Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-24.425
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
France télévisions (SA)
Défendeur :
Planète Prod (Sté), Presse Planète (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Michel-Amsellem
Avocat général :
M. Le Mesle
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Joint les pourvois n° 11-24.425, formé par la société France télévisions et n° 11-24.627, formé par les sociétés Planète Prod et Presse Planète, qui attaquent le même arrêt ; - Donne acte aux sociétés Planète Prod et Presse Planète de leur désistement portant sur le second moyen du pourvoi n° 11-24.627, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris 1er juillet 2011), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 18 mai 2010, pourvoi n° 08-21.681, Bull. n° 89) que la société Planète Prod qui conçoit et produit de manière indépendante des magazines, des documentaires et des fictions destinés à la télévision, a travaillé pour la société France 2 de 1998 à 2005 ; qu'elle a eu, pour cela, recours à la société Presse planète, en qualité de sous-traitant ; que soutenant qu'à compter de l'été 2005, la programmation des chaînes publiques aurait été décidée par la société France télévisions, holding du groupe, et que toutes leurs propositions de magazines, de fictions et de documentaires seraient restées sans réponse, ce qui aurait conduit à une chute brutale de leurs chiffres d'affaires, les sociétés Planète Prod et Presse planète ont assigné les sociétés France télévisions et France 2 en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; que la société France télévisions est, en cours d'instance, venue aux droits de la société France 2 ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 11-24.425 : - Attendu que la société France télévisions fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elle avait engagé sa responsabilité pour la rupture brutale de la relation commerciale nouée entre la société France 2 et les sociétés Planète Prod et Presse planète et de l'avoir, en conséquence, condamnée à verser à ces dernières, respectivement, les sommes de 626 500 euro et 1 119 500 euro, alors, selon le moyen : 1°) que la notion de relation commerciale établie, au sens de l'article L. 442-6-I 5° du Code du commerce, suppose non seulement l'existence d'une relation qui s'est inscrite dans la durée avec un certain volume d'affaires, mais encore que la partie qui se prétend victime de la rupture brutale du courant d'affaires ait pu légitimement s'attendre à la stabilité et la poursuite de la relation ; que la croyance légitime dans la poursuite et la stabilité d'un courant d'affaires pour l'avenir s'apprécie, notamment, au regard de la nature de la prestation contractuelle ; qu'en affirmant, pour retenir l'existence d'une relation commerciale établie, que "la loi vise par la référence à une relation commerciale établie la situation contractuelle née de la continuité d'échanges noués entre des parties qui entretiennent des relations stables, suivies et anciennes" et en déduisant l'existence d'une relation commerciale établie du seul constat d'une succession de conventions, dont l'exécution avait duré plusieurs années et avait représenté un courant d'affaires significatif, "peu important que ces contrats fussent indépendants les uns des autres et aient porté sur des émissions distinctes ou encore qu'ils aient contenu la clause d'usage permettant à la chaîne de mettre fin à la production et à la diffusion des programmes en cas d'audience insuffisante", la cour d'appel a violé les dispositions du texte précité ; 2°) que la notion de relation commerciale établie, au sens de l'article L. 442-6-I 5° du Code du commerce, suppose non seulement l'existence d'une relation qui s'est inscrite dans la durée avec un certain volume d'affaires, mais encore que la partie qui se prétend victime de la rupture brutale du courant d'affaires ait pu légitimement s'attendre à la stabilité et la poursuite de la relation ; que la croyance légitime dans la poursuite et la stabilité d'un courant d'affaires pour l'avenir s'apprécie, notamment, au regard de la nature de la prestation contractuelle ; qu'en l'espèce, la société France télévisions faisait valoir que la nature de la prestation de conception et de réalisation de programmes télévisuels, laquelle a pour objet, à chaque contrat, un projet spécifique et unique, accepté ou refusé en fonction, notamment, du concept, du format, de la personnalité de l'animateur et de la ligne éditoriale de la chaîne, ne permettait pas au producteur d'inférer légitimement de la conclusion de plusieurs contrats de production passés l'acceptation de nouveaux projets d'émissions ; qu'en se bornant à relever, pour retenir l'existence d'une relation commerciale établie, qu'il y avait eu entre les parties une succession de conventions, dont l'exécution avait duré plusieurs années et avait représenté un courant d'affaires significatif, sans rechercher si, eu égard à la nature de la prestation de conception et réalisation de programmes télévisuels, les sociétés Planète Prod et Presse Planète pouvaient légitimement s'attendre à la stabilité de leur relation avec la société France 2, la cour d'appel a, en tout état de cause, privé sa décision de base légale au regard du texte précité ;
Mais attendu qu'après avoir rappelé que de 1998 à 2005, les sociétés Planète Prod et Presse Planète ont produit, pour France 2, cinq séries de magazines et jeux représentant 183 émissions, quatre documentaires et un programme court incluant 260 modules du 1er semestre 2002 au 1er semestre 2004, l'arrêt retient que la constance des relations commerciales se déduit tant de la multiplicité des contrats conclus dont l'exécution s'est étalée sur plusieurs trimestres, que de la pluralité des documentaires, les derniers ayant été produits en 2005, en sorte que chaque année, sans fléchissement significatif, la société Planète Prod élaborait des propositions d'émissions, alors que la société Presse Planète intervenait comme agence de presse pour fournir l'ensemble des éléments d'information relatifs aux émissions produites, les deux sociétés recrutant les intervenants choisis ; que l'arrêt constate, ensuite, que les projets retenus par la chaîne donnaient lieu à la conclusion de diverses conventions successives, notamment, de pré-achat, de droit d'option et de production et qu'il en déduit que cette succession de conventions, dont l'exécution a duré parfois plusieurs années, représente un courant d'affaires significatif de plusieurs millions d'euro par an et donne la mesure du caractère stable, suivi et même habituel des relations nouées par les parties, peu important que ces contrats fussent indépendants les uns des autres et aient porté sur des émissions distinctes ou encore qu'ils aient contenu la clause d'usage permettant à la chaîne de mettre fin à la production et à la diffusion des programmes en cas d'audience insuffisante ; que l'arrêt relève encore que l'importance du courant d'affaires maintenu à haut niveau entre 2000 et 2003, ainsi que la diversité des productions réalisées ne pouvaient que conforter les sociétés Planète Prod et Presse Planète dans le sentiment que leurs productions correspondaient à la ligne éditoriale de la chaîne et qu'il constate que le protocole d'accord que les sociétés Planète Prod et Presse Planète avaient signé avec celle-ci le 16 décembre 2003, à la suite de la défection d'une animatrice renommée, les confortaient plus encore dans l'idée qu'elles avaient noué avec France 2 une relation commerciale établie que cette chaîne entendait poursuivre ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 11-24.627 : - Attendu que les sociétés Planète Prod et Presse Planète font grief à l'arrêt d'avoir dit que les dispositions de l'arrêt du 8 octobre 2008 qui ont rejeté leurs demandes à l'encontre de la société France 5 sont définitives, que toutes demandes faites à ce titre sont irrecevables et d'avoir rejeté toute autre demande indemnitaire, alors selon le moyen, que l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 2008 avait déclaré recevable la société Presse Planète en son action dirigée contre France 2, France 5 et France télévisions, avait débouté les sociétés Planète Prod et Presse Planète de leurs demandes dirigées contre France 5 et avait dit que France 2 et France télévisions étaient responsables de la rupture abusive des relations commerciales établies avec les sociétés Planète Prod et Presse Planète ; que par arrêt du 18 mai 2010, sur le pourvoi des sociétés France 2 et France télévisions, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 18 mai 2010 (en réalité 8 octobre 2008), sauf en ses dispositions relatives à la recevabilité de l'action de la société Presse Planète, remettant quant aux autres points la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt ; qu'en retenant, pour rejeter les demandes indemnitaires dirigées contre la société France télévisions venant aux droits de la société France 5, que les dispositions de l'arrêt d'appel du 8 octobre 2008 ayant rejeté les demandes formées par les sociétés Planète Prod et Presse Planète à l'encontre de la société France 5 étaient définitives et que toutes demandes faites à ce titre étaient irrecevables, la cour d'appel a violé les articles 624 et 625 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société France 5 n'était pas partie devant la Cour de cassation, qu'aucun pourvoi n'avait été formé contre l'arrêt en ce qu'il avait rejeté les demandes formées contre elle et que la cassation partielle prononcée par l'arrêt du 18 mai 2010 est limitée, comme l'énonce l'article 624 du Code de procédure civile, à la portée des moyens qui constituent la base de la cassation, sauf cas d'indivisibilité, ce qui n'est pas le cas des demandes formées au titre du courant d'affaires noué avec la société France 5, c'est exactement que la cour d'appel en a déduit que l'arrêt du 8 octobre 2008 était devenu définitif à l'égard de la société France 5 et qu'aucune demande indemnitaire ne pouvait plus être formée contre elle ou la société France télévisions ayant repris ses droits ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que le second moyen du pourvoi n° 11-24.425 et le second moyen, pris en sa sixième branche, du pourvoi n° 11-24.627, ne seraient pas de nature à permettre l'admission des pourvois ;
Par ces motifs : Rejette les pourvois.