TUE, 6e ch., 27 septembre 2012, n° T-351/06
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Dura Vermeer Groep NV
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jaeger
Juges :
MM. Wahl, Soldevila Fragoso (rapporteur)
Avocat :
Me Slotboom
LE TRIBUNAL (sixième chambre),
Faits à l'origine du litige
1 Le groupe Dura Vermeer, né de la fusion, le 13 novembre 1998, de Dura Bouwgroep BV avec Vermeer Groep BV, opère dans le secteur néerlandais de la construction. La requérante, Dura Vermeer Groep NV, se trouve à la tête de ce groupe, au sein duquel les activités de construction routière ont été confiées à sa filiale Vermeer Infrastructuur BV (ci-après " Vermeer BV "), détenue à 100 %. Le 29 décembre 2000, Dura Vermeer Infra BV, filiale à 100 % de la requérante, est devenue la société mère à 100 % de Vermeer BV.
2 Par lettre du 20 juin 2002, British Petroleum a informé la Commission des Communautés européennes de l'existence alléguée d'une entente relative au marché du bitume routier aux Pays-Bas et a présenté une demande visant à obtenir une immunité d'amende au titre de la communication de la Commission, du 19 février 2002, sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 45, p. 3).
3 Le 10 février 2004, la Commission a adressé une demande de renseignements à plusieurs sociétés, dont la requérante, à laquelle celle-ci a répondu le 1er mars 2004.
4 Le 18 octobre 2004, la Commission a engagé une procédure et a adopté une communication de griefs, adressée le 19 octobre 2004 à plusieurs sociétés, dont la requérante.
5 Le 29 juin 2006, la Commission a adressé une autre demande de renseignements à la requérante, relative à sa structure sociale.
6 Le 13 septembre 2006, la Commission a adopté la décision C (2006) 4090 final, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] [Affaire COMP/F-38.456 - Bitume (Pays-Bas)] (ci-après la " décision attaquée "), dont un résumé est publié au Journal officiel de l'Union européenne du 28 juillet 2007 (JO L 196, p. 40) et qui a été notifiée à la requérante le 25 septembre 2006.
7 Dans la décision attaquée, la Commission a indiqué que les sociétés destinataires de celle-ci avaient participé à une infraction unique et continue à l'article 81, paragraphe 1, CE, consistant à fixer ensemble régulièrement, durant les périodes concernées, pour la vente et l'achat de bitume routier aux Pays-Bas, le prix brut, une remise uniforme sur le prix brut pour les constructeurs routiers participant à l'entente et une remise maximale réduite sur le prix brut pour les autres constructeurs routiers.
8 La Commission a précisé, au considérant 298 de la décision attaquée, qu'un directeur de Vermeer BV ayant participé directement à l'infraction dès son commencement était devenu directeur de Dura Vermeer Infra le 30 juin 2000 et avait continué à y participer. La Commission a en outre indiqué, au considérant 302, que la requérante assistait aux réunions trimestrielles organisées par Dura Vermeer Infra avec Vermeer BV, afin de discuter de sa stratégie générale, et aux réunions mensuelles destinées à examiner les résultats de cette dernière. Par ailleurs, eu égard aux liens de participation entre la requérante, Vermeer BV et Dura Vermeer Infra, la Commission a présumé l'exercice effectif d'une influence déterminante de la requérante sur Dura Vermeer Infra et Vermeer BV.
9 La requérante a ainsi été reconnue coupable de cette infraction pour la période du 13 novembre 1998 au 15 avril 2002, Dura Vermeer Infra pour la période du 30 juin 2000 au 15 avril 2002 et Vermeer BV pour la période du 1er avril 1994 au 15 avril 2002. Vermeer BV s'est vu infliger une amende de 5,4 millions d'euro, dont sont solidairement responsables la requérante, à hauteur de 3,9 millions d'euro, et Dura Vermeer Infra, à hauteur de 3,45 millions d'euro.
Procédure et conclusions des parties
10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 décembre 2006, la requérante a introduit le présent recours.
11 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 de son règlement de procédure, a posé des questions écrites aux parties. Les parties ont répondu à ces questions dans le délai imparti.
12 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l'audience du 8 juin 2011.
13 Un membre de la sixième chambre ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal s'est désigné, en application de l'article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure, pour compléter la chambre.
14 Par ordonnance du 18 novembre 2011, le Tribunal (sixième chambre), dans sa nouvelle composition, a rouvert la procédure orale et les parties ont été informées qu'elles seraient entendues lors d'une nouvelle audience.
15 Par lettres, respectivement, du 25 et du 28 novembre 2011, la Commission et la requérante ont informé le Tribunal qu'elles renonçaient à être entendues une nouvelle fois.
16 En conséquence, le président du Tribunal a décidé de clore la procédure orale.
17 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- annuler l'article 1er, sous d), et l'article 2, sous d), de la décision attaquée pour autant qu'ils sont dirigés contre elle ;
- condamner la Commission aux dépens.
18 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter le recours ;
- condamner la requérante aux dépens.
En droit
19 À l'appui de ses conclusions, la requérante soulève deux moyens. Le premier moyen est tiré d'erreurs manifestes d'appréciation et d'une erreur de droit commises dans l'imputation de la responsabilité de l'infraction commise par Vermeer BV à la requérante et, le second, d'une insuffisance de motivation de la décision attaquée.
1. Sur le premier moyen, tiré d'une erreur de droit et d'erreurs manifestes d'appréciation dans l'imputation de la responsabilité de l'infraction commise par Vermeer BV à la requérante
Sur l'erreur de droit
Arguments des parties
20 La requérante estime que la Commission a méconnu les dispositions de l'article 81 CE, ainsi que celles de l'article 7 et de l'article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), en lui imputant la responsabilité de l'infraction commise par Vermeer BV.
21 La requérante estime en effet que la Commission a procédé à une interprétation erronée de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal et qu'il lui appartenait de démontrer qu'elle avait exercé une influence déterminante sur le comportement de Vermeer BV. La Commission aurait notamment estimé à tort qu'il ressortait de l'arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission (C-286-98 P, Rec. p. I-9925), qu'une société mère détenant la totalité du capital de sa filiale était automatiquement responsable des infractions commises par cette dernière au droit de la concurrence à moins qu'elle ne soit en mesure d'établir l'indépendance de cette dernière dans l'adoption de ses décisions stratégiques les plus importantes. Cet arrêt ne permettrait de procéder à une telle imputation de responsabilité qu'à la condition que la société mère se soit présentée comme l'unique interlocuteur de la Commission en ce qui concerne l'infraction en cause, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce. En tout état de cause, la jurisprudence citée par la Commission ne serait pas applicable aux relations entre une société " grand-mère " et sa filiale détenue de manière indirecte.
22 En réponse à une question écrite du Tribunal l'invitant à indiquer les conséquences qu'elle tirait des arrêts de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C-97-08 P, Rec. p. I-8237), et du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission (C-90-09 P, non encore publié au Recueil), la requérante a précisé qu'elle considérait que le fait que la Commission se soit fondée sur la seule base d'une présomption capitalistique pour imputer à une société mère la responsabilité du comportement infractionnel de sa filiale constituait un renversement de la charge de la preuve contraire aux dispositions de l'article 6, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la " CEDH "), et de l'article 48 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1).
23 La Commission réfute l'ensemble des arguments de la requérante.
Appréciation du Tribunal
24 La Commission a estimé dans la décision attaquée que, bien que Vermeer BV et Dura Vermeer Infra aient été les personnes morales ayant participé directement à l'entente, la requérante, en tant que société mère détenant ces deux sociétés à 100 %, était capable d'exercer sur elles une influence déterminante, respectivement depuis le 13 novembre 1998 et le 30 juin 2000 (considérants 298 à 301de la décision attaquée).
- Sur l'interprétation de la jurisprudence relative à l'imputation des agissements d'une filiale à sa société mère
25 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que le droit de la concurrence de l'Union vise les activités des entreprises (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, point 59) et que la notion d'entreprise au sens de l'article 81 CE inclut des entités économiques consistant chacune en une organisation unitaire d'éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé, organisation pouvant concourir à ce qu'une infraction visée par cette disposition soit commise (voir arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T-9-99, Rec. p. II-1487, point 54, et la jurisprudence citée). La notion d'entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêt de la Cour du 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C-217-05, Rec. p. I-11987, point 40).
26 Le comportement anticoncurrentiel d'une entreprise peut être imputé à une autre lorsqu'elle n'a pas déterminé son comportement sur le marché de manière autonome, mais a appliqué pour l'essentiel les directives émises par cette dernière, eu égard en particulier aux liens économiques et juridiques qui les unissaient (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Metsä-Serla e.a./Commission, C-294-98 P, Rec. p. I-10065, point 27 ; du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189-02 P, C-202-02 P, C-205-02 P à C-208-02 P et C-213-02 P, Rec. p. I-5425, point 117, et Akzo Nobel e.a./Commission, point 22 supra, point 58). Ainsi, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère, ces deux entreprises constituant une entité économique (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48-69, Rec. p. 619, points 133 et 134).
27 Ce n'est donc pas une relation d'instigation relative à l'infraction entre la société mère et sa filiale, ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu'elles constituent une seule entreprise, au sens susmentionné, qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d'un groupe de sociétés. En effet, il y a lieu de rappeler que, selon le droit de la concurrence de l'Union, différentes sociétés appartenant à un même groupe constituent une entité économique, et donc une entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE, si les sociétés concernées ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T-203-01, Rec. p. II-4071, point 290).
28 Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, d'une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d'autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une telle influence (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 22 supra, point 60, et la jurisprudence citée).
29 Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d'une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l'amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n'apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (arrêts Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 21 supra, point 29, et Akzo Nobel e.a./Commission, point 22 supra, point 61).
30 S'il est vrai que la Cour a évoqué aux points 28 et 29 de l'arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 21 supra, hormis la détention de 100 % du capital de la filiale, d'autres circonstances, telles que l'absence de contestation de l'influence exercée par la société mère sur la politique commerciale de sa filiale et la représentation commune des deux sociétés durant la procédure administrative, il n'en demeure pas moins que de telles circonstances n'ont été relevées par la Cour que dans le but d'exposer l'ensemble des éléments sur lesquels le Tribunal avait fondé son raisonnement dans cette affaire, et non pour subordonner la mise en œuvre de la présomption susmentionnée à la production d'indices supplémentaires relatifs à l'exercice effectif d'une influence de la société mère sur sa filiale (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 22 supra, point 62, et General Química e.a./Commission, point 22 supra, point 41).
31 En l'espèce, la Commission a ainsi estimé à bon droit, dans la décision attaquée, que la requérante, société mère à 100 % de Vermeer BV à compter du 13 novembre 1998, avait exercé une influence déterminante sur cette dernière et, partant, l'a considérée comme responsable de l'infraction commise par cette dernière (considérant 301). En effet, il est constant entre les parties que la requérante détenait 100 % du capital de Vermeer BV depuis le 13 novembre 1998 et la totalité du capital de Dura Vermeer Infra depuis le 30 juin 2000.
32 Il convient par ailleurs de rejeter l'argument de la requérante selon lequel la Commission ne pouvait faire application de la jurisprudence issue de l'arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 21 supra, au motif qu'elle n'avait détenu la totalité du capital de Vermeer BV que de manière indirecte. Le juge de l'Union considère en effet que l'existence de sociétés intermédiaires entre la filiale et la société mère est sans influence sur la possibilité de faire application de la présomption d'un exercice effectif par la société mère d'une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 22 supra, points 78 et 83, et General Química e.a./Commission, point 22 supra, points 86 et 87 ; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, T-354-94, Rec. p. II-2111, points 80 à 85, et Michelin/Commission, point 27 supra, point 290).
- Sur la mise en place d'un mécanisme d'imputation automatique
33 La requérante estime que l'interprétation retenue par la Commission de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale détenue à 100 % rend son renversement impossible.
34 Il ressort cependant de la jurisprudence de la Cour que, afin de renverser la présomption selon laquelle une société mère détenant 100 % du capital social de sa filiale exerce effectivement une influence déterminante sur celle-ci, il incombe à ladite société mère de soumettre à l'appréciation de la Commission puis, le cas échéant, du juge de l'Union, tout élément, qu'elle considère de nature à démontrer qu'elles ne constituent pas une entité économique unique, relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques, entre sa filiale et elle-même, lesquels peuvent varier selon les cas et ne sauraient donc faire l'objet d'une énumération exhaustive (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 22 supra, point 65, et General Química e.a./Commission, point 22 supra, points 51 et 52).
35 Contrairement à ce que soutient la requérante, il s'agit dès lors d'une présomption réfragable qu'il lui appartenait de renverser.
- Sur la violation du principe de présomption d'innocence
36 La requérante estime que l'approche retenue par la Commission est contraire au principe de présomption d'innocence reconnu par l'article 6 de la CEDH et par l'article 48 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En vertu des dispositions de l'article 2 du règlement n° 1-2003, qui reflète le principe de la présomption d'innocence affirmé à l'article 6, paragraphe 2, de la CEDH, la charge de la preuve d'une violation de l'article 81, paragraphe 1, CE incombe à l'autorité qui l'allègue.
37 Le recours à une telle présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale détenue à 100 % n'entraîne pas un renversement de la charge de la preuve, mais fixe le niveau de preuve à respecter pour déterminer si la responsabilité d'une infraction incombe à la société mère ou à la filiale. Dans la mesure où le fait que la société mère détient la totalité du capital de sa filiale permet de présumer qu'une influence est exercée, cette présomption est réputée satisfaire aux exigences en matière de charge de la preuve si la société mère ne la réfute pas en présentant des preuves concluantes en sens contraire (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 25 supra, point 79). Ainsi, en amont de la question de la répartition de la charge de la preuve, les parties sont toutes appelées à satisfaire à leur obligation d'exposer leurs thèses (conclusions de l'avocat général Mme Kokott sous l'arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C-105-04 P, Rec. p. I-8725, I-8730, point 73, et sous l'arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 22 supra, Rec. p. I-8241, point 74).
38 En outre, la présomption de l'exercice effectif d'une influence déterminante vise notamment à ménager un équilibre entre l'importance, d'une part, de l'objectif consistant à réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence, en particulier à l'article 81 CE, et d'en prévenir le renouvellement et, d'autre part, des exigences de certains principes généraux du droit de l'Union tels que, notamment, les principes de présomption d'innocence, de personnalité des peines et de la sécurité juridique ainsi que les droits de la défense, y compris le principe d'égalité des armes. C'est notamment pour cette raison qu'elle est, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence constante exposée aux points 28 et 37 ci-dessus, réfragable. Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence qu'une présomption, même difficile à renverser, demeure dans des limites acceptables tant qu'elle est proportionnée au but légitime poursuivi, qu'existe la possibilité d'apporter la preuve contraire et que les droits de la défense sont assurés.
39 Dès lors, la Commission n'a méconnu ni l'article 81 CE ni l'article 7 et l'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003 en imputant à la requérante la responsabilité de l'infraction commise par Vermeer BV.
40 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en imputant à la requérante la responsabilité de l'infraction commise par Vermeer BV.
Sur les erreurs manifestes d'appréciation relatives à l'imputation de la responsabilité de l'infraction commise par Vermeer BV à la requérante
Arguments des parties
41 La requérante estime que la Commission a commis des erreurs manifestes d'appréciation des circonstances particulières sur lesquelles elle a entendu se fonder dans la décision attaquée pour lui imputer la responsabilité de l'infraction commise par Vermeer BV.
42 Elle considère ainsi qu'il ne saurait être déduit du seul fait que ses statuts se réfèrent à la construction routière qu'elle exerçait effectivement une influence déterminante sur le comportement de Vermeer BV. Par ailleurs, la circonstance selon laquelle un membre de sa direction assistait aux réunions entre Dura Vermeer Infra et les filiales d'exploitation ne constituerait pas une preuve de l'exercice d'une influence sur la politique commerciale de Vermeer BV. En outre, son règlement de direction, qui lui attribue une compétence de définition des orientations générales de ses sociétés d'exploitation, ne saurait constituer une preuve de la possibilité d'influencer de manière déterminante la politique commerciale de Vermeer BV. Enfin, le fait qu'un directeur de Vermeer BV soit devenu directeur de la requérante ne saurait suffire à constituer une preuve de son influence déterminante sur la politique commerciale de Vermeer BV, cette personne ayant en tout état de cause quitté ses fonctions de directeur de ladite société avant le début de la période infractionnelle.
43 La Commission réfute l'ensemble des arguments de la requérante.
Appréciation du Tribunal
44 Il s'agit, en répondant aux griefs visant à établir que la Commission aurait commis des erreurs manifestes d'appréciation en imputant à la requérante la responsabilité de l'infraction commise par Vermeer BV, de déterminer si la requérante a apporté des éléments permettant de renverser la présomption selon laquelle ces deux sociétés constituaient une entité économique unique.
45 Aux considérants 298 à 305 de la décision attaquée, la Commission a exposé qu'elle pouvait faire application de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de la requérante sur Vermeer BV pour la période du 13 novembre 1998, date de la fusion entre Dura Bouwgroep et Vermeer Groep, au 15 avril 2002. Elle a ensuite estimé que plusieurs éléments relatifs à la structure de l'entreprise venaient renforcer cette présomption. Ainsi, les statuts de la requérante mentionnent expressément la construction routière comme l'une de ses activités. Un membre de la direction de la requérante participait aux rencontres trimestrielles et mensuelles de Dura Vermeer Infra et de Vermeer BV destinées à examiner la stratégie générale et les résultats mensuels. Par ailleurs, les directions de la requérante et de Dura Vermeer Infra se rencontraient trimestriellement afin de discuter de la stratégie générale et d'examiner les résultats trimestriels et les filiales d'exploitation étaient explicitement tenues de se conformer aux orientations générales arrêtées par la société mère. Enfin, le directeur de Vermeer BV de 1986 à 1993 est devenu, en 1993, directeur de Vermeer Groep, société mère du groupe Dura Vermeer, puis de la requérante en 1998 et jusqu'en 2003.
46 La requérante estime que ces éléments ne constituent pas des preuves suffisantes de l'exercice d'une influence déterminante sur la politique commerciale de Vermeer BV, mais elle n'a cependant apporté aucun élément permettant d'établir l'autonomie de Vermeer BV.
47 Il résulte de l'examen du dossier que plusieurs éléments établissent l'existence de liens hiérarchiques importants entre la requérante et Vermeer BV. Ainsi, comme l'indique la décision attaquée, il ressort notamment de l'article 10.1 du règlement de direction du groupe Dura Vermeer que la requérante formulait des orientations générales pour l'ensemble de ses filiales d'exploitation dans un plan annuel, auquel celles-ci étaient tenues de se conformer, et qu'elle était compétente pour adopter des décisions en matière de spécialisation de ses filiales, de partage des tâches entre les sociétés du groupe, de répartition régionale et de livraisons internes.
48 Par ailleurs, la requérante avait mis en place un système de contrôle étroit de l'activité de ses filiales par le biais de la tenue de réunions périodiques entre, d'une part, Vermeer BV et Dura Vermeer Infra, auxquelles assistait un directeur de la requérante, et, d'autre part, la requérante et Dura Vermeer Infra. Ces réunions régulières lui permettaient d'apprécier la mise en œuvre du plan annuel, dans la mesure où, au cours de celles-ci, Dura Vermeer Infra et elle-même discutaient avec leurs filiales de la stratégie générale et examinaient leurs résultats.
49 Enfin, il ressort du dossier que la requérante a reconnu qu'un ancien directeur de Vermeer BV était devenu son propre directeur à partir de 1998, mettant ainsi en évidence l'existence de liens personnels forts entre elle et Vermeer BV.
50 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la requérante n'a présenté aucun élément permettant de renverser la présomption selon laquelle, en détenant la totalité de son capital, elle a effectivement exercé une influence déterminante sur la politique de Vermeer BV. Il y a, dès lors, lieu de conclure que la requérante constitue avec Vermeer BV une entreprise au sens de l'article 81 CE, sans qu'il soit besoin de vérifier si elle a exercé une influence sur le comportement infractionnel de Vermeer BV.
51 Le premier moyen doit, par conséquent, être rejeté dans son ensemble.
2. Sur le second moyen, tiré de la violation de l'obligation de motivation
Arguments des parties
52 La requérante considère que la Commission a manqué à son obligation de motivation dès lors qu'elle ne l'a pas mise en mesure de comprendre la raison pour laquelle elle a été tenue pour responsable de l'infraction commise par Vermeer BV.
53 La Commission rejette les arguments de la requérante.
Appréciation du Tribunal
54 Il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l'article 253 CE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T-220-00, Rec. p. II-2473, point 216, et la jurisprudence citée).
55 Au regard de cette jurisprudence, il apparaît que la Commission a suffisamment motivé sa décision en l'espèce.
56 En effet, il ressort de la décision attaquée que la Commission a constaté que la requérante détenait directement 100 % du capital de Dura Vermeer Infra et indirectement 100 % du capital de Vermeer BV et a considéré qu'elle pouvait dès lors faire usage d'une présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de la requérante sur lesdites filiales, que celle-ci n'a pas renversée (considérant 301). La Commission a par ailleurs identifié à titre subsidiaire certains éléments relatifs à la structure du groupe afin de conclure à l'existence d'une entreprise unique au sommet de laquelle se trouvait la requérante (considérants 302 à 304).
57 Il résulte de ce qui précède que la décision litigieuse était suffisamment motivée.
58 Il convient donc de rejeter le second moyen, et, partant, le recours dans son ensemble.
Sur les dépens
59 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Dura Vermeer Groep NV est condamnée aux dépens.