ayant été établie dans les pays voisins, les fournisseurs étaient en droit de qualifier de secret d'affaires les informations relatives aux prix pratiqués dans ces pays.

149 Il résulte de ce qui précède que la Commission n'a pas commis d'erreur de qualification juridique des faits en estimant que les accords en cause avaient des effets indirects sur le marché en aval de la construction routière.

150 Par conséquent, il convient de rejeter l'ensemble des arguments de la requérante faisant état d'erreurs de droit commises par la Commission dans la décision attaquée, soulevés au soutien des conclusions tendant à l'annulation de cette dernière.

D - Sur la violation des formes substantielles et des droits de la défense

1. Arguments des parties

151 Le troisième et dernier moyen soulevé par la requérante à l'appui de ses conclusions en annulation est tiré de la violation des formes substantielles et des droits de la défense par la Commission, qui ne lui aurait pas transmis l'ensemble des réponses des autres entreprises à la communication des griefs.

152 La requérante estime que la seule transmission des passages de réponses sur lesquels la Commission avait l'intention de se fonder expressément dans sa décision serait insuffisante à cet égard. Elle considère que la communication de l'ensemble des réponses était particulièrement nécessaire, en raison du caractère horizontal et vertical de l'entente et du parti pris de la Commission en faveur des fournisseurs. Enfin, elle souligne qu'il ne saurait appartenir à la seule Commission de déterminer les réponses à la communication des griefs auxquelles l'accès doit être accordé.

153 La Commission rejette l'ensemble des arguments de la requérante.

2. Appréciation du Tribunal

154 Il ressort du dossier que, le 24 mai 2006, la Commission a transmis à la requérante les extraits des réponses des autres entreprises à la communication des griefs sur lesquels elle entendait se fonder comme éléments de preuve dans la décision attaquée. La requérante a formulé des observations sur ces documents le 12 juin 2006 et a sollicité l'accès à l'ensemble des réponses des autres entreprises à la communication des griefs, mais la Commission n'a pas donné de suite favorable à cette demande.

a) Principes généraux relatifs à l'accès aux documents postérieurs à la communication des griefs

155 L'article 27, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003 est ainsi rédigé :

" Les droits de la défense des parties concernées sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure. Elles ont le droit d'avoir accès au dossier de la Commission sous réserve de l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués. Le droit d'accès au dossier ne s'étend pas aux informations confidentielles et aux documents internes de la Commission ou des autorités de concurrence des États membres. "

156 Dans la communication relative aux règles d'accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant des articles 81 [CE] et 82 [CE], des articles 53, 54 et 57 de l'Accord EEE et du règlement (CE) n° 139-2004 du Conseil (JO 2005, C 325, p. 7), la Commission définit au point 8 le " dossier de la Commission " comme " l'ensemble des documents obtenus, produits et/ou assemblés par la direction générale de la concurrence de la Commission lors de l'enquête ". Au point 27 de cette communication, la Commission précise ce qui suit :

" L'accès au dossier est donné sur demande et normalement une seule fois, après la communication des griefs de la Commission aux parties, afin de respecter le principe de l'égalité des armes et de protéger les droits de la défense. En règle générale, les parties n'ont donc pas accès aux réponses des autres parties aux griefs formulés par la Commission.

Une partie aura toutefois accès aux documents reçus après la communication des griefs dans des phases ultérieures de la procédure administrative, lorsque ces documents peuvent constituer de nouveaux éléments de preuve, qu'ils soient à charge ou décharge, relatifs aux allégations formulées à l'égard de cette partie dans la communication des griefs de la Commission. C'est particulièrement le cas lorsque la Commission entend se fonder sur de nouvelles preuves. "

157 Il est de jurisprudence constante que le respect des droits de la défense, dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, constitue un principe fondamental du droit de l'Union, qui doit être observé, même s'il s'agit d'une procédure ayant un caractère administratif (arrêts de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461, point 9, et du 2 octobre 2003, ARBED/Commission, C-176-99 P, Rec. p. I-10687, point 19). À cet égard, le règlement n° 1-2003 prévoit l'envoi aux parties d'une communication des griefs qui doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Une telle communication des griefs constitue la garantie procédurale illustrant le principe fondamental du droit de l'Union qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C-322-07 P, C-327-07 P et C-338-07 P, Rec. p. I-7191, points 34 et 35).

158 Il convient de rappeler que l'accès au dossier, dans les affaires de concurrence, a notamment pour objet de permettre aux destinataires d'une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu'ils puissent se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue, dans sa communication des griefs, sur la base de ces éléments. L'accès au dossier relève ainsi des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense et à assurer, en particulier, l'exercice effectif du droit d'être entendu (voir arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 122 supra, point 334, et la jurisprudence citée). Le droit d'accès au dossier implique que la Commission donne à l'entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d'instruction qui sont susceptibles d'être pertinents pour sa défense (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C-199-99 P, Rec. p. I-11177, point 125, et arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T-30-91, Rec. p. II-1775, point 81). Ceux-ci comprennent tant les pièces à charge que celles à décharge, sous réserve des secrets d'affaires d'autres entreprises, des documents internes de la Commission et d'autres informations confidentielles (arrêts de la Cour Hoffmann-La Roche/Commission, point 157 supra, points 9 et 11, et du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, point 68).

159 Selon la jurisprudence, ce n'est qu'au début de la phase contradictoire administrative que l'entreprise concernée est informée, par la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Par conséquent, la réponse des autres parties à la communication des griefs n'est pas comprise, en principe, dans l'ensemble des documents du dossier d'instruction que peuvent consulter les parties (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T-161-05, Rec. p. II-3555, point 163). Néanmoins, si la Commission entend se fonder sur un passage d'une réponse à une communication des griefs ou sur un document annexé à une telle réponse pour établir l'existence d'une infraction dans une procédure d'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, les autres parties impliquées dans cette procédure doivent être mises en mesure de se prononcer sur un tel élément de preuve (voir arrêts du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, dit " Ciments ", T-25-95, T-26-95, T-30-95 à T-32-95, T-34-95 à T-39-95, T-42-95 à T-46-95, T-48-95, T-50-95 à T-65-95, T-68-95 à T-71-95, T-87-95, T-88-95, T-103-95 et T-104-95, Rec. p. II-491, point 386, et du 27 septembre 2006, Avebe/Commission, T-314-01, Rec. p. II-3085, point 50, et la jurisprudence citée).

160 Par ailleurs, selon la jurisprudence relative à l'accès au dossier administratif antérieur à la communication des griefs, l'absence de communication d'un document ne constitue une violation des droits de la défense que si l'entreprise concernée démontre, d'une part, que la Commission s'est fondée sur ce document pour étayer son grief relatif à l'existence d'une infraction (arrêts de la Cour du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, points 7 et 9, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 158 supra, point 71) et, d'autre part, que ce grief ne pourrait être prouvé que par référence audit document (arrêts de la Cour du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission, 107-82, Rec. p. 3151, points 24 à 30, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 158 supra, point 71 ; arrêt Solvay/Commission, point 158 supra, point 58). La Cour établit, à cet égard, une distinction entre les documents à charge et les documents à décharge. S'il s'agit d'un document à conviction, il incombe à l'entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue aurait été différent si l'on avait écarté ce document. En revanche, s'agissant de l'absence de communication d'un document à décharge, l'entreprise concernée doit seulement établir que son absence de divulgation a pu influencer, au détriment de cette dernière, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 158 supra, points 73 et 74). Cette distinction vaut également pour les documents postérieurs à la communication des griefs (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T-43-02, Rec. p. II-3435, points 351 à 359).

161 Il convient, en outre, de préciser que l'absence de communication systématique des réponses des autres entreprises à la communication des griefs n'est pas contraire au principe du respect des droits de la défense. Comme il a été rappelé ci-dessus, ce principe implique que la Commission doit, au cours de la procédure administrative, divulguer aux entreprises concernées tous les faits, circonstances ou documents sur lesquels elle se fonde, pour leur permettre de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances allégués et sur les documents retenus par elle à l'appui de ses allégations.

162 Enfin, la requérante ne saurait se prévaloir de la jurisprudence selon laquelle il ne saurait appartenir à la seule Commission, qui notifie les griefs et prend la décision infligeant une sanction, de déterminer les documents utiles à la défense de l'entreprise concernée (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 158 supra, point 126 ; arrêts Solvay/Commission, point 158 supra, points 81 et 83, et Atlantic Container Line e.a./Commission, point 122 supra, point 339). En effet, cette considération relative aux documents relevant du dossier constitué par la Commission ne saurait s'appliquer à des réponses données par d'autres parties concernées aux griefs communiqués par cette dernière.

b) Application en l'espèce

163 En l'espèce, la requérante estime que l'accès à l'ensemble des réponses des autres entreprises à la communication des griefs, qui auraient pu contenir des éléments à décharge, aurait dû lui être accordé.

164 Il convient de rappeler qu'il appartenait à la requérante de fournir un commencement de preuve du fait que leur absence de divulgation aurait pu influencer, à son détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission. La requérante s'est cependant limitée à soutenir de manière générale, très vague et purement spéculative que les réponses des autres entreprises à la communication des griefs auraient pu lui fournir des éléments à décharge en raison du caractère horizontal et vertical de l'entente et du supposé parti pris de la Commission en faveur des fournisseurs, et n'a fourni aucune indication spécifique constituant un commencement de preuve en ce sens.

165 En outre, comme le souligne la Commission, il est peu probable, dans une entente, qu'une société fournisse des éléments susceptibles de minimiser le rôle d'une autre société dans l'entente, même si, en l'espèce, le fait que l'entente ait été organisée entre deux groupes aux intérêts potentiellement divergents explique que chaque partie ait eu tendance à minimiser son rôle dans l'entente au détriment de l'autre. En tout état de cause, selon la jurisprudence, le simple fait que d'autres entreprises aient pu avancer les mêmes arguments qu'une requérante dans leur réponse à la communication des griefs ne saurait constituer un élément à décharge (arrêt Jungbunzlauer/Commission, point 160 supra, point 353 à 356). Ainsi, la requérante n'a apporté aucun commencement de preuve de l'utilité d'une éventuelle transmission des réponses des autres sociétés à la communication des griefs.

166 Par conséquent, il convient de conclure que la Commission n'a pas méconnu les droits de la défense de la requérante en refusant de lui communiquer l'ensemble des réponses à la communication des griefs.

167 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conclusions en annulation de la requête doivent être rejetées.

II - Sur les conclusions tendant à la suppression ou à la réduction de l'amende

168 À l'appui de ses conclusions tendant à la suppression ou à la réduction de l'amende, la requérante soulève deux moyens tirés, le premier, d'erreurs de fait et de droit dans le calcul du montant de base de l'amende et, le second, d'erreurs de fait et de droit et de la violation des droits de la défense dans la prise en compte des circonstances aggravantes.

169 À titre liminaire, il convient de souligner que, dans le cadre de ses conclusions tendant à la suppression ou à la réduction de l'amende, la requérante semble demander au Tribunal d'exercer sa compétence de pleine juridiction quasi exclusivement aux fins de la correction d'erreurs de fait et de droit que la Commission aurait commises. En effet, mis à part le grief relatif au caractère disproportionné de la majoration de l'amende au titre du refus de coopération, aucun argument avancé à l'appui des moyens soulevés ne semble requérir de la part du Tribunal l'exercice de sa compétence de pleine juridiction aux fins de la substitution de son appréciation à celle de la Commission. Par conséquent, le Tribunal doit, en l'espèce, examiner si lesdites erreurs sont avérées et, le cas échéant, exercer son pouvoir de pleine juridiction afin d'y remédier si nécessaire.

170 À titre subsidiaire, il convient de préciser que, ainsi que cela a été indiqué ci-dessus, bien qu'il semble ressortir des conclusions tendant à la suppression ou à la réduction de l'amende que la requérante ne demande l'exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction que dans le cadre quasi exclusif de l'appréciation du caractère erroné du raisonnement de la Commission, le Tribunal estime que, en tout état de cause, les arguments avancés par la requérante à l'appui desdites conclusions ne justifient pas l'adoption d'une appréciation différente de celle de la Commission.

A - Sur la détermination du montant de base de l'amende

171 Le premier moyen repose sur des erreurs de fait et de droit qu'aurait commises la Commission dans le calcul du montant de base de l'amende. La requérante considère, en effet, que le montant de base de l'amende qui lui a été infligée (17,1 millions d'euro) est trop élevé pour quatre raisons.

1. Sur la qualification d'infraction très grave

a) Arguments des parties

172 En premier lieu, la requérante soutient que la Commission a qualifié à tort le comportement des membres du W5 d'infraction très grave, alors que la négociation collective d'une remise la plus élevée possible au moment de l'achat, visant à résister à une entente sur les prix et la répartition du marché conclue entre les fournisseurs, ne pouvait être traitée de la même manière que ladite entente sur les prix et la répartition du marché conclue entre les fournisseurs. Il appartenait ainsi à la Commission d'apprécier de manière distincte la gravité du comportement des membres du W5, en procédant notamment à une analyse des répercussions effectives du comportement en cause sur la concurrence. La Commission aurait, en outre, été tenue de motiver son affirmation selon laquelle les grands constructeurs auraient dû savoir que leur pratique restreignait la concurrence et d'établir que cette pratique désavantageait les petits constructeurs, tout comme la supposée hausse artificielle des prix du bitume aux Pays-Bas. Enfin, elle rappelle que la Commission a, elle-même, reconnu dans la communication des griefs que les arrangements secrets ne concernaient que les fournisseurs, et non les grands constructeurs, qui semblaient peu soucieux de dissimuler leurs contacts. Les invitations aux réunions s'effectuaient ainsi par l'intermédiaire de son secrétariat et aucun compte rendu n'était établi à l'issue de ces réunions en raison de la brièveté des résultats des négociations et de l'absence d'accord formel.

173 En conclusion, la requérante estime que, conformément aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les " lignes directrices pour le calcul des amendes "), l'infraction en cause pouvait, tout au plus, être qualifiée d'infraction peu grave, qui correspond à un montant de base maximal d'un million d'euro.

174 La Commission rejette l'ensemble des arguments de la requérante.

b) Appréciation du Tribunal

175 Aux termes des dispositions du point 1 des lignes directrices pour le calcul des amendes, le montant de base de l'amende est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, l'évaluation du caractère de gravité de l'infraction devant prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché quand il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné. Les lignes directrices pour le calcul des amendes opèrent ainsi une distinction entre les infractions peu graves (restrictions le plus souvent verticales visant à limiter les échanges mais dont l'impact sur le marché reste limité), les infractions graves (restrictions horizontales ou verticales dont l'application est plus rigoureuse et dont l'impact sur le marché commun plus large) et les infractions très graves (restrictions horizontales de type " cartels de prix " et de quotas de répartition du marché ou autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur).

176 Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la gravité d'une infraction est déterminée en tenant compte de nombreux éléments, tels que les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, au regard desquels la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation (arrêts de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189-02 P, C-202-02 P, C-205-02 P à C-208-02 P et C-213-02 P, Rec. p. I-5425, point 241, et du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C-328-05 P, Rec. p. I-3921, point 43 ; arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T-69-04, Rec. p. II-2567, point 153). Par ailleurs, selon la jurisprudence, lors de la détermination du montant des amendes, il y a lieu de tenir compte de tous les éléments de nature à entrer dans l'appréciation de la gravité des infractions, tels que, notamment, le rôle joué par chacune des parties dans l'infraction et le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de l'Union (arrêts de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, points 120 et 129, et du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82 et 110-82, Rec. p. 3369, point 52 ; arrêt du Tribunal du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T-49-02 à T-51-02, Rec. p. II-3033, points 168 à 183). Lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu d'examiner la gravité relative de la participation de chacune d'entre elles (arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C-51-92 P, Rec. p. I-4235, point 110, et Montecatini/Commission, C-235-92 P, Rec. p. I-4539, point 207).

177 Le juge de l'Union a également reconnu la qualification d'infraction très grave par nature pour les ententes horizontales en matière de prix ou les accords visant notamment à la répartition des clientèles ou au cloisonnement du marché commun (arrêts du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T-374-94, T-375-94, T-384-94 et T-388-94, Rec. p. II-3141, point 136 ; Groupe Danone/Commission, point 137 supra, point 147, et du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T-53-03, Rec. p. II-1333, point 279). Ces accords peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de très grave, sans qu'il soit nécessaire que de tels comportements se caractérisent par une étendue géographique ou un impact particuliers (arrêt Brasserie nationale e.a./Commission, point 176 supra, point 178). À l'inverse, une entente horizontale qui couvre le territoire entier d'un État membre et qui a pour objet et un partage de marché et un cloisonnement du marché commun ne saurait être qualifiée de peu grave au sens des lignes directrices pour le calcul des amendes (arrêt Brasserie nationale e.a./Commission, point 176 supra, point 181). Ainsi, contrairement à ce qu'affirme la requérante, il n'appartenait pas à la Commission de procéder à une analyse des répercussions effectives du comportement en cause sur la concurrence pour pouvoir apprécier la gravité de l'infraction en établissant que les accords auraient désavantagé les petits constructeurs et artificiellement augmenté le niveau du prix brut aux Pays-Bas.

178 En l'espèce, la Commission a estimé, aux considérants 312 à 317 de la décision attaquée, que la requérante avait commis une infraction très grave à l'article 81, paragraphe 1, CE. Elle a souligné qu'une infraction consistant à fixer directement ou indirectement les prix de vente et d'achat et à appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant ainsi un désavantage dans la concurrence, faisait partie des infractions les plus graves par leur nature. Elle a, en outre, indiqué que les deux groupes impliqués dans l'infraction auraient dû être conscients de la nature illicite de l'entente, les membres du W5 ayant notamment délibérément infligé un désavantage concurrentiel aux autres constructeurs. Le caractère secret des arrangements conclus constituerait, à cet égard, une preuve supplémentaire de ce que les participants étaient conscients de leur nature illicite.

179 Il y a lieu de relever que la requérante ne conteste pas les éléments cités au considérant 312 de la décision attaquée, à savoir que l'entente consistait à fixer directement ou indirectement les prix de vente et d'achat et à appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant ainsi un désavantage concurrentiel. Or, les mécanismes ainsi décrits par la Commission relèvent des formes les plus graves d'atteinte à la concurrence. La requérante se borne à chercher à établir une distinction entre plusieurs comportements relatifs à la même entente, en arguant du fait que la Commission aurait dû procéder à une appréciation distincte du comportement des fournisseurs et de celui des grands constructeurs, les premiers s'étant rendus responsables d'une entente sur les prix alors que les seconds n'auraient fait que négocier une remise collective sur les prix d'achat. Comme le Tribunal l'a déjà indiqué précédemment (voir points 49 à 58 ci-dessus), il convient cependant de prendre en compte les accords conclus entre le W5 et les fournisseurs de manière globale, ceux-ci concernant à la fois le prix brut, la remise minimale accordée au W5 et la remise maximale applicable aux petits constructeurs. Ainsi, les circonstances avancées par la requérante en l'espèce ne sont pas susceptibles de remettre en cause la validité de l'appréciation de la gravité de l'infraction à laquelle la Commission a procédé. Il s'ensuit que la conclusion de la Commission selon laquelle les accords et les concertations en cause constituaient, par leur nature même, une infraction très grave ne saurait être valablement contestée.

180 Selon la requérante, la Commission était tenue de motiver son affirmation, figurant au considérant 313 de la décision attaquée, selon laquelle les grands constructeurs auraient dû savoir que leur pratique restreignait la concurrence. Elle estime, en outre, que, pour les grands constructeurs, ces accords n'étaient pas confidentiels. Le juge de l'Union a déjà considéré que la Commission pouvait légitimement prendre en considération le fait que les entreprises ont pris beaucoup de précautions pour éviter qu'une entente ne soit découverte pour déterminer la gravité de l'infraction (arrêt Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, point 176 supra, point 154). En l'espèce, la Commission a indiqué que le W5 avait également mis en place des arrangements secrets, notamment en n'envoyant pas d'invitations écrites aux réunions de concertation et en n'établissant aucun compte rendu de celles-ci. En tout état de cause, le libellé du considérant 313 de la décision attaquée révèle que les éléments qui y sont mentionnés l'ont été à titre subsidiaire eu égard à ceux énumérés au considérant 312 de la décision attaquée. Dans ces conditions, à supposer même que la contestation par la requérante de la prise en compte du caractère secret de l'entente et de la conscience de son caractère illicite puisse être considérée comme fondée, cela ne saurait avoir pour conséquence de remettre en cause l'appréciation de la Commission relative à la nature de l'infraction, telle qu'elle résulte des motifs pertinents et suffisants figurant au considérant 312 de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, point 176 supra, point 157).

181 Il résulte de tout ce qui précède que la Commission n'a pas commis d'erreur d'appréciation eu égard à la nature très grave de l'infraction commise par la requérante. Il convient ainsi de rejeter les conclusions de la requérante tendant à la qualification de l'entente comme une infraction peu grave (arrêt Brasserie nationale e.a./Commission, point 176 supra, point 181).

2. Sur l'appréciation erronée de l'impact de l'entente sur le marché

a) Arguments des parties

182 En deuxième lieu, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir mesuré l'impact de l'entente sur le marché pour fixer le montant de base de l'amende.

183 La Commission estime qu'elle n'était pas tenue de prendre en compte l'impact concret de l'entente sur le marché en cause.

b) Appréciation du Tribunal

184 Au considérant 314 de la décision attaquée, la Commission indique que la détermination de la gravité de l'infraction et du montant de l'amende ne dépend pas de l'impact de l'entente sur le marché. Elle précise qu'il n'est pas possible de mesurer l'impact concret de l'entente en raison du manque d'informations sur l'évolution du prix du bitume en l'absence d'accords, mais qu'elle peut s'en tenir à des estimations des effets de l'entente. À cette fin, elle a souligné que les accords conclus ont effectivement été mis en œuvre, y compris l'application d'une remise préférentielle aux seuls membres du W5 et du mécanisme de sanctions en cas de non-respect des accords, créant ainsi des conditions de marché artificielles. Elle a, en outre, indiqué que le niveau du prix brut aux Pays-Bas était supérieur à celui en vigueur dans les pays voisins et que la remise spécifique accordée au W5 pouvait jouer un rôle déterminant dans l'obtention de marchés publics.

185 Aux termes des dispositions du point 1 des lignes directrices pour le calcul des amendes, le montant de base de l'amende est déterminé " en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, l'évaluation du caractère de gravité de l'infraction devant prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché quand il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné ".

186 Le juge de l'Union a confirmé que la Commission n'était pas tenue d'établir l'impact concret de l'infraction sur le marché, la question de savoir dans quelle mesure la restriction de concurrence a abouti à un prix de marché supérieur à celui qui aurait prévalu dans l'hypothèse de l'absence de cartel n'étant pas un critère décisif pour la détermination du niveau des amendes (arrêts de la Cour Musique Diffusion française e.a./Commission, point 176 supra, points 120 et 129, et du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C-286-98 P, Rec. p. I-9925, points 68 à 77 ; voir, également, arrêt du Tribunal du 19 mai 2010, KME Germany e.a./Commission, T-25-05, non publié au Recueil, point 82, et la jurisprudence citée).

187 La Cour a ainsi rappelé qu'il résultait des lignes directrices pour le calcul des amendes que la nature propre de l'infraction pouvait suffire à la qualifier de " très grave ", et ce indépendamment de son impact concret sur le marché et de son étendue géographique (voir point 177 ci-dessus et arrêt de la Cour du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C-125-07 P, C-133-07 P, C-135-07 P et C-137-07 P, Rec. p. I-8681, point 103). Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description des infractions " graves " mentionne expressément l'impact sur le marché et les effets sur des zones étendues du marché commun, celle des infractions " très graves ", en revanche, ne mentionne aucune exigence d'impact concret sur le marché ni de production d'effets sur une zone géographique particulière (arrêt Groupe Danone/Commission, point 137 supra, point 150). La Cour a également rappelé qu'il ressortait du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes que cet impact est à prendre en considération uniquement lorsqu'il est mesurable (arrêts de la Cour du 9 juillet 2009, Archer Daniels Midland/Commission, point 136 supra, point 125, et du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C-534-07 P, Rec. p. I-7415, point 74).

188 En l'espèce, compte tenu de la nature de l'infraction en cause et du fait que la Commission a précisé, dans la décision attaquée, que l'impact concret de l'infraction n'était pas mesurable (considérants 314 et 316), la Commission n'était pas tenue de procéder à une appréciation de cet impact concret sur le marché pour la qualifier d'infraction très grave.

189 Par ailleurs, selon la jurisprudence, si la Commission estime opportun, aux fins du calcul de l'amende, de tenir compte de cet élément facultatif qu'est l'impact concret de l'infraction sur le marché, lorsqu'il est mesurable, elle ne peut se limiter à fournir une simple présomption, mais doit apporter des indices concrets, crédibles et suffisants permettant d'apprécier l'influence effective que l'infraction a pu avoir au regard de la concurrence sur ledit marché, dès lors que la prise en considération supplémentaire de cet élément permet à la Commission d'augmenter le montant de départ de l'amende au-delà du montant minimal envisageable de 20 millions d'euro fixé par les lignes directrices pour le calcul des amendes, sans autre plafond que la limite maximale de 10 % du chiffre d'affaires total réalisé par l'entreprise concernée au cours de l'exercice social précédent, fixé pour le montant total de l'amende à l'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003 (arrêt Prym et Prym Consumer/Commission, point 187 supra, points 81 et 82).

190 Cependant, en l'espèce, la Commission ayant indiqué clairement dans la décision attaquée que l'impact concret de l'infraction n'était pas mesurable et qu'il n'intervenait dès lors pas dans la détermination de la gravité de l'infraction et du montant de l'amende, il ne saurait lui être fait grief d'avoir précisé que les accords en cause avaient été mis en œuvre dans le considérant relatif à l'impact concret de l'entente sur le marché. Il ne sera de même pas nécessaire d'examiner si les autres indices qu'elle a présentés étaient suffisants pour établir l'influence effective que l'infraction a pu avoir au regard de la concurrence sur ledit marché.

3. Sur le caractère disproportionné du montant de départ

a) Arguments des parties

191 En troisième lieu, la requérante estime que le montant de départ de son amende de 9,5 millions d'euro est manifestement disproportionné eu égard à son volume d'achat, qui était de 7,7 millions d'euro en 2001. La Commission n'aurait notamment pas tenu compte du fait que l'entente concernait, pour les grands constructeurs, le prix d'achat, et non le prix de vente, et que ce prix d'achat ne représentait qu'une partie minime de ses coûts de production, sur lesquels elle ne réalisait une marge nette avant impôt que de moins de 5 %. De plus, la Commission aurait dû prendre en compte le fait qu'elle avait répercuté cette baisse de ses coûts d'achat sur les offres faites à ses clients.

192 La Commission rejette les arguments de la requérante.

b) Appréciation du Tribunal

193 Aux termes des dispositions du point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes, dans le cas d'infractions impliquant plusieurs entreprises, il pourra convenir de pondérer, dans certains cas, les montants déterminés à l'intérieur de chaque catégorie d'infraction " afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature ". Le septième alinéa précise ainsi que " le principe d'égalité de sanction pour un même comportement peut conduire, lorsque les circonstances l'exigent, à l'application de montants différenciés pour les entreprises concernées sans que cette différentiation n'obéisse à un calcul arithmétique ".

194 La Commission a indiqué, aux considérants 318 à 322 de la décision attaquée, que, afin de tenir compte de l'importance spécifique du comportement illicite de chaque entreprise impliquée dans l'entente et de son impact réel sur la concurrence, elle a opéré une distinction entre les entreprises concernées en fonction de leur importance relative sur le marché en cause. Compte tenu de la nature particulière de l'entente, qui concernait les vendeurs et les acheteurs d'un même produit au sein d'une même zone d'activités, elle a mesuré l'importance relative de ces entreprises par leurs parts de marché calculées sur la base de la valeur des ventes de bitume routier, pour les fournisseurs, ou des achats de bitume routier, pour les constructeurs, en 2001, dernière année pleine de l'infraction. Elle a ainsi classé les entreprises en six catégories et placé la requérante dans la troisième catégorie, qui regroupe des parts de marché de 12,4 à 13,5 %, obtenant un montant de départ de 9,5 millions d'euro pour la requérante. Par ailleurs, elle a indiqué, au considérant 317 de la décision attaquée, que, même si les infractions très graves peuvent faire l'objet d'amendes de plus de 20 millions d'euro, elle n'avait fixé ce montant qu'à 15 millions d'euro, compte tenu du fait que l'infraction était limitée au bitume routier vendu dans un seul État membre, de la valeur relativement faible de ce marché (62 millions d'euro en 2001) et du nombre élevé de participants.

195 Le juge de l'Union a déjà indiqué que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 1-2003, d'une marge d'appréciation concernant la fixation du montant des amendes, afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence, et qu'il incombe au Tribunal de contrôler si le montant de l'amende infligée est proportionné par rapport à la gravité et à la durée de l'infraction et de mettre en balance la gravité de l'infraction et les circonstances invoquées par le requérant (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 21 octobre 2003, General Motors Nederland et Opel Nederland/Commission, T-368-00, Rec. p. II-4491, point 189).

196 Le juge de l'Union a, en outre, précisé que, bien qu'elles ne prévoient pas que le montant des amendes soit calculé en fonction du chiffre d'affaires global ou du chiffre d'affaires pertinent, les lignes directrices pour le calcul des amendes ne s'opposent pas à ce que de tels chiffres d'affaires soient pris en compte dans le cadre de la détermination du montant de l'amende afin de respecter les principes généraux du droit de l'Union et lorsque les circonstances l'exigent, et que la Commission peut ainsi répartir les entreprises concernées en plusieurs catégories, en s'appuyant sur le chiffre d'affaires réalisé par chaque entreprise pour les produits concernés par la procédure (voir, en ce sens, arrêt Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, point 176 supra, points 176 et 177). De même, la Commission peut procéder à une répartition des entreprises en cause en fonction de leur importance sur le marché, qui peut être mesurée, dans le cas d'une entente entre vendeurs et acheteurs, par leurs parts de marché calculées sur la base de la valeur des ventes ou des achats concernés.

197 Cette méthode consistant à répartir les membres d'une entente en catégories aux fins de réaliser un traitement différencié au stade de la fixation des montants de départ des amendes, dont le principe a été reconnu légal par la jurisprudence, bien qu'elle revienne à ignorer les différences de taille entre entreprises d'une même catégorie, entraîne une forfaitisation du montant de départ fixé aux entreprises appartenant à une même catégorie. La Commission peut ainsi, notamment, répartir les entreprises concernées en plusieurs catégories en procédant, par exemple, par tranches de 5 ou de 10 % de parts de marché. Le juge de l'Union souligne cependant qu'une telle répartition doit respecter le principe d'égalité de traitement et que le montant des amendes doit, au moins, être proportionné par rapport aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l'infraction, le juge de l'Union se limitant à contrôler que cette répartition est cohérente et objectivement justifiée (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 8 octobre 2008, SGL Carbon/Commission, T-68-04, Rec. p. II-2511, points 62 à 70, et Hoechst/Commission, point 159 supra, points 123 et 124).

198 Il est de jurisprudence constante que la Commission n'est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction en question, ainsi que cela est rappelé dans le point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes, d'effectuer le calcul de l'amende à partir de montants fondés sur le chiffre d'affaires des entreprises concernées. De même, dans le cas d'une entente entre vendeurs et acheteurs, elle n'est pas tenue de procéder à ce calcul en se fondant sur la valeur des ventes ou des achats des entreprises en cause. Il est, certes, loisible à la Commission de tenir compte du chiffre d'affaires de l'entreprise en cause ou, dans le cas d'une entente entre vendeurs et acheteurs, de la valeur des ventes et des achats du produit concerné, mais il ne faut pas attribuer une importance disproportionnée à ces chiffres par rapport à d'autres éléments d'appréciation. La Commission conserve donc une certaine marge d'appréciation par rapport à l'opportunité d'effectuer une pondération des amendes en fonction de la taille de chaque entreprise. Ainsi, elle n'est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes, de s'assurer, au cas où des amendes sont infligées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finaux des amendes traduisent une différenciation entre les entreprises concernées quant à leur chiffre d'affaires global (arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C-407-04 P, Rec. p. I-829, points 141 à 144), à leur chiffre d'affaires sur le marché du produit en cause (arrêt du Tribunal du 29 novembre 2005, Union Pigments/Commission, T-62-02, Rec. p. II-5057, point 159), ou, dans le cas d'une entente entre vendeurs et acheteurs, quant au montant de leurs ventes ou de leurs achats sur le marché en cause.

199 Il est également de jurisprudence constante que le fait que la méthode de calcul exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes n'est pas fondée sur la valeur des ventes ou des achats des entreprises concernées et permet, de ce fait, qu'apparaissent des disparités entre les entreprises, en ce qui concerne le rapport entre la valeur de leurs ventes ou de leurs achats et le montant des amendes qui leur sont infligées, est sans pertinence pour apprécier si la Commission a violé les principes de proportionnalité et d'égalité de traitement ainsi que d'individualité des peines (arrêt du Tribunal du 6 mai 2009, Wieland-Werke/Commission, T-116-04, Rec. p. II-1087, points 86 et 87).

200 Il appartient dès lors au Tribunal de vérifier uniquement, en l'espèce, que la répartition des entreprises effectuée par la Commission a été cohérente et objectivement justifiée. Or, la Commission a indiqué, aux considérants 29 et 320 de la décision attaquée, que la présente affaire concernant une entente entre vendeurs et acheteurs du même produit dans la même zone d'activités, il convenait d'établir un unique classement en fonction du chiffre d'affaires du produit concerné. Dès lors, bien que l'entente ait concerné le prix d'achat pour les grands constructeurs et le prix de vente pour les fournisseurs, la Commission pouvait établir un unique classement, en fonction de la valeur des ventes ou des achats du produit concerné, sans méconnaître ses obligations de cohérence et de justification objective. Il ressort enfin de la jurisprudence exposée précédemment que la Commission n'était pas tenue de prendre en compte les circonstances, à les supposer établies, selon lesquelles la requérante aurait répercuté la baisse de ses coûts d'achat due à l'entente sur les offres faites à ses clients et le prix d'achat du bitume n'aurait représenté qu'une partie minime de ses coûts de production.

4. Sur l'appréciation erronée de la durée de l'infraction

a) Arguments des parties

201 En quatrième et dernier lieu, la requérante considère qu'elle a participé à l'infraction au plus tôt à partir de 1996, et non de 1994. Elle estime que la négociation d'une remise collective minimale ne saurait être considérée comme un accord restreignant la concurrence et que la Commission n'a ni démontré l'existence d'une autre forme de négociation avant 1996 ni qu'elle avait conclu des accords visant à fixer avec les fournisseurs la remise maximale pouvant être accordée aux petits constructeurs. Elle admet uniquement que, à une occasion, en 2000, les grands constructeurs ont négocié collectivement avec les fournisseurs une remise supplémentaire, car ils s'étaient aperçus que ces derniers ne leur accordaient aucune remise effective liée au volume de leurs achats.

202 La Commission rejette les arguments de la requérante.

b) Appréciation du Tribunal

203 Selon le considérant 326 de la décision attaquée, la Commission estime que la requérante a participé à l'infraction du 1er avril 1994 au 15 avril 2002. La requérante estime que la Commission a commis une erreur de fait en ne différenciant pas le comportement des grands constructeurs de celui des fournisseurs, seuls ces derniers ayant mis en place une entente avant 1996.

204 Il ressort cependant de plusieurs éléments du dossier que les grands constructeurs participaient déjà à l'entente avant 1996, laquelle portait déjà sur la remise spécifique accordée au W5 (considérants 175 à 178 de la décision attaquée). Ainsi, deux documents saisis chez HBG en date des 28 mars et 8 juillet 1994 font mention d'accords entre le W5 et les fournisseurs sur le prix brut jusqu'au 1er janvier 1995 ainsi que sur la remise spécifique accordée au W5 (considérants 93 et 94 de la décision attaquée). Par ailleurs, deux notes internes de SNV des 6 et 9 février 1995 font également mention des accords sur les prix et les remises spéciales conclus entre le W5 et les fournisseurs (considérant 89 de la décision attaquée). Enfin, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante a également indiqué qu'une concertation distincte du W5 avait déjà eu lieu lors de cette période (considérant 177 de la décision attaquée).

205 La requérante conteste, en outre, l'existence d'un plafond concernant la remise accordée aux petits constructeurs, notamment avant 1996. Plusieurs documents attestent cependant de son existence dans les négociations de l'entente dès 1994, comme cela a été exposé au point 52 ci-dessus : déclarations de fournisseurs (considérants 50, 53 et 54 et 82 à 86 de la décision attaquée), documents contemporains de l'infraction (considérants 82 à 85, 93, 95, 108, 115, 116 et 153 de la décision attaquée) et réponses de la requérante à une demande de renseignements de la Commission et à la communication des griefs (considérants 72, 97 et 119 de la décision attaquée).

206 Il convient donc de rejeter également cet argument.

207 En conclusion, le moyen tiré de l'existence d'erreurs de fait et de droit dans le calcul du montant de base de l'amende doit être rejeté.

B - Sur les circonstances aggravantes

208 Le deuxième moyen est tiré de l'existence d'erreurs de fait et de droit et de la violation des droits de la défense de la requérante dans la prise en compte des circonstances aggravantes. La requérante reproche à la Commission d'avoir injustement augmenté le montant de l'amende en se fondant, d'une part, sur son absence de coopération lors d'une inspection et, d'autre part, sur son rôle d'incitateur et de meneur de l'entente.

1. Sur la circonstance aggravante relative au refus de collaborer lors de l'inspection

a) Arguments des parties

209 La requérante estime que la décision de la Commission d'augmenter le montant de base de son amende de 10 %, au motif qu'elle aurait refusé de coopérer lors de l'inspection de la Commission du 1er octobre 2002 et qu'elle se serait livrée à des tentatives d'obstruction durant cette inspection, est contestable pour quatre raisons.

210 En premier lieu, la Commission aurait violé ses droits de la défense en ne lui indiquant pas, dans la communication des griefs, que les incidents seraient pris en compte dans le calcul de l'amende. Si la Commission a ainsi mentionné les deux incidents en cause dans la partie de la communication des griefs relative à la procédure, rien ne lui permettait cependant de conclure que la Commission avait l'intention de tenir compte de ces éléments de fait dans le calcul de l'amende, dès lors qu'il n'en était fait aucune mention dans la partie de la communication des griefs consacrée aux circonstances aggravantes. La requérante indique, en outre, qu'elle ne pouvait avoir connaissance de la pratique de la Commission à cet égard par le biais du contenu des communications des griefs dans d'autres affaires, dès lors qu'il ne s'agit pas de documents publics.

211 En deuxième lieu, le refus de coopération serait matériellement non fondé, aucune infraction à l'article 15, paragraphe 1, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), qui a été abrogé et remplacé par le règlement n° 1-2003, ou à la décision de vérifications, ordonnée en application de l'article 14, paragraphe 3, du même règlement (ci-après la " décision de vérifications "), n'ayant été constatée. Il ressortirait ainsi du premier procès-verbal de refus que la secrétaire du directeur de la requérante a demandé aux inspecteurs de la Commission d'attendre l'arrivée de ses avocats externes avant de pénétrer dans les locaux. Ces inspecteurs auraient cependant refusé de lui accorder un quelconque délai et auraient immédiatement réquisitionné les forces de police et forcé l'accès aux bureaux, sans même s'enquérir de l'éventuelle présence d'un juriste interne susceptible de les recevoir et de les assister. Contrairement à ce qu'affirme la Commission, cet incident n'aurait pas duré plus de 20 minutes. La Commission aurait, en outre, violé ses droits de la défense en ne lui accordant pas un délai raisonnable pour bénéficier d'une assistance juridique, dès lors qu'elle ne disposait d'aucun juriste interne présent sur les lieux de l'inspection. Le second procès-verbal ferait état du refus, par les avocats externes de la requérante, d'accorder aux inspecteurs l'accès au bureau de l'un de ses directeurs qui était absent, car ils estimaient que celui-ci ne contenait aucun document relatif au bitume et que le mandat de la Commission ne lui permettait pas d'y avoir accès. La Commission indique avoir dû solliciter l'assistance de l'autorité néerlandaise de la concurrence, qui a pris contact avec les autorités de police, afin de pouvoir accéder à ce bureau. La requérante estime cependant que ce procès-verbal ne reflète pas la réalité. En effet, si ses avocats auraient initialement refusé l'accès audit bureau, ils s'y seraient cependant rapidement résolus, ce qui ne constituerait donc qu'un incident mineur et non une tentative d'obstruction de l'enquête. Le procès-verbal n'indiquerait pas, ainsi, que quelqu'un se soit introduit dans ledit bureau et que des moyens de preuve aient pu être dissimulés pendant ce bref laps de temps. Enfin, la requérante souligne que les deux procès-verbaux, établis le 3 octobre 2002, soit après lesdites vérifications, ne lui ont été transmis que dans le cadre de l'accès au dossier et qu'elle n'a, dès lors, pas été en mesure de faire valoir ses observations à temps, en violation du principe de bonne administration de la justice.

212 En troisième lieu, la majoration de l'amende pour refus de coopération serait contraire aux dispositions de l'article 15, paragraphe 1, du règlement n° 17 qui étaient en vigueur au moment des faits et qui prévoyaient une amende maximale de 5 000 euro lorsqu'une entreprise ne se soumettait pas à une décision de vérifications. La requérante estime ainsi que la Commission ne pouvait se fonder sur les lignes directrices pour le calcul des amendes pour déroger à ces dispositions et que, en cherchant à lui infliger une telle majoration sur la base des dispositions du règlement n° 1-2003, elle a commis un abus de pouvoir.

213 En quatrième et dernier lieu, la majoration de l'amende de 1,71 million d'euro pour refus de coopération serait disproportionnée au regard des faits décrits dans les procès-verbaux établis par la Commission.

214 La Commission rejette l'ensemble des arguments de la requérante.

b) Appréciation du Tribunal

215 Il ressort de la décision attaquée, et notamment de ses considérants 32, 340 et 341, que la Commission a procédé, le 1er octobre 2002, à des vérifications, notamment dans les locaux de la requérante, et que, lors de cette inspection, celle-ci a, dans un premier temps, refusé l'entrée du bâtiment aux agents de la Commission dans l'attente de l'arrivée de ses avocats externes et, dans un second temps, s'est opposée à les laisser accéder au bureau de l'un de ses directeurs. La Commission a, dès lors, sollicité l'assistance des autorités de police afin de procéder à ces vérifications. Les agents de la Commission ont établi deux procès-verbaux relatifs à ces incidents le 3 octobre 2002, qui ont été transmis à la requérante dans le cadre de l'accès au dossier accordé par la Commission le 19 octobre 2004. La requérante avance quatre arguments pour contester la décision de la Commission d'augmenter le montant de base de son amende de 10 % pour ce motif.

Sur la violation des droits de la défense liée au contenu de la communication des griefs

216 En premier lieu, la requérante estime que, en ne lui ayant pas indiqué dans la communication des griefs que son amende pouvait être augmentée en raison de ces refus de coopération, la Commission a méconnu ses droits de la défense. Il ressort cependant de la communication des griefs que la Commission a mentionné les deux refus de coopération dans la partie relative à la procédure, en précisant qu'ils constituaient des infractions à l'article 1er de sa décision d'inspection du 26 septembre 2002 (point 85). Par ailleurs, dans la partie de la communication des griefs consacrée aux mesures correctives, la Commission a rappelé les principes régissant la fixation des amendes, en précisant qu'elle tiendrait notamment compte des éventuelles circonstances atténuantes ou aggravantes, sans autre précision (point 361).

217 Selon une jurisprudence constante, dès lors que la Commission indique expressément, dans la communication des griefs, qu'elle va examiner s'il convient d'infliger des amendes aux entreprises concernées et qu'elle indique également les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d'entraîner l'imposition d'une amende, tels que la gravité et la durée de l'infraction supposée et le fait d'avoir commis celle-ci de propos délibéré ou par négligence, elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises d'être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l'infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, point 176 supra, point 21, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission, T-31-99, Rec. p. II-1881, point 78). En ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises concernées sont garantis devant la Commission à travers la possibilité de présenter des observations sur la durée, la gravité et la prévisibilité du caractère anticoncurrentiel de l'infraction. Par ailleurs, les entreprises bénéficient d'une garantie supplémentaire, en ce qui concerne la détermination du montant de l'amende, dans la mesure où le Tribunal statue avec compétence de pleine juridiction et peut notamment supprimer ou réduire l'amende, en vertu de l'article 31 du règlement nº 1-2003 (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83-91, Rec. p. II-755, point 235 ; voir, en ce sens, arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, précité, point 79). Le juge de l'Union en a conclu que la Commission pouvait se limiter à indiquer, sans plus de précision, dans la communication des griefs, qu'elle tiendrait compte du rôle individuel joué par chaque entreprise dans les accords en cause et que le montant de l'amende refléterait les éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes, dès lors que les lignes directrices pour le calcul des amendes détaillent les circonstances qui peuvent être considérées comme aggravantes (arrêt Groupe Danone/Commission, point 137 supra, points 50 à 56).

218 En l'espèce, la Commission a, conformément à la jurisprudence susmentionnée, indiqué expressément, dans la communication des griefs (points 357 à 362), son intention d'infliger des amendes aux entreprises qui en étaient destinataires et les éléments de fait et de droit dont elle tiendrait compte pour le calcul du montant de l'amende à infliger à la requérante, de sorte que, à cet égard, son droit à être entendue a été respecté. S'agissant plus particulièrement de la circonstance aggravante de refus de coopération pendant le déroulement de l'enquête retenue à l'encontre de la requérante, il y a lieu de relever, d'une part, que les lignes directrices pour le calcul des amendes la citent comme exemple de circonstance aggravante et, d'autre part, que la Commission a indiqué, dans la communication des griefs, qu'elle tiendrait compte du rôle individuel joué par chaque entreprise dans les accords en cause et que le montant de l'amende refléterait les éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes (point 361). La requérante ne pouvait donc ignorer que la Commission pourrait retenir cette circonstance aggravante si elle aboutissait à la conclusion que ses conditions d'application se trouvaient réunies. La Commission n'a donc pas méconnu ses droits de la défense.

Sur l'erreur de qualification juridique des faits

219 En deuxième lieu, la requérante estime que la Commission a commis une erreur de qualification juridique des faits en qualifiant les deux incidents en cause de refus de se soumettre à la décision de vérifications, au sens des dispositions de l'article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 17, en vigueur au moment desdites vérifications. Selon la requérante, elle était en droit de demander à la Commission de ne pas procéder aux vérifications jusqu'à l'arrivée de ses avocats externes, afin de protéger ses droits de la défense, et, en tout état de cause, les inspecteurs de la Commission ont pu procéder très rapidement aux vérifications souhaitées.

- Sur le premier incident

220 Il ressort du dossier que des inspecteurs de la Commission et des fonctionnaires de l'autorité néerlandaise de la concurrence se sont présentés à la réception des locaux de la requérante à Utrecht le 1er octobre 2002, à 9 h 30, munis d'une décision de la Commission ordonnant à la requérante de se soumettre à une décision de vérifications. L'entrée du bâtiment leur a cependant été refusée par la secrétaire du directeur, qui leur a demandé d'attendre l'arrivée des avocats externes de la requérante dans une salle d'attente située au rez-de-chaussée, et ne leur a finalement été accordée qu'après l'arrivée de la police, appelée par les fonctionnaires de l'autorité néerlandaise de la concurrence, à la demande des inspecteurs de la Commission. La Commission a estimé que ce refus avait engendré un retard de 47 minutes. La requérante considère qu'elle était en droit de demander à la Commission d'attendre l'arrivée de ses avocats, dont le cabinet se trouvait à La Haye (Pays-Bas), soit à une distance de 60 km, dès lors qu'elle ne disposait pas de juriste interne à l'entreprise.

221 Le Tribunal relève que la requérante se borne à affirmer qu'elle était en droit d'exiger de la Commission qu'elle attende l'arrivée de ses avocats externes, spécialisés en droit de la concurrence, avant de commencer à procéder à la vérification prévue, sans se fonder à cette fin sur une disposition réglementaire particulière du droit de l'Union européenne ou du droit néerlandais.

222 Il est vrai que le juge de l'Union a déjà considéré que le seul exercice des droits de la défense ne saurait constituer un refus de toute coopération au sens du point 2, deuxième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T-9-99, Rec. p. II-1487, point 478, confirmé, sur ce point, par l'arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 176 supra, point 353).

223 De plus, selon une jurisprudence constante, le principe juridique de la procédure équitable constitue un principe général du droit de l'Union, déduit des droits fondamentaux, également fondé sur la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la " CEDH "), et plus particulièrement sur son article 6. Ainsi, lorsqu'un requérant se prévaut d'un tel principe, l'on considère qu'il a implicitement fait référence à la CEDH (conclusions de l'avocat général M. Gellhoed sous l'arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Salzgitter Mannesmann/Commission, C-411-04 P, Rec. p. I-959, I-962, points 45 à 49).

224 Il appartient donc au Tribunal de répondre à ce grief en examinant si la Commission a respecté, en l'espèce, les garanties procédurales découlant des principes généraux du droit de l'Union et de la CEDH. Il convient, en outre, de tenir compte de l'article 47, paragraphes 1 et 2, et de l'article 48, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1), qui, même si elle n'avait pas un effet juridique contraignant comparable à celui du droit primaire au moment où la décision attaquée a été adoptée, fournissait, en tant que source d'interprétation du droit, un éclairage sur les droits fondamentaux garantis par le droit de l'Union (arrêts de la Cour du 27 juin 2006, Parlement/Conseil, C-540-03, Rec. p. I-5769, point 38, et du 13 mars 2007, Unibet, C-432-05, Rec. p. I-2271, point 37).

225 Il faut rappeler, à cet égard, que, aux termes de l'article 6, paragraphe 3, sous C, de la CEDH, " tout accusé a droit à se défendre lui-même ou à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix " et que, selon l'article 47, alinéa 2, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, " toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter ".

226 Tout d'abord, le Tribunal relève que ni le règlement n° 17, applicable à la date où sont intervenues les vérifications, ni le règlement n° 1-2003, ni le règlement (CE) n° 773-2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 123, p. 18), ne comportent de disposition relative à la présence d'un avocat lors des vérifications.

227 Par ailleurs, il convient de préciser que l'exercice des droits de la défense s'inscrit principalement dans le cadre des procédures judiciaires ou administratives visant à faire cesser une infraction ou à constater une incompatibilité légale. En revanche, la procédure de vérification dont il est question à l'article 14 du règlement n°17 ne vise pas à faire cesser une infraction ou à constater une incompatibilité légale, mais a uniquement pour objet de permettre à la Commission de recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée d'une situation de fait et de droit déterminée. C'est uniquement si la Commission estime que les éléments d'appréciation ainsi réunis justifient l'adoption d'une décision constatant une infraction que l'entreprise concernée doit, avant qu'une telle décision ne soit prise, être entendue, en application de l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17. C'est précisément cette différence substantielle entre les décisions prises à l'issue d'une telle procédure et les décisions de vérifications qui explique la teneur de l'article 19, paragraphe 1, lequel, en énumérant les décisions que la Commission ne peut prendre avant d'avoir donné aux intéressés la possibilité d'exercer leur droit de la défense, ne mentionne pas celle prévue à l'article 14, paragraphe 3, du même règlement (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136-79, Rec. p. 2033, point 21).

228 Le juge de l'Union a cependant estimé qu'il importe d'éviter que les droits de la défense ne puissent être irrémédiablement compromis dans le cadre de procédures d'enquête préalable et, notamment, lors de vérifications, qui peuvent avoir un caractère déterminant pour l'établissement de preuves du caractère illégal de comportements d'entreprises de nature à engager leur responsabilité. Par conséquent, si certains droits de la défense ne concernent que les procédures contradictoires qui font suite à une communication de griefs, d'autres droits, par exemple celui d'avoir une assistance juridique et celui de préserver la confidentialité de la correspondance entre avocat et client, reconnu par la Cour dans l'arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission (155-79, Rec. p. 1575), doivent être respectés dès le stade de l'enquête préalable (arrêts de la Cour du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46-87 et 227-88, Rec. p. 2859, points 15 et 16 ; du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission 85-87, Rec. p. 3137, point 27, et Dow Chemical Ibérica e.a./Commission 97-87 à 99-87, Rec. p. 3165, points 12 et 13).

229 En tout état de cause, la Cour européenne des droits de l'homme elle-même a reconnu, en matière pénale, que, si l'article 6 de la CEDH exige normalement que le pr"venu puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police, ce droit peut toutefois être soumis à des restrictions pour des raisons valables et qu'il s'agit de savoir dans chaque cas si, à la lumière de l'ensemble de la procédure, la restriction a privé l'accusé d'un procès équitable (voir Cour eur. D. H., arrêt Murray c. Royaume-Uni du 8 février 1996, Recueil des arrêts et décisions, 1996, § 63).

230 Or, dans le cadre des dispositions de l'article 14 du règlement n° 17, il convient de s'assurer que le respect des droits de la défense ne porte pas atteinte à l'effet utile des vérifications afin que la Commission puisse exercer ses fonctions de gardienne du traité en matière de concurrence (arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Ventouris/Commission, T-59-99, Rec. p. II-5257, point 122). La Cour a ainsi reconnu que les pouvoirs de procéder à des vérifications sans communication préalable ne constituaient pas une atteinte aux droits fondamentaux des entreprises, les pouvoirs conférés à la Commission par l'article 14 du règlement n° 17 ayant pour but de permettre à celle-ci d'accomplir la mission qui lui était confiée par le traité CE, de veiller au respect des règles de concurrence dans le marché intérieur, d'éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l'intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs et de concourir au maintien du régime concurrentiel voulu par le traité, dont le respect s'impose impérativement aux entreprises (arrêt National Panasonic/Commission, point 227 supra, point 20).

231 C'est pourquoi il est nécessaire de mettre en balance les principes généraux du droit de l'Union relatifs aux droits de la défense et l'effet utile du pouvoir de vérification de la Commission, en prévenant la destruction ou la dissimulation possible de documents pertinents.

232 Dès lors, le Tribunal estime que la présence d'un avocat externe ou d'un juriste interne à l'entreprise est possible lorsque la Commission procède à une vérification, mais que la présence d'un avocat externe ou d'un juriste interne ne saurait conditionner la légalité de la vérification. Lorsqu'une entreprise le souhaite, et notamment lorsqu'elle ne dispose pas de juriste sur les lieux de la vérification, elle peut ainsi solliciter les conseils d'un avocat par téléphone et lui demander de s'y rendre dans les meilleurs délais. Afin que l'exercice de ce droit à l'assistance d'un avocat ne puisse porter atteinte au bon déroulement de la vérification, les personnes chargées d'effectuer la vérification doivent pouvoir pénétrer immédiatement dans tous les locaux de l'entreprise, lui notifier la décision d'inspection et occuper les bureaux de leur choix, sans attendre que l'entreprise ait consulté son avocat. Les personnes chargées d'effectuer la vérification doivent également être mises en mesure de contrôler les communications téléphoniques et informatiques de l'entreprise afin d'éviter notamment que cette dernière ne se mette en contact avec d'autres entreprises faisant également l'objet d'une décision de vérifications. Par ailleurs, le délai que la Commission est tenue d'accorder à une entreprise afin qu'elle puisse prendre contact avec son avocat, avant qu'elle ne commence à consulter les livres et autres documents, à en prendre des copies, à apposer des scellés sur des locaux ou des documents ou à solliciter des explications orales à tout représentant ou membre du personnel de l'entreprise, dépend des circonstances particulières propres à chaque cas d'espèce et, en tout état de cause, ne saurait être qu'extrêmement limité et réduit au strict minimum.

233 En l'espèce, en refusant de faire droit à la demande de la requérante tendant à attendre l'arrivée de ses avocats externes dans une salle d'attente avant de permettre à la Commission de pénétrer dans ses locaux, et notamment dans le bureau de son directeur général, la Commission n'a pas méconnu ses droits de la défense. Dès lors, il convient de qualifier le refus de la requérante d'accorder l'accès à son bâtiment aux inspecteurs de la Commission avant l'arrivée de ses avocats, qui a provoqué un retard de 47 minutes dans les opérations de vérification, de refus de se soumettre à la décision de vérifications au sens des dispositions de l'article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 17.

- Sur le second incident

234 La requérante considère que l'incident intervenu l'après-midi du 1er octobre 2002 n'était pas constitutif d'un refus de se soumettre à la décision de vérifications, dès lors qu'il a été très bref et n'a donc entraîné aucun risque de destruction ou de dissimulation de document.

235 Il ressort cependant des documents produits par la Commission que, au cours de l'après-midi du 1er octobre 2002, les avocats externes de la requérante, une fois arrivés sur place, ont refusé à la Commission l'accès au bureau de l'un des directeurs, au motif qu'aucun document relatif au bitume ne s'y trouvait, jusqu'à ce que, à la demande de la Commission, les fonctionnaires de l'autorité néerlandaise de la concurrence prennent contact avec la police. Le procès-verbal établi par la Commission ne précise pas le retard exact engendré par ces discussions. La décision de vérifications de la Commission du 26 septembre 2002 autorisait pourtant les inspecteurs à pénétrer dans tous les locaux, terrains et moyens de transport de l'entreprise pendant les heures normales d'ouverture des bureaux et à examiner tous les livres et documents professionnels.

236 Or, selon la jurisprudence, les entreprises ont l'obligation de collaborer activement aux mesures d'investigation au cours de la procédure d'enquête préalable (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 158 supra, points 65, 207 et 208).

237 Par ailleurs, tant la finalité du règlement n° 17 que l'énumération, à son article 14, des pouvoirs dont sont investis les agents de la Commission font apparaître que les vérifications peuvent avoir une portée très large. À cet égard, le droit d'accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises présente une importance particulière dans la mesure où il doit permettre à la Commission de recueillir les preuves des infractions aux règles de concurrence dans les lieux où elles se trouvent normalement, c'est-à-dire dans les locaux commerciaux des entreprises (arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, point 228 supra, point 26).

238 Le juge de l'Union a également souligné que la Commission peut exercer son pouvoir de vérification dans tous les locaux commerciaux de l'entreprise visée par la décision prise par elle tout en respectant les droits de la défense (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, point 228 supra, points 14 et 15) ainsi que les droits attachés à la protection de la propriété (voir Cour eur. D. H., arrêt Colas Est e.a. c. France du 16 avril 2002, Recueil des arrêts et décisions, 2002, § 40 et 41 ; arrêt de la Cour du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C-94-00, Rec. p. I-9011, point 29, et ordonnance de la Cour du 17 novembre 2005, Minoan Lines/Commission, C-121-04 P, non publiée au Recueil, point 37). En outre, il appartient à la Commission et non à l'entreprise intéressée ou à un tiers de décider si un document doit ou non lui être présenté (arrêt AM & S Europe/Commission, point 228 supra, point 17).

239 Dès lors, le simple fait que les avocats de la requérante ont, dans un premier temps, refusé d'accorder à la Commission l'accès au bureau de l'un de ses directeurs est suffisant pour considérer que la requérante a refusé de se soumettre totalement à la décision de vérifications, sans qu'il appartienne à la Commission d'établir que le retard engendré par ce refus a pu provoquer la destruction ou la dissimulation de documents.

240 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Commission n'a pas commis d'erreur de qualification juridique des faits en qualifiant ces deux incidents de refus de se soumettre à une décision de vérifications.

Sur le principe de bonne administration

241 Enfin, la requérante reproche à la Commission d'avoir méconnu le principe de bonne administration en n'établissant les procès-verbaux qu'après les vérifications et en ne les lui transmettant que dans le cadre de l'accès au dossier, soit après la communication des griefs, l'empêchant ainsi de faire valoir ses éventuelles observations en temps utile.

242 Il convient cependant de relever qu'aucune disposition réglementaire n'imposait à la Commission d'établir un procès-verbal de refus de se soumettre à la décision de vérifications dans un délai spécifique, ni de transmettre ce document à l'entreprise concernée dans un délai particulier. Or, le juge de l'Union considère que le principe de bonne administration ne saurait transformer en obligation ce que le législateur n'a pas considéré comme en étant une (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 31 mars 1992, Burban/Parlement, C-255-90 P, Rec. p. I-2253, point 20).

243 Le Tribunal souligne que, en tout état de cause, la requérante a eu la possibilité de réagir au contenu de ces deux procès-verbaux lorsque la Commission lui a accordé l'accès au dossier après la communication des griefs, mais qu'elle ne l'a pas fait.

Sur la violation des dispositions de l'article 15 du règlement n° 17

244 En troisième lieu, la requérante considère que, le règlement n° 17 étant seul en vigueur au moment des faits, la Commission n'était en droit de faire application ni des dispositions du règlement n° 1-2003, qui n'étaient pas en vigueur, ni des lignes directrices pour le calcul des amendes, qui ne sauraient déroger aux dispositions du règlement n° 17. La Commission aurait ainsi commis un détournement de pouvoir.

245 L'article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 17 prévoyait pour la Commission la possibilité d'infliger une amende maximale de 5 000 euro à toute entreprise ne se soumettant pas à une décision de vérifications et l'article 15, paragraphe 2, du même règlement l'autorisait à infliger des amendes pouvant représenter jusqu'à 10 % de leur chiffre d'affaires aux entreprises commettant une infraction aux dispositions de l'article 81, paragraphe 1, CE, calculées en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction. Les dispositions de l'article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 17 permettaient ainsi à la Commission d'infliger une amende à une entreprise pour refus de coopération lors des vérifications, alors même qu'une telle infraction à l'article 81 CE ne serait pas établie. Contrairement à ce qu'affirme la requérante, avant l'entrée en vigueur des lignes directrices pour le calcul des amendes, aucune disposition du règlement n° 17 n'interdisait donc à la Commission de sanctionner un refus de coopération pendant le déroulement de l'enquête lors de la détermination du montant de l'amende globale infligée sur le fondement de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement, plutôt que d'infliger une amende distincte à l'entreprise sur le fondement des dispositions de l'article 15, paragraphe 1, sous c), de ce texte.

246 Selon la jurisprudence (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa, C-331-88, Rec. p. I-4023, point 24), le détournement de pouvoir constitue l'adoption, par une institution de l'Union, d'un acte dans le but exclusif ou, tout au moins, déterminant d'atteindre des fins autres que celles excipées ou d'éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l'espèce. Le juge de l'Union estime ainsi qu'un acte n'est entaché de détournement de pouvoir que s'il apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d'atteindre des fins autres que celles excipées (voir arrêt de la Cour du 11 novembre 2004, Ramondín e.a./Commission, C-186-02 P et C-188-02 P, Rec. p. I-10653, point 44, et la jurisprudence citée).

247 Il convient donc de déterminer si, comme le soutient la requérante, l'adoption par la Commission des lignes directrices pour le calcul des amendes, qui prévoient expressément la possibilité pour la Commission de prendre en compte un refus de coopération ou une tentative d'obstruction pendant le déroulement de l'enquête au titre des circonstances aggravantes dans le cadre de la fixation de l'amende, a eu pour objet déterminant de contourner le plafond de 5 000 euro fixé par les dispositions de l'article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 17.

248 Le juge de l'Union a déjà indiqué que le règlement n° 17 avait laissé une marge d'appréciation importante à la Commission pour déterminer les amendes. Dès lors, l'introduction par cette dernière d'une nouvelle méthode de calcul des amendes, par le biais des lignes directrices pour le calcul des amendes, pouvant entraîner, dans certains cas, une augmentation du montant des amendes, sans pour autant excéder la limite maximale fixée par le même règlement, ne peut être considérée comme une aggravation, avec effet rétroactif, des amendes telles qu'elles sont juridiquement prévues par l'article 15 du règlement n° 17 contraire aux principes de légalité et de sécurité juridique (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 176 supra, points 252, 254, 258, 260, 261 et 267, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T-23-99, Rec. p. II-1705, point 235).

249 Le juge de l'Union a en outre précisé que, étant donné que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n'énumérait pas de manière limitative les critères dont la Commission pouvait tenir compte pour fixer le montant de l'amende, le comportement de l'entreprise au cours de la procédure administrative, et notamment un refus de coopération ou des tentatives d'obstruction pendant le déroulement de l'enquête, pouvait faire partie des éléments dont il y a lieu de tenir compte lors de cette fixation (arrêts de la Cour du 11 janvier 1990, Sandoz prodotti farmaceutici/Commission, C-277-87, Rec. p. I-45, et du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C-298-98 P, Rec. p. I-10157, point 56 ; arrêt HFB e.a./Commission, point 222 supra, points 474 et 475, confirmé sur ce point par arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 176 supra, point 351).

250 Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que la requérante n'a pas établi que les lignes directrices pour le calcul des amendes, en ce qu'elles prévoient expressément la possibilité pour la Commission de prendre en compte un refus de coopération ou une tentative d'obstruction pendant le déroulement de l'enquête au titre des circonstances aggravantes dans la fixation de l'amende, ont été adoptées dans le but déterminant d'éluder la procédure de sanction prévue par les dispositions de l'article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 17, et notamment le plafond de 5 000 euro.

251 En conclusion, le Tribunal estime que la Commission avait la possibilité, en l'espèce, de sanctionner un refus de coopération, soit en infligeant à l'entreprise en cause une amende maximale de 5 000 euro au titre des dispositions de l'article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 17, soit en tenant compte, dans la fixation du montant de l'amende infligée à l'entreprise sur le fondement de l'article 15, paragraphe 2, du même règlement (devenu l'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003, en vigueur au moment où elle a adopté la décision attaquée), de la circonstance aggravante tirée d'un refus de coopération pendant le déroulement de l'enquête, et que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

Sur le caractère disproportionné de la majoration de l'amende au titre du refus de coopération

252 En quatrième et dernier lieu, la requérante considère que la majoration du montant de base de l'amende de 10 %, soit 1,71 million d'euro, infligée par la Commission au motif d'un refus de coopération, est, en tout état de cause, disproportionnée au regard des faits décrits dans les procès-verbaux.

253 Il convient de rappeler que les amendes constituent un instrument de la politique de concurrence de la Commission et que celle-ci doit, dès lors, disposer d'une marge d'appréciation dans la fixation de leur montant, afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150-89, Rec. p. II-1165, point 59 ; du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49-95, Rec. p. II-1799, point 53, et du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229-94, Rec. p. II-1689, point 127). Il incombe néanmoins au Tribunal de contrôler si le montant de l'amende infligée est proportionné par rapport à la durée et aux autres éléments de nature à entrer dans l'appréciation de la gravité de l'infraction, tels que l'influence que l'entreprise a pu exercer sur le marché, le profit qu'elle a pu tirer de ses pratiques, le volume et la valeur des prestations concernées et le risque que l'infraction représente pour les objectifs de l'Union (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, point 176 supra, points 120 et 129).

254 Même si la Commission n'est pas liée par sa pratique antérieure, il peut être utile au Tribunal, dans l'appréciation du caractère proportionné ou non de la majoration de l'amende infligée à la requérante, d'avoir connaissance des augmentations infligées à d'autres entreprises par la Commission pour ce même motif. En effet, il n'est pas à exclure que le Tribunal, dans l'exercice de ses pouvoirs de pleine juridiction, puisse estimer devoir augmenter ladite majoration. Or, le même taux de 10 % a également été appliqué dans trois autres affaires dans lesquelles la Commission a sanctionné des entreprises par une majoration spécifique de l'amende pour refus de coopération. Dans l'affaire dite " des transbordeurs grecs ", cette majoration sanctionnait une entreprise qui avait informé les autres entreprises membres de l'entente des réponses qu'elle avait apportées à une demande de renseignements et leur avait suggéré de modifier leurs prix (arrêt Minoan Lines/Commission, point 44 supra, points 335 à 339). Dans l'affaire Nintendo, cette majoration sanctionnait une entreprise ayant apporté une fausse réponse à une demande de renseignements [décision de la Commission du 30 octobre 2002, COMP-35.706 - PO Nintendo Distribution (JO 2003, L 255, p. 33)]. Enfin, dans l'affaire dite " des sacs industriels " (décision de la Commission du 30 novembre 2005, COMP-F-38.354 - Sacs industriels), cette majoration sanctionnait une entreprise dont l'un des salariés avait détruit un document sélectionné par les inspecteurs pendant la vérification, et cela alors même que l'entreprise avait, par la suite, envoyé une copie de ce document à la Commission.

255 En l'espèce, le Tribunal considère que, eu égard à la durée relativement brève de l'obstruction faite par la requérante aux opérations de vérification de la Commission, il n'y a pas lieu de faire usage de ses pouvoirs de pleine juridiction pour augmenter la majoration retenue par la Commission en l'espèce. Par ailleurs, cette majoration de 10 % du montant de l'amende n'apparaît pas disproportionnée compte tenu, d'une part, du comportement de la requérante pendant les vérifications et du caractère répété de ses tentatives d'obstruction dans la même journée et, d'autre part, de l'importance des vérifications comme instrument nécessaire à la Commission pour exercer ses fonctions de gardienne du traité en matière de concurrence (arrêt Ventouris/Commission, point 230 supra, point 122) et de la nécessité d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence.

256 L'argument de la requérante doit donc être rejeté.

2. Sur les rôles d'incitateur et de meneur

a) Sur le rôle d'incitateur

Arguments des parties

257 La requérante considère que, en lui attribuant, conjointement avec SNV, le rôle d'incitateur de l'entente, la Commission a commis des erreurs de fait qui justifient l'annulation en tout ou partie de la majoration de 50 % de l'amende qui lui a été infligée sur ce fondement. Selon la jurisprudence, cette qualification ne peut s'appliquer qu'à une entreprise ayant persuadé ou encouragé d'autres entreprises à établir une entente ou à la rejoindre (arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T-15-02, Rec. p. II-497, points 316 et 321). En l'espèce, la Commission se serait fondée sur deux éléments insuffisants pour lui attribuer le rôle d'incitateur de l'entente, alors même que SNV se serait tout au plus servie de la requérante pour contacter les autres constructeurs routiers du W5.

258 En premier lieu, la Commission se serait fondée sur un passage de la réponse de la requérante à la communication des griefs ayant été isolé de son contexte. Ce document permettrait uniquement de constater que SNV a effectué en 1993 une proposition de prix à la requérante, qu'elle a relatée lors de la réunion suivante du W5, et ne suffirait pas aux fins d'établir que la requérante aurait proposé au W5 de l'accepter.

259 En second lieu, la Commission a utilisé un rapport de Wintershall du 20 février 1992 indiquant que la requérante lui aurait fait savoir qu'elle avait pris des contacts avec SNV afin de lui demander d'effectuer des propositions de coopération entre les fournisseurs et le W5 et que SNV lui aurait ainsi soumis une offre de remise spéciale pour le W5 en 1993. Ce document serait cependant contredit par une note interne de SNV de 1995, il ne correspondrait pas aux souvenirs du salarié de la requérante auquel il est fait référence et son contenu serait improbable, Wintershall étant une société ayant peu de contacts avec la requérante.

260 En tout état de cause, la Commission ne saurait se fonder sur un seul élément, datant de 1992, soit avant le début de l'entente, et corroboré par aucun autre élément du dossier, afin d'établir son rôle d'incitateur de l'entente.

261 La Commission rappelle que la jurisprudence opère une distinction entre les rôles d'incitateur et de meneur et que, si le Tribunal devait considérer que les preuves sont insuffisantes en ce qui concerne l'un des deux rôles, il pourrait cependant maintenir la majoration de 50 % de l'amende (arrêt BASF/Commission, point 257 supra, points 342 à 349). En ce qui concerne la qualification d'incitateur d'une entente, la jurisprudence préciserait en outre que l'entreprise en cause doit avoir poussé ou encouragé d'autres entreprises à mettre en place l'entente ou à s'y joindre (arrêt BASF/Commission, point 257 supra, point 321). En l'espèce, la Commission indique s'être fondée sur deux documents, desquels il ressort que la requérante a encouragé d'autres entreprises à mettre en place une entente en prenant l'initiative, en tant que plus important constructeur routier, de contacter SNV, le fournisseur le plus important, afin de lui demander d'effectuer des suggestions relatives aux possibilités de collaboration entre les deux groupes et en ayant par la suite exposé aux autres entreprises du W5 la proposition effectuée par SNV relative à une remise spéciale. La déclaration du salarié de la requérante effectuée en juin 2005 dans le cadre de la réponse à la communication des griefs, selon laquelle il n'aurait jamais pris l'initiative de la concertation, est donc contraire au rapport de la société Wintershall relatant un entretien avec ce même salarié. La Commission souligne que le document de Wintershall de 1992, qui fait état d'une coopération future, coïncide en revanche avec le fait que l'entente ait débuté en 1993, comme l'établit notamment la réponse de la requérante à la communication des griefs, qui fait état de discussions avec SNV relatives à une remise spéciale accordée au W5 dès 1993.

Appréciation du Tribunal

262 Lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d'examiner la gravité relative de la participation de chacune d'entre elles (arrêts de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, point 623, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 158 supra, point 92), ce qui implique, en particulier, d'établir leurs rôles respectifs dans l'infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 30 supra, point 150, et arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6-89, Rec. p. II-1623, point 264).

263 Il en résulte, notamment, que le rôle d'incitateur ou de meneur joué par une ou plusieurs entreprises dans le cadre d'une entente doit être pris en compte aux fins du calcul du montant de l'amende, dans la mesure où les entreprises ayant joué un tel rôle doivent, de ce fait, porter une responsabilité particulière par rapport aux autres entreprises (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T-347-94, Rec. p. II-1751, point 291, et du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T-236-01, T-239-01, T-244-01 à T-246-01, T-251-01 et T-252-01, Rec. p. II-1181, point 301).

264 Conformément à ces principes, le point 2 des lignes directrices pour le calcul des amendes établit, sous le titre de circonstances aggravantes, une liste non exhaustive de circonstances pouvant amener à une augmentation du montant de base de l'amende et comprenant, notamment, le " rôle de meneur ou d'incitateur de l'infraction " (arrêt BASF/Commission, point 257 supra, points 280 à 282).

265 Il y a lieu d'observer que, pour être qualifiée d'incitateur d'une entente, une entreprise doit avoir poussé ou encouragé d'autres entreprises à mettre en place l'entente ou à s'y joindre. Il ne suffit pas, en revanche, d'avoir simplement figuré parmi les membres fondateurs de l'entente. Cette qualification devra être réservée à l'entreprise qui, le cas échéant, a pris l'initiative, par exemple en suggérant à l'autre l'opportunité d'une collusion ou en tentant de la convaincre d'y procéder (arrêt BASF/Commission, point 257 supra, point 321). Le juge de l'Union n'impose cependant pas à la Commission de détenir des éléments relatifs à l'élaboration ou à la conception des détails de l'entente. Il a enfin précisé que le rôle d'incitateur a trait au moment de l'établissement ou de l'élargissement d'une entente (arrêt BASF/Commission, point 257 supra, point 316), ce qui permet d'envisager que plusieurs entreprises puissent simultanément jouer un rôle d'incitateur au sein d'une même entente.

266 En l'espèce, il ressort du considérant 342 de la décision attaquée que la Commission a estimé que la requérante avait porté une responsabilité particulière pour son rôle d'incitateur de l'entente. Elle a rappelé que la jurisprudence qualifiait d'incitateur d'une entente une entreprise ayant poussé ou encouragé d'autres entreprises à mettre en place l'entente ou à s'y joindre (arrêt BASF/Commission, point 257 supra, point 321). Elle s'est fondée pour cela sur trois documents qui font état d'initiatives qu'elle considère comme étant à l'origine de l'entente, dès lors qu'elles auraient servi à persuader d'autres entreprises à mettre l'entente en place. Selon la décision attaquée, ces documents permettraient d'établir, d'une part, que la requérante a proposé à SNV d'effectuer des propositions de coopération entre les fournisseurs et le W5 et, d'autre part, que la requérante a ensuite transmis aux autres constructeurs la proposition de remises spéciales faite par SNV. Il s'agit d'un extrait de la réponse de la requérante à la communication des griefs, d'une note de HBG du 8 juillet 1994 et d'un rapport interne de Wintershall du 20 février 1992.

267 En premier lieu, la Commission s'est ainsi fondée, au considérant 342 de la décision attaquée, par renvoi au considérant 175, sur une note de HBG, autre grand constructeur, du 8 juillet 1994, faisant référence à des accords conclus en mars 1994 entre le W5, représenté par la requérante, et les fournisseurs, représentés par SNV, entrés en vigueur le 1er avril 1994, ainsi qu'à une rumeur évoquant la possibilité que les fournisseurs ne respectent pas lesdits accords et à la nécessité de contacter un salarié de la requérante sur ce sujet. Ce document indique ainsi que la requérante a négocié des accords au nom du W5 avec SNV et qu'un autre grand constructeur considérait la requérante comme l'interlocuteur le mieux à même, au sein du W5, de résoudre un dysfonctionnement de l'entente. Si ce document permet de considérer que la requérante a constitué l'un des membres fondateurs de l'entente, il ne saurait cependant suffire à établir, comme l'exige la jurisprudence rappelée au point 265 ci-dessus, que la requérante a encouragé d'autres entreprises à, ou les a convaincues de se joindre à l'entente.

268 En deuxième lieu, la Commission s'est fondée sur un extrait de la réponse de la requérante à la communication des griefs (considérants 97 et 177 de la décision attaquée), dans lequel la requérante évoque elle-même l'existence de discussions avec SNV en 1993 relatives à une remise spéciale accordée au W5 et à la transmission par la requérante de l'information relative à cette remise aux autres membres du W5. Il y a cependant lieu de souligner que, en transmettant cette information aux autres membres du W5, la requérante n'a pas nécessairement entendu encourager ceux-ci à, ou convaincre ceux-ci de rejoindre l'entente.

269 Enfin, en troisième lieu, la Commission a utilisé un rapport interne de Wintershall du 20 février 1992. Ce document, rédigé à la suite d'une visite, le 18 février 1992, à Wintershall du salarié de la requérante qui a par la suite participé régulièrement aux réunions de l'entente, fait état de ce que la requérante a demandé à SNV, en tant que " marketleader ", d'effectuer des propositions de coopération entre les fournisseurs et le W5, lesquelles correspondent à un monopole d'achat. Le document indique que Wintershall a signalé à la requérante lors de cette visite que cette démarche était problématique au regard du droit des ententes.

270 La requérante a cherché à remettre en cause la force probante de ce document en soulignant qu'il serait contredit par une note interne de SNV de 1995 indiquant qu'elle seule aurait pris l'initiative de prendre contact avec le W5, qu'il ne correspondrait pas aux souvenirs de son salarié auquel il est fait référence et que son contenu serait improbable, car il serait peu crédible qu'elle ait transmis une information aussi confidentielle à son interlocuteur. Le Tribunal estime cependant que ce document est crédible, dès lors qu'il paraît peu probable que Wintershall ait délibérément retranscrit une information fausse dans un compte rendu purement interne de 1992, donc in tempore non suspecto. Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme la requérante, la note de SNV du 6 février 1995 ne permet pas d'affirmer que seuls les fournisseurs seraient à l'origine de l'entente (voir point 37 ci-dessus).

271 Néanmoins, la circonstance selon laquelle la Commission a considéré que l'entente n'avait commencé que le 1er avril 1994 réduit la force probatoire de ce document à l'appui de la qualification de la requérante comme incitateur, dès lors qu'il avait été rédigé plus de deux années avant cette date. Ce seul document ne saurait par conséquent suffire à conclure, en l'espèce, que la requérante a joué un rôle d'incitateur dans l'infraction en cause.

272 Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que l'appréciation de la Commission figurant dans la décision attaquée selon laquelle la requérante a joué un rôle d'incitateur dans l'infraction en cause en proposant à SNV d'effectuer des propositions de coopération entre les fournisseurs et le W5 et en transmettant aux autres constructeurs la proposition de remises spéciales faite par SNV est insuffisamment étayée.

273 La Commission n'ayant présenté devant le Tribunal, en vue de prouver le rôle d'incitateur de la requérante dans l'infraction en cause, aucun élément supplémentaire eu égard aux circonstances indiquées au considérant 342 de la décision attaquée, l'examen du Tribunal se concentrera sur le rôle de meneur joué par la requérante dans cette même infraction.

b) Sur le rôle de meneur

Arguments des parties

274 La requérante considère que la Commission lui a attribué le rôle de meneur de l'entente alors même qu'il n'existait aucun élément en ce sens. Le juge de l'Union imposerait pourtant, afin d'établir qu'une entreprise a joué le rôle de meneur, de prouver que celle-ci a entrepris des actions concrètes donnant une impulsion majeure à la mise en œuvre de l'accord collusoire, se distinguant ainsi clairement des autres participants à l'accord (arrêt BASF/Commission, point 257 supra, point 374).

275 En l'espèce, la Commission se serait fondée sur quatre éléments pour considérer que la requérante était un meneur de l'entente : son rôle joué, lors des premières années de l'entente, en 1994 et 1995, dans les négociations avec les fournisseurs, au nom des grands constructeurs ; à partir de 1996, elle aurait pris l'initiative d'organiser les réunions de l'entente entre fournisseurs et grands constructeurs ; elle aurait facilité la tenue de ces réunions de l'entente en mettant ses locaux à disposition ; elle aurait enfin joué une fonction de présidence lors de ces réunions. Selon la requérante, aucun de ces éléments ne serait fondé.

276 En premier lieu, la Commission aurait exclusivement fondé son affirmation selon laquelle, de 1994 à 1996, la requérante aurait conclu des accords avec SNV au nom des grands constructeurs sur une note saisie dans les locaux de la société HBG, qui ne ferait pourtant état que de rumeurs, qui, de plus, se sont par la suite avérées non fondées, les fournisseurs ayant augmenté leurs prix en décembre 1994. Ces rumeurs ont en outre été contestées par la déclaration de l'un de ses salariés et l'auteur de la note de HBG n'aurait jamais participé aux réunions de l'entente.

277 En deuxième lieu, l'affirmation de la Commission selon laquelle, à partir de 1996, la requérante aurait pris l'initiative d'organiser les réunions de l'entente entre fournisseurs et grands constructeurs ne reposerait que sur les déclarations de SNV et de Kuwait Petroleum faites dans le cadre de leurs tentatives de bénéficier de la communication sur la coopération, qui seraient en contradiction l'une avec l'autre, et ne correspondraient en outre pas à plusieurs pièces du dossier, telles que les instructions du secrétariat de direction de la requérante. Elle estime que plusieurs documents permettent de confirmer que SNV prenait toujours l'initiative d'organiser ces réunions.

278 En troisième lieu, la Commission ne saurait considérer que le fait qu'elle ait mis régulièrement ses bâtiments à disposition pour la tenue des réunions de l'entente signifierait qu'elle a joué un rôle particulier. En effet, d'une part, cette circonstance s'expliquerait par l'emplacement central favorable de ses bureaux et, d'autre part, les réunions se seraient parfois tenues dans d'autres lieux. Par ailleurs, la Commission n'aurait pas pu s'appuyer sur une lettre adressée par la société Heijmans à la requérante dans laquelle celle-ci se serait plainte du manque de concertation dans l'organisation de la réunion du 16 février 2001, cette lettre ne constituant qu'un échange entre un salarié de Heijmans et son prédécesseur, qui travaillait désormais chez la requérante.

279 En quatrième et dernier lieu, la requérante estime que l'affirmation selon laquelle elle a exercé un rôle de présidence lors des réunions de l'entente ne reposerait que sur une déclaration tendancieuse d'un salarié de Kuwait Petroleum, effectuée dans le cadre de la communication sur la coopération, dont elle conteste le contenu. Elle souligne que cette seule déclaration isolée ne saurait être dotée d'une quelconque force probante, d'autant plus qu'elle comportait des éléments erronés, et que la Commission ne saurait en outre invoquer la déclaration d'un autre salarié de Kuwait Petroleum, qui n'aurait jamais directement assisté à une concertation sur le bitume.

280 La Commission rejette les arguments de la requérante.

Appréciation du Tribunal

281 Selon une jurisprudence bien établie, lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d'établir leurs rôles respectifs dans l'infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci (arrêts Commission/Anic Partecipazioni, point 30 supra, point 150, et Enichem Anic/Commission, point 262 supra, point 264). Il en résulte, notamment, que le rôle de " chef de file " (meneur) joué par une ou plusieurs entreprises dans le cadre d'une entente doit être pris en compte aux fins du calcul du montant de l'amende, dans la mesure où les entreprises ayant joué un tel rôle doivent, de ce fait, porter une responsabilité particulière par rapport aux autres entreprises (arrêt Finnboard/Commission, point 249 supra, point 45).

282 Conformément à ces principes, le point 2 des lignes directrices pour le calcul des amendes établit, sous le titre de circonstances aggravantes, une liste non exhaustive de circonstances pouvant amener à une majoration du montant de base de l'amende, parmi lesquelles figure le " rôle de meneur ou d'incitateur de l'infraction " (arrêt BASF/Commission, point 257 supra, points 280 à 282).

283 Pour être qualifiée de meneur d'une entente, une entreprise doit avoir représenté une force motrice significative pour l'entente ou avoir porté une responsabilité particulière et concrète dans le fonctionnement de celle-ci. Cette circonstance doit être appréciée d'un point de vue global au regard du contexte de l'espèce (arrêts du Tribunal BASF/Commission, point 257 supra, points 299, 300, 373 et 374, et du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T-410-03, Rec. p. II-881, point 423). Elle peut, notamment, être inférée de ce que l'entreprise, par des initiatives ponctuelles, a donné spontanément une impulsion fondamentale à l'entente (arrêts BASF/Commission, point 257 supra, points 348, 370 à 375 et 427, et du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, précité, point 426). Elle peut également être inférée d'un ensemble d'indices révélant le dévouement de l'entreprise à assurer la stabilité et la réussite de l'entente (arrêt BASF/Commission, point 257 supra, point 351).

284 Il en va ainsi lorsque l'entreprise a participé aux réunions de l'entente au nom d'une autre entreprise qui n'y assistait pas et qu'elle a communiqué les résultats desdites réunions à celle-ci (arrêt BASF/Commission, point 257 supra, point 439). Il en va de même lorsqu'il est avéré que ladite entreprise a joué un rôle central dans le fonctionnement concret de l'entente, par exemple en organisant de nombreuses réunions, en collectant et en distribuant les informations au sein de l'entente, et en formulant le plus souvent des propositions relatives au fonctionnement de l'entente (voir, en ce sens, arrêt IAZ International Belgium e.a./Commission, point 176 supra, points 57 et 58, et arrêt BASF/Commission, point 257 supra, points 404, 439 et 461).

285 En outre, le fait de veiller activement au respect des accords conclus au sein de l'entente constitue un indice déterminant du rôle de meneur joué par une entreprise (arrêt HFB e.a./Commission, point 222 supra, point 577).

286 En revanche, le fait pour une entreprise d'exercer des pressions, voire de dicter le comportement des autres membres de l'entente, n'est pas une condition nécessaire pour que cette entreprise puisse être qualifiée de meneur de l'entente (arrêt BASF/Commission, point 257 supra, point 374). La position sur le marché d'une entreprise ou les ressources dont elle dispose ne peuvent pas davantage constituer des indices d'un rôle de meneur de l'infraction, même s'ils font partie du contexte au regard duquel de tels indices doivent être appréciés (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T-224-00, Rec. p. II-2597, point 241, et BASF/Commission, point 257 supra, point 299).

287 Il convient enfin de rappeler que le Tribunal a déjà estimé que la Commission pouvait considérer que plusieurs entreprises ont joué un rôle de meneur dans une entente (arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 286 supra, point 239).

288 Il appartient dès lors au Tribunal d'apprécier, au regard des principes rappelés ci-dessus, si la Commission a apporté des éléments de preuve suffisants afin d'établir que la requérante a joué un rôle de meneur dans l'entente.

289 En l'espèce, il ressort de la décision attaquée que la Commission a considéré que SNV, au sein du groupe des fournisseurs, et la requérante, au sein du W5, portaient une responsabilité particulière pour leur rôle respectif de " chef de file " de l'entente pendant toute la durée de celle-ci (considérants 343 à 349). La Commission a ainsi pris en compte quatre éléments essentiels afin de conclure que la requérante avait joué le rôle d'un meneur dans l'infraction : en 1994 et 1995, elle a noué des contacts avec SNV qui ont permis la mise en place de l'entente ; à partir de 1996, SNV prenait contact avec la requérante pour une modification de prix, cette dernière invitant alors les autres grands constructeurs à une réunion ; les réunions préparatoires du W5 et celles de l'entente étaient souvent organisées par la requérante, qui envoyait les invitations, et avaient lieu dans ses locaux ; elle était le porte-parole des grands constructeurs et menait la discussion lors des réunions avec les fournisseurs. La Commission s'est fondée sur des documents divers, contemporains de et postérieurs à l'entente, afin de parvenir à cette conclusion. La requérante estime qu'aucun de ces éléments ne serait fondé.

290 La Commission a considéré que la requérante avait joué un rôle prépondérant dans les négociations avec les fournisseurs en 1994 et 1995, en se fondant sur une note de HBG du 8 juillet 1994.

291 Il ressort de ce document interne à HBG qu'un accord a été conclu entre le W5, représenté par un salarié de la requérante, et les compagnies pétrolières, représentées par SNV, pour l'année 1994, mais que les compagnies pétrolières voulaient augmenter leurs prix en méconnaissance de cet accord, et que HBG avait alors souhaité prendre contact avec ce même salarié de la requérante à ce sujet. Si ce document peut sembler rapporter une rumeur quant à la décision des compagnies pétrolières d'augmenter leurs prix, il fait cependant référence de manière certaine à l'existence d'un accord conclu par l'intermédiaire de SNV et de la requérante et au recours de HBG à la requérante, constituant ainsi un indice sérieux de son rôle de meneur dans l'entente.

292 Par ailleurs, il convient d'écarter l'argument de la requérante selon lequel l'auteur de la note de HBG n'a jamais assisté à une réunion de l'entente, le juge de l'Union estimant que le fait que des informations soient rapportées au second degré est sans influence sur leur valeur probatoire (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T-11-89, Rec. p. II-757, point 86) et que, selon les règles générales en matière de preuve, il convient d'accorder une grande importance au fait que des documents ont été établis en liaison immédiate avec les réunions concernées et manifestement sans qu'on pense qu'ils pourraient être portés à la connaissance de tiers non concernés (conclusions du juge M. Vesterdorf faisant fonction d'avocat général sous l'arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1-89, Rec. p. II-867, II-869). En l'espèce, l'auteur de la note de HBG était en charge de l'achat de bitume pour HBG et travaillait en coopération étroite avec la personne qui participait directement aux concertations avec le W5 puis aux réunions de l'entente. Dès lors, ses notes rédigées au moment des faits ont une force probante significative.

293 La Commission a par ailleurs estimé que, à partir de 1996, la requérante aurait pris conjointement avec SNV l'initiative d'organiser les réunions de l'entente, en se fondant sur des déclarations de SNV et de Kuwait Petroleum. Il ressort en effet de ces déclarations (déclarations de SNV du 10 octobre 2003 et de Kuwait Petroleum du 9 octobre 2003, considérant 344 de la décision attaquée) que SNV devait informer la requérante de toute modification de prix, ces deux entreprises se réunissant afin de déterminer si une réunion de l'entente était nécessaire.

294 Les documents sur lesquels la requérante se fonde pour contrer ces déclarations ne permettent pas de remettre en cause la conclusion de la Commission selon laquelle la requérante a joué un rôle de meneur. Il s'agit en effet de la note interne de SNV du 6 février 1995, du considérant 110 de la décision attaquée relatif à la demande de SNV à la requérante d'organiser une concertation le 28 mars 2000 et des instructions internes du secrétariat de direction de la requérante du 1er octobre 2002 indiquant que SNV prenait l'initiative des réunions de l'entente (considérant 345 de la décision attaquée). Or, comme exposé au point 37 ci-dessus, la note de SNV du 6 février 1995 ne permet pas de déterminer si les fournisseurs ont imposé l'entente aux grands constructeurs. Par ailleurs, la circonstance que SNV a sollicité la tenue d'une réunion de l'entente en 2000 et qu'un document interne à la requérante mentionnait en 2002 que SNV prenait l'initiative des réunions ne suffit pas à infirmer l'affirmation de la Commission selon laquelle les réunions de l'entente étaient organisées à la suite de contacts entre SNV et la requérante. Il convient en effet de rappeler le caractère bilatéral de cette entente ainsi que le fait que le juge de l'Union considère que la Commission peut attribuer le rôle de meneur à plusieurs entreprises de l'entente (arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 286 supra, points 299 à 301).

295 La Commission a en outre pris en compte le fait que la requérante avait mis régulièrement ses bâtiments à disposition pour la tenue des réunions de l'entente pour lui attribuer un rôle de meneur. Elle s'est pour cela fondée sur la réponse de Kuwait Petroleum du 16 septembre 2003 à une demande de renseignements, sur les déclarations de Kuwait Petroleum du 9 octobre 2003 (considérant 345 de la décision attaquée), sur des invitations envoyées par la requérante pour la réunion de l'entente du 28 mars 2000 (considérant 110 de la décision attaquée faisant référence à des télécopies des 16 et 21 mars 2000 envoyées par la requérante à SNV, NBM, HWZ, Ballast Nedam, Dura Vermeer et Heijmans) ainsi que sur une lettre adressée à la requérante par Heijmans pour se plaindre du manque de concertation dans l'organisation de la réunion du 16 février 2001 (considérant 346 de la décision attaquée).

296 La requérante estime cependant que les réunions de l'entente avaient parfois lieu dans ses locaux en raison de son emplacement central et que la Commission ne pouvait pas utiliser comme élément de preuve une lettre d'un salarié de Heijmans. Quel que soit le contexte dans lequel Heijmans a rédigé sa réclamation à la requérante, il convient de constater que celle-ci constitue un élément de preuve fort de son rôle de meneur dans l'organisation des réunions de l'entente, qui doit être apprécié au regard des autres documents concordants cités par la Commission. Par ailleurs, la requérante ne saurait invoquer la seule situation géographique centrale de ses locaux pour minimiser son rôle dans l'entente.

297 Enfin, la Commission a considéré que la requérante avait exercé une fonction de présidence durant les réunions de l'entente jusqu'en 2000, en se fondant sur les déclarations de deux salariés de Kuwait Petroleum du 1er octobre 2003 (considérants 346 et 347 de la décision attaquée). La requérante remet en cause la validité de ces déclarations, qui comporteraient par ailleurs de nombreuses erreurs et dont l'une d'entre elles proviendrait d'un salarié n'ayant jamais directement assisté aux réunions de l'entente.

298 Il convient cependant de noter que ces deux déclarations sont concordantes et que l'assistant du directeur du bitume de Kuwait Petroleum, qui participait aux réunions de l'entente, assistait au moins aux réunions préparatoires entre fournisseurs et était ainsi étroitement associé aux réunions de l'entente. Ainsi que le souligne la Commission à juste titre, il faut également tenir compte du fait que Kuwait Petroleum n'avait aucun intérêt à exagérer le rôle de la requérante pendant le déroulement des réunions de l'entente.

299 L'ensemble des considérations qui précèdent amènent le Tribunal à conclure que la Commission a apporté plusieurs éléments de preuve concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent d'estimer que la requérante, en ayant noué des contacts avec SNV ayant permis la mise en place de l'entente, en invitant à partir de 1996 les autres grands constructeurs à se réunir à la suite de contacts avec SNV, en organisant de nombreuses réunions de l'entente dans ses locaux et en se comportant comme un porte-parole du W5 lors des réunions de l'entente, a constitué une force motrice significative pour l'entente permettant de la qualifier de meneur.

300 Dès lors, la Commission n'a pas commis d'erreur d'appréciation en concluant, sur la base d'un faisceau d'indices cohérents et convergents, que la requérante a assumé le rôle de meneur dans l'infraction.

3. Conclusion relative aux circonstances aggravantes

301 Il ressort des points 262 à 273 ci-dessus que la Commission n'a pas établi à suffisance de droit que la requérante avait joué un rôle d'incitateur dans l'infraction en cause. Il y a donc lieu pour le Tribunal d'exercer son pouvoir de pleine juridiction en ce qui concerne l'appréciation du rôle joué par la requérante dans l'infraction en cause. Il convient de rappeler à cet égard que la Commission a imposé à la requérante une majoration unique de 50 % du montant de base de l'amende au titre de la circonstance aggravante visée au point 2, troisième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes.

302 Il convient par ailleurs de rappeler que, si le juge de l'Union opère une distinction entre les rôles d'incitateur et de meneur, il estime cependant que, même si les preuves apportées par la Commission sont insuffisantes en ce qui concerne l'un des deux rôles, il peut cependant maintenir la majoration de l'amende prévue par la Commission dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de pleine juridiction (voir, dans le cas du maintien du seul rôle de meneur, arrêt BASF/Commission, point 257 supra, point 354).

303 Le Tribunal estime que, en l'espèce, compte tenu de l'importance du rôle de meneur de la requérante tel qu'établi aux points 281 à 300 ci-dessus, il n'y a pas lieu de réduire ladite majoration. En effet, il ressort notamment de cette analyse que la requérante a été à l'origine de la mise en place de l'entente, puis que, à partir de 1996, elle organisait les réunions préparatoires du W5 ainsi que celles de l'entente, qui avaient lieu dans ses locaux, et que, enfin, elle menait, au nom de l'ensemble du W5, la discussion lors des réunions avec les fournisseurs.

Sur les dépens

304 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Koninklijke Wegenbouw Stevin BV est condamnée aux dépens.