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Décisions

TUE, 6e ch., 27 septembre 2012, n° T-354/06

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

BAM NBM Wegenbouw BV, HBG Civiel BV

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jaeger

Juges :

MM. Wahl, Soldevila Fragoso (rapporteur)

Avocats :

Mes Biesheuvel, de Pree

TUE n° T-354/06

27 septembre 2012

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

Faits à l'origine du litige

1 Koninlijke BAM NBM NV est née le 1er novembre 2000 de la reprise par Koninlijke BAM des activités de construction de NBM-Amstelland NV, acteur majeur dans ce secteur aux Pays-Bas, par le biais de ses filiales NBM-Amstelland Bouw & Infra BV et NBM Wegenbouw BV et de ses filiales d'exploitation régionales. Koninlijke BAM NBM est ainsi devenue active dans le secteur de la construction routière à partir de cette date, par l'entremise de sa filiale BAM NBM Wegenbouw BV (ci-après " BAM NBM "), détenue à 100 %, et de ses filiales d'exploitation régionales. Koninlijke BAM NBM est devenue Koninklijke BAM Groep NV en rachetant, le 14 novembre 2002, la totalité de Hollandsche Beton Groep NV et de sa filiale d'exploitation HBG Civiel BV (ci-après " HBG ").

2 Les requérantes, BAM NBM et HBG, sont actives dans le domaine de la construction routière aux Pays-Bas.

3 Par lettre du 20 juin 2002, British Petroleum (ci-après " BP ") a informé la Commission des Communautés européennes de l'existence alléguée d'une entente relative au marché du bitume routier aux Pays-Bas et a présenté une demande visant à obtenir une immunité d'amende au titre de la communication de la Commission sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).

4 Les 1er et 2 octobre 2002, la Commission a procédé à des vérifications surprises, notamment dans les locaux des requérantes. La Commission a adressé des demandes de renseignements à plusieurs sociétés, dont les requérantes, le 30 juin 2003, auxquelles celles-ci ont répondu conjointement le 12 septembre 2003.

5 Le 18 octobre 2004, la Commission a engagé la procédure administrative et a adopté une communication des griefs, adressée le lendemain à plusieurs sociétés, dont les requérantes.

6 Le 13 septembre 2006, la Commission a adopté la décision C (2006) 4090 final, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] [Affaire COMP-F-38.456 - Bitume (Pays-Bas)] (ci-après la " décision attaquée "), dont un résumé est publié au Journal officiel de l'Union européenne du 28 juillet 2007 (JO L 196, p. 40) et qui a été notifiée aux requérantes le 25 septembre 2006.

7 Dans la décision attaquée, la Commission a indiqué que les sociétés destinataires de celle-ci avaient participé à une infraction unique et continue à l'article 81, paragraphe 1, CE, consistant à fixer ensemble régulièrement, durant les périodes concernées, pour la vente et l'achat de bitume routier aux Pays-Bas, le prix brut, une remise uniforme sur le prix brut pour les constructeurs routiers participant à l'entente (ci-après les " grands constructeurs " ou le " W5 ") et une remise maximale réduite sur le prix brut pour les autres constructeurs routiers (ci-après les " petits constructeurs ").

8 Les requérantes ont été reconnues coupables de cette infraction, pour la période allant du 1er avril 1994 au 15 avril 2002, et se sont vu infliger, respectivement, des amendes de 13,5 millions d'euro pour BAM NBM et de 7,2 millions d'euro pour HBG.

Procédure et conclusions des parties

9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 décembre 2006, les requérantes ont introduit le présent recours.

10 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 de son règlement de procédure, a posé des questions écrites aux parties. Les parties ont répondu à ces questions dans le délai imparti.

11 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l'audience du 29 juin 2011.

12 Un membre de la sixième chambre ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal s'est désigné, en application de l'article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, pour compléter la chambre.

13 Par ordonnance du 18 novembre 2011, le Tribunal (sixième chambre), dans sa nouvelle composition, a rouvert la procédure orale et les parties ont été informées qu'elles seraient entendues lors d'une nouvelle audience.

14 Par lettres, respectivement, des 25 et 28 novembre 2011, la Commission et les requérantes ont informé le Tribunal qu'elles renonçaient à être entendues une nouvelle fois.

15 En conséquence, le président du Tribunal a décidé de clore la procédure orale.

16 Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision attaquée pour autant qu'elle les concerne ;

- condamner la Commission aux dépens.

17 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner les requérantes aux dépens.

En droit

18 Les requérantes soulèvent trois moyens à l'appui de leur recours. Le premier moyen est tiré d'une violation de l'article 81 CE, de l'article 7 et de l'article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), et de l'article 253 CE, le deuxième, d'une violation de l'article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1-2003 et des lignes directrices sur le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les " lignes directrices sur le calcul des amendes ") et, le troisième, d'une violation des droits de la défense.

1. Sur le premier moyen, relatif à la constatation de l'infraction

19 Les requérantes soutiennent que la Commission a méconnu l'article 81 CE, l'article 7 et l'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003 ainsi que l'article 253 CE. Elles avancent, à cet égard, six branches distinctes, tirées de la délimitation erronée du marché, de l'existence d'une entente préalable des fournisseurs de bitume (ci-après les " fournisseurs "), de l'absence d'impact des accords sur la concurrence entre les constructeurs, de la description erronée du contenu des accords, de l'absence d'un intérêt commun aux grands constructeurs et aux fournisseurs et, enfin, de l'appréciation erronée de la durée de l'infraction.

Sur la délimitation du marché du bitume

Arguments des parties

20 En premier lieu, les requérantes rappellent avoir déjà contesté, dans leur réponse à la communication des griefs, la délimitation du marché pertinent effectuée par la Commission. Selon elles, la Commission ne pouvait pas limiter le marché à celui de la vente de bitume routier et aurait dû inclure celui de l'achat de bitume industriel. En effet, les lignes directrices sur l'applicabilité de l'article 81 [CE] aux accords de coopération horizontale (JO 2001, C 3, p. 2, ci-après les " lignes directrices sur les accords de coopération horizontale ") indiqueraient que, en ce qui concerne les marchés d'achat, la substituabilité doit être définie du point de vue de l'offre, et non de celui de la demande. Or, du point de vue de l'offre, les acheteurs industriels auraient constitué une alternative pour les grands constructeurs. Dès lors, la vente de bitume à ces acheteurs ne pourrait être ignorée.

21 En second lieu, la Commission aurait ignoré le caractère international du marché du bitume routier. En effet, les fournisseurs, qui produisent et livrent le bitume, seraient de grandes compagnies pétrolières opérant au niveau mondial et le prix du bitume serait lié au prix du pétrole et à l'évolution du cours du dollar américain. Le bitume serait, par ailleurs, importé aux Pays-Bas à partir de l'Allemagne et de la Belgique et les fournisseurs seraient à même, sur la base d'accords d'échange et d'achat, de vendre du bitume au niveau mondial. Ainsi, Kuwait Petroleum (Nederland) BV (ci-après " KPN "), dont la part de marché était inférieure à 16,1 %, aurait été le seul fournisseur à produire du bitume aux Pays-Bas et les autres sociétés, qui représentaient 83,9 % du marché, auraient été livrées par des fournisseurs produisant à l'étranger. Les grands constructeurs auxquels la Commission a infligé une amende représenteraient, sur le marché international de l'achat, une partie insignifiante de la demande puisque leur part de marché relative aux achats serait déjà inférieure à 20 % au niveau national. Dès lors, il ne pourrait être conclu que les accords des grands constructeurs ont eu pour effet de restreindre la concurrence.

22 La Commission réfute l'ensemble des arguments des requérantes.

Appréciation du Tribunal

23 Dans le cadre de l'application de l'article 81 CE, la Commission doit déterminer si la pratique concertée en cause est susceptible d'affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun.

24 Selon la jurisprudence, la définition du marché pertinent, dans le cadre de l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, a pour seul objet de déterminer si l'accord en cause est susceptible d'affecter le commerce entre les États membres et a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (ordonnance de la Cour du 16 février 2006, Adriatica di Navigazione/Commission, C-111-04 P, non publiée au Recueil, point 31).

25 L'obligation d'opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l'article 81 CE s'impose à la Commission uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n'est pas possible de déterminer si l'entente en cause est susceptible d'affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (arrêts du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T-62-98, Rec. p. II-2707, point 230 ; du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T-44-00, Rec. p. II-2223, point 132, et du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T-38-02, Rec. p. II-4407, point 99).

26 En l'espèce, si les requérantes soutiennent que la définition erronée du marché en cause retenue par la Commission a eu un impact sur l'appréciation du pouvoir de marché des membres du W5, qui aurait été en réalité beaucoup moins important que celui qui leur a été prêté, elles ne contestent cependant pas que les accords en cause étaient susceptibles d'affecter le commerce entre les États membres et avaient pour objet de restreindre et de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun. Par conséquent, l'application faite par la Commission de l'article 81 CE n'exigeant pas, en l'espèce, une définition préalable du marché pertinent, celle-ci pouvait se borner à faire référence au produit concerné par l'entente ainsi qu'au territoire géographique visé.

27 Les requérantes reprochent, par ailleurs, à la Commission de ne pas avoir suffisamment motivé l'exclusion du bitume industriel du marché en cause, notamment en omettant d'indiquer qu'il n'existait pas d'offre de substitution pertinente. Compte tenu de l'absence d'obligation de définition du marché incombant à la Commission, aucune violation de l'obligation de motivation ne saurait être constatée sur ce point (arrêt Groupe Danone/Commission, point 25 supra, point 99).

28 Les requérantes soutiennent, en outre, que la Commission a limité à tort la définition du marché en cause aux Pays-Bas, alors même qu'un seul fournisseur produisait du bitume routier sur le territoire des Pays-Bas, que les autres fournisseurs importaient le bitume d'Allemagne ou de Belgique et que certains d'entre eux disposaient d'une organisation de vente pour le Benelux. Il ressort cependant des considérants 27 et 28 de la décision attaquée que la Commission a pris en compte ces éléments factuels et qu'elle a néanmoins indiqué que la commercialisation du bitume s'effectuait à un niveau purement national, compte tenu des exigences qualitatives nationales, du mécanisme de règlement des risques et de la structure de propriété des centrales d'enrobage.

29 Il résulte de ce qui précède que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit ou de fait en ce qui concerne le marché en cause.

30 Il convient, par conséquent, de rejeter la première branche du premier moyen.

Sur l'existence d'une entente préalable des fournisseurs

Arguments des parties

31 Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir pris en compte l'existence d'une entente préalable entre les fournisseurs. Celle-ci aurait eu pour effet de leur permettre de réguler le prix du bitume et de se répartir les marchés sur une base nationale, empêchant ainsi les constructeurs de disposer d'une autre source d'approvisionnement en bitume. Par ailleurs, sous l'influence des fournisseurs, les autorités néerlandaises auraient mis en place une obligation de détenir, afin de changer de fournisseur, un certificat d'origine du bitume très coûteux. Enfin, les requérantes soulignent l'importance du bitume pour les activités des constructeurs, alors qu'il ne serait qu'un produit dérivé pour les fournisseurs.

32 La Commission réfute l'ensemble des arguments des requérantes.

Appréciation du Tribunal

33 Le Tribunal rappelle, à titre préalable, que la Commission était tenue de procéder à une appréciation globale des accords en cause afin de les qualifier au regard des dispositions de l'article 81, paragraphe 1, CE. Cette appréciation globale des accords ne saurait cependant être assimilée à une imputation du comportement des fournisseurs aux grands constructeurs.

34 Les requérantes ne sauraient, par ailleurs, se prévaloir d'une dépendance des grands constructeurs vis-à-vis des fournisseurs. En effet, à supposer même cette circonstance établie, il résulte de la jurisprudence qu'une entreprise ne saurait se prévaloir du fait qu'elle a participé à l'entente sous la contrainte des autres participants, étant donné qu'elle aurait pu dénoncer les pressions dont elle faisait l'objet aux autorités compétentes et introduire auprès de la Commission une plainte en application de l'article 7 du règlement n°1-2003, plutôt que de participer aux activités en question (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189-02 P, C-202-02 P, C-205-02 P à C-208-02 P et C-213-02 P, Rec. p. I-5425, points 367 à 370).

35 Enfin, les requérantes ont justifié la mise en place de l'entente, du côté des grands constructeurs, dans les années 90, comme étant une réaction à la restructuration du marché du bitume par les pouvoirs publics néerlandais, notamment s'agissant de la mise en place d'un certificat d'origine dans le cahier des charges des marchés de construction routière, qui rendait difficile tout changement de fournisseur pendant une année civile, de la diminution du nombre de centrales d'enrobage et de la mise en place de centrales détenues conjointement par plusieurs grands constructeurs. Elles n'ont cependant pas indiqué la raison pour laquelle ces évolutions de la réglementation nationale auraient conduit le W5 à mettre l'entente en place. Or, selon la jurisprudence, en l'absence d'une disposition réglementaire contraignante imposant un comportement anticoncurrentiel, la Commission ne peut conclure à une absence d'autonomie à l'égard des opérateurs mis en cause que s'il apparaît sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants que ce comportement leur a été unilatéralement imposé par les autorités nationales par l'exercice de pressions irrésistibles, telles que la menace de l'adoption de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes (arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Minoan Lines/Commission, T-66-99, Rec. p. II-5515, points 176 à 179). En l'espèce, les requérantes n'ont pas fourni d'élément permettant de considérer que les comportements qui leur étaient reprochés avaient trouvé leur entière origine dans la législation nationale néerlandaise et non dans leur volonté et celle des autres participants à l'entente.

36 Dès lors, la Commission n'a pas commis d'erreur de fait en considérant que l'entente n'avait pas trouvé son origine dans une entente mise en place par les fournisseurs et que ces derniers ne l'avaient pas imposée aux grands constructeurs.

37 Il convient, par conséquent, de rejeter la deuxième branche du premier moyen.

Sur l'impact de l'entente sur la concurrence entre les constructeurs

Arguments des parties

38 Selon les requérantes, les accords en cause n'ont pas eu pour effet de limiter la concurrence entre les constructeurs. Elles relèvent ainsi que les coûts liés au bitume représentent moins de 1 % des coûts totaux des chantiers de construction routière.

39 La Commission réfute les arguments des requérantes.

Appréciation du Tribunal

40 Il convient de rappeler, à titre préalable, que la Commission n'est pas tenue d'établir les effets anticoncurrentiels concrets d'une entente dès lors que l'objet anticoncurrentiel du comportement reproché est établi (arrêt Volkswagen/Commission, point 25 supra, point 178). En l'espèce, la Commission était donc uniquement tenue d'établir que les accords avaient pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence.

41 Les requérantes affirment que la Commission a commis une erreur d'appréciation de l'impact de l'entente sur la concurrence, notamment en raison de la faible part du coût d'achat du bitume dans le coût total d'un chantier. La Commission remet cette affirmation en cause en indiquant qu'un document public de l'office statistique néerlandais a souligné, en 2006, l'impact du prix du bitume sur les coûts des travaux routiers. Les requérantes contestent la recevabilité de ce document comme élément de preuve, dès lors qu'il n'a été apporté qu'au stade de la procédure juridictionnelle.

42 Cependant, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de cet élément de preuve, il convient de souligner que, en l'espèce, la Commission s'est fondée sur d'autres éléments afin d'établir que la remise spécifique accordée au W5 avait un impact sur la concurrence dans le secteur de la construction routière. En effet, sans chiffrer la part du coût du bitume dans la construction routière, elle a néanmoins considéré que " l'important pour le W5 était moins le niveau absolu du prix net du bitume que le fait qu'il bénéficiait d'un avantage relatif par rapport aux constructeurs routiers ne faisant pas partie du W5 ", cet avantage relatif pouvant " lui permettre de remporter des appels d'offres publics pour les travaux nécessitant une consommation relativement élevée de bitume " (considérants 70 et 153 de la décision attaquée). Cette considération est fondée sur plusieurs documents concordants du dossier administratif. En premier lieu, dans sa réponse du 20 mai 2005 à la communication des griefs, Koninklijke Wegenbouw Stevin (ci-après " KWS ") a ainsi indiqué ce qui suit :

" Les prix nets du bitume représentent par conséquent le coût de revient réel du bitume pour le constructeur routier individuel. Pour ce dernier, ces prix sont donc le point de départ du calcul du coût de revient d'une tonne de bitume en tant que composant d'un chantier de construction routière. "

43 En deuxième lieu, dans une note interne du 9 février 1995, Shell Nederland Verkoopmaatschappij BV (ci-après " SNV ") a souligné que le W5 " attachait une grande importance à la possibilité d'avoir les prix d'achat les plus bas par rapport à la concurrence ", le niveau absolu de prix étant beaucoup moins important. En troisième lieu, dans sa déclaration du 9 octobre 2003, KPN a précisé que les grands constructeurs pouvaient savoir si un fournisseur avait méconnu les accords de l'entente en offrant une remise plus importante à un petit constructeur grâce au Cobouw, un quotidien néerlandais répertoriant les appels d'offre et les résultats des adjudications dans le secteur de la construction aux Pays-Bas (considérant 70 de la décision attaquée). Enfin, en quatrième lieu, dans un compte rendu d'une visite à la société Van Kessel, un petit constructeur, daté du 31 octobre 2001, la société Veba, un fournisseur, a confirmé que, pour ce constructeur, le plus important n'était pas le prix absolu, mais d'obtenir le prix le plus bas possible.

44 Le Tribunal considère, dès lors, que la Commission pouvait estimer, à juste titre, que plusieurs éléments permettaient d'établir que la remise spécifique accordée au W5 avait un impact sur la concurrence dans le secteur de la construction routière, sans qu'il soit nécessaire pour la Commission de se prononcer sur la part exacte du coût du bitume dans le coût total d'un chantier routier.

45 Il convient, par conséquent, de rejeter la troisième branche du premier moyen.

Sur les erreurs de fait relatives au contenu des accords entre fournisseurs et grands constructeurs et au contexte dans lequel ils ont été conclus

Arguments des parties

46 En premier lieu, les requérantes contestent avoir fixé le prix brut du bitume avec les autres membres du W5 et les fournisseurs. Le prix brut aurait été fixé unilatéralement par les fournisseurs et les réunions avec le W5 n'auraient servi qu'à valider l'augmentation de prix décidée par les fournisseurs. Les négociations entre le W5 et les fournisseurs ne seraient, en outre, que la conséquence de la participation commune des grands constructeurs dans un grand nombre de centrales de bitume. Ainsi, lors de ces réunions, seul aurait été évoqué le prix brut facturé aux centrales de bitume qu'ils détenaient. Les grands constructeurs conservaient dès lors, selon les requérantes, une possibilité de négocier individuellement le prix brut avec chaque fournisseur.

47 En deuxième lieu, les requérantes considèrent que, si une remise spécifique a, effectivement, été accordée au W5, c'était uniquement en raison de son volume d'achat important, ce qui ne serait pas critiquable sous l'angle du droit de la concurrence. De tels accords seraient en effet généralement favorables à la concurrence, comme le reconnaîtraient les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale. Ainsi, en l'espèce, ces achats communs auraient permis de répercuter la baisse de prix du bitume sur les consommateurs finals. La Commission aurait cependant présumé que les accords en cause étaient néfastes à la concurrence, mais sans en apporter la démonstration.

48 Les requérantes font également valoir, à cet égard, que la Commission a omis d'examiner si les consommateurs finals avaient été privés des avantages de la concurrence, comme l'exigerait pourtant la jurisprudence (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services/Commission, T-168-01, Rec. p. II-2969, point 121).

49 En troisième lieu, les requérantes contestent, en ce qui concerne les remises accordées aux petits constructeurs, le fait que le W5 ait négocié et obtenu que celles-ci soient plafonnées. La différence de remise accordée aux petits constructeurs s'expliquerait par leur détention d'un nombre moins élevé de centrales de bitume. Les requérantes admettent qu'elles ont agi une seule fois avec les autres grands constructeurs, en apprenant que des petits constructeurs avaient obtenu des remises plus importantes que les leurs, pour un volume d'achat inférieur. Elles contestent, en outre, la valeur probatoire des documents de HBG utilisés par la Commission, dès lors que leur auteur n'aurait jamais participé aux réunions de l'entente. Enfin, plusieurs documents montreraient que les fournisseurs auraient accordé des remises plus importantes aux petits constructeurs.

50 La Commission réfute l'ensemble des arguments des requérantes.

Appréciation du Tribunal

51 Il y a lieu de déterminer, premièrement, si la Commission a commis des erreurs d'appréciation du contenu des accords en cause, deuxièmement, si elle était tenue d'examiner les effets desdits accords sur la concurrence, en tenant compte notamment des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale et, troisièmement, si elle devait examiner leurs effets sur les consommateurs finals.

- Sur les trois éléments constitutifs des accords

52 Les requérantes considèrent que plusieurs documents permettent d'établir que les fournisseurs étaient seuls à l'origine de l'augmentation des prix bruts, que la remise accordée au W5 dépendait uniquement des quantités achetées, les grands constructeurs pouvant par ailleurs renégocier cette remise de manière individuelle avec chaque fournisseur, tout comme le faisaient les petits constructeurs, et que les accords ne concernaient pas les remises accordées aux tiers. Comme le Tribunal l'a indiqué au point 33 ci-dessus, il convient cependant de prendre en compte les accords conclus entre le W5 et les fournisseurs de manière globale, ceux-ci concernant à la fois le prix brut, la remise minimale accordée au W5 et la remise maximale applicable aux petits constructeurs.

53 En premier lieu, plusieurs documents cités dans la décision attaquée attestent de la conclusion d'accords entre les deux groupes sur le prix brut, celui-ci n'étant pas fixé de manière unilatérale par les fournisseurs et imposé aux grands constructeurs, comme le soutiennent les requérantes. Ainsi, une note de HBG du 8 juillet 1994 fait mention d'accords entre le W5 et les fournisseurs sur le prix brut jusqu'au 1er janvier 1995 (considérant 94 de la décision attaquée). Une note de SNV du 9 février 1995 fait également mention des accords sur les prix conclus entre le W5 et les fournisseurs (considérant 89 de la décision attaquée). De même, une note de SNV du 14 juillet 2000 fait référence à des accords collectifs sur le prix brut conclus entre les fournisseurs et le W5 en 1995 (considérant 90 de la décision attaquée). En outre, des notes de KWS des 12 mars et 14 septembre 1999 font état des résultats des réunions de concertation en ce qui concerne le prix brut et la remise accordée au W5 (considérants 104 et 106 de la décision attaquée). Des notes de HBG de 1999 et 2000 se réfèrent également aux accords sur les augmentations de prix et les compensations et au rejet par le W5 de la proposition de majoration des prix des fournisseurs pour le 1er avril 2000 (considérants 107 et 110 de la décision attaquée). Des notes de HBG et de KWS font, par ailleurs, référence à une réunion du 1er mars 2001 au cours de laquelle les fournisseurs ont souhaité baisser le prix brut alors que le W5 a préféré maintenir le prix brut en vigueur (considérants 115 et 116 de la décision attaquée). Enfin, dans sa réponse du 12 septembre 2003 à une demande de renseignements comme dans sa réponse à la communication des griefs, KWS a admis que les fournisseurs et le W5 avaient conclu des accords à partir des propositions de prix brut effectuées par les fournisseurs (considérant 97 de la décision attaquée).

54 Par ailleurs, les requérantes ne sauraient justifier la conclusion d'accords sur les prix bruts avec les fournisseurs par la seule détention commune de centrales d'enrobage. En effet, celle-ci n'empêchait pas, en principe, les fournisseurs de déterminer de manière concurrentielle les prix facturés individuellement à chaque grand constructeur.

55 Il convient également de réfuter l'affirmation des requérantes selon laquelle les prix bruts arrêtés lors des réunions avec les fournisseurs ne s'appliquaient qu'aux centrales d'enrobage détenues conjointement par le W5. En effet, il ressort de la décision attaquée que les prix bruts arrêtés lors des réunions étaient applicables à tous les acheteurs aux Pays-Bas. Ainsi, dans sa déclaration du 9 octobre 2003, KPN a indiqué que les négociations visaient à déterminer un prix standard applicable simultanément à toutes les usines des Pays-Bas, même si elle utilisait pour son usage personnel un barème de prix propre à chaque client (considérants 61 et 80 de la décision attaquée et note en bas de page n° 157). De même, BP a déclaré que les modifications des prix s'appliquaient à tous les clients du secteur de la construction routière aux Pays-Bas (considérant 79 de la décision attaquée et note en bas de page n° 229). La déclaration de l'entreprise Nynas (ci-après " Nynas ") du 2 octobre 2003, dont les requérantes cherchent à se prévaloir, ne saurait suffire à contredire ces éléments de preuve, dès lors que celle-ci s'est bornée à expliquer qu'il convenait de prendre en compte le prix du bitume après remise et non le seul prix brut et que les prix nets n'étaient pas les mêmes pour l'ensemble des constructeurs aux Pays-Bas.

56 En deuxième lieu, la décision attaquée fait référence à de très nombreux documents qui attestent de ce que les négociations entre les fournisseurs et les grands constructeurs portaient également sur la remise minimale accordée au W5 et la remise maximale accordée aux petits constructeurs.

57 À titre préalable, il convient de rejeter l'argument des requérantes selon lequel les documents provenant de HBG utilisés par la Commission aux points 93 et 108 de la décision attaquée, en date des 28 mars 1994 et 23 décembre 1999, ne seraient dotés d'aucune force probante, car ils auraient été rédigés par une personne n'ayant jamais participé directement aux réunions de concertation. En effet, le juge de l'Union estime que le fait que des informations soient rapportées au second degré est sans influence sur leur valeur probatoire (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T-11-89, Rec. p. II-757, point 86) et que, selon les règles générales en matière de preuve, il convient d'accorder une importance au fait que des documents ont été établis en liaison immédiate avec les réunions concernées et manifestement sans qu'il soit supposé qu'ils pourraient être portés à la connaissance de tiers non concernés (conclusions du juge M. Vesterdorf faisant fonction d'avocat général sous l'arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1-89, Rec. p. II-867, II-869). En l'espèce, le salarié de HBG auteur des documents en cause était chargé de l'achat de bitume pour HBG et travaillait en coopération étroite avec la personne qui participait directement aux concertations avec le W5, puis aux réunions de l'entente. Dès lors, les notes rédigées par ce salarié au moment des faits ont une force probante.

58 À titre principal, il convient de relever que, dans sa réponse du 12 septembre 2003 à une demande de renseignements de la Commission, KWS a indiqué que les discussions entre les fournisseurs et les grands constructeurs portaient à la fois sur les " barèmes de prix " et les " remises standard " (considérant 72 de la décision attaquée). De même, une note interne de HBG du 28 mars 1994 fait état du prix standard, de la remise accordée au W5 et d'une remise maximale accordée aux petits constructeurs (considérant 93 de la décision attaquée). Une note interne de HBG du 24 février 1994 montre également l'importance que les grands constructeurs accordaient au fait d'obtenir une remise non concédée aux petits constructeurs et d'éviter que la remise soit appliquée à l'ensemble des constructeurs (considérant 95 de la décision attaquée). En outre, un rapport interne de HBG du 14 septembre 1999 effectue un résumé des accords sur les " augmentations et les compensations " de 1999 conclus entre le W5 et les fournisseurs (considérant 107 de la décision attaquée). La réponse de KPN du 16 septembre 2003 à une demande de renseignements indique également que la réunion de concertation du 27 mars 1998 avait permis de traiter du prix brut et des remises (considérant 103 de la décision attaquée). Une note interne de KWS relative à une réunion du 12 mars 1999 fait également référence au prix brut et à la remise convenue pour le W5 (considérant 104 de la décision attaquée). Des notes de HBG et de KWS se réfèrent, par ailleurs, à la réunion du 1er mars 2001, en précisant le prix brut convenu, la remise accordée au W5 et celle accordée aux petits constructeurs (considérant 116 de la décision attaquée). Une note interne de KWS du 23 mai 2001, confirmée par sa réponse du 12 septembre 2003 à une demande de renseignements, fait également état du prix brut et de la remise accordée au W5 (considérant 119 de la décision attaquée). Dans sa réponse à la communication des griefs, KWS, citant l'un de ses salariés, a de même indiqué que " les augmentations du prix standard ne constituaient pas un problème tant que les remises suivaient " (considérant 149 de la décision attaquée). Enfin, une analyse de SNV du 9 février 1995 indique l'importance pour le W5 de bénéficier d'une remise plus importante que celle accordée aux petits constructeurs (considérant 153 de la décision attaquée).

59 Ces différents éléments de preuve permettent d'établir que les accords conclus entre les grands constructeurs et les fournisseurs portaient à la fois sur le prix brut, sur la remise spécifique accordée au W5 et sur la remise maximale accordée aux petits constructeurs. La circonstance, à la supposer établie, selon laquelle des divergences et des conflits avaient pu apparaître lors de ces négociations entre les fournisseurs et le W5 ne saurait suffire à démontrer que les fournisseurs avaient imposé les hausses du prix brut au W5.

60 En troisième lieu, l'affirmation des requérantes selon laquelle le W5 n'aurait disposé d'aucun moyen pour contrôler le respect de leurs engagements par les fournisseurs est erronée, dès lors que plusieurs éléments de preuve concordants permettent d'établir que le W5 avait mis en place un mécanisme de sanction dans l'hypothèse où les fournisseurs accorderaient aux petits constructeurs une remise supérieure à celle fixée.

61 Il ressort en effet de la décision attaquée que la Commission s'est fondée sur plusieurs éléments concordants qui font état de sanctions financières individuelles ou, à une reprise au moins, collectives par le W5, c'est-à-dire des amendes infligées à l'ensemble des fournisseurs, à l'égard des fournisseurs accordant aux petits fournisseurs une remise supérieure à celle convenue, ainsi que de changements de fournisseur en cas de découverte d'une telle remise.

62 Ainsi, dans un rapport interne de Wintershall AG du 4 mars 1996, relatif à une visite à Heijmans Infrastructuur BV (ci-après " Heijmans "), il est fait état de ces sanctions pour l'année 1995 (considérant 82 de la décision attaquée). De même, un rapport de HBG relatif à la concertation du 14 septembre 1999 relate une interrogation sur la remise importante accordée à deux petits constructeurs (considérant 83 de la décision attaquée). En ce qui concerne l'année 2000, KWS et BP font état d'une amende collective infligée aux fournisseurs à la suite de la découverte de la remise effectuée à Krekel, un petit constructeur (considérant 84 de la décision attaquée). KPN a également confirmé le mécanisme de sanctions dans sa déclaration du 9 octobre 2003 (considérant 85 de la décision attaquée). BP a de même déclaré, dans sa réponse à une demande de renseignements du 16 septembre 2003, que les requérantes avaient renoncé à se fournir auprès de la société Veba en 2002, à la suite de la découverte d'une remise importante accordée à un petit constructeur (considérant 86 de la décision attaquée). Dans la note interne de SNV du 9 février 1995, il est également fait mention d'une menace de diminution des achats de bitume en cas d'offres compétitives effectuées à des grands constructeurs non membres du W5 (considérant 86 de la décision attaquée). Dans sa déclaration du 12 septembre 2003, KPN a confirmé que, si un fournisseur accordait à un petit constructeur une remise supérieure à celle fixée, le W5 menaçait de ne plus s'approvisionner auprès de ce fournisseur (considérant 86 de la décision attaquée). Enfin, dans un document relatif à la concertation du 4 mai 2001, KWS a également fait mention d'une amende infligée à Nynas en raison de sa politique des prix (considérant 117 de la décision attaquée), ce qui a été confirmé par KPN dans sa déclaration du 12 septembre 2003 (considérant 118 de la décision attaquée).

63 Le Tribunal estime que, s'il est vrai que ces documents ne font référence de manière précise au mécanisme de l'amende collective infligée aux fournisseurs par le W5 qu'en ce qui concerne l'année 2000, ils montrent cependant, dans leur ensemble, qu'il existait un mécanisme individuel ou collectif de sanctions en cas de non-respect des accords de l'entente pendant l'ensemble de sa durée, lequel pouvait consister soit en un arrêt des commandes auprès du fournisseur ayant enfreint lesdits accords, soit en une amende infligée au fournisseur fautif ou à l'ensemble des fournisseurs.

64 Les requérantes font, en outre, valoir que la remise accordée au W5 était commercialement justifiée en raison des quantités achetées.

65 À cet égard, il convient d'examiner les quantités achetées individuellement par chaque membre du W5, et non la quantité globale achetée par l'ensemble de ses membres. Il ressort ainsi de la décision attaquée que les petits constructeurs ne bénéficiaient pas de la même remise que les membres du W5, alors même qu'ils achetaient parfois, individuellement, des quantités de bitume plus importantes que les membres du W5. Ainsi, dans une déclaration effectuée le 12 juillet 2002, un salarié de BP a indiqué que les fournisseurs méconnaissaient souvent les accords conclus avec le W5 en accordant une remise plus importante à certains petits constructeurs qui leur achetaient des quantités plus importantes de bitume. Il convient de relever que la Commission avait déjà répondu à cet argument au considérant 157 de la décision attaquée, en soulignant, en outre, que les grands constructeurs eux-mêmes avaient reconnu qu'ils négociaient en général une remise supplémentaire en fonction des quantités achetées individuellement. Elle avait également souligné que, même en considérant, comme l'affirment les requérantes, que le mécanisme de sanctions collectives en cas d'octroi aux petits constructeurs d'une remise supérieure à celle arrêtée dans les accords n'avait été utilisé qu'à une seule reprise, l'existence d'un tel mécanisme constituait un indice supplémentaire de ce que la remise accordée au W5 n'était pas proportionnelle aux volumes achetés. Il ressort, par ailleurs, d'un document interne de HBG du 23 décembre 1999 que la remise accordée au W5 lors des réunions de concertation s'expliquait " en raison des quantités totales et de l'avantage sur ceux qui ne particip[ai]ent pas au système " (considérant 108 de la décision attaquée). Ces divers éléments, ainsi que l'importance accordée par le W5 au niveau de leur remise lors des réunions de l'entente (voir point 58 ci-dessus), permettent de considérer que les requérantes n'ont pas établi que la remise accordée au W5 dépendait des volumes achetés.

66 Il convient, en outre, de préciser que les requérantes ne sauraient se prévaloir de la circonstance selon laquelle les petits constructeurs se comportaient de la même manière que les grands constructeurs dans leurs négociations avec les fournisseurs, en exigeant d'obtenir les prix les plus bas, dès lors que, au regard du droit de la concurrence, la situation d'une entreprise qui négocie individuellement ses prix avec un fournisseur est différente de celle d'entreprises qui agissent de manière collective.

- Sur les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale

67 Les requérantes reprochent également à la Commission de ne pas avoir examiné les effets des accords en cause sur la concurrence, notamment dans le cadre des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, qui autoriseraient les achats communs.

68 Le Tribunal rappelle qu'il résulte d'une jurisprudence constante qu'il appartient aux entreprises demandant le bénéfice d'une exemption au titre de l'article 81, paragraphe 3, CE d'établir, sur la base de preuves documentaires, le caractère justifié d'une exemption. Dans cette perspective, il ne saurait être fait grief à la Commission de n'avoir pas proposé d'autres solutions ni indiqué ce qu'elle considérait comme justifiant l'octroi d'une exemption (arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19, point 52). Il appartient uniquement à la Commission, au titre de son obligation de motivation, de mentionner les éléments de fait et de droit et les considérations qui l'ont amenée à prendre une décision rejetant la demande d'exemption, sans que la requérante puisse exiger qu'elle discute tous les points de fait et de droit qu'elle a soulevés au cours de la procédure administrative (arrêt du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T-29-92, Rec. p. II-289, points 262 et 263). Il s'ensuit qu'il appartient aux requérantes d'établir que la Commission a commis une erreur de droit ou de fait en refusant de lui octroyer une exemption au titre de l'article 81, paragraphe 3, CE.

69 En l'espèce, la Commission a exposé, aux considérants 162 à 168 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle avait considéré que la participation du W5 aux accords ne constituait pas des achats collectifs au sens des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale. Ainsi, la Commission rappelle, au considérant 163 de la décision attaquée, que ces dispositions n'ont pas pour objet d'autoriser les accords de coopération horizontale de manière générale, mais exposent les principes permettant de les apprécier au regard des dispositions de l'article 81 CE, de tels accords pouvant créer des problèmes de concurrence. En l'espèce, elle précise, au considérant 165 de la décision attaquée, que les accords en cause avaient pour objet de restreindre la concurrence et avaient des conséquences pour des entreprises n'y participant pas (fixation des prix pour tous les constructeurs des Pays-Bas et détermination des plafonds de remise pour les petits constructeurs). En outre, et en tout état de cause, ainsi qu'il est indiqué à juste titre par la Commission au considérant 166 de la décision attaquée, le W5 n'a pas procédé à des achats lors de ces négociations avec les fournisseurs, lesquelles n'avaient pour objet que de fixer des prix et des remises, comportement que le point 124 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale qualifie d'entente déguisée. De plus, il convient de souligner que le W5 a conclu ces accords avec un groupe de vendeurs qui adoptait également un comportement collusoire. Enfin, les dispositions de l'article 81, paragraphe 3, CE ne sont, en tout état de cause, pas applicables, dès lors que, selon le point 133 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, les accords d'achat ne peuvent être exemptés s'ils imposent des restrictions qui ne sont pas indispensables aux bénéfices économiques apportés par les accords. En effet, en l'espèce, les accords en cause imposaient des restrictions aux petits constructeurs sous forme de remises limitées, restrictions visant des tiers et non indispensables à la réalisation des avantages économiques recherchés.

70 Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir procédé à une analyse des effets des accords sur la concurrence. Il convient cependant de souligner que, aux termes des dispositions du point 18 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, il n'est pas nécessaire d'examiner les effets réels sur la concurrence et le marché des accords qui ont pour objet de restreindre la concurrence par la fixation des prix, la limitation de la production ou encore la répartition des marchés ou des clients, ces accords étant présumés produire des effets négatifs sur le marché. La Commission ayant considéré que les accords en cause visaient par nature à restreindre la concurrence (considérant 165 de la décision attaquée), il ne lui appartenait dès lors pas de procéder à une analyse des effets réels des accords sur la concurrence.

71 Les requérantes contestent, en outre, l'affirmation de la Commission selon laquelle les accords auraient eu pour objet de restreindre la concurrence. Elles estiment que ces accords, d'une part, n'ont pas restreint la concurrence entre les grands constructeurs et, d'autre part, n'ont pas limité la concurrence entre l'ensemble des constructeurs, le bitume ne représentant qu'une part négligeable des coûts totaux de ces sociétés.

72 Il ressort cependant de la décision attaquée et du point 42 ci-dessus que, en fixant conjointement avec les fournisseurs, qui couvraient 80 % du marché, le prix brut et la remise pour l'ensemble de leurs achats futurs, les membres du W5 ont eu un comportement susceptible de limiter la concurrence qui pouvait exister entre eux. Par ailleurs, compte tenu du mécanisme des appels d'offres existant dans le secteur de la construction routière, la remise spécifique accordée au W5 avait un impact sur la concurrence dans le secteur de la construction routière (voir points 42 et 44 ci-dessus).

- Sur l'intérêt des consommateurs finals

73 Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir examiné, conformément à la jurisprudence issue de l'arrêt GlaxoSmithKline Services/Commission, point 48 supra, si les consommateurs finals avaient été privés des avantages de la concurrence.

74 Il y a lieu de rappeler que, pour relever de l'interdiction énoncée à l'article 81, paragraphe 1, CE, un accord doit avoir " pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ". Selon une jurisprudence constante, le caractère alternatif de cette condition, marqué par la conjonction " ou ", conduit à examiner tout d'abord l'objet même de l'accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué. Au cas cependant où l'analyse des clauses de cet accord ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence, il conviendrait alors d'en examiner les effets et, pour le frapper d'interdiction, d'exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint ou faussé de façon sensible (arrêts de la Cour du 30 juin 1966, LTM, 56-65, Rec. p. 337, 359, et du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C-209-07, Rec. p. I-8637, point 15 ; arrêt du Tribunal du 9 juillet 2009, Peugeot et Peugeot Nederland/Commission, T-450-05, Rec. p. II-2533, point 43). Pour apprécier si un accord est prohibé par l'article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considération de ses effets concrets est donc superflue lorsqu'il apparaît que celui-ci a pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (arrêts de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56-64 et 58-64, Rec. p. 429, 496, et du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C-105-04 P, Rec. p. I-8725, point 125). Cet examen doit être effectué à la lumière du contenu de l'accord et du contexte économique dans lequel il s'inscrit (arrêts de la Cour du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission, 29-83 et 30-83, Rec. p. 1679, point 26 ; du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C-551-03 P, Rec. p. I-3173, point 66, et Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité, point 16). Enfin, cette méthode d'analyse est d'application générale et n'est pas réservée à une catégorie d'accords [arrêt du Tribunal du 2 mai 2006, O2 (Germany)/Commission, T-328-03, Rec. p. II-1231, point 67].

75 Les requérantes ne sauraient se prévaloir de l'arrêt GlaxoSmithKline Services/Commission, point 48 supra (point 121), dès lors que, selon la Cour, " l'article 81 CE vise, à l'instar des autres règles de concurrence énoncées dans le traité, à protéger non pas uniquement les intérêts des concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle " et que, " dès lors, la constatation de l'existence de l'objet anticoncurrentiel d'un accord ne saurait être subordonnée à ce que les consommateurs finals soient privés des avantages d'une concurrence efficace en termes d'approvisionnement ou de prix " (arrêt de la Cour du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C-501-06 P, C-513-06 P, C-515-06 P, et C-519-06 P, Rec. p. I-9291, points 62 à 64).

76 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Commission a correctement apprécié le contenu des accords en cause ainsi que le contexte dans lequel ils sont intervenus.

77 Il convient, par conséquent, de rejeter la quatrième branche du premier moyen.

Sur l'absence d'un intérêt commun aux grands constructeurs et aux fournisseurs

Arguments des parties

78 Selon les requérantes, les objectifs des grands constructeurs étaient en opposition directe avec ceux des fournisseurs, puisque ces derniers souhaitaient fixer des prix aussi élevés que possible, alors que les grands constructeurs voulaient obtenir des prix nets aussi réduits que possible en menant des négociations individuelles et collectives avec les fournisseurs. La Commission ne serait ainsi pas parvenue à démontrer l'existence d'une entente unique entre les fournisseurs et les grands constructeurs.

79 En outre, la Commission n'aurait pas tenu compte du fait que les fournisseurs se réunissaient entre eux avant chaque rencontre avec le W5.

80 Par ailleurs, la Commission n'aurait pas établi la thèse selon laquelle les modifications du prix brut n'étaient répercutées sur les pouvoirs adjudicateurs qu'en cas de dépassement d'un certain seuil, ce qui aurait incité le W5 à exiger des augmentations de prix importantes et simultanées. En tout état de cause, cette thèse ne figurerait pas dans la communication des griefs.

81 Les requérantes considèrent que cette thèse est erronée. Elles rappellent ainsi que seul un nombre limité de contrats comportait une clause d'indexation et qu'il ressort du dossier que les hausses de prix imposées par les fournisseurs dépassaient largement la remise standard offerte au W5.

82 La Commission réfute l'ensemble des arguments des requérantes.

Appréciation du Tribunal

83 Le juge de l'Union a déjà considéré que des participants à une même entente pouvaient avoir des intérêts économiques complémentaires (arrêt du Tribunal du 13 décembre 2006, FNCBV e.a./Commission, T-217-03 et T-245-03, Rec. p. II-4987, point 322). En l'espèce, la Commission a considéré que les fournisseurs comme le W5 avaient un intérêt commun à l'existence d'accords sur le prix brut et les remises, ceux-ci ayant eu pour effet de restreindre la concurrence du côté des fournisseurs et des grands constructeurs. Les requérantes estiment que la Commission a commis une erreur d'appréciation concernant l'objectif du W5, lequel n'était pas de nuire aux consommateurs finals, mais de limiter les effets des hausses de prix imposées par les fournisseurs.

84 Il convient de rappeler, tout d'abord, qu'il n'est pas nécessaire d'examiner si l'entreprise accusée avait un intérêt commercial auxdits accords lorsque la Commission a réussi à réunir des preuves documentaires à l'appui de l'infraction alléguée et que ces preuves apparaissent suffisantes pour démontrer l'existence d'un accord de nature anticoncurrentielle (arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C-403-04 P et C-405-04 P, Rec. p. I-729, point 46). Le Tribunal ayant considéré que la Commission avait établi l'existence d'un accord de nature anticoncurrentielle aux points 71 et 72 ci-dessus, ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'il examine la question d'une appréciation erronée de l'intérêt du W5 aux accords en cause.

85 En ce qui concerne le caractère prétendument nouveau de la thèse selon laquelle les modifications du prix brut n'étaient répercutées sur les pouvoirs adjudicateurs qu'en cas de dépassement d'un certain seuil, développée par la Commission pour la première fois dans la décision attaquée, il convient de renvoyer à l'examen du troisième moyen, tiré d'une violation des droits de la défense (voir point 157 ci-après).

86 Il convient, en outre, d'examiner le fonctionnement du CROW (Centre pour la régulation et la recherche en matière d'ingénierie civile et de trafic), organisme sans but lucratif qui était notamment chargé de publier mensuellement les prix du bitume routier depuis les années 70, à partir des éléments du dossier (considérants 25 et 26 de la décision attaquée).

87 La publication du prix du bitume routier par le CROW s'effectuait, jusqu'au 1er novembre 1995, après consultation des producteurs de bitume. Après cette date, le calcul était effectué par le CBS (bureau central de la statistique), organe gouvernemental, à partir d'une étude de marché portant sur plusieurs centrales d'enrobage, soit avant l'application d'une éventuelle remise aux constructeurs, et cet indice des prix, publié par le CROW (ci-après l'" indice CROW "), servait de référence pour les marchés de construction routière à long terme comportant une clause de règlement des risques. En effet, il ressort du dossier que, pour ces marchés, en cas d'augmentation de l'indice CROW au-delà d'un certain seuil (1 000 florins néerlandais), les pouvoirs adjudicateurs étaient tenus d'indemniser les constructeurs. À l'inverse, en cas de baisse de l'indice CROW en deçà de ce seuil, les constructeurs devaient dédommager les pouvoirs adjudicateurs. Les constructeurs n'étaient, dès lors, pas défavorisés par une hausse des prix lorsque ceux-ci augmentaient de manière simultanée, faisant ainsi augmenter l'indice CROW. En revanche, les constructeurs n'avaient pas intérêt à une baisse des prix, qui, si elle entraînait une baisse de l'indice CROW, les obligeait à rembourser leur cocontractant du différentiel de prix.

88 Par ailleurs, les requérantes tentent de minimiser l'importance de l'indice CROW en indiquant qu'il ne concernait que les grands projets et que ceux-ci ne représentaient qu'une faible part de leurs chiffres d'affaires. Sans qu'il soit besoin de déterminer le nombre de projets concernés par cette clause, le Tribunal relève qu'il ressort de nombreux documents que cette question faisait l'objet de discussions lors des réunions de l'entente [considérants 94 (note de HBG du 8 juillet 1994), 101 (note interne de BP de 1996), 107 (rapport de HBG du 14 septembre 1999), 111 (notes de KWS du 12 avril 2000) et 115 (notes de HBG du 16 février 2001) de la décision attaquée], ce qui permet de la considérer comme un élément central des négociations.

89 Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que les fournisseurs comme le W5 avaient un intérêt commun à l'existence d'un accord sur les prix bruts et sur les remises et que l'intérêt des membres du W5 s'explique à la fois par le mécanisme des clauses de règlement des risques et par la remise spécifique dont ils bénéficiaient, qui leur procurait un avantage concurrentiel par rapport aux petits constructeurs pour l'obtention des marchés publics.

90 Il convient, par conséquent, de rejeter la cinquième branche du premier moyen.

Sur la durée de l'infraction

Arguments des parties

91 Selon les requérantes, la Commission n'a pas établi leur participation à l'infraction pour les années 1994 et 1995. Elles soutiennent ainsi qu'il n'y a eu aucune concertation sur le bitume avant 1996.

92 La Commission serait pourtant tenue d'analyser et d'interpréter correctement les preuves dont elle dispose. Or, en se fondant sur des déclarations de fournisseurs pour interpréter les éléments de preuve d'une manière systématiquement défavorable aux grands constructeurs, alors qu'il aurait existé une explication alternative cohérente, la Commission n'aurait pas respecté cette obligation.

93 Pour les années 1994 et 1995, la Commission se serait ainsi uniquement fondée sur des preuves indirectes, à savoir deux documents de HBG, deux notes internes de SNV et des déclarations de KWS et de plusieurs fournisseurs.

94 En ce qui concerne les documents de HBG, ceux-ci proviendraient d'un salarié qui n'aurait jamais participé lui-même à une concertation avec des fournisseurs. En outre, le texte du premier document laisserait entendre que HBG n'était pas impliquée dans les accords qui y sont évoqués. Concernant les notes internes de SNV, celle du 6 février 1995 montrerait très clairement qu'il était question d'une entente des fournisseurs " qui existait déjà " et celle du 9 février 1995 ne contiendrait pas d'informations concrètes suffisantes pouvant prouver l'existence d'une entente du côté des constructeurs.

95 La Commission serait donc uniquement en mesure de démontrer qu'une remise accordée au W5 existait déjà en 1994 et en 1995, comme le confirme la déclaration de KWS, citée dans la décision attaquée (considérant 177). Il ne serait en revanche nullement démontré qu'il ait été discuté d'une remise maximale accordée aux petits constructeurs en 1994 et en 1995.

96 La Commission réfute l'ensemble des arguments des requérantes.

Appréciation du Tribunal

97 L'article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1-2003 précise que, " pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci ". En l'espèce, la Commission a estimé que les requérantes avaient commis une infraction de longue durée, celle-ci étant supérieure à cinq ans, et a retenu une durée totale de huit ans, du 1er avril 1994 au 15 avril 2002, augmentant ainsi leur montant de départ de 80 % (considérant 188 de la décision attaquée).

98 Il ressort de plusieurs éléments du dossier que les grands constructeurs participaient déjà à l'entente avant 1996, laquelle portait dès cette période sur la remise spécifique accordée au W5 et sur la remise maximale accordée aux petits constructeurs (considérants 175 à 178 de la décision attaquée).

99 Devant la contestation de la valeur de certains de ces éléments de preuve, il convient, à titre préalable, de souligner les origines variées de ces éléments de preuve, qui proviennent à la fois des fournisseurs et des grands constructeurs.

100 En premier lieu, les deux documents des 28 mars et 8 juillet 1994 saisis chez HBG (considérants 93 et 94 de la décision attaquée) font mention d'un accord entre le W5 et les fournisseurs sur le niveau du prix brut, qui entrait en vigueur le 1er avril 1994 et serait appliqué jusqu'au 1er janvier 1995, ainsi que sur les remises spécifiques accordées aux grands constructeurs et la remise maximale applicable aux petits constructeurs. La note du 8 juillet 1994 fait également mention du fait que, à cette époque, les accords sur les prix étaient conclus entre un représentant de KWS et un représentant de SNV.

101 Il convient de rejeter l'argument des requérantes selon lequel ces deux documents ne seraient dotés d'aucune force probante, parce qu'ils auraient été rédigés par une personne n'ayant jamais participé directement aux réunions de concertation (voir point 57 ci-dessus). Par ailleurs, le fait que HBG ne soit pas citée comme ayant participé directement aux négociations ayant abouti aux accords s'explique par le fait que, jusqu'en 1996, les réunions ne se déroulaient qu'entre un seul représentant des fournisseurs, SNV, et un seul représentant des grands constructeurs, KWS (considérant 100 de la décision attaquée).

102 En deuxième lieu, les deux notes internes de SNV des 6 et 9 février 1995 font également référence au contexte dans lequel se sont inscrits les accords sur les prix et les remises spéciales conclus entre le W5 et les fournisseurs (considérants 88 et 89 de la décision attaquée).

103 En effet, dans la note interne de SNV du 6 février 1995, un salarié effectuant une synthèse relative au marché de la construction routière aux Pays-Bas décrit la situation de surcapacité du marché et les " origines du cartel " depuis 1980. Il mentionne ainsi la création de Nabit, une organisation professionnelle des entreprises de bitume, en 1980, période d'instabilité du prix du bitume, puis la mise en place du projet " Star ", une entente composée des cinq principaux constructeurs routiers et des principaux fournisseurs, qui aurait pris fin en 1993, et, enfin, le fait que les grands constructeurs ont exigé une plus grande stabilité des prix en 1995, afin que les volumes et la répartition des marchés retrouvent approximativement leur niveau de 1993. Le document souligne, en conclusion, la part de responsabilité tant des pouvoirs publics que des grands constructeurs et des fournisseurs dans l'apparition de certains accords à cette date. Contrairement à ce qu'affirment les requérantes, ce document ne permet cependant pas de déterminer clairement qu'une entente existait avant 1994 ni que les fournisseurs ont imposé l'entente aux grands constructeurs.

104 Par ailleurs, dans la note interne de SNV du 9 février 1995, deux salariés exposent la situation du marché de la construction routière aux Pays-Bas et soulignent notamment l'existence d'accords sur les prix et les marchés entre les grands constructeurs, qui bénéficiaient d'une remise spécifique, et les fournisseurs, au détriment des entités adjudicatrices et des petits constructeurs. Ils qualifient la situation de " coopération entre deux cartels " et il ressort de ce document qu'ils étaient conscients de l'existence d'un risque de sanction par la Commission. Ils indiquent, par ailleurs, que SNV avait tenté de mettre fin à cette situation à partir de 1992, sans y parvenir, et examinent les possibilités d'évolution de la situation, à savoir le maintien de la coopération et la suppression partielle ou totale de la coopération, et les risques qui y étaient liés. Ce document permet de confirmer le caractère bilatéral de l'entente et infirme la théorie des requérantes selon laquelle une entente aurait existé du seul côté des fournisseurs avant 1994 et ils l'auraient imposée aux grands constructeurs.

105 En troisième lieu, la réponse de KWS à la communication des griefs indique également que les accords entre les fournisseurs et les grands constructeurs existaient dès 1993 et avaient pour objet la fixation du prix brut, d'une remise minimale pour le W5 et d'une remise maximale pour les petits constructeurs (considérants 96 et 97 de la décision attaquée).

106 En quatrième lieu, plusieurs documents saisis par la Commission lors des vérifications surprises permettent de confirmer que le système de remises et de sanctions fonctionnait en 1995. Ainsi, une note interne de HBG du 7 juillet 1995 indique que KPN et Wintershall offraient une remise supplémentaire à HBG et un rapport interne de Wintershall du 4 mars 1996 relatif à une entrevue avec Heijmans fait mention du montant de la remise due à cette société (considérant 98 de la décision attaquée). Ce même rapport de Wintershall indique également que, en 1995, il avait été constaté que les fournisseurs avaient accordé des remises indues aux petits constructeurs (considérant 82 de la décision attaquée).

107 En cinquième lieu, les demandes de trois entreprises tendant au bénéfice de la communication de la Commission du 19 février 2002 sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes permettent de confirmer que les accords existaient depuis au moins le 1er avril 1994. Il s'agit d'une déclaration de KPN du 9 octobre 2003, de la réponse de Nynas du 2 octobre 2003 à une demande de renseignements et d'une déclaration de BP du 12 juillet 2002.

108 Il convient, par ailleurs, de rejeter l'argument des requérantes selon lequel ces documents ne seraient pas pertinents pour établir leur participation directe à l'infraction. En effet, l'absence d'éléments de preuve concernant la participation directe des requérantes aux réunions de l'entente avant 1996 s'explique par le fait que, du 1er avril 1994 au 19 février 1996, les réunions ne se déroulaient qu'entre un seul représentant des fournisseurs (SNV) et un seul représentant des grands constructeurs (KWS) (considérant 100 de la décision attaquée).

109 Il ressort néanmoins de la décision attaquée que les requérantes étaient membres du W5 (considérant 57), ce qu'elles ne contestent pas, et que, en tant que membres du W5, les accords conclus par SNV et KWS leur étaient applicables (voir points 98 à 107 ci-dessus).

110 Dès lors, il y lieu de considérer que la Commission a établi la participation des requérantes à l'infraction depuis le 1er avril 1994, sans qu'elle ait été tenue de fournir des preuves de leur participation directe aux réunions de l'entente.

111 Il convient donc de rejeter la sixième branche et, par conséquent, le premier moyen dans son ensemble.

2. Sur le deuxième moyen, relatif à la fixation du montant de l'amende

Arguments des parties

112 Les requérantes soutiennent que la Commission a méconnu l'article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1-2003 et les lignes directrices sur le calcul des amendes. Elles avancent, à cet égard, trois branches distinctes, tirées de la qualification erronée de l'infraction de très grave, de l'appréciation erronée de l'impact de l'entente sur le marché et du caractère disproportionné du montant des amendes qui leur ont été infligées.

113 Ainsi, l'infraction en cause ne pourrait en aucun cas être qualifiée de très grave. En effet, conformément aux lignes directrices sur le calcul des amendes, l'infraction alléguée devrait être qualifiée de peu grave, puisque les accords des grands constructeurs, contrairement à ceux des fournisseurs, auraient porté sur les prix d'achat, sur un marché d'un volume très réduit et concernaient un secteur ayant un poids économique limité. Par ailleurs, la Commission n'aurait établi, à tort, aucune distinction entre le rôle des fournisseurs et celui des grands constructeurs. Or, cela reviendrait à ignorer qu'une entente de fournisseurs constitue, par nature, une infraction bien plus grave qu'une entente entre acheteurs et fournisseurs et entre acheteurs entre eux.

114 De plus, les consommateurs finals auraient retiré un bénéfice de ces accords. D'ailleurs, la Commission aurait admis, au point 314 de la décision attaquée, qu'il ne serait pas possible de mesurer l'impact concret de cette entente sur le marché et, en tout état de cause, n'aurait pas démontré le lien de causalité entre les accords et les prix élevés du bitume aux Pays-Bas.

115 Enfin, les requérantes estiment que les montants de base de leurs amendes sont manifestement disproportionnés eu égard à leurs volumes d'achats, qui étaient de 6,1 millions d'euro en 2001 pour BAM NBM et de 3,5 millions d'euro pour HBG. La Commission n'aurait pas tenu compte du fait, notamment, que l'entente concernait, pour les grands constructeurs, le prix d'achat et que ce prix d'achat ne représentait qu'une part minime de leurs coûts de production, sur lesquels elles réalisaient une marge nette très faible. Par ailleurs, la Commission aurait dû prendre en compte le fait qu'elles avaient répercuté cette baisse de leurs coûts d'achat sur les offres faites à leurs clients.

116 La Commission conteste l'ensemble des arguments des requérantes.

Appréciation du Tribunal

Sur la qualification d'infraction très grave

117 Aux termes des dispositions du point 1 des lignes directrices sur le calcul des amendes, le montant de base de l'amende est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, l'évaluation du caractère de gravité de l'infraction devant prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché quand il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné. Les lignes directrices sur le calcul des amendes opèrent ainsi une distinction entre les infraction peu graves (restrictions le plus souvent verticales visant à limiter les échanges, mais dont l'impact sur le marché reste limité), les infractions graves (restrictions horizontales ou verticales dont l'application est plus rigoureuse et dont l'impact sur le marché commun est plus large) et les infractions très graves (restrictions horizontales de type " cartels de prix " et de quotas de répartition du marché ou autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur).

118 Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la gravité d'une infraction est déterminée en tenant compte de nombreux éléments, tels que les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et au regard desquels la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation (arrêts de la Cour Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 34 supra, point 241, et du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C-328-05 P, Rec. p. I-3921, point 43 ; arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T-69-04, Rec. p. II-2567, point 153). Par ailleurs, selon la jurisprudence, lors de la détermination du montant des amendes, il y a lieu de tenir compte de tous les éléments de nature à entrer dans l'appréciation de la gravité des infractions, tels que, notamment, le rôle joué par chacune des parties dans l'infraction et le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de la Communauté (arrêt du Tribunal du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T-49-02 à T-51-02, Rec. p. II-3033, points 168 à 183). Lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu d'examiner la gravité relative de la participation de chacune d'entre elles (arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C-51-92 P, Rec. p. I-4235, point 110, et Montecatini/Commission, C-235-92 P, Rec. p. I-4539, point 207).

119 Le juge de l'Union a également reconnu la qualification d'infraction très grave par nature pour les ententes horizontales en matière de prix ou les accords visant notamment à la répartition des clientèles ou au cloisonnement du marché commun (arrêts du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T-374-94, T-375-94, T-384-94 et T-388-94, Rec. p. II-3141, point 136 ; Groupe Danone/Commission, point 25 supra, point 147, et du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T-53-03, Rec. p. II-1333, point 279). Ces accords peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de très grave, sans qu'il soit nécessaire que de tels comportements se caractérisent par une étendue géographique ou un impact particuliers (arrêt Brasserie nationale e.a./Commission, point 118 supra, point 178). À l'inverse, une entente horizontale qui couvre le territoire entier d'un État membre et qui a pour objet un partage de marché et un cloisonnement du marché commun ne saurait être qualifiée de peu grave au sens des lignes directrices sur le calcul des amendes (arrêt Brasserie nationale e.a./Commission, point 118 supra, point 181). Ainsi, contrairement à ce qu'affirment les requérantes, il n'appartenait pas à la Commission de procéder à une analyse des répercussions effectives du comportement en cause sur la concurrence pour pouvoir apprécier la gravité de l'infraction en établissant que les accords auraient désavantagé les petits constructeurs et les consommateurs finals et artificiellement augmenté le niveau du prix brut aux Pays-Bas.

120 En l'espèce, la Commission a estimé, aux considérants 312 à 317 de la décision attaquée, que les requérantes avaient commis une infraction très grave à l'article 81, paragraphe 1, CE. Elle a souligné qu'une infraction consistant à fixer directement ou indirectement les prix de vente et d'achat et à appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant ainsi un désavantage dans la concurrence, faisait partie des infractions les plus graves par leur nature. Elle a, en outre, indiqué que les deux groupes impliqués dans l'infraction auraient dû être conscients de la nature illicite de l'entente, les membres du W5 ayant notamment délibérément infligé un désavantage concurrentiel aux petits constructeurs. Le caractère secret des arrangements conclus par l'entente constituerait, à cet égard, une preuve supplémentaire de leur nature illicite.

121 Il y a lieu de relever que les requérantes ne contestent pas les éléments cités au considérant 312 de la décision attaquée, à savoir que l'entente consistait à fixer directement ou indirectement les prix de vente et d'achat et à appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant ainsi un désavantage concurrentiel. Or, les mécanismes ainsi décrits par la Commission relèvent des formes les plus graves d'atteinte à la concurrence. Les requérantes se bornent à chercher à établir une distinction entre plusieurs comportements relatifs à la même entente, en arguant du fait que la Commission aurait dû procéder à une appréciation distincte du comportement des fournisseurs et de celui des grands constructeurs, les premiers s'étant rendus responsables d'une entente sur les prix alors que les seconds n'auraient fait que négocier une remise collective sur les prix d'achat.

122 Comme le Tribunal l'a déjà indiqué précédemment (voir points 52 à 66 ci-dessus), il convient cependant de prendre en compte les accords conclus entre le W5 et les fournisseurs de manière globale, ceux-ci concernant à la fois le prix brut, la remise minimale accordée au W5 et la remise maximale applicable aux petits constructeurs. Ainsi, les circonstances avancées par les requérantes en l'espèce ne sont pas susceptibles de remettre en cause la validité de l'appréciation de la gravité de l'infraction à laquelle la Commission a procédé. Il s'ensuit que la conclusion de la Commission selon laquelle les accords et les concertations en cause constituaient, par leur nature même, une infraction très grave ne saurait être contestée.

123 Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir fondé son affirmation selon laquelle les grands constructeurs auraient dû savoir que leur pratique restreignait la concurrence (considérant 313 de la décision attaquée). Elles estiment, en outre, que, pour les grands constructeurs, ces accords n'étaient pas confidentiels. À cet égard, le juge de l'Union considère que la Commission peut légitimement prendre en considération le fait que les entreprises ont pris beaucoup de précautions pour éviter qu'une entente ne soit découverte pour déterminer la gravité de l'infraction (arrêt Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, point 118 supra, point 154). En l'espèce, la Commission a indiqué que le W5 avait mis en place des arrangements secrets, notamment en n'envoyant pas d'invitations écrites aux réunions de concertation et en n'établissant aucun compte rendu de celles-ci. En tout état de cause, le libellé du considérant 313 de la décision attaquée révèle que les éléments qui y sont mentionnés l'ont été à titre subsidiaire, eu égard à ceux listés au considérant 312 de la décision attaquée. Dans ces conditions, à supposer même que la contestation par les requérantes de la prise en compte du caractère secret de l'entente et de la conscience de son caractère illicite puisse être considérée comme fondée, cela ne saurait avoir pour conséquence de remettre en cause l'appréciation de la Commission relative à la nature de l'infraction, telle qu'elle résulte des motifs pertinents et suffisants figurant au considérant 312 de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, point 118 supra, point 157).

124 Il résulte de tout ce qui précède que la Commission n'a pas commis d'erreur d'appréciation quant à la qualification de la nature de l'infraction commise par les requérantes. Il convient ainsi de rejeter les conclusions des requérantes tendant à la qualification de l'entente d'une infraction peu grave.

Sur l'absence d'appréciation de l'impact de l'entente sur le marché

125 Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir mesuré l'impact de l'entente sur le marché pour fixer le montant de base de l'amende.

126 À cet égard, il convient de relever que la Commission a, tout d'abord, indiqué que la détermination de la gravité de l'infraction et du montant de l'amende ne dépendaient pas de l'impact de l'entente sur le marché (considérant 314 de la décision attaquée). Elle a, ensuite, précisé qu'il n'était pas possible de mesurer l'impact concret de l'entente en raison du manque d'informations sur l'évolution du prix du bitume en l'absence d'accords, mais qu'elle pouvait s'en tenir à des estimations de probabilité des effets de l'entente. À cette fin, elle a souligné que les accords conclus avaient effectivement été mis en œuvre, y compris l'application d'une remise préférentielle aux seuls membres du W5 et du mécanisme de sanctions en cas de non-respect des accords, créant ainsi des conditions de marché artificielles. Enfin, elle a indiqué que le niveau du prix brut aux Pays-Bas avait été supérieur à celui en vigueur dans les pays voisins et que la remise spécifique accordée au W5 avait pu jouer un rôle déterminant dans l'obtention de marchés publics.

127 Aux termes des dispositions du point 1 des lignes directrices sur le calcul des amendes, le montant de base de l'amende est déterminé " en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, l'évaluation du caractère de gravité de l'infraction devant prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché quand il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné ".

128 Le juge de l'Union a confirmé que la Commission n'était pas tenue d'établir l'impact concret de l'infraction sur le marché, la question de savoir dans quelle mesure la restriction de concurrence avait abouti à un prix de marché supérieur à celui qui aurait prévalu dans l'hypothèse de l'absence d'entente n'étant pas un critère décisif pour la détermination du niveau des amendes (arrêts de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, points 120 et 129, et du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C-286-98 P, Rec. p. I-9925, points 68 à 77).

129 La Cour a ainsi rappelé qu'il résultait des lignes directrices sur le calcul des amendes que la nature propre de l'infraction pouvait suffire à la qualifier de " très grave ", et ce indépendamment de son impact concret sur le marché et de son étendue géographique (voir point 119 ci-dessus et arrêt de la Cour du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C-125-07 P, C-133-07 P, C-135-07 P et C-137-07 P, Rec. p. I-8681, point 103). Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description des infractions " graves " mentionne expressément l'impact sur le marché et les effets sur des zones étendues du marché commun, celle des infractions " très graves ", en revanche, ne mentionne aucune exigence d'impact concret sur le marché ni de production d'effets sur une zone géographique particulière (arrêt Groupe Danone/Commission, point 25 supra, point 150). La Cour a également rappelé qu'il ressortait du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices sur le calcul des amendes que cet impact était à prendre en considération uniquement lorsqu'il était mesurable (arrêts de la Cour du 9 juillet 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C-511-06 P, Rec. p. I-5843, point 125, et du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C-534-07 P, Rec. p. I-7415, point 74).

130 En l'espèce, compte tenu de la nature de l'infraction en cause et du fait que la Commission a précisé, dans la décision attaquée, que l'impact concret de l'infraction n'était pas mesurable (considérants 314 et 316), la Commission n'était pas tenue de procéder à une appréciation de cet impact concret sur le marché pour la qualifier d'infraction très grave.

131 Par ailleurs, selon la jurisprudence, si la Commission estime opportun, aux fins du calcul du montant de l'amende, de tenir compte de cet élément facultatif qu'est l'impact concret de l'infraction sur le marché, elle ne peut se limiter à fournir une simple présomption, mais doit apporter des indices concrets, crédibles et suffisants permettant d'apprécier l'influence effective que l'infraction a pu avoir au regard de la concurrence sur ledit marché, dès lors que la prise en considération supplémentaire de cet élément permet à la Commission d'augmenter le montant de départ de l'amende au-delà du montant minimal envisageable de 20 millions d'euro fixé par les lignes directrices sur le calcul des amendes, sans autre plafond que la limite maximale de 10 % du chiffre d'affaires total réalisé par l'entreprise concernée au cours de l'exercice social précédent, fixé pour le montant total de l'amende à l'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003 (arrêt Prym et Prym Consumer/Commission, point 129 supra, points 81 et 82).

132 Cependant, en l'espèce, la Commission ayant indiqué clairement, dans la décision attaquée, que l'impact concret de l'infraction n'était pas mesurable et qu'il n'intervenait, dès lors, pas dans la détermination de la gravité de l'infraction et du montant de l'amende, il ne saurait lui être fait grief de s'être bornée à avoir précisé que les accords en cause avaient été mis en œuvre dans le considérant relatif à l'impact concret de l'entente sur le marché. Il ne sera, dès lors, pas nécessaire d'examiner si les autres indices qu'elle a présentés étaient suffisants pour établir l'influence effective que l'infraction avait pu avoir au regard de la concurrence sur ledit marché.

133 Il convient donc de rejeter la deuxième branche du deuxième moyen.

Sur le caractère disproportionné du montant de base

134 Les requérantes estiment que les montants de base de leurs amendes sont manifestement disproportionnés eu égard à leurs volumes d'achats.

135 Aux termes des dispositions du point 1 A, sixième alinéa des lignes directrices sur le calcul des amendes, dans le cas d'infractions impliquant plusieurs entreprises, il pourra convenir de pondérer, dans certains cas, les montants déterminés à l'intérieur de chaque catégorie d'infraction " afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature ". Le septième alinéa précise ainsi que " le principe d'égalité de sanction pour un même comportement peut conduire, lorsque les circonstances l'exigent, à l'application de montants différenciés pour les entreprises concernées sans que cette différentiation obéisse à un calcul arithmétique ".

136 La Commission a indiqué, aux considérants 318 à 322 de la décision attaquée, que, afin de tenir compte de l'importance spécifique du comportement illicite de chaque entreprise impliquée dans l'entente et de son impact réel sur la concurrence, elle avait opéré une distinction entre les entreprises concernées en fonction de leur importance relative sur le marché en cause, mesurée par leurs parts de marché calculées sur la base de la valeur des ventes ou des achats pour le bitume routier aux Pays-Bas en 2001, dernière année pleine de l'infraction. Elle a ainsi classé les sociétés en six catégories et placé BAM NBM dans la quatrième catégorie, qui regroupe les sociétés ayant des parts de marché comprises entre 9,2 et 10,6 %, obtenant un montant de départ de 7,5 millions d'euro. En ce qui concerne HBG, qui avait une part de marché de 5,6 %, elle l'a placée dans la cinquième catégorie, obtenant ainsi un montant de départ de 4 millions d'euro.

137 Par ailleurs, elle a indiqué, au considérant 317 de la décision attaquée, que, même si les infractions très graves pouvaient faire l'objet d'amendes de plus de 20 millions d'euro, elle n'avait fixé ce montant qu'à 15 millions d'euro, compte tenu du fait que l'infraction était limitée au bitume routier vendu dans un seul État membre, de la valeur relativement faible de ce marché, à savoir 62 millions d'euro en 2001, et du nombre élevé de participants.

138 Le juge de l'Union a déjà indiqué que la Commission disposait, dans le cadre du règlement n° 1-2003, d'une marge d'appréciation concernant la fixation du montant des amendes, afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence et qu'il incombait au Tribunal de contrôler si le montant de l'amende infligée était proportionné par rapport à la gravité et à la durée de l'infraction et de mettre en balance la gravité de l'infraction et les circonstances invoquées par le requérant (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 21 octobre 2003, General Motors Nederland et Opel Nederland/Commission, T-368-00, Rec. p. II-4491, point 189).

139 Le juge de l'Union a, en outre, précisé que, bien qu'elles ne prévoient pas que le montant des amendes soit calculé en fonction du chiffre d'affaires global ou du chiffre d'affaires pertinent, les lignes directrices sur le calcul des amendes ne s'opposaient pas à ce que de tels chiffres d'affaires soient pris en compte dans le cadre de la détermination du montant de l'amende, afin de respecter les principes généraux du droit de l'Union et lorsque les circonstances l'exigent, et que la Commission pouvait ainsi répartir les entreprises concernées en plusieurs catégories, en s'appuyant sur le chiffre d'affaires réalisé par chaque entreprise pour les produits concernés par la procédure (voir, en ce sens, arrêt Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, point 118 supra, points 176 et 177).

140 Cette méthode consistant à répartir les membres d'une entente en catégories aux fins de réaliser un traitement différencié au stade de la fixation des montants de départ des amendes, dont le principe a été reconnu légal par la jurisprudence, bien qu'elle revienne à ignorer les différences de taille entre entreprises d'une même catégorie, entraîne une forfaitisation du montant de départ fixé aux entreprises appartenant à une même catégorie. La Commission peut ainsi, notamment, répartir les entreprises concernées en plusieurs catégories en procédant, par exemple, par tranches de 5 % ou de 10 % de parts de marché. Le juge de l'Union souligne cependant qu'une telle répartition doit respecter le principe d'égalité de traitement et que le montant des amendes doit, au moins, être proportionné par rapport aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l'infraction, le juge de l'Union se limitant à contrôler que cette répartition est cohérente et objectivement justifiée (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 8 octobre 2008, SGL Carbon/Commission, T-68-04, Rec. p. II-2511, points 62 à 70, et du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T-161-05, Rec. p. II-3555, points 123 et 124).

141 Il est de jurisprudence constante que la Commission n'est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction en question, ainsi que cela est rappelé au point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices sur le calcul des amendes, d'effectuer le calcul du montant de l'amende à partir de montants fondés sur le chiffre d'affaires des entreprises concernées. Il est, certes, loisible à la Commission de tenir compte du chiffre d'affaires de l'entreprise en cause, mais il ne faut pas attribuer une importance disproportionnée à ce chiffre par rapport à d'autres éléments d'appréciation. La Commission conserve donc une certaine marge d'appréciation eu égard à l'opportunité d'effectuer une pondération des amendes en fonction de la taille de chaque entreprise. Ainsi, elle n'est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes, de s'assurer, au cas où des amendes sont infligées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finaux des amendes traduisent une différenciation entre les entreprises concernées quant à leur chiffre d'affaires global (arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C-407-04 P, Rec. p. I-829, points 141 à 144) ou à leur chiffre d'affaires sur le marché du produit en cause (arrêt du Tribunal du 29 novembre 2005, Union Pigments/Commission, T-62-02, Rec. p. II-5057, point 159).

142 Il est également de jurisprudence constante que le fait que la méthode de calcul exposée dans les lignes directrices sur le calcul des amendes n'est pas fondée sur le chiffre d'affaires global des entreprises concernées et permet, de ce fait, qu'apparaissent des disparités entre les entreprises, en ce qui concerne le rapport entre leur chiffre d'affaires et le montant des amendes qui leur sont infligées, est sans pertinence pour apprécier si la Commission a violé les principes de proportionnalité et d'égalité de traitement ainsi que d'individualité des peines (arrêt du Tribunal du 6 mai 2009, Wieland-Werke/Commission, T-116-04, Rec. p. II-1087, points 86 et 87).

143 Il appartient, dès lors, uniquement au Tribunal de vérifier, en l'espèce, que la répartition des entreprises effectuée par la Commission a été cohérente et objectivement justifiée. Or, la Commission a indiqué, au considérant 320 de la décision attaquée, que, la présente affaire concernant une entente entre vendeurs et acheteurs du même produit dans la même zone d'activités, il convenait d'établir un unique classement en fonction du chiffre d'affaires du produit concerné. Dès lors, bien que l'entente ait concerné le prix d'achat pour les grands constructeurs et le prix de vente pour les fournisseurs, la Commission pouvait établir un unique classement en fonction du chiffre d'affaires du produit concerné sans méconnaître ses obligations de cohérence et de justification objective. Il ressort enfin de la jurisprudence exposée précédemment que la Commission n'était pas tenue de prendre en compte les circonstances, à les supposer établies, selon lesquelles les requérantes auraient répercuté la baisse de leurs coûts d'achat due à l'entente sur les offres faites à leurs clients et le prix d'achat du bitume n'aurait représenté qu'une part minime de leurs coûts de production.

144 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Commission n'a commis aucune erreur de fait ou de droit dans le calcul du montant des amendes infligées aux requérantes et il convient, dès lors, de rejeter cette branche et, par conséquent, le deuxième moyen dans son ensemble.

3. Sur le troisième moyen, tiré d'une violation des droits de la défense

Arguments des parties

145 Les requérantes avancent trois branches au soutien de leur moyen tiré de la violation de leurs droits de la défense. Premièrement, elles allèguent une violation de leurs droits de la défense fondée sur le fait que la Commission a séparé l'enquête néerlandaise de celle portant sur l'existence d'accords restrictifs de concurrence entre fournisseurs dans d'autres États membres, les privant ainsi de l'accès aux documents portant sur les autres enquêtes et affectant, dès lors, la possibilité d'apporter des preuves supplémentaires de leur innocence.

146 Deuxièmement, les requérantes estiment que la Commission a également violé leurs droits de la défense en refusant de leur transmettre l'ensemble des réponses des autres entreprises à la communication des griefs. La Commission se serait pourtant fondée sur plusieurs de ces documents dans la décision attaquée, notamment pour abandonner plusieurs griefs adressés aux fournisseurs dans la communication des griefs. De plus, cette communication était particulièrement nécessaire en raison du caractère horizontal et vertical de l'entente et du parti pris de la Commission en faveur des fournisseurs.

147 Troisièmement, les requérantes reprochent à la Commission de n'avoir pas repris dans la décision attaquée certains griefs retenus à l'encontre des fournisseurs dans la communication des griefs, tel que celui selon lequel ceux-ci auraient procédé à une répartition des marchés.

148 La Commission considère qu'elle n'était pas tenue de divulguer les réponses à la communication des griefs et rejette l'ensemble des arguments des requérantes.

149 En réponse à une question posée par le Tribunal lors de l'audience, sur les conséquences qu'elles tiraient de l'arrêt du Tribunal du 16 juin 2011, Solvay/Commission (T-186-06, non encore publié au Recueil, point 228), les requérantes ont maintenu l'argumentation développée dans leurs écritures tout en reconnaissant que celle-ci allait à l'encontre de cette jurisprudence.

Appréciation du Tribunal

Sur les différences entre la communication des griefs et la décision attaquée

150 Les requérantes considèrent que des différences de raisonnement entre la communication des griefs et la décision attaquée les auraient empêchées de se défendre efficacement.

151 À cet égard, il est de jurisprudence constante que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, constitue un principe fondamental du droit de l'Union, qui doit être observé, même s'il s'agit d'une procédure ayant un caractère administratif (arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, ARBED/Commission, C-176-99 P, Rec. p. I-10687, point 19).

152 En ce sens, le règlement n° 1-2003 prévoit l'envoi aux parties d'une communication des griefs qui doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Une telle communication des griefs constitue la garantie procédurale appliquant le principe fondamental du droit de l'Union qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure (arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C-322-07 P, C-327-07 P et C-338-07 P, Rec. p. I-7191, points 34 et 35).

153 Il convient néanmoins de rappeler que, selon la jurisprudence, la décision ne doit pas nécessairement être une copie exacte de la communication des griefs (arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125, point 68). Dès lors, ce n'est que si la décision finale met à la charge des entreprises concernées des infractions différentes de celles visées dans la communication des griefs ou retient des faits différents qu'une violation des droits de la défense devra être constatée (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41-69, Rec. p. 661, points 26 et 94, et arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T-39-92 et T-40-92, Rec. p. II-49, points 49 à 52). Tel n'est pas le cas lorsque les différences alléguées entre la communication des griefs et la décision finale ne portent pas sur des comportements autres que ceux sur lesquels les entreprises concernées s'étaient déjà expliquées et qui, partant, sont étrangers à tout nouveau grief (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T-191-98, T-212-98 à T-214-98, Rec. p. II-3275, point 191).

154 À cet égard, il doit être souligné que, pour faire valoir une violation des droits de la défense concernant les griefs repris dans la décision attaquée, les entreprises en cause ne sauraient se contenter d'invoquer la simple existence de différences entre la communication des griefs et la décision attaquée, sans exposer de manière précise et concrète en quoi chacune de ces différences constitue, dans le cas d'espèce, un grief nouveau au sujet duquel elles n'ont pas eu l'occasion d'être entendues (arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 153 supra, point 192). En effet, selon la jurisprudence, une violation des droits de la défense doit être examinée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d'espèce, en ce qu'elle dépend essentiellement des griefs retenus par la Commission pour établir l'infraction reprochée aux entreprises concernées (arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, ICI/Commission, T-36-91, Rec. p. II-1847, point 70).

155 Les requérantes reprochent à la Commission, en premier lieu, d'avoir renoncé, malgré les indices mentionnés dans la communication des griefs, à poursuivre ses investigations relatives à des accords de répartition du marché qu'auraient conclus les fournisseurs aux Pays-Bas. Il ne saurait cependant être fait grief à la Commission, dans le cadre de ce recours, de ne pas avoir inclus certains accords dans la décision attaquée. En effet, un tel argument, à le supposer fondé, ne saurait avoir une quelconque influence sur la légalité de ladite décision.

156 Il convient, dès lors, de rejeter l'argument des requérantes selon lequel la Commission aurait méconnu leurs droits de la défense en abandonnant, dans la décision attaquée, certains griefs retenus dans la communication des griefs à l'encontre des fournisseurs.

157 Elles reprochent à la Commission, en second lieu, de ne pas avoir repris dans la décision attaquée la thèse de l'existence d'un seuil nécessaire au déclenchement du mécanisme d'indexation des prix bruts (voir point 85 ci-dessus). Conformément aux principes exposés au point 154 ci-dessus, il convient de rejeter cet argument, les requérantes n'ayant pas exposé en quoi l'absence de mention de cette thèse dans la décision attaquée constituait un grief nouveau au sujet duquel elles n'avaient pas eu l'occasion d'être entendues.

158 Il convient, dès lors, de rejeter la première branche du troisième moyen.

Sur l'accès aux réponses à la communication des griefs

159 Il ressort du dossier que, le 24 mai 2006, la Commission a transmis aux requérantes, comme éléments de preuve dans la décision attaquée, les extraits des réponses des autres entreprises à la communication des griefs sur lesquels elle entendait se fonder. Les requérantes ont formulé des observations sur ces documents le 12 juin 2006.

- Principes généraux relatifs à l'accès aux documents postérieurs à la communication des griefs

160 L'article 27, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003 est ainsi rédigé :

" Les droits de la défense des parties concernées sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure. Elles ont le droit d'avoir accès au dossier de la Commission sous réserve de l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués. Le droit d'accès au dossier ne s'étend pas aux informations confidentielles et aux documents internes de la Commission ou des autorités de concurrence des États membres. "

161 Dans la communication relative aux règles d'accès au dossier dans les affaires relevant des articles 81 CE et 82 CE, des articles 53, 54 et 57 de l'accord EEE et du règlement (CE) n° 139-2004 du Conseil (JO 2005, C 325, p. 7), la Commission définit au point 8 le " dossier de la Commission " comme " l'ensemble des documents obtenus, produits et/ou assemblés par la direction générale de la concurrence de la Commission lors de l'enquête ". Au point 27 de cette communication, la Commission précise ce qui suit :

" L'accès au dossier est donné sur demande et normalement une seule fois, après la communication des griefs de la Commission aux parties, afin de respecter le principe [d']égalité des armes et de protéger les droits de la défense. En règle générale, les parties n'ont donc pas accès aux réponses des autres parties aux griefs formulés par la Commission.

Une partie aura toutefois accès aux documents reçus après la communication des griefs dans des phases ultérieures de la procédure administrative, lorsque ces documents peuvent constituer de nouveaux éléments de preuve, qu'ils soient à charge ou décharge, relatifs aux allégations formulées à l'égard de cette partie dans la communication des griefs de la Commission. C'est particulièrement le cas lorsque la Commission entend se fonder sur de nouvelles preuves. "

162 Comme cela a été rappelé aux points 151 et 152 ci-dessus, la communication des griefs constitue la garantie procédurale appliquant le principe fondamental du droit de l'Union qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure.

163 Il convient également d'indiquer que l'accès au dossier dans les affaires de concurrence a notamment pour objet de permettre aux destinataires d'une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu'ils puissent se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles cette dernière est parvenue, dans sa communication des griefs, sur la base de ces éléments. L'accès au dossier relève ainsi des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense et à assurer, en particulier, l'exercice effectif du droit d'être entendu (voir arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 153 supra, point 334, et la jurisprudence citée). Le droit d'accès au dossier implique que la Commission doit donner à l'entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d'instruction qui sont susceptibles d'être pertinents pour sa défense (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C-199-99 P, Rec. p. I-11177, point 125, et arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T-30-91, Rec. p. II-1775, point 81). Ceux-ci comprennent tant les pièces à charge que celles à décharge, sous réserve des secrets d'affaires d'autres entreprises, des documents internes de la Commission et d'autres informations confidentielles (arrêts de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461, points 9 et 11, et du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, point 68).

164 Selon la jurisprudence, ce n'est qu'au début de la phase contradictoire administrative que l'entreprise concernée est informée, moyennant la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Par conséquent, la réponse des autres parties à la communication des griefs n'est pas comprise, en principe, dans l'ensemble des documents du dossier d'instruction que peuvent consulter les parties (arrêt Hoechst/Commission, point 140 supra, point 163). Néanmoins, si la Commission entend se fonder sur un passage d'une réponse à une communication des griefs ou sur un document annexé à une telle réponse pour établir l'existence d'une infraction dans une procédure d'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, les autres parties impliquées dans cette procédure doivent être mises en mesure de se prononcer sur un tel élément de preuve (voir arrêts du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, dit " Ciments ", T-25-95, T-26-95, T-30-95 à T-32-95, T-34-95 à T-39-95, T-42-95 à T-46-95, T-48-95, T-50-95 à T-65-95, T-68-95 à T-71-95, T-87-95, T-88-95, T-103-95 et T-104-95, Rec. p. II-491, point 386, et du 27 septembre 2006, Avebe/Commission, T-314-01, Rec. p. II-3085, point 50, et la jurisprudence citée).

165 Par ailleurs, selon la jurisprudence relative au dossier administratif antérieur à la communication des griefs, l'absence de communication d'un document ne constitue une violation des droits de la défense que si l'entreprise concernée démontre que, d'une part, la Commission s'est fondée sur ce document pour étayer son grief relatif à l'existence d'une infraction (arrêts de la Cour du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, points 7 et 9, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 163 supra, point 71) et, d'autre part, ce grief ne pourrait être prouvé que par référence audit document (arrêts de la Cour du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission, 107-82, Rec. p. 3151, points 24 à 30, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 163 supra, point 71 ; arrêt du 29 juin 1995, Solvay/Commission, point 163 supra, point 58). La Cour établit, à cet égard, une distinction entre les documents à charge et les documents à décharge. S'il s'agit d'un document à conviction, il incombe à l'entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue aurait été différent si l'on avait écarté ce document. En revanche, s'agissant de l'absence de communication d'un document à décharge, l'entreprise concernée doit seulement établir que son absence de divulgation a pu influencer, au détriment de cette dernière, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 163 supra, points 73 et 74). Cette distinction vaut également pour les documents postérieurs à la communication des griefs (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T-43-02, Rec. p. II-3435, points 351 à 359).

166 Il convient, en outre, de préciser que l'absence de communication systématique des réponses des autres entreprises à la communication des griefs n'est pas contraire au principe du respect des droits de la défense. Comme il a été rappelé ci-dessus, ce principe implique que la Commission doit, au cours de la procédure administrative, divulguer aux entreprises concernées tous les faits, circonstances ou documents sur lesquels elle se fonde, pour leur permettre de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués et sur les documents retenus par elle à l'appui de ses allégations.

167 Enfin, les requérantes ne sauraient se prévaloir de la jurisprudence selon laquelle il ne saurait appartenir à la seule Commission, qui notifie les griefs et prend la décision infligeant une sanction, de déterminer les documents utiles à la défense de l'entreprise concernée (arrêts Aalborg Portland e.a./Commission, point 163 supra, point 126 ; du 29 juin 1995, Solvay/Commission, point 163 supra, points 81 et 83, et Atlantic Container Line e.a./Commission, point 153 supra, point 339). En effet, cette considération relative aux documents du dossier constitué par la Commission ne saurait s'appliquer à des réponses données par d'autres parties concernées aux griefs communiqués par cette dernière (arrêt du 16 juin 2011, Solvay/Commission, point 149 supra, point 228).

- Application en l'espèce

168 En l'espèce, les requérantes estiment que l'accès à l'ensemble des réponses des autres entreprises à la communication des griefs, qui auraient pu contenir des éléments à charge et à décharge, aurait dû leur être accordé.

169 S'agissant des éléments à charge, il convient de rappeler qu'il incombait aux requérantes de démontrer que le résultat auquel la Commission était parvenue aurait été différent si ces documents avaient été écartés. Or, les requérantes n'ont apporté aucune précision relative aux éléments postérieurs à la communication des griefs que la Commission aurait retenus à leur égard dans la décision attaquée.

170 S'agissant des éléments à décharge, il appartenait également aux requérantes d'établir, en fournissant un commencement de preuve, que leur non-divulgation avait pu influencer, à leur détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision attaquée. Les requérantes se sont cependant limitées à soutenir de manière générale, très vague et purement spéculative que, en raison du caractère horizontal et vertical de l'entente et du supposé préjugé favorable de la Commission en faveur des fournisseurs, les réponses des autres entreprises à la communication des griefs auraient pu contenir des éléments à décharge et n'ont fourni aucune indication spécifique constituant un commencement de preuve en ce sens.

171 En outre, il est peu probable, dans une entente, qu'une société fournisse des éléments susceptibles de minimiser le rôle d'une autre société dans l'entente, même si, en l'espèce, le fait que l'entente ait été organisée entre deux groupes aux intérêts divergents explique que chaque partie ait eu tendance à minimiser son rôle dans l'entente au détriment de l'autre. En tout état de cause, selon la jurisprudence, le simple fait que certaines sociétés aient pu minimiser dans leur réponse à la communication des griefs le rôle des fournisseurs au détriment de celui des grands constructeurs ne saurait constituer un élément à décharge (arrêt Jungbunzlauer/Commission, point 164 supra, points 353 à 356). Ainsi, les requérantes n'ont apporté aucun commencement de preuve de l'utilité d'une éventuelle transmission des réponses des autres sociétés à la communication des griefs.

172 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Commission n'a pas méconnu les droits de la défense des requérantes en refusant de leur communiquer l'ensemble des réponses des autres sociétés à la communication des griefs.

173 Il convient, par conséquent, de rejeter la deuxième branche du troisième moyen.

Sur l'accès aux dossiers belges et espagnols

174 Il ressort des pièces du dossier que les requérantes ont demandé, le 10 décembre 2004, l'accès à certaines parties des dossiers belge et espagnol de la Commission et que celle-ci a rejeté leur demande le 17 janvier 2005, ne suscitant aucune réaction de leur part. Le 21 décembre 2005, à la suite d'une demande de la société Heijmans au conseiller auditeur, la Commission a décidé de rendre accessible à toutes les parties une liste explicative des documents versés aux dossiers belge et espagnol. Les requérantes n'ont pas réagi à cette liste explicative. Dans leurs réponses à la communication des griefs, les requérantes ont cependant réitéré leur demande d'accès, sans faire valoir d'arguments spécifiques.

175 Conformément aux principes rappelés au point 164 ci-dessus, il appartenait aux requérantes, s'agissant des éléments à charge, de démontrer que le résultat auquel la Commission était parvenue aurait été différent si les documents versés aux dossiers belge et espagnol avaient été écartés et, s'agissant des éléments à décharge, d'établir que la non-divulgation de ces documents avait pu influencer, à leur détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision attaquée.

176 Or, les requérantes n'ont apporté aucune indication quant aux éléments des dossiers belge ou espagnol qui auraient été retenus par la Commission dans la décision attaquée comme éléments à charge. De même, elles n'ont fourni aucun élément ni, partant, aucun début d'indices concordants tendant à démontrer que des documents portant sur l'existence d'accords restrictifs de la concurrence entre les fournisseurs dans d'autres États membres auraient pu comporter des éléments à décharge en leur faveur.

177 En tout état de cause, comme cela a été rappelé au point 155 ci-dessus, il convient de souligner que l'existence d'éventuelles autres ententes entre les fournisseurs dans d'autres États membres n'est pas incompatible avec l'existence d'une entente bilatérale entre les fournisseurs et le W5. De plus, la Commission n'a pas exclu que les grands constructeurs aient participé à d'autres accords avec les fournisseurs (points 174 et 175 de la communication des griefs). Par ailleurs, il ne saurait être fait grief à la Commission, dans le cadre de ce recours, de ne pas avoir inclus certains accords dans la décision attaquée. En effet, un tel argument, à le supposer fondé, ne saurait avoir une quelconque influence sur la légalité de ladite décision.

178 Il convient donc de rejeter cette dernière branche du troisième moyen.

179 Il résulte de ce qui précède que la Commission n'a pas méconnu les droits de la défense des requérantes.

180 Partant, il convient de rejeter le troisième moyen et, par conséquent, le recours dans son ensemble.

Sur les dépens

181 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) BAM NBM Wegenbouw BV et HBG Civiel BV sont condamnées aux dépens.