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Décisions

TUE, 6e ch., 27 septembre 2012, n° T-343/06

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Shell Petroleum NV, The Shell Transport and Trading Company Ltd, Shell Nederland Verkoopmaatschappij BV

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jaeger

Juges :

MM. Wahl, Soldevila Fragoso (rapporteur)

Avocats :

Mes Brouwer, Knibbeler, Verschuur, van den Berg

Comm. CE, du 13 sept. 2006

13 septembre 2006

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

Faits à l'origine du litige

1. Les requérantes

1 Le groupe Shell, qui rassemble des sociétés énergétiques et pétrochimiques au niveau mondial, était détenu jusqu'en 2005 par les deux sociétés mères du groupe, Koninklijke Nederlandsche Petroleum Maatschappij NV (ci-après " KNPM ") et The Shell Transport and Trading Company plc (ci-après " STT plc "). Celles-ci détenaient, à hauteur respective de 60 % et de 40 %, la totalité de la société The Shell Petroleum Company Ltd (ci-après " SPCo ") et la totalité de la société Shell Petroleum NV (ci-après " SPNV "), société holding qui possédait elle-même la totalité des parts de Shell Nederland BV. Cette dernière était propriétaire à 100 % de la société Shell Nederland Verkoopmaatschappij BV (ci-après " SNV "), qui est l'entité juridique du groupe Shell chargée de la commercialisation du bitume routier aux Pays-Bas. La société Shell International BV, sise aux Pays-Bas, est l'une des sociétés du groupe chargée de fournir un support à l'ensemble du groupe, aux sociétés holdings et à ses sociétés opérationnelles, notamment en matière juridique.

2 Le 20 juillet 2005, la société Royal Dutch Shell plc, sise à La Haye (Pays-Bas), a racheté la totalité des actions des deux anciennes sociétés mères du groupe, KNPM et STT plc. KNPM a été entièrement absorbée par la société SPNV et n'existe plus en tant qu'entité juridique. La société mère Royal Dutch Shell plc détient désormais la quasi-totalité des actions de SPNV, qui possède elle-même toujours la totalité des parts de Shell Nederland et la quasi-totalité des parts de The Shell Transport and Trading Company Ltd (ci-après " STT "), qui a succédé à STT plc. Shell Nederland est toujours la société mère à 100 % de SNV.

2. Procédure administrative

3 Par lettre du 20 juin 2002, la société British Petroleum (ci-après " BP ") a informé la Commission des Communautés européennes de l'existence alléguée d'une entente relative au marché du bitume routier aux Pays-Bas et a présenté une demande visant à obtenir une immunité d'amendes conformément aux dispositions de la communication de la Commission du 19 février 2002 sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 45, p. 3, ci-après la " communication sur la coopération ").

4 Les 1er et 2 octobre 2002, la Commission a procédé à des vérifications surprises, notamment dans les locaux de SNV. La Commission a adressé des demandes de renseignements à plusieurs sociétés, dont SNV, le 30 juin 2003, auxquelles celle-ci a répondu le 28 août 2003.

5 Le 8 août 2003, des représentants de Shell International ont rencontré les services de la Commission afin de leur faire part de leur intention de mener une enquête interne sur cette affaire et de lui en communiquer les résultats. Aucune information n'a cependant été fournie lors de cette réunion ou immédiatement après. SNV a introduit une demande d'application de la communication sur la coopération le 10 octobre 2003. La Commission a indiqué, à cet égard, qu'il ne lui serait utile d'entendre l'auteur de la déclaration jointe à cette demande que s'il était en mesure d'apporter des éléments supplémentaires par rapport à ceux figurant dans sa déclaration. Ce salarié n'a finalement pas été entendu.

6 Les 10 février et 5 avril 2004, la Commission a adressé de nouvelles demandes de renseignements, auxquelles Shell International a répondu les 25 février et 27 avril 2004.

7 Le 18 octobre 2004, la Commission a engagé une procédure en vertu du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), et a adopté une communication des griefs, adressée le 19 octobre 2004 à plusieurs sociétés, dont SNV, SPNV, KNPM et STT plc.

8 Le 12 janvier 2005, SNV a demandé un accès intégral à tous les documents qui avaient été ajoutés au dossier de la Commission après l'envoi de la communication des griefs, et notamment aux réponses des autres entreprises à la communication des griefs. Le 22 février 2005, la Commission, en la personne du conseiller-auditeur chargé de l'affaire, a refusé d'accéder à cette demande, au motif que les renseignements fournis à ce stade ne faisaient, en principe, pas partie du dossier d'instruction, tel qu'il était défini dans la communication relative à l'accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant des articles 81 CE et 82 CE, des articles 53, 54 et 57 de l'accord EEE et du règlement (CE) n° 139-2004 du Conseil (JO 2005, C 325, p. 7, ci-après la " communication relative à l'accès au dossier "), et qu'ils pourraient en tout état de cause lui être transmis si la Commission était amenée à les utiliser dans sa décision. Le 20 avril 2005, SNV a renouvelé sa demande et a sollicité l'accès à ces documents avant la tenue des auditions. Le 4 mai 2005, ledit conseiller-auditeur a renouvelé le refus de la Commission. Le 24 mai 2006, celle-ci a cependant accordé à Royal Dutch Shell, à SPNV et à SNV l'accès aux passages de la réponse de la société Koninklijke Volker Wessels Stevin (ci-après " KWS ") sur lesquels elle souhaitait se fonder dans la décision, relatifs aux contacts ayant eu lieu entre SNV et KWS avant le 1er avril 1994. Le 12 juin 2006, Royal Dutch Shell, SPNV et SNV ont émis des objections sur le caractère partiel de la divulgation et ont à nouveau sollicité l'accès à l'ensemble des réponses dans leur intégralité.

9 Le 8 mai 2006, la Commission a adressé une nouvelle demande de renseignements à SNV, à SPNV et à Royal Dutch Shell afin d'obtenir des informations sur leur chiffre d'affaires tiré du bitume routier, en y incluant tous les produits de bitume spéciaux. Le 23 mai 2006, ces trois sociétés ont fourni le montant de leur chiffre d'affaires en y incluant le Mexphalte C, seul bitume spécial pouvant être, selon elles, lié à la construction routière, en précisant cependant que ce produit ne constituait pas l'objet de l'entente.

10 Le 23 décembre 2005, le groupe Shell a informé la Commission de la modification de sa structure, puisqu'il était désormais détenu en totalité par Royal Dutch Shell. Le 23 mai 2006, il a attiré l'attention de la Commission sur le fait que cette société n'existait pas durant la période infractionnelle et que, ayant été créée en 2002 sous le nom de Forthdeal Ltd, sans faire alors aucunement partie du groupe Shell, et ayant été transformée en Royal Dutch Shell en octobre 2004, elle ne pouvait être considérée comme un successeur de l'une des sociétés du groupe Shell. De plus, Royal Dutch Shell ayant acquis l'ensemble des actions de SPNV après la fin de la période infractionnelle, elle avait soutenu qu'elle ne pouvait se voir imputer la responsabilité de l'infraction commise par SNV.

3. Décision attaquée

11 À la suite de l'audition des sociétés concernées les 15 et 16 juin 2005, la Commission a adopté le 13 septembre 2006 la décision C (2006) 4090 final, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] [Affaire COMP-F-38.456 - Bitume (Pays-Bas)] (ci-après la " décision attaquée "), dont un résumé est publié au Journal officiel de l'Union européenne du 28 juillet 2007 (JO L 196, p. 40) et qui a été notifiée aux requérantes, SNV, SPNV et STT, le 25 septembre 2006.

12 La Commission a indiqué, à l'article 1er de la décision attaquée, que les sociétés destinataires de celle-ci avaient participé à une infraction unique et continue à l'article 81 CE, consistant à fixer ensemble régulièrement, durant les périodes concernées, pour la vente et l'achat de bitume routier aux Pays-Bas, le prix brut, une remise uniforme sur le prix brut pour les constructeurs routiers participant à l'entente (ci-après les " grands constructeurs " ou le " W5 ") et une remise maximale réduite sur le prix brut pour les autres constructeurs routiers (ci-après les " petits constructeurs ").

13 Les requérantes ont été reconnues coresponsables de cette infraction, pour la période du 1er avril 1994 au 15 avril 2002, et se sont vu infliger, solidairement, une amende de 108 millions d'euro.

14 S'agissant du calcul du montant des amendes, la Commission a qualifié l'infraction de très grave, eu égard à sa nature, même si le marché géographique concerné était limité (considérant 316 de la décision attaquée).

15 Afin de tenir compte de l'importance spécifique du comportement illicite de chaque entreprise impliquée dans l'entente et de son impact réel sur la concurrence, la Commission a opéré une distinction entre les entreprises concernées en fonction de leur importance relative sur le marché en cause, mesurée par leurs parts de marché, et les a regroupées en six catégories. Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission a retenu un montant de départ de 15 millions d'euro pour les requérantes (considérant 322 de la décision attaquée). Elle leur a également appliqué un coefficient multiplicateur de 2, destiné à garantir l'effet dissuasif de l'amende, compte tenu de la taille et du chiffre d'affaires du groupe (considérant 323 de la décision attaquée).

16 En ce qui concerne la durée de l'infraction, la Commission a estimé que les requérantes avaient commis une infraction de longue durée, celle-ci étant supérieure à cinq ans, et a retenu une durée totale de huit ans, du 1er avril 1994 au 15 avril 2002, augmentant ainsi le montant de départ de 80 % (considérant 326 de la décision attaquée). Le montant de base de l'amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, a donc été fixé à 54 millions d'euro pour les requérantes (considérant 335 de la décision attaquée).

17 La Commission a fait application de plusieurs circonstances aggravantes à l'égard des requérantes. En premier lieu, elle a estimé que, l'entreprise Shell ayant fait l'objet de décisions antérieures de la Commission dans des affaires relatives à des ententes en 1986 [(décision de la Commission du 23 avril 1986, affaire IV-31.149 - Polypropylène (JO L 230, p. 1, ci-après la " décision Polypropylène ")] et en 1994 [(décision de la Commission du 27 juillet 1994, affaire IV-31.865 - PVCII (JO L 74, p.14, ci-après la " décision PVC II ")], une augmentation de 50 % du montant de base de l'amende devait être appliquée pour récidive (considérants 336 à 338 de la décision attaquée). En second lieu, elle a considéré que les requérantes avaient joué un rôle d'incitateur et de meneur de l'entente, ce qui justifiait une nouvelle augmentation de 50 % du montant de base de l'amende (considérants 342 à 349 de la décision attaquée).

18 La Commission a, par ailleurs, estimé qu'aucune circonstance atténuante ne pouvait être retenue à l'égard des requérantes, le fait que l'infraction ait cessé avant l'ouverture de l'enquête ne méritant pas de récompense autre que la limitation de la durée de la période infractionnelle (considérants 361 à 363 de la décision attaquée).

19 La Commission a, en outre, rejeté leur demande tendant à considérer leur coopération effective, constituée par les réponses aux demandes de renseignements, la reconnaissance des faits et la mise en place de politiques de sanctions et de prévention à ce sujet, comme une circonstance atténuante (considérants 367 à 371 de la décision attaquée).

20 La Commission a, enfin, refusé de réduire le montant de l'amende infligée aux requérantes en application de la communication sur la coopération, considérant que les informations qu'elles avaient fournies n'étaient pas dotées d'une valeur ajoutée significative (considérants 394 à 396 de la décision attaquée).

Procédure et conclusions des parties

21 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er décembre 2006, les requérantes ont introduit le présent recours.

22 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 de son règlement de procédure, a invité les parties à déposer certains documents et leur a posé des questions. Les parties ont déféré à ces demandes dans le délai imparti.

23 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l'audience du 25 mai 2011.

24 Un membre de la sixième chambre ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal s'est désigné, en application de l'article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, pour compléter la chambre.

25 Par ordonnance du 18 novembre 2011, le Tribunal (sixième chambre), dans sa nouvelle composition, a rouvert la procédure orale et les parties ont été informées qu'elles seraient entendues lors d'une nouvelle audience.

26 Les parties ont été entendues lors de celle-ci le 26 janvier 2012.

27 SPNV et STT concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- à titre principal, annuler la décision attaquée en tant qu'elle s'applique à elles ;

- à titre subsidiaire, annuler partiellement la décision attaquée dans la mesure où la Commission y conclut qu'elles ont violé l'article 81 CE entre le 1er avril 1994 et le 19 février 1996 et réduire le montant de l'amende qui leur a été infligée ;

- à titre subsidiaire, réduire le montant de l'amende qui leur a été imposée dans la décision attaquée ;

- condamner la Commission aux dépens, y compris les dépens liés au paiement intégral ou partiel de l'amende ou à la constitution d'une garantie bancaire ;

- ordonner toutes autres mesures que le Tribunal jugerait appropriées.

28 SNV conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler partiellement la décision attaquée dans la mesure où la Commission y conclut qu'elle a violé l'article 81 CE entre le 1er avril 1994 et le 19 février 1996 et réduire le montant de l'amende qui lui a été infligée ;

- réduire le montant de l'amende qui lui a été imposée dans la décision attaquée ;

- condamner la Commission aux dépens, y compris les dépens liés au paiement intégral ou partiel de l'amende ou à la constitution d'une garantie bancaire ;

- ordonner toutes autres mesures que le Tribunal jugerait appropriées.

29 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner les requérantes aux dépens.

En droit

30 À l'appui de leur recours, les requérantes soulèvent quatre moyens. Elles reprochent ainsi à la Commission d'avoir commis des erreurs de fait et de droit en imputant à SPNV et à STT (anciennement STT plc) l'infraction commise par SNV, d'avoir violé une formalité substantielle et les droits de la défense dont elles étaient en droit de se prévaloir en refusant de leur transmettre l'ensemble des réponses des autres entreprises à la communication des griefs, d'avoir commis des erreurs de fait et de droit dans le calcul du montant de base de l'amende et la détermination de la durée de l'infraction et, enfin, d'avoir considéré SNV comme un incitateur et un meneur du cartel et d'avoir augmenté le montant de leur amende pour récidive.

1. Sur le premier moyen, tiré d'erreurs de droit et d'erreurs d'appréciation dans l'imputabilité aux sociétés mères de l'infraction

Sur les erreurs de droit

Arguments des parties

31 En premier lieu, les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur de droit en considérant que la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale détenue à 100 %, reconnue par le juge de l'Union (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C-286-98 P, Rec. p. I-9925, point 29), la dispensait de démontrer que la filiale auteur de l'infraction avait exécuté les instructions données par la société mère. En l'espèce, la Commission se serait bornée à faire référence à la notion d'entité économique unique, qui ne serait pourtant pas pertinente pour imputer la responsabilité de l'infraction à d'autres sociétés que celle étant directement impliquée dans l'infraction. Il appartiendrait pourtant à la Commission d'apprécier si la société mère a participé à l'infraction de manière directe ou indirecte ou si elle en avait connaissance pour pouvoir lui en imputer la responsabilité.

32 En deuxième lieu, la Commission aurait commis une erreur de droit en se fondant sur la présomption reconnue par l'arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 31 supra, pour imputer la responsabilité de l'infraction commise par SNV à STT (anciennement STT plc). En effet, pendant la période infractionnelle, la société STT plc, à laquelle STT a succédé en 2005, était l'une des deux sociétés faîtières du groupe Shell, mais ne détenait que 40 % de la société holding SPNV, qui détenait elle-même, par l'intermédiaire de Shell Nederland, la totalité des parts de SNV, auteur direct de l'infraction. Le juge de l'Union limiterait pourtant la possibilité de faire usage de cette présomption aux sociétés mères détenant la totalité des parts de leur filiale. Le fait que le Tribunal ait fait application de cette présomption dans son arrêt du 27 septembre 2006, Avebe/Commission (T-314-01, Rec. p. II-3085, point 137), serait uniquement lié aux circonstances particulières de l'espèce, où les deux sociétés mères étaient étroitement impliquées dans la gestion commerciale de la filiale, qui ne disposait pas elle-même d'une personnalité juridique distincte.

33 En troisième lieu, les requérantes contestent l'interprétation faite par la Commission de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale détenue à 100 %, qui rendrait impossible le renversement de cette présomption et ne serait pas conforme à la jurisprudence.

34 La Commission conclut au rejet de la première branche de ce moyen.

Appréciation du Tribunal

35 La Commission a précisé, dans la décision attaquée, que, bien que SNV ait été la personne morale ayant participé directement à l'entente, la communication des griefs avait également été adressée à SPNV, à KNPM et à STT plc (considérant 209 de la décision attaquée). Elle a, en effet, rappelé que SNV appartenait intégralement, jusqu'en 2005, à Shell Nederland, qui appartenait elle-même entièrement à SPNV, société holding placée sous le contrôle commun de KNPM (à hauteur de 60 %) et de STT plc (à hauteur de 40 %). Elle a, en outre, souligné l'importance des liens existant entre ces différentes structures, notamment par le biais du Committee of managing directors (groupe de directeurs généraux, ci-après le " CMD "), du département des produits pétroliers du groupe en Europe et, à partir de 1998, de Shell Europe Oil Products (ci-après " SEOP "), organisation qui regroupait les activités pétrolières de plusieurs des sociétés d'exploitation du groupe en Europe (considérants 206 à 208 de la décision attaquée). Elle a ensuite indiqué que, à la suite des changements organisationnels intervenus au sein du groupe en 2005, elle avait adressé la décision attaquée à SNV ainsi qu'aux autres sociétés destinataires de la communication des griefs toujours existantes à la date d'envoi de ladite décision, soit SPNV et STT (anciennement STT plc), et que ces sociétés constituaient ensemble l'entreprise Shell, et qu'elles étaient solidairement responsables de l'infraction (considérant 218 de la décision attaquée).

- Sur la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale

36 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que le droit de la concurrence de l'Union vise les activités des entreprises (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, point 59) et que la notion d'entreprise au sens de l'article 81 CE inclut des entités économiques consistant chacune en une organisation unitaire d'éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé, organisation pouvant concourir à ce qu'une infraction visée par cette disposition soit commise (arrêt du Tribunal du 25 octobre 2011, Uralita/Commission, T-349-08, non encore publié au Recueil, point 35). La notion d'entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêt de la Cour du 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C-217-05, Rec. p. I-11987, point 40).

37 Le comportement anticoncurrentiel d'une entreprise peut être imputé à une autre lorsqu'elle n'a pas déterminé son comportement sur le marché de manière autonome, mais a appliqué pour l'essentiel les directives émises par cette dernière, eu égard en particulier aux liens économiques et juridiques qui les unissaient (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Metsä-Serla e.a./Commission, C-294-98 P, Rec. p. I-10065, point 27 ; du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189-02 P, C-202-02 P, C-205-02 P à C-208-02 P et C-213-02 P, Rec. p. I-5425, point 117, et du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97-08 P, Rec. p. I-8237, point 58). Ainsi, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère, ces deux entreprises constituant une entité économique (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48-69, Rec. p. 619, points 133 et 134).

38 Ce n'est donc pas une relation d'instigation relative à l'infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu'elles constituent une seule entreprise au sens susmentionné qui habilite la Commission à adresser sa décision à la société mère d'un groupe de sociétés. En effet, il y a lieu de rappeler que le droit de la concurrence de l'Union reconnaît que différentes sociétés appartenant à un même groupe constituent une entité économique, et donc une entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE, si les sociétés concernées ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T-203-01, Rec. p. II-4071, point 290).

39 Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, d'une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d'autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une telle influence (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 60, et la jurisprudence citée).

40 Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d'une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l'amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n'apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (arrêts Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 31 supra, point 29, et Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 61).

41 S'il est vrai que la Cour a évoqué, aux points 28 et 29 de l'arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 31 supra, hormis la détention de 100 % du capital de la filiale, d'autres circonstances, telles que l'absence de contestation de l'influence exercée par la société mère sur la politique commerciale de sa filiale et la représentation commune des deux sociétés durant la procédure administrative, il n'en demeure pas moins que de telles circonstances n'ont été relevées par la Cour que dans le but d'exposer l'ensemble des éléments sur lesquels le Tribunal avait fondé son raisonnement dans cette affaire, et non pour subordonner la mise en œuvre de la présomption susmentionnée à la production d'indices supplémentaires relatifs à l'exercice effectif d'une influence de la société mère sur sa filiale (arrêts de la Cour Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 62, et du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C-90-09 P, non encore publié au Recueil, point 41).

42 En ce qui concerne les éléments qu'une société mère doit apporter afin de renverser cette présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante sur sa filiale détenue à 100 %, le juge de l'Union considère qu'il lui incombe de soumettre à l'appréciation de la Commission, puis, le cas échéant, du juge de l'Union, tout élément qu'elle considère de nature à démontrer qu'elles ne constituent pas une entité économique unique, relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques, entre sa filiale et elle-même, lesquels peuvent varier selon les cas et ne sauraient donc faire l'objet d'une énumération exhaustive (arrêt Akzo Nobel/Commission, point 37 supra, points 72 à 74).

- Sur l'application de cette présomption à deux sociétés mères détenant leur filiale conjointement à 100 %

43 Les requérantes estiment que, quelle que soit l'interprétation retenue de la présomption telle qu'elle résulte de la jurisprudence issue de l'arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 31 supra, la Commission ne pouvait faire application de cette présomption à STT (anciennement STT plc), celle-ci n'ayant détenu que 40 %, et de manière indirecte, de la société ayant commis l'infraction.

44 À titre liminaire, il convient de souligner que la simple circonstance selon laquelle KNPM, qui détenait les 60 % restants des parts de SPNV, a disparu en 2005 est sans influence sur la question de l'application de la présomption au sens de la jurisprudence Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 31 supra, les entreprises ne pouvant échapper à des sanctions par le simple fait que leur identité a été modifiée à la suite de restructurations, de cessions ou d'autres changements juridiques ou organisationnels, afin de ne pas compromettre l'objectif de réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence et d'en prévenir le renouvellement au moyen de sanctions dissuasives (arrêt de la Cour du 11 décembre 2007, ETI e.a., C-280-06, Rec. p. I-10893, point 41).

45 Par ailleurs, le juge de l'Union a déjà considéré que la Commission pouvait faire application de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale lorsque deux sociétés sont placées dans une situation analogue à celle où une seule société détient la totalité du capital de sa filiale (arrêt Avebe/Commission, point 32 supra, point 138).

46 De la même manière, il s'agit, en l'espèce, de déterminer, compte tenu de la particularité de la structure du groupe, si les deux sociétés mères KNPM et STT plc (devenue STT) se trouvaient dans une situation analogue à celle où une seule société détient la totalité du capital de sa filiale, et non ce qu'il conviendrait de décider dans le cas d'une société ne détenant que partiellement la société ayant commis l'infraction.

47 Il convient de souligner, tout d'abord, comme la Commission l'a indiqué dans le mémoire en défense sans être contredite sur ce point par les requérantes, que l'existence de deux sociétés mères au sein du groupe Shell s'explique par des raisons historiques, le groupe étant né en 1907 d'un accord entre la société néerlandaise KNPM et la société britannique STT plc, qui ont fusionné en 2005 tout en maintenant une double structure à la tête du groupe, avec une participation de, respectivement, 60 % et 40 %. Il ressort du dossier, et notamment du guide de référence à la structure organisationnelle du groupe, que ces deux sociétés, qui déclaraient un chiffre d'affaires consolidé identique, détenaient conjointement les deux sociétés holdings du groupe, SPNV et SPCo, dont elles désignaient conjointement les membres du conseil d'administration, conformément aux dispositions contractuelles qui les liaient, et avec lesquelles elles se réunissaient mensuellement, notamment afin d'être informées des principaux développements au sein du groupe.

48 Par ailleurs, KNPM et STT plc (devenue STT) ont créé deux comités de surveillance, le Group Audit Committee (comité d'audit du groupe, ci-après le " GAC ") et le Remuneration and succession review committee (comité chargé de l'examen des rémunérations et des nominations, ci-après le " REMCO "), composés de manière paritaire de trois membres du conseil de surveillance de KNPM et de trois membres du conseil d'administration de STT plc (devenue STT), chargés, pour l'un, d'examiner les principales évolutions financières du groupe, ses procédures de contrôle interne et ses audits externes et, pour l'autre, de formuler des recommandations en matière de rémunérations et de nomination des directeurs du groupe. Il ressort également du dossier que les conseils d'administration des sociétés holdings du groupe agissaient de manière coordonnée et comptaient en leur sein les membres des conseils d'administration des deux sociétés mères.

49 En outre, le CMD, organe composé des membres de la présidence du conseil d'administration de SPNV et des directeurs généraux de SPCo, qui étaient également membres du conseil d'administration de l'une des deux sociétés mères, jouait un rôle déterminant au sein du groupe. Il ressort en effet du dossier que le CMD, bien que ne constituant pas une entité dotée d'une personnalité juridique distincte, était chargé de coordonner l'activité opérationnelle et la gouvernance de l'ensemble des sociétés du groupe.

50 Enfin, le fait que les deux sociétés mères ont décidé, en 2005, de fusionner constitue un indice supplémentaire de l'existence d'une entreprise mère commune malgré la coexistence de deux entités juridiques.

51 Compte tenu de l'ensemble des éléments factuels visés aux points 47 à 50 ci-dessus, le Tribunal estime que c'est à juste titre que la Commission a pu considérer, aux considérants 206 à 218 de la décision attaquée, qu'il s'agissait d'une situation analogue à celle dans laquelle une seule société mère contrôle intégralement sa filiale, ce qui lui permettait ainsi de recourir à la présomption selon laquelle lesdites sociétés mères exerçaient effectivement une influence déterminante sur le comportement de leur filiale commune.

52 Enfin, il convient de rejeter l'argument des requérantes selon lequel la Commission a commis une erreur de droit en faisant application de la jurisprudence issue de l'arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 31 supra, à STT (anciennement STT plc), au motif que celle-ci ne détenait, avec KNPM, la totalité du capital de SNV que par l'intermédiaire de la société holding SPNV, qui détenait la société Shell Nederland, société mère de SNV. Le juge de l'Union considère en effet que l'existence de sociétés intermédiaires entre la filiale et la société mère est sans influence sur la possibilité de faire application de la présomption selon laquelle la société mère exerce effectivement une influence déterminante sur sa filiale détenue à 100 % (voir, en ce sens, arrêts Akzo Nobel/Commission, point 37 supra, points 78 et 83, et General Química e.a./Commission, point 41 supra, points 86 et 87 ; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, T-354-94, Rec. p. II-2111, points 80 à 85). Une société mère peut, en outre, être considérée comme responsable d'une infraction commise par une filiale, même lorsqu'il existe un grand nombre de sociétés opérationnelles dans un groupe (arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit " PVC II ", T-305-94 à T-307-94, T-313-94 à T-316-94, T-318-94, T-325-94, T-328-94, T-329-94 et T-335-94, Rec. p. II-931, point 989).

- Sur le caractère réfragable de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale détenue à 100 %

53 Les requérantes estiment que l'interprétation retenue par la Commission de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale détenue à 100 % rendrait son renversement impossible.

54 Il ressort cependant de la jurisprudence de la Cour rappelée au point 42 ci-dessus que, afin de renverser la présomption selon laquelle une société mère détenant 100 % du capital social de sa filiale exerce effectivement une influence déterminante sur celle-ci, telle qu'interprétée par la Commission, il incombe à ladite société mère de soumettre à l'appréciation de la Commission et, le cas échéant, du juge de l'Union, tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre elle-même et sa filiale de nature à démontrer qu'elles ne constituent pas une seule entité économique (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 65, et General Química e.a./Commission, point 41 supra, points 51 et 52). Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il s'agit dès lors d'une présomption réfragable qu'il leur appartenait de renverser. Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence qu'une présomption, même difficile à renverser, demeure dans des limites acceptables tant qu'elle est proportionnée au but légitime poursuivi, qu'existe la possibilité d'apporter la preuve contraire et que les droits de la défense sont assurés (arrêt de la Cour du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C-521-09 P, non encore publié au Recueil, point 62, et la jurisprudence citée).

55 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en imputant à STT (anciennement STT plc) et à SPNV la responsabilité de l'infraction commise par leur filiale SNV.

Sur les éléments destinés à renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale

Arguments des parties

56 Les requérantes estiment qu'elles ont établi que STT plc (devenue STT) et SPNV n'avaient pas eu connaissance de l'infraction et qu'elles n'y avaient jamais participé, directement ou indirectement. La pratique décisionnelle de la Commission et la jurisprudence exigeraient pourtant une participation de la société mère à l'infraction pour pouvoir lui imputer les activités de l'une de ses filiales. La Commission aurait d'ailleurs reconnu en l'espèce que l'infraction était limitée au comportement du seul directeur des ventes de bitume de SNV. De même, l'organisation du reporting (ci-après la " remontée d'informations ") au sein du groupe Shell montrerait que SNV ne recevait aucune instruction de STT plc (devenue STT) et de SPNV. STT plc (devenue STT) ne détenait en effet que 40 % de SPNV, qui avait elle-même des parts dans plus de 500 sociétés, dont Shell Nederland, qui possédait elle-même plus de 30 filiales, dont SNV. L'un des administrateurs délégués de SNV se serait borné à informer très brièvement le conseil d'administration et le conseil de surveillance de Shell Nederland, lors des réunions trimestrielles, des principales questions relatives à son activité, comme la fermeture d'une usine ou des résultats financiers décevants.

57 La Commission soutient que les requérantes ne sont pas parvenues à renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de STT plc (devenue STT) et SPNV sur leur filiale commune.

Appréciation du Tribunal

58 Il ressort des considérants 206 à 218 de la décision attaquée que la Commission a exposé, en substance, qu'elle pouvait faire application de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de STT plc (devenue STT) et SPNV sur SNV pendant la période du 1er avril 1994 au 15 avril 2002 en raison de la structure de participation existant entre ces sociétés [détention à 100 % pour SPNV, détention commune avec KNPM à 100 % pour STT plc (devenue STT)]. Elle a, ensuite, estimé, à titre surabondant, que plusieurs éléments relatifs à la structure hiérarchique du groupe venaient renforcer cette présomption, tels que le rôle du CMD, les fonctions de contrôle de ses filiales par SPNV ou les mécanismes de nomination des directeurs des sociétés d'exploitation.

59 Il y a lieu d'examiner si les requérantes ont apporté des éléments permettant de renverser la présomption selon laquelle STT plc (devenue STT) et SPNV constituaient une entité économique unique avec SNV.

60 Il convient, en effet, de rappeler, tout d'abord, qu'il incombe aux parties de soumettre à l'appréciation de la Commission et, le cas échéant, du Tribunal, tout élément qu'elles considèrent comme étant de nature à démontrer que des sociétés constituaient ou non une entité économique unique, relatif à leurs liens organisationnels, économiques et juridiques (voir point 42 ci-dessus).

61 En premier lieu, en ce qui concerne les arguments relatifs à l'absence de participation directe ou indirecte de STT plc (devenue STT) et de SPNV à l'infraction, il suffit de constater que ceux-ci ne sont fondés ni en droit ni en fait. En effet, le contrôle exercé par la société mère sur sa filiale ne doit pas nécessairement avoir un lien avec le comportement infractionnel (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 59, et General Química, point 41 supra, points 38, 102 et 103). Il n'est dès lors pas nécessaire pour le Tribunal d'examiner si STT plc (devenue STT) et SPNV ont effectivement exercé une influence directe ou indirecte sur le comportement infractionnel de SNV ou si elles en avaient connaissance.

62 En tout état de cause, et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, certains éléments du dossier indiquent que des membres du groupe Shell n'appartenant pas à SNV avaient connaissance des pratiques anticoncurrentielles de cette dernière pendant la période infractionnelle. En effet, une note interne du 14 juillet 2000, analysant la situation du marché du bitume néerlandais sous l'angle du droit de la concurrence, saisie par la Commission lors de ses vérifications dans les locaux de SNV, a été distribuée à l'extérieur de cette société. Cette note, qui porte la mention " hautement confidentielle ", a été rédigée conjointement par un salarié de SNV et un conseiller du service juridique du groupe, appartenant à Shell International, à la suite d'un atelier relatif à la mise en conformité avec les règles de concurrence au cours duquel le directeur des ventes responsable du bitume avait attiré l'attention sur le marché néerlandais du bitume et de la construction routière. Cette note a notamment été adressée au directeur du service juridique du groupe, salarié de Shell International, au vice-président commercial des ventes du groupe pour l'Europe ainsi qu'au vice-président exécutif des produits du groupe pour l'Europe. Il convient de rappeler, à cet égard, que Shell International était en rapport direct avec le CMD, principal organe de décision du groupe, composé des membres de la présidence du conseil d'administration de SPNV et des directeurs généraux de SPCo, qui étaient également membres du conseil d'administration de l'une des deux sociétés mères.

63 Cette note indique que le marché du bitume néerlandais avait fait l'objet d'un examen interne en 1992/1993 et en février 1995, l'ensemble des fournisseurs de bitume aux Pays-Bas (ci-après les " fournisseurs ") négociant collectivement un prix standard avec le W5, qu'un salarié de SNV avait, dès lors, conseillé de se retirer de ce marché, mais que le marché avait été restructuré et que SNV y était toujours présente. La note précise également que les autres types de bitume ne semblaient pas faire l'objet d'un comportement anticoncurrentiel de la part de Shell, sous-entendant, a contrario, que le groupe avait conscience du caractère anticoncurrentiel du comportement de SNV sur le marché du bitume routier. Cette note indique d'ailleurs, de manière détaillée, le mécanisme de fixation du prix du bitume, en soulignant que, lorsque SNV souhaitait augmenter ses prix, elle prenait contact avec KWS, le principal constructeur, avant d'appliquer cette hausse. KWS consultait alors tous les autres fournisseurs individuellement sur le niveau des prix, puis discutait de cette hausse de prix avec les autres grands constructeurs, avant d'en informer le Centrum voor regelgeving en onderzoek in de grond-, water- en wegenbouw en de Verkeerstechniek (CROW, Centre pour la régulation et la recherche en matière d'ingénierie civile et de trafic), organisme sans but lucratif qui était notamment chargé de publier mensuellement les prix du bitume routier, à partir desquels, en cas de variation supérieure à un certain seuil, les constructeurs bénéficiaient d'un dédommagement de la part de leurs cocontractants. La note précise, en outre, que SNV, comme les autres fournisseurs, accordait au W5 des remises sur le prix ainsi fixé. Enfin, les auteurs de ladite note concluaient en estimant qu'il convenait de mettre un terme aux discussions bilatérales avec KWS, porte-parole du W5, relatives aux hausses de prix, et de les remplacer par des discussions bilatérales avec chaque constructeur.

64 En second lieu, en ce qui concerne la prétendue autonomie des dirigeants de SNV résultant de l'absence de mécanisme de remontée des informations suffisamment fort entre STT plc (devenue STT), SPNV et SNV, il y a lieu de relever que les éléments avancés à cet égard par les requérantes ne suffisent pas à établir que SNV déterminait de façon autonome son comportement sur le marché et, donc, qu'elle ne constituait pas une unité économique avec STT plc (devenue STT) et SPNV au sens de l'article 81 CE.

65 En effet, il faut tout d'abord préciser que les affirmations des requérantes relatives au nombre important de filiales détenues par SPNV et par Shell Nederland ne sauraient suffire à établir que STT plc (devenue STT) et SPNV ont laissé à SNV une autonomie suffisante pour définir son comportement sur le marché.

66 Par ailleurs, la Commission se réfère à juste titre à plusieurs éléments dont elle avait fait mention dans la décision attaquée (considérants 207 à 214 de la décision attaquée) et dans la communication des griefs, relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissaient SNV à STT plc (devenue STT) et à SPNV, afin d'écarter les arguments des requérantes visant à renverser la présomption susmentionnée.

67 Le groupe a ainsi notamment déclaré, dans un rapport du 13 mars 2006 déposé auprès de la Securities and Exchange Commission (commission des opérations de bourse américaine), que " la totalité des activités d'exploitation avait été exercée par les filiales de Royal Dutch et de Shell Transport qui fonctionnaient comme une seule et même entreprise économique ". Par ailleurs, les clients et les concurrents désignaient habituellement l'ensemble de l'entreprise et chacune de ses entités juridiques par la dénomination " Shell ", indiquant ainsi que SNV était perçue par les tiers et sur le marché en cause comme relevant du groupe Shell.

68 Il convient également de prendre en compte les éléments mentionnés aux points 47 à 50 ci-dessus, relatifs à la structure du groupe et de son actionnariat, et notamment son organisation hiérarchique et les mécanismes de remontée des informations existant en son sein.

69 Dans la communication des griefs, la Commission a, en outre, apporté les éléments suivants : il existait un degré de chevauchement considérable entre les fonctions exercées dans différents pays par différentes entités, le responsable du bitume aux Pays-Bas ayant été longtemps responsable du marché belge ; plusieurs analyses internes du marché néerlandais du bitume routier sous l'angle du droit de la concurrence ont été distribuées à différentes entités du groupe, dont le service juridique de Shell International, qui était en lien direct avec le CMD ; Shell International a agi comme le correspondant principal de la Commission pendant l'ensemble de la procédure administrative ; le directeur général de KNPM était aussi directeur principal de SPNV et membre du conseil de surveillance de Shell Nederland BV, société mère directe de SNV ; les sociétés mères ont le pouvoir de nommer et de congédier les directeurs généraux des sociétés d'exploitation ; elles supervisent la gestion des sociétés d'exploitation, les directeurs généraux de ces dernières étant tenus de fournir à tout actionnaire, sur demande, des informations sur les affaires de la société et de lui donner accès aux livres et aux documents qu'il souhaite consulter.

70 De plus, comme il a été rappelé au point 49 ci-dessus, le CMD jouait un rôle déterminant au sein de l'entreprise. Ainsi, jusqu'en 1998, les voies hiérarchiques étaient organisées de manière géographique, le directeur " Bitume " de SNV dépendant du directeur général " Ventes commerciales ", qui dépendait lui-même du directeur général " Pays ", lui-même placé sous l'autorité du coordinateur régional " Europe " de Shell International Petroleum Maatschappij NV, propriété à 100 % de SPNV, qui dépendait directement de membres du CMD. De 1998 à la fin de la période infractionnelle, SNV relevait de la division " Construction " du département des produits pétroliers du groupe en Europe, le SEOP, qui était dirigé par le vice-président exécutif pour l'Europe, lequel dépendait du président-directeur général pour les produits pétroliers, qui était membre du CMD. Des mécanismes de remontée des informations existaient, en outre, entre les sociétés mères et leurs filiales, par l'intermédiaire des deux comités de surveillance qu'étaient le GAC et le REMCO.

71 Ensuite, les requérantes ont admis qu'un administrateur délégué de SNV informait le conseil d'administration et le conseil de surveillance de Shell Nederland, lors des réunions trimestrielles communes à ces deux instances, des principales questions relatives à l'activité de SNV. Même si celles-ci estiment que cette information était limitée à certaines décisions majeures, cette affirmation n'est cependant étayée par aucun élément probant.

72 Enfin, il convient de tenir compte du fait que certaines sociétés du groupe étaient chargées de la fourniture de fonctions de support à l'ensemble des filiales, Shell International fournissant ainsi un support juridique à toutes les filiales du groupe. L'analyse de la note du 14 juillet 2000 montre d'ailleurs que des salariés de SNV faisaient partie de ses auteurs et de ses destinataires et que SNV exerçait un contrôle étroit sur les activités des filiales, notamment sur la situation du marché du bitume aux Pays-Bas.

73 À la lumière de l'ensemble de ces considérations, il y a lieu de conclure que, eu égard aux éléments fournis par les requérantes concernant, d'une part, le fait que STT plc (devenue STT) et SPNV n'avaient ni eu connaissance de l'infraction en question, ni participé à cette infraction, ni incité leur filiale à la commettre et, d'autre part, les mécanismes de remontée des informations de SNV à STT plc (devenue STT) et à SPNV, ajoutés aux autres éléments pertinents du dossier exposés aux points 47 à 50 et 62 à 72 ci-dessus, la Commission n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que les éléments avancés par les requérantes ne démontraient pas que SNV déterminait de façon autonome son comportement sur le marché et ne permettaient donc pas de renverser la présomption selon laquelle STT plc (devenue STT) et SPNV exerçaient effectivement une influence déterminante sur le comportement de SNV.

74 Par conséquent, il y a lieu de rejeter le premier moyen dans son ensemble comme étant non fondé.

2. Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des formes substantielles et des droits de la défense

Arguments des parties

75 Les requérantes estiment que, en refusant de leur communiquer l'ensemble des réponses à la communication des griefs et en limitant la divulgation de la réponse de KWS à certains passages qu'elle contenait, la Commission a méconnu l'article 27, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003 et les droits de la défense dont elles disposaient. Elles soutiennent que, si elles avaient eu connaissance de ces documents, elles auraient pu influencer l'issue de la procédure administrative et modifier le sens de la décision attaquée, notamment en ce qui concerne leur rôle d'incitateur et de meneur.

76 En premier lieu, les requérantes estiment que la Commission aurait dû faire droit à leur demande d'accès à la totalité des réponses des autres sociétés à la communication des griefs, qui auraient pu contenir des éléments à décharge sur leur rôle d'incitateur et de meneur, notamment en raison du caractère horizontal et vertical de l'entente. La Commission aurait d'ailleurs déjà divulgué la totalité des réponses à la communication des griefs dans des procédures antérieures [affaires COMP-E-1-37.512 (JO L 6, p. 147) et COMP-E-1-36.490 (JO L 100, p. 1)]. En tout état de cause, il n'appartiendrait pas à la Commission de décider elle-même quels documents sont utiles à la défense des entreprises concernées (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 36 supra, point 126) et la communication relative à l'accès au dossier serait ainsi illégale dans la mesure où il y est indiqué que l'accès à l'intégralité des réponses à la communication des griefs ne saurait être octroyé.

77 En second lieu, les requérantes considèrent que la Commission aurait dû leur accorder un accès à l'intégralité de la réponse de KWS à la communication des griefs, et notamment à la déclaration du témoin sur laquelle la Commission se serait exclusivement fondée pour leur imputer le rôle d'incitateur et de meneur de l'entente. Le juge de l'Union leur reconnaîtrait ainsi le droit d'accéder à l'intégralité des éléments de preuve retenus par la Commission à leur égard (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, dit " Ciments ", T-25-95, T-26-95, T-30-95 à T-32-95, T-34-95 à T-39-95, T-42-95 à T-46-95, T-48-95, T-50-95 à T-65-95, T-68-95 à T-71-95, T-87-95, T-88-95, T-103-95 et T-104-95, Rec. p. II-491, point 386).

78 La Commission considère qu'elle n'était pas tenue de divulguer les réponses à la communication des griefs et rejette l'ensemble des arguments des requérantes.

Appréciation du Tribunal

79 Il ressort du dossier que, lors de la procédure administrative, la Commission a rejeté la demande des requérantes tendant à obtenir un accès intégral à tous les documents qui avaient été ajoutés au dossier après l'envoi de la communication des griefs, et notamment à la totalité des réponses des autres entreprises à celle-ci. Elle leur a cependant accordé l'accès aux passages de la réponse de KWS à la communication des griefs sur lesquels elle souhaitait se fonder dans la décision finale, relatifs aux contacts ayant eu lieu entre SNV et KWS avant le 1er avril 1994.

Principes généraux relatifs à l'accès aux documents postérieurs à la communication des griefs

80 L'article 27, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003 est ainsi rédigé :

" Les droits de la défense des parties concernées sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure. Elles ont le droit d'avoir accès au dossier de la Commission sous réserve de l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués. Le droit d'accès au dossier ne s'étend pas aux informations confidentielles et aux documents internes de la Commission ou des autorités de concurrence des États membres ".

81 Dans la communication relative à l'accès au dossier, la Commission définit au point 8 le dossier de la Commission comme " l'ensemble des documents obtenus, produits et/ou assemblés par la direction générale de la concurrence de la Commission lors de l'enquête ". Au point 27 de cette communication, la Commission précise ce qui suit :

" L'accès au dossier est donné sur demande et normalement une seule fois, après la communication des griefs de la Commission aux parties, afin de respecter le principe de l'égalité des armes et de protéger les droits de la défense. En règle générale, les parties n'ont donc pas accès aux réponses des autres parties aux griefs formulés par la Commission.

Une partie aura toutefois accès aux documents reçus après la communication des griefs dans des phases ultérieures de la procédure administrative, lorsque ces documents peuvent constituer de nouveaux éléments de preuve, qu'ils soient à charge ou décharge, relatifs aux allégations formulées à l'égard de cette partie dans la communication des griefs de la Commission. C'est particulièrement le cas lorsque la Commission entend se fonder sur de nouvelles preuves. "

82 Il est de jurisprudence constante que le respect des droits de la défense, dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, constitue un principe fondamental du droit de l'Union, qui doit être observé même s'il s'agit d'une procédure ayant un caractère administratif (arrêts de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461, point 9, et du 2 octobre 2003, ARBED/Commission, C-176-99 P, Rec. p. I-10687, point 19). D'ailleurs, l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1, ci-après la " charte des droits fondamentaux "), l'érige en droit fondamental en l'énonçant comme un élément consubstantiel du droit à une bonne administration. À cet égard, le règlement n° 1-2003 prévoit l'envoi aux parties d'une communication des griefs qui doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Une telle communication constitue la garantie procédurale illustrant le principe fondamental du droit de l'Union qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler/Commission, C-322-07 P, C-327-07 P et C-338-07 P, Rec. p. I-7191, points 34 et 35).

83 Il convient de rappeler que l'accès au dossier, dans les affaires de concurrence, a notamment pour objet de permettre aux destinataires d'une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu'ils puissent se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue, dans la communication des griefs, sur la base de ces éléments. L'accès au dossier relève ainsi des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense et à assurer, en particulier, l'exercice effectif du droit d'être entendu (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T-191-98, T-212-98 à T-214-98, Rec. p. II-3275, point 334, et la jurisprudence citée). Le droit d'accès au dossier implique que la Commission donne à l'entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d'instruction qui sont susceptibles d'être pertinents pour sa défense (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C-199-99 P, Rec. p. I-11177, point 125, et arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T-30-91, Rec. p. II-1775, point 81). Ceux-ci comprennent tant les pièces à charge que celles à décharge, sous réserve des secrets d'affaires d'autres entreprises, des documents internes de la Commission et d'autres informations confidentielles (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, point 82 supra, points 9 et 11, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 36 supra, point 68).

84 Selon la jurisprudence, c'est seulement au début de la phase contradictoire administrative que l'entreprise concernée est informée, par la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Par conséquent, la réponse des autres parties à la communication des griefs n'est pas comprise, en principe, dans l'ensemble des documents du dossier d'instruction que peuvent consulter les parties (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T-161-05, Rec. p. II-3555, point 163). Néanmoins, si la Commission entend se fonder sur un passage d'une réponse à la communication des griefs ou sur un document annexé à une telle réponse pour établir l'existence d'une infraction dans une procédure d'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, les autres parties impliquées dans cette procédure doivent être mises en mesure de se prononcer sur un tel élément de preuve (voir arrêts Ciments, point 77 supra, point 386, et Avebe/Commission, point 32 supra, point 50, et la jurisprudence citée). Il en va de même lorsque la Commission se fonde sur un tel document afin d'établir le rôle d'incitateur ou de meneur de l'une des entreprises concernées.

85 Il résulte de ce qui précède que les dispositions du point 27 de la communication relative à l'accès au dossier sont conformes à la jurisprudence selon laquelle, si, en règle générale, les parties n'ont pas accès aux réponses des autres parties à la communication des griefs, une partie pourra toutefois y avoir accès lorsque ces documents peuvent constituer de nouveaux éléments de preuve, qu'ils soient à charge ou à décharge, relatifs aux allégations formulées à l'égard de cette partie dans la communication des griefs.

86 Par ailleurs, selon la jurisprudence relative à l'accès au dossier administratif antérieur à la communication des griefs, l'absence de communication d'un document ne constitue une violation des droits de la défense que si l'entreprise concernée démontre, d'une part, que la Commission s'est fondée sur ce document pour étayer son grief relatif à l'existence d'une infraction (arrêts de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, points 7 et 9, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 36 supra, point 71) et, d'autre part, que ce grief ne pourrait être prouvé que par référence audit document (arrêts de la Cour du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission, 107-82, Rec. p. 3151, points 24 à 30, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 36 supra, point 71 ; arrêt Solvay/Commission, point 83 supra, point 58). La Cour établit, à cet égard, une distinction entre les documents à charge et les documents à décharge. S'il s'agit d'un document à charge, il incombe à l'entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue aurait été différent si ce document avait été écarté. En revanche, s'agissant de l'absence de communication d'un document à décharge, l'entreprise concernée doit seulement établir que son absence de divulgation a pu influencer, à son détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 36 supra, points 73 et 74). Cette distinction vaut également pour les documents postérieurs à la communication des griefs (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T-43-02, Rec. p. II-3435, points 351 à 359). Les requérantes procèdent donc à une interprétation erronée du point 383 de l'arrêt Ciments, point 77 supra, lorsqu'elles affirment que la Commission viole automatiquement les droits de la défense en refusant de transmettre des documents postérieurs à la communication des griefs dès lors qu'ils lui ont été demandés par une société. En effet, selon cette jurisprudence, un tel refus n'est illégal, s'agissant d'un document à décharge, que si ladite société a établi que l'absence de divulgation de ce document a pu influencer le déroulement de la procédure et le contenu de la décision à son détriment.

87 De même, en ce qui concerne la question de savoir si, lorsqu'il est utilisé par la Commission comme élément de preuve dans sa décision, un document postérieur à la communication des griefs doit ou non être transmis dans son intégralité, il convient de rappeler qu'il ressort de la jurisprudence, et notamment du point 386 de l'arrêt Ciments, point 77 supra, que la Commission est tenue, afin de permettre à l'entreprise concernée d'être en mesure de se prononcer utilement sur cet élément de preuve, de ne lui transmettre que le seul passage pertinent du document en question, replacé dans son contexte si cela est nécessaire à sa compréhension.

88 Il convient en outre de préciser que l'absence de communication systématique des réponses des autres entreprises à la communication des griefs n'est pas contraire au principe du respect des droits de la défense. Comme il a été rappelé ci-dessus, ce principe implique que la Commission doit, au cours de la procédure administrative, divulguer aux entreprises concernées tous les faits, circonstances ou documents sur lesquels elle se fonde, pour leur permettre de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués et sur les documents retenus par elle à l'appui de ses allégations. Ainsi, la Commission ne peut fonder sa décision que sur des faits sur lesquels celles-ci ont eu l'occasion de s'expliquer.

89 Par ailleurs, les requérantes ne sauraient se prévaloir de la jurisprudence selon laquelle il ne saurait appartenir à la seule Commission, qui notifie les griefs et prend la décision infligeant une sanction, de déterminer les documents utiles à la défense de l'entreprise concernée (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 36 supra, point 126 ; arrêts Solvay/Commission, point 83 supra, points 81 et 83, et Atlantic Container Line e.a./Commission, point 83 supra, point 339). En effet, cette considération, relative aux documents relevant du dossier constitué par la Commission, ne saurait s'appliquer à des réponses données par d'autres parties concernées aux griefs communiqués par cette dernière.

90 Enfin, il convient de préciser que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission, en tout état de cause, n'est pas liée par sa pratique décisionnelle antérieure relative à la transmission intégrale des réponses à la communication des griefs, la légalité de ses décisions s'appréciant uniquement sur la base des normes qui s'imposent à elle, dont, notamment, le règlement n° 1-2003, le règlement (CE) n° 773-2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 123, p. 18), et la communication relative à l'accès au dossier, tels qu'interprétés par le juge de l'Union.

Application en l'espèce

91 En l'espèce, il convient de rappeler que, le 24 mai 2006, la Commission a permis aux requérantes de prendre connaissance des passages de la réponse de KWS sur lesquels elle souhaitait se fonder dans la décision finale, relatifs aux contacts ayant eu lieu entre SNV et KWS avant le 1er avril 1994 et à une proposition de rabais préférentiel au W5, adressée à KWS.

92 En ce qui concerne, en premier lieu, l'argument tendant à faire reconnaître que l'accès à la totalité de la réponse de KWS à la communication des griefs aurait dû être autorisé, il convient de préciser, à titre préalable, que, contrairement à ce qu'affirment les requérantes, il ressort des considérants 343 à 348 de la décision attaquée que la Commission ne s'est pas fondée sur les seuls passages en cause de la réponse de KWS à la communication des griefs pour leur imputer le rôle d'incitateur et de meneur de l'entente. En tout état de cause, l'examen des extraits de ce document transmis par la Commission aux requérantes permet de constater que ceux-ci sont parfaitement compréhensibles et explicites sans qu'il soit nécessaire de les replacer dans un contexte plus large. Il faut en effet souligner que la Commission n'a utilisé dans la décision attaquée que deux des sept points de ce document, communiqués aux requérantes. Par ailleurs, s'agissant d'un document de KWS s'appuyant sur la déclaration d'un témoin, l'un de ses anciens salariés, document fourni volontairement à la Commission par KWS afin d'assurer sa défense, en soulignant le rôle d'incitateur et de meneur de SNV dans l'entente et en minimisant le sien, il n'est pas concevable qu'il ait pu comporter un quelconque élément à décharge pour SNV.

93 En ce qui concerne, en second lieu, l'argument tiré du défaut de communication des réponses des autres entreprises à la communication des griefs, qui auraient pu comporter des éléments à décharge, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 86 ci-dessus, il appartenait aux requérantes de fournir un commencement de preuve laissant supposer que leur absence de divulgation aurait pu influencer, à leur détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission. Les requérantes se sont cependant bornées à soutenir de manière générale et purement spéculative que les réponses des autres entreprises à la communication des griefs auraient pu leur fournir des éléments à décharge quant à leur rôle d'incitateur et de meneur de l'entente. En dehors du caractère horizontal et vertical de l'entente, elles n'ont fourni aucune indication spécifique pouvant constituer un commencement de preuve en ce sens. En outre, comme le souligne la Commission, il est peu probable, dans une entente, qu'une société fournisse des éléments susceptibles de minimiser le rôle d'une autre société dans l'entente, même si, en l'espèce, le fait que l'entente ait été organisée entre deux groupes aux intérêts susceptibles d'être potentiellement et partiellement divergents, les grands constructeurs et les fournisseurs, explique que chaque partie ait eu tendance à minimiser son rôle dans l'entente au détriment de l'autre. En tout état de cause, selon la jurisprudence, le simple fait que d'autres entreprises aient pu minimiser, dans leur réponse à la communication des griefs, le rôle des fournisseurs au détriment des grands constructeurs ne saurait constituer un élément à décharge (arrêt Jungbunzlauer/Commission, point 86 supra, points 353 à 356). Ainsi, les requérantes n'ont apporté aucun commencement de preuve de l'utilité d'une éventuelle transmission des réponses des autres sociétés à la communication des griefs.

94 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que c'est à bon droit que la Commission a refusé de communiquer aux requérantes l'ensemble des réponses à la communication des griefs et a limité la divulgation de la réponse de KWS à certains passages. Le deuxième moyen doit, dès lors, être rejeté.

3. Sur le troisième moyen, tiré d'erreurs de fait et de droit dans le calcul du montant de base de l'amende et la détermination de la durée de l'infraction

Sur la gravité de l'infraction

Arguments des parties

95 Les requérantes considèrent que la Commission, en classant les entreprises par catégorie afin de tenir compte de leur capacité économique à causer un préjudice important à la concurrence, a commis des erreurs de fait et de droit dans la détermination du chiffre d'affaires de l'entreprise Shell relatif au bitume routier aux Pays-Bas, en y incluant à tort le chiffre d'affaires du Mexphalte C, et a, en tout état de cause, insuffisamment motivé la décision attaquée sur ce point. Elles demandent ainsi au Tribunal de réduire le montant de leur amende en excluant la valeur des ventes de Mexphalte C de son calcul, estimant qu'il serait contraire aux principes d'égalité de traitement et de proportionnalité que le montant de base de leur amende soit plus élevé que celui de l'entreprise Kuwait Petroleum (ci-après " Kuwait Petroleum ") alors que leur part de marché était inférieure à la sienne.

96 Les requérantes rappellent ainsi que la seule raison pour laquelle la Commission a pu tenir compte, à juste titre, du chiffre d'affaires des produits bitumeux spéciaux utilisés dans la construction routière est que leur prix est directement lié au prix de marché général des grades de bitume routier standard, majoré d'une prime. En revanche, elles estiment que la Commission n'aurait pas dû inclure le chiffre d'affaires du Mexphalte C, étant donné qu'il n'est pas composé de bitume, que son prix n'est aucunement corrélé à celui du bitume routier standard et qu'il est vendu sur un marché différent du bitume routier standard, les deux produits n'étant pas substituables. Ces affirmations reposeraient notamment sur une déclaration du directeur de SNV en date du 30 novembre 2006 et sur un tableau de comparaison des modifications de prix du bitume routier standard et du Mexphalte C de 1995 à 2002.

97 Les requérantes reprochent, en outre, à la Commission de ne pas avoir exposé, dans la décision attaquée, les raisons pour lesquelles le montant des ventes de Mexphalte C avait été pris en compte, alors qu'elles avaient indiqué, le 23 mai 2006, dans leur réponse à la demande de renseignements de la Commission du 8 mai 2006, que le Mexphalte C n'avait aucun lien avec l'infraction. De même, lors de la procédure administrative, la Commission n'aurait jamais indiqué son intention d'inclure le montant des ventes de Mexphalte C dans le calcul du montant de l'amende et n'aurait jamais mentionné ce produit dans la communication des griefs. Un document du dossier administratif préciserait pourtant que le Mexphalte C constitue un agglomérant synthétique pouvant être utilisé pour produire de l'asphalte colorée, et non un bitume synthétique.

98 La Commission rejette l'ensemble des arguments des requérantes.

Appréciation du Tribunal

99 La Commission a indiqué dans la communication des griefs du 18 octobre 2004 (considérants 1 à 6 de la décision attaquée) que le produit faisant l'objet de la procédure était le bitume utilisé pour la construction routière et des applications comparables (par exemple les pistes d'atterrissage), qui comprenait des bitumes de différentes duretés, permettant des utilisations diverses, ainsi que des bitumes de différents grades, dont des bitumes spécifiques offrant de meilleures performances, qui sont cependant fabriqués à partir du bitume routier standard, et dont le prix dépend ainsi du prix de ce dernier. Seules deux sociétés, BAM NBM Wegenbouw BV et Hollandsche Beton Groep (ci-après " HBG "), ont contesté dans leur réponse à la communication des griefs l'inclusion des produits bitumeux utilisés dans la construction routière autres que le bitume routier standard. Les requérantes n'ont, en revanche, pas réagi sur ce point dans leur réponse à la communication des griefs.

100 Le 8 mai 2006, la Commission a adressé une demande de renseignements à SNV, à SPNV et à Royal Dutch Shell afin d'obtenir des informations sur leur chiffre d'affaires tiré du bitume routier, en y incluant tous les produits de bitume spéciaux. Le 23 mai 2006, ces trois sociétés ont fourni le montant de leur chiffre d'affaires en y incluant le Mexphalte C, seul bitume spécial pouvant être, selon elles, lié à la construction routière, en précisant cependant que ce produit ne constituait pas l'objet de l'entente. Dans la décision attaquée (considérants 4 à 6), la Commission a maintenu l'analyse effectuée dans la communication des griefs, en affirmant que les prix des autres produits bitumeux utilisés dans la construction routière étaient directement liés au prix de marché général des grades de bitume routier standard. Afin de parvenir à cette conclusion, elle a utilisé les déclarations de deux sociétés, BP et ExxonMobil, cette dernière société étant un fournisseur de bitume non sanctionné par la Commission, ainsi que des documents saisis lors des inspections, notamment chez KWS et SNV.

101 La Commission a précisé, dans le mémoire en défense, s'être fondée sur plusieurs éléments pour inclure le Mexphalte C dans les produits bitumeux ayant constitué l'objet de l'entente. Plusieurs documents de SNV font ainsi apparaître le Mexphalte C dans son barème relatif au bitume à la rubrique " Bitume transparent pouvant être pigmenté " ; de plus, dans la lettre du 23 mai 2006 adressée à la Commission, SNV a déclaré que le seul bitume spécial pouvant être lié au bitume routier était le Mexphalte C et a fourni un chiffre d'affaires de 12 113 015 euro pour la " valeur totale des ventes au détail de bitume routier, y compris le Mexphalte C ", en 2001 ; un document de Shell comportant des informations techniques sur le Mexphalte C et faisant partie du dossier administratif décrit celui-ci comme un bitume synthétique pouvant être pigmenté ; un autre document du dossier administratif montre que la liste de prix des produits bitumeux routiers, envoyée en 2001 par SNV à ses clients, était accompagnée d'une lettre type indiquant que les variations des prix des produits figurant dans cette liste, dont faisait partie le Mexphalte C, étaient dues à l'évolution des prix sur le marché du pétrole.

102 Les requérantes ont produit pour la première fois devant le Tribunal deux documents qui permettent, selon elles, d'établir que la Commission n'aurait pas dû prendre en compte le chiffre d'affaires du Mexphalte C dans la détermination du chiffre d'affaires de Shell relatif au bitume routier aux Pays-Bas. Le premier document comporte un tableau comparant l'évolution du prix du bitume routier standard et du Mexphalte C au cours de la période 1995-2002 ainsi que des lettres de SNV, datant de cette période, annonçant à ses clients que ces hausses de prix étaient dues à l'évolution des prix des matières premières. Le second document consiste en la déclaration du directeur de SNV en date du 30 novembre 2006 indiquant que le Mexphalte C n'est pas un produit fabriqué à partir du bitume, que les évolutions de prix de ce produit ne pouvaient être que très faiblement affectées par les cours du pétrole, que le marché sur lequel ce produit est vendu est un marché différent de celui du bitume routier et que SNV était la seule entreprise à fournir ce type de produit aux Pays-Bas.

103 Bien que les requérantes ne se soient pas prononcées clairement à cet égard, le Tribunal considère que, en l'espèce, il convient d'examiner leurs arguments, d'une part, au titre du contrôle de légalité et, d'autre part, au titre de la compétence de pleine juridiction dont il dispose en vertu des dispositions de l'article 31 du règlement n° 1-2003.

- Examen des arguments des requérantes dans le cadre du contrôle de légalité

104 Il résulte d'une jurisprudence constante que, dans le cadre d'un recours en annulation, la légalité de l'acte attaqué doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l'acte a été pris, et notamment des éléments d'information dont l'institution pouvait disposer au moment où elle l'a arrêté (arrêt de la Cour du 7 février 1979, France/Commission, 15-76 et 16-76, Rec. p. 321, point 7). Nul ne saurait ainsi se prévaloir devant le juge de l'Union, afin d'établir l'illégalité de l'acte attaqué, d'éléments de fait qui, n'ayant pas été avancés au cours de la procédure administrative, n'ont pu être pris en considération lors de l'adoption dudit acte (voir, en ce sens, arrêt France/Commission, précité, point 7 ; arrêts du Tribunal du 11 juillet 2007, Centeno Mediavilla e.a./Commission, T-58-05, Rec. p. II-2523, point 151, et du 25 juin 2008, Olympiaki Aeroporia Ypiresies/Commission, T-268-06, Rec. p. II-1091, point 55). En l'espèce, il résulte de l'instruction que, au moment de l'adoption de sa décision attaquée, la Commission ne disposait pas des deux documents cités au point 102 ci-dessus, qui ont été produits par les requérantes pour la première fois devant le Tribunal, comme cela a été indiqué audit point.

105 Pour autant qu'il vise à l'annulation de la décision attaquée, le présent moyen doit donc être examiné sans prendre en compte lesdits documents.

106 Dans ce cadre, il convient de relever que la Commission avait clairement indiqué, dans la communication des griefs, qu'elle considérait que l'entente visait l'ensemble des produits bitumeux utilisés pour la construction routière et des applications comparables, y compris les produits bitumeux spéciaux, à l'exception des produits bitumeux à usage industriel. Les requérantes n'ont cependant pas réagi sur ce point dans leur réponse à la communication des griefs, contrairement à d'autres entreprises. De plus, lorsque la Commission a demandé aux requérantes de transmettre leur chiffre d'affaires, celles-ci ont fourni, le 23 mai 2006, le montant de leur chiffre d'affaires en y incluant le Mexphalte C, tout en indiquant que, même si ce produit n'avait pas, en lui-même, constitué l'objet de l'entente, il était le " seul bitume spécial pouvant être lié à la construction routière ".

107 Comme indiqué au point 100 ci-dessus, afin de définir, dans la décision attaquée, le marché pertinent comme englobant l'ensemble des produits bitumeux routiers spéciaux, la Commission s'est fondée sur des documents de BP, d'ExxonMobil, de KWS et de SNV, montrant que les barèmes de prix adressés aux clients portaient sur l'ensemble des produits bitumeux, y compris les produits spéciaux, et que les hausses de prix éventuelles portaient également sur l'ensemble de ces produits. Dès lors, la Commission a estimé à juste titre, à partir des éléments dont elle disposait lors de l'adoption de la décision attaquée, que les ventes de Mexphalte C devaient entrer dans son calcul du chiffre d'affaires de Shell relatif au bitume routier aux Pays-Bas.

108 Par ailleurs, en ce qui concerne le contrôle du respect de l'obligation de motivation, il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l'article 253 CE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T-220-00, Rec. p. II-2473, point 216, et la jurisprudence citée).

109 En ce qui concerne la portée de l'obligation de motivation concernant le calcul du montant d'une amende infligée pour violation des règles de concurrence, d'une part, il importe de rappeler que cette obligation revêt une importance toute particulière et qu'il incombe à la Commission de motiver sa décision et, notamment, d'expliquer la pondération et l'évaluation qu'elle a faites des éléments pris en considération (arrêt de la Cour du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C-386-10 P, non encore publié au Recueil, point 61). Cette obligation doit être déterminée au regard des dispositions de l'article 23, paragraphe 3, du règlement nº 1-2003, aux termes duquel, " [p]our déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci ". À cet égard, les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les " lignes directrices pour le calcul des amendes "), ainsi que la communication sur la coopération, contiennent des règles indicatives sur les éléments d'appréciation dont il est tenu compte par la Commission pour mesurer la gravité et la durée de l'infraction (arrêt Cheil Jedang/Commission, point 108 supra, point 217). Dans ces conditions, les exigences de la formalité substantielle que constitue l'obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d'appréciation dont elle a tenu compte en application des lignes directrices pour le calcul des amendes et, le cas échéant, de la communication sur la coopération et qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l'infraction aux fins du calcul du montant de l'amende (arrêt Cheil Jedang/Commission, point 108 supra, point 218).

110 Le juge de l'Union a, en outre, précisé que la portée de l'obligation de motivation doit être notamment déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte. De plus, lors de la fixation du montant de chaque amende, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation, et elle ne saurait être considérée comme tenue d'appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise. Lorsqu'elle constate, dans une décision, une infraction aux règles de concurrence et inflige des amendes aux entreprises ayant participé à celle-ci, la Commission doit, si elle a systématiquement pris en compte certains éléments de base pour fixer le montant des amendes, indiquer ces éléments dans le corps de la décision afin de permettre aux destinataires de celle-ci de vérifier le bien-fondé du niveau de l'amende et d'apprécier l'existence d'une éventuelle discrimination (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T-295-94, Rec. p. II-813, points 162 à 164, 171 et 173).

111 Enfin, le juge de l'Union a précisé que la circonstance selon laquelle des informations plus précises que ces éléments d'appréciation, telles que les chiffres d'affaires réalisés par les entreprises ou les taux de réduction retenus par la Commission, ont été communiquées ultérieurement, lors d'une conférence de presse ou au cours de la procédure contentieuse, n'est pas de nature à remettre en cause le caractère suffisant de la motivation de la décision. En effet, des précisions apportées par l'auteur d'une décision attaquée, complétant une motivation déjà en elle-même suffisante, ne relèvent pas à proprement parler du respect de l'obligation de motivation, même si elles peuvent être utiles au contrôle interne des motifs de la décision, exercé par le juge de l'Union, en ce qu'elles permettent à l'institution d'expliciter les raisons qui sont à la base de sa décision (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission, C-248-98 P, Rec. p. I-9641, points 41, 42 et 44).

112 Au regard de cette jurisprudence, il apparaît que la Commission a suffisamment motivé la décision attaquée.

113 En effet, dans cette dernière, la Commission a fourni de nombreux éléments d'appréciation permettant de mesurer la gravité de l'infraction. Elle a ainsi tenu compte de la nature de l'infraction, a indiqué la raison pour laquelle il ne lui était pas possible de mesurer l'impact concret de l'entente sur le marché, a déterminé la taille du marché géographique en cause, a classé les entreprises concernées en plusieurs catégories en fonction de leurs parts de marché en 2001, dernière année pleine de l'infraction, et, enfin, a pris en compte le dernier chiffre d'affaires mondial de ces entreprises afin de s'assurer de l'effet dissuasif suffisant de l'amende (considérants 310 à 325 de la décision attaquée). La Commission a, en outre, précisé, au considérant 319 de la décision attaquée, qu'elle s'était fondée, pour le calcul des parts de marché, sur la valeur des ventes pour le bitume routier en 2001 (ou des achats de bitume routier, pour les constructeurs). Or, il est précisé, aux considérants 4 à 6 de la décision attaquée, que le " bitume routier " doit être défini comme le bitume utilisé pour la construction routière et des applications comparables, à savoir des bitumes de différentes duretés, permettant des utilisations diverses, ainsi que des bitumes de différents grades, dont des bitumes spéciaux. Elle a notamment répondu aux objections de deux entreprises visant à exclure les produits bitumeux spéciaux en s'appuyant sur des documents émanant de plusieurs sociétés (BP, ExxonMobil, KWS et SNV), qui indiquaient que les modifications du prix du bitume routier standard avaient une influence sur ceux des autres produits bitumeux utilisés dans ce secteur. Comme l'indique la décision attaquée (considérant 6 et note en bas de page n° 11), parmi ces documents figurent ceux saisis lors des inspections effectuées dans les locaux de SNV. En tout état de cause, selon la jurisprudence citée au point 111 ci-dessus, la Commission est en droit d'apporter des précisions à la motivation de sa décision lors de la phase contentieuse, qui peuvent être utiles au contrôle interne des motifs de la décision exercé par le juge de l'Union, en ce qu'elles permettent à l'institution d'expliciter les raisons qui sont à la base de sa décision. En l'espèce, la Commission a ainsi précisé, dans le mémoire en défense, certains éléments spécifiques sur lesquels elle s'était fondée afin d'inclure le Mexphalte C dans les produits bitumeux ayant constitué l'objet de l'entente (voir point 101 ci-dessus).

114 Enfin, dans la réplique, les requérantes ont soulevé un grief tiré de la violation du principe d'égalité, en ce que la Commission n'aurait pas établi qu'elle avait également pris en compte la valeur des achats de Mexphalte C dans le calcul de la part de marché de KWS. Il convient cependant de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission a estimé que le produit concerné pour l'ensemble des participants à l'entente était le bitume utilisé pour la construction routière et des applications comparables, y compris les bitumes spéciaux (considérant 4 à 6 de la décision attaquée), et que, afin de déterminer les parts de marché de chaque entreprise concernée, elle avait adressé à celles-ci des demandes de renseignements qui lui avaient permis d'établir des tableaux de la valeur des ventes et des achats de bitume par chaque entreprise aux Pays-Bas, en 2001, et que le total des achats des constructeurs était égal au total des ventes des fournisseurs (considérants 29, 319 et 320 de la décision attaquée). Les requérantes n'ayant, en outre, apporté aucun élément permettant d'indiquer que la Commission aurait retenu une définition différente des produits concernés par l'entente dans sa détermination de la part de marché de KWS, il convient de rejeter ce grief comme étant non fondé.

115 Ainsi, aucun des arguments soulevés par les requérantes dans le cadre de leur recours en annulation et relatifs à l'inclusion du Mexphalte C dans les produits concernés par l'entente n'est de nature à justifier l'annulation de la décision attaquée.

- Examen des arguments des requérantes dans le cadre de la compétence de pleine juridiction

116 Il convient de rappeler que le contrôle de légalité est complété par la compétence de pleine juridiction, qui était reconnue au juge de l'Union par l'article 17 du règlement n° 17 et qui l'est maintenant par l'article 31 du règlement n° 1-2003, conformément à l'article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l'amende ou l'astreinte infligée. Le contrôle prévu par les traités implique donc, conformément aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective figurant à l'article 47 de la charte des droits fondamentaux, que le juge de l'Union exerce un contrôle tant de droit que de fait et qu'il ait le pouvoir d'apprécier les preuves, d'annuler la décision attaquée et de modifier le montant des amendes (arrêts de la Cour du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C-272-09 P, non encore publié au Recueil, points 103 et 106 ; Chalkor/Commission, point 109 supra, points 63 et 67, et KME Germany e.a./Commission, C-389-10 P, non encore publié au Recueil, points 130 et 133). Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, s'agissant de l'application de l'article 81 CE, aucune disposition n'impose au destinataire de la communication des griefs de contester, au cours de la procédure administrative, les différents éléments de fait ou de droit qu'elle contient, sous peine de ne plus pouvoir le faire ultérieurement au stade de la procédure juridictionnelle (arrêt de la Cour du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C-407-08 P, Rec. p. I-6371, point 89).

117 Il appartient dès lors au Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, d'apprécier, à la date où il adopte sa décision, si les requérantes se sont vu infliger une amende dont le montant reflète correctement la gravité de l'infraction en cause (arrêts du Tribunal du 11 mars 1999, Aristrain/Commission, T-156-94, Rec. p. II-645, points 584 à 586 ; du 27 septembre 2006, Roquette Frères/Commission, T-322-01, Rec. p. II-3137, points 51 à 56 et 293 à 315, et du 7 juin 2011, Arkema France e.a./Commission, T-217-06, non encore publié au Recueil, points 251 à 253), et notamment si la Commission a correctement déterminé le chiffre d'affaires des requérantes relatif au bitume routier aux Pays-Bas.

118 Il y a cependant lieu de rappeler que, afin de préserver l'effet utile de l'article 18, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1-2003, la Commission est en droit d'obliger une entreprise à fournir tous les renseignements nécessaires portant sur des faits dont elle peut avoir connaissance et à lui communiquer, au besoin, les documents y afférents qui sont en sa possession, à la seule condition de ne pas imposer à l'entreprise l'obligation de fournir des réponses par lesquelles celle-ci serait amenée à admettre l'existence de l'infraction dont il appartient à la Commission d'établir la preuve (arrêt de la Cour du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374-87, Rec. p. 3283, points 34 et 35). Une entreprise à laquelle la Commission adresse une demande de renseignements en application des dispositions de l'article 18 du règlement n° 1-2003 est, dès lors, tenue à une obligation de collaboration active et peut se voir sanctionner par une amende spécifique, prévue par les dispositions de l'article 23, paragraphe 1, de ce règlement, qui peut représenter jusqu'à 1 % de son chiffre d'affaires total si elle fournit, de propos délibéré ou par négligence, un renseignement inexact ou dénaturé. Il en résulte que, dans l'exercice de ses pouvoirs de pleine juridiction, le Tribunal peut prendre en compte, le cas échéant, un défaut de collaboration d'une entreprise et majorer en conséquence le montant de l'amende qui lui a été infligée pour violation des articles 81 CE ou 82 CE, sous réserve que cette entreprise n'ait pas été sanctionnée pour ce même comportement par une amende spécifique fondée sur les dispositions de l'article 23, paragraphe 1, du règlement n°1-2003.

119 Tel pourrait être, par exemple, le cas dans l'hypothèse où, en réponse à une demande en ce sens de la part de la Commission, une entreprise aurait omis de présenter, de propos délibéré ou par négligence, lors de la procédure administrative, des éléments déterminants en vue de la fixation du montant de l'amende et dont elle disposait ou aurait pu disposer lors de l'adoption de la décision attaquée. Si, dans le cadre de l'exercice de sa pleine juridiction, le Tribunal ne se trouve pas empêché de prendre en considération de tels éléments, il n'en demeure pas moins que l'entreprise qui n'en fait état qu'au stade contentieux, en portant ainsi atteinte à la finalité et à la bonne conduite de la procédure administrative, s'expose à la prise en considération de cette circonstance dans la détermination, par le Tribunal, du montant approprié de l'amende.

120 Il convient donc, en premier lieu, d'examiner si les éléments fournis par les requérantes au stade contentieux permettent d'établir que le chiffre d'affaires du Mexphalte C ne devait pas être pris en compte dans le calcul du montant de l'amende.

121 Le premier document, qui comporte un tableau comparant l'évolution du prix du bitume routier standard et du Mexphalte C lors de la période 1995-2002 ainsi que des lettres de SNV, datant de cette période, annonçant à ses clients que ces hausses de prix étaient dues à l'évolution du prix des matières premières, ne permet que de constater que les hausses de prix du Mexphalte C ont parfois correspondu à celles du bitume routier standard, même si cela n'a pas systématiquement été le cas (parallélisme des variations de prix en mai et en juin 1999, en février 2000, en avril et en septembre 2002), ce qui peut s'expliquer par des considérations de politique commerciale (par exemple, le 27 mai 1999, SNV a accordé une remise spéciale à ses clients sur ce produit afin d'encourager son utilisation). De plus, les lettres adressées par SNV à ses clients, qui accompagnaient ces hausses de prix, indiquaient que ces hausses de prix étaient dues à l'évolution des prix sur le marché du pétrole.

122 Le second document, qui consiste en la déclaration du directeur de SNV du 30 novembre 2006, permet uniquement de conclure que le Mexphalte C est fabriqué à partir de résine, d'extraits d'huile lubrifiante et de polymères. En réponse à une question écrite posée par le Tribunal, les requérantes ont, en outre, précisé que le Mexphalte C était essentiellement composé de deux éléments, le BFE et le Nevchem 2338, qui sont eux-mêmes des dérivés du pétrole brut, produits selon un processus de production différent de celui du bitume. Il résulte de ces documents que, même si le Mexphalte C est produit selon un processus de fabrication distinct de celui du bitume et que ses composants ne sont pas dérivés du bitume, le pétrole brut demeure la matière première d'origine de ses composants, comme cela est le cas pour le bitume.

123 Par ailleurs, les requérantes n'ont apporté aucun élément probant qui permettrait d'établir que le Mexphalte C constituerait un marché différent de celui du bitume routier standard. Elles se sont, en effet, bornées à affirmer que le Mexphalte C était, en général, acheté par des municipalités et qu'il n'était pas utilisé pour les autoroutes. Elles n'ont, en revanche, apporté aucun élément suffisamment probant pour établir que l'évolution du prix du Mexphalte C aurait été indépendante de celle du prix du bitume routier standard pendant la période infractionnelle.

124 En conclusion, les requérantes n'ont apporté devant le Tribunal aucun élément permettant d'établir que le Mexphalte C ne faisait pas partie des produits composant le marché constituant l'objet de l'entente, alors même que plusieurs éléments du dossier indiquent que le prix du Mexphalte C était étroitement lié au prix du bitume routier standard. Partant, rien ne permet de conclure que le chiffre d'affaires relatif au Mexphalte C doive être exclu du chiffre d'affaires des requérantes devant être pris en considération dans le cadre de l'appréciation de la gravité de l'infraction.

125 En second lieu, il convient de déterminer si les requérantes ont manqué à leur obligation de coopération au cours de la procédure administrative en ne présentant les éléments exposés ci-dessus qu'au stade contentieux et non au cours de la procédure administrative.

126 Il ressort de la lettre adressée par les requérantes à la Commission le 23 mai 2006 qu'elles ont fourni le montant de leur chiffre d'affaires en y incluant le Mexphalte C, seul bitume spécial pouvant être, selon elles, lié à la construction routière, en précisant cependant que ce produit ne constituait pas en lui-même l'objet de l'entente. Bien que cette formulation comporte une certaine ambiguïté et que les requérantes n'aient apporté aucun élément probant à l'appui de ces affirmations, il est constant qu'elles ont signalé à la Commission qu'elles estimaient que le chiffre d'affaires du Mexphalte C ne devait pas être pris en compte dans la détermination du montant de leur amende. En l'absence de demande de renseignements complémentaires adressée par la Commission aux requérantes sur ce point, il n'apparaît pas, en l'espèce, que les requérantes aient manqué à leur obligation de coopération loyale au cours de la procédure administrative en ne fournissant pas les documents décrits aux points 121 et 122 ci-dessus, bien que ceux-ci eussent pu être produits à cette occasion.

127 Dès lors, il n'y a pas lieu de considérer que les requérantes ont manqué à leur obligation de collaboration résultant des dispositions de l'article 18 du règlement n° 1-2003.

128 Il convient donc de rejeter la première branche du troisième moyen.

Sur la durée de l'infraction

Arguments des parties

129 Les requérantes considèrent que la Commission a commis une erreur de fait en estimant que l'infraction avait débuté le 1er avril 1994. Cette affirmation ne reposerait que sur deux notes internes de HBG en date des 28 mars et 8 juillet 1994, qui n'établiraient pourtant pas l'existence d'accords sur les prix entre les fournisseurs. Selon elles, les contacts avec KWS auxquels ces deux notes font référence étaient ainsi purement bilatéraux. Pour l'année 1995, la Commission aurait elle-même reconnu, dans la décision attaquée, qu'elle ne disposait d'aucune preuve de contacts anticoncurrentiels entre les fournisseurs. Les requérantes reconnaissent, en revanche, que l'entente a débuté lors de la première réunion anticoncurrentielle, qui s'est tenue le 19 février 1996. Elles rappellent que, en tout état de cause, le doute doit leur profiter (arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T-279-02, Rec. p. II-897, point 115).

130 La Commission estime qu'elle n'a commis aucune erreur de fait en considérant que l'infraction avait débuté le 1er avril 1994 et perduré en 1995.

Appréciation du Tribunal

131 En l'espèce, la Commission a estimé que les requérantes avaient commis une infraction de longue durée, celle-ci étant supérieure à cinq ans, et a retenu une durée totale de huit ans, du 1er avril 1994 au 15 avril 2002, augmentant ainsi le montant de départ de 80 % (considérant 326 de la décision attaquée).

132 Il ressort de la décision attaquée que la Commission a utilisé plusieurs éléments de preuve concordants afin de considérer que l'entente avait débuté dès 1994 (considérants 93 à 99 et 175 à 178 de la décision attaquée).

133 En premier lieu, la Commission s'est ainsi fondée sur les deux notes internes de HBG des 28 mars et 8 juillet 1994, qui font état de l'annonce par Shell de la fixation du prix du bitume du 1er avril 1994 au 1er janvier 1995, avec une remise maximale au W5 (et une remise moins importante aux petits constructeurs), et de l'existence d'accords sur les prix conclus entre les sociétés pétrolières et le W5 avant même le mois de mars 1994. Contrairement à ce qu'affirment les requérantes, ces deux notes ne se bornent pas à faire état de contacts purement bilatéraux entre Shell et KWS, mais font état, de manière non équivoque, de l'existence d'accords entre les fournisseurs et le W5.

134 En deuxième lieu, la Commission s'est fondée sur les deux notes internes de SNV des 6 et 9 février 1995. La note du 6 février 1995, qui effectue une description historique de l'évolution du marché de la construction routière aux Pays-Bas, fait notamment état des " origines du cartel " depuis 1980, de la part de responsabilité qui appartient tant aux pouvoirs publics qu'aux constructeurs et aux fournisseurs dans l'apparition de certains accords, de la suppression de l'entente dans sa forme initiale en 1993 et du fait que les constructeurs ont exigé une plus grande stabilité des prix en 1995, afin que les volumes et la répartition des marchés retrouvent approximativement leur niveau de 1993. La note du 9 février 1995 mentionne une tentative de SNV de mettre fin à sa participation à l'entente à partir de 1992, qui n'a cependant pas abouti, ainsi que la conclusion d'accords sur les prix entre le W5 et les fournisseurs, au détriment des adjudicateurs et des entreprises n'appartenant pas au W5. Cette note envisage les différentes options qui pouvaient permettre à SNV de se retirer de cette entente, tout en soulignant les difficultés inhérentes à un tel choix. La déclaration d'un salarié de Kuwait Petroleum en date du 9 octobre 2003 permet également de confirmer que les accords entre les fournisseurs et les grands constructeurs existaient déjà lors de l'arrivée de ce salarié au sein de la division " Bitume " de cette société en mars et en avril 1994. Enfin, dans sa déclaration d'entreprise du 10 octobre 2003, SNV a elle-même indiqué que, après 1993, les grands constructeurs avaient trouvé une autre méthode pour éviter les perturbations du marché de la construction routière, en organisant des réunions avec les fournisseurs (considérant 91 de la décision attaquée).

135 En troisième lieu, plusieurs documents saisis par la Commission permettent de confirmer que le système de remises et de sanctions fonctionnait en 1995. La Commission a ainsi saisi une note interne de HBG du 7 juillet 1995, indiquant que Kuwait Petroleum Nederland BV (ci-après " KPN ") et Wintershall AG offraient une remise supplémentaire à HBG, et un rapport interne de Wintershall du 4 mars 1996, relatif à une entrevue avec la société Heijmans, faisant mention du montant de la remise due à cette société (considérant 98 de la décision attaquée). De plus, ce même rapport de Wintershall indique que, en 1995, il avait été constaté que les fournisseurs avaient accordé des remises indues aux petits constructeurs (considérant 82 de la décision attaquée).

136 En quatrième lieu, la réponse de KWS à la communication des griefs en date du 20 mai 2005 indique également que les accords entre les fournisseurs et les grands constructeurs existaient dès 1993 (considérants 96 et 97 de la décision attaquée).

137 Enfin, en cinquième lieu, les demandes de trois entreprises tendant à bénéficier de la communication sur la coopération permettent de confirmer que les accords existaient depuis au moins le 1er avril 1994. Il s'agit de la déclaration de Kuwait Petroleum en date du 9 octobre 2003, de la réponse de l'entreprise Nynas du 2 octobre 2003 à une demande de renseignements et de la déclaration de BP du 12 juillet 2002.

138 Pour l'année 1995, il convient de préciser que, contrairement à ce qu'affirment les requérantes, la Commission n'a nullement reconnu qu'elle ne disposait d'aucune preuve de contacts anticoncurrentiels entre les fournisseurs, mais uniquement qu'elle ne disposait pas de preuves de la conclusion de nouveaux accords en 1995 ni de ce que les accords antérieurs auraient pris fin cette année-là et qu'elle en avait dès lors conclu que les accords passés en 1994 étaient toujours en vigueur en 1995 (considérants 98 et 99 de la décision attaquée).

139 Il ressort ainsi de l'ensemble de ces éléments de preuve concordants que la Commission a pu considérer à juste titre et a démontré à suffisance de droit que l'infraction commise par les requérantes avait débuté le 1er avril 1994. Il convient donc de rejeter le troisième moyen dans son ensemble.

4. Sur le quatrième moyen, tiré d'erreurs de fait et de droit concernant les circonstances aggravantes

140 À titre préalable, il convient de préciser que le juge de l'Union considère qu'il est nécessaire, lors de l'examen du rôle joué par une entreprise dans une infraction, de distinguer la notion de meneur de celle d'incitateur d'une infraction et de conduire deux analyses séparées pour vérifier si celle-ci a joué l'un ou l'autre de ces rôles. En effet, alors que le rôle d'incitateur a trait au moment de l'établissement ou de l'élargissement d'une entente, le rôle de meneur a trait au fonctionnement de celle-ci (arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T-15-02, Rec. p. II-497, point 316).

Sur le rôle d'incitateur de SNV

Arguments des parties

141 Les requérantes considèrent que, en attribuant à SNV, conjointement avec KWS, le rôle d'incitateur de l'entente, la Commission a commis des erreurs de droit et de fait justifiant l'annulation, en tout ou partie, de la majoration de 50 % de l'amende qui leur a été infligée.

142 La Commission rappelle que le juge de l'Union opère une distinction entre les rôles d'incitateur et de meneur et que, si le Tribunal devait considérer que les preuves sont insuffisantes en ce qui concerne l'un des deux rôles, il pourrait cependant maintenir la majoration de 50 % du montant de l'amende (arrêt BASF/Commission, point 140 supra, points 342 à 349). En ce qui concerne l'attribution du rôle d'incitateur à SNV, la Commission indique s'être fondée sur le fait, d'une part, que SNV avait proposé à KWS d'effectuer une remise spécifique aux grands constructeurs, jouant ainsi un rôle dans la mise en place de l'entente, et, d'autre part, que SNV avait tenté de persuader ExxonMobil de rejoindre l'entente. La Commission a utilisé trois éléments de preuve concordants, à savoir un passage d'un rapport interne de Wintershall de 1992, deux éléments de la réponse de KWS à la communication des griefs et, enfin, deux notes internes d'ExxonMobil de 1993. Elle rappelle enfin que le juge de l'Union ne lui impose pas de détenir des éléments relatifs à l'élaboration ou à la conception des détails de l'entente pour établir le rôle d'incitateur d'une entreprise (arrêts du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T-9-99, Rec. p. II-1487, point 578, et BASF/Commission, point 140 supra, point 321).

- Sur la proposition faite à KWS de rabais spéciaux au W5

143 Afin d'établir que SNV était à l'origine de l'entente, les requérantes estiment que la Commission s'est uniquement fondée sur un témoignage de l'un des salariés de KWS, fourni dans la réponse de cette dernière à la communication des griefs, indiquant que SNV avait proposé pour la première fois en 1993 que les fournisseurs accordent un rabais spécial au W5. Cependant, à la suite de la transmission de ce témoignage à SNV, le directeur des ventes de bitume de cette dernière aurait effectué, le 22 novembre 2006, une déclaration sous serment contredisant cette affirmation, indiquant notamment que le W5, qui avait déjà exigé des rabais préférentiels lorsqu'il avait pris son poste en 1992, était à l'origine de ces rabais préférentiels.

144 La Commission soulève, à titre préalable, une question relative à la recevabilité de cette déclaration, qui ne saurait, selon elle, constituer une preuve valable. Les requérantes précisent que le directeur des ventes de bitume de SNV n'a pas été entendu par la Commission à la suite de l'introduction de la demande de SNV tendant à bénéficier de la communication sur la coopération, car la Commission avait indiqué à celle-ci que cette audition n'était nécessaire que dans la mesure où cette personne aurait été en mesure de fournir des informations complémentaires, ce qui n'était pas le cas. Ainsi, bien qu'il se soit tenu à sa disposition, la Commission n'aurait pas jugé utile de l'entendre au cours de la procédure administrative.

145 Les requérantes estiment par ailleurs que la déclaration de KWS est peu fiable et rappellent qu'elle a été contestée par le directeur des ventes de bitume de SNV et qu'elle n'est corroborée par aucun autre élément de preuve. Elles considèrent, en outre, que la Commission a méconnu leur droit à un procès équitable et à une enquête impartiale en ne vérifiant pas la crédibilité des affirmations de KWS et que la Commission a commis une erreur de fait et de droit et a manqué à son obligation de motivation en considérant que cette déclaration de KWS permettait d'établir que SNV avait été l'instigatrice de l'entente.

146 Selon la Commission, d'une part, il ne ressort pas de son dossier que KWS ait été la seule à l'initiative de l'entente et, d'autre part, les requérantes n'ont pas établi que SNV se serait efforcée de mettre fin à sa participation à des accords anticoncurrentiels antérieurs. À l'inverse, la Commission considère que les deux groupes d'entreprises avaient un intérêt économique au fonctionnement de l'entente, l'un se situant du côté de l'offre, avec les fournisseurs, et l'autre du côté de la demande, avec les constructeurs. Les fournisseurs avaient ainsi intérêt à l'entente, car elle leur garantissait l'augmentation et la stabilité des prix et leur permettait de prévenir l'arrivée d'un nouveau fournisseur sur le marché, qui aurait pu proposer des prix inférieurs, de manière individuelle, aux constructeurs et diminuer ainsi leurs parts de marché.

147 Afin d'établir que SNV avait joué un rôle d'incitateur, en proposant à KWS d'accorder une remise spéciale au W5, la Commission indique s'être appuyée, comme le lui permet le juge de l'Union, sur plusieurs documents contemporains et postérieurs à l'entente, qui corroboraient les éléments figurant dans la réponse de KWS à la communication des griefs (arrêt du Tribunal du 26 avril 2007, Bolloré/Commission, T-109-02, T-118-02, T-122-02, T-125-02 et T-126-02, T-128-02 et T-129-02, T-132-02 et T-136-02, Rec. p. II-947, point 563). Elle aurait ainsi pris en compte, d'une part, le rapport interne de Wintershall du 20 février 1992, mentionnant des contacts entre SNV et KWS, SNV étant chargée de faire des propositions de coopération future entre les fournisseurs et le W5, et, d'autre part, une note interne de HBG du 28 mars 1994, relative à la communication par SNV des prix et des remises convenus.

148 La circonstance selon laquelle d'autres éléments permettaient de corroborer le témoignage de KWS expliquerait également la différence de traitement que la Commission a réservé à ExxonMobil lorsque cette dernière a été mise en cause par d'autres sociétés.

- Sur les tentatives de persuader ExxonMobil de rejoindre l'entente

149 Les requérantes estiment que la Commission ne pouvait se fonder uniquement sur les deux notes internes d'ExxonMobil pour établir que SNV aurait tenté de la persuader de rejoindre l'entente et qu'elle aurait ainsi joué un rôle d'incitateur.

150 Selon la Commission, les deux notes internes d'ExxonMobil suffisent à établir que SNV a tenté de la persuader de rejoindre l'entente et qu'elle a, ainsi, joué un rôle d'incitateur. Elle rappelle tout d'abord que, selon la jurisprudence, une entreprise qui a suggéré à une autre l'opportunité d'une collusion ou qui a tenté de la convaincre d'y procéder peut être qualifiée d'incitateur de l'entente (arrêt BASF/Commission, point 140 supra, point 321). La Commission estime ainsi que le fait, pour un partenaire commercial, d'informer un autre des prix qu'il compte pratiquer à l'encontre de ses clients est illégal. Elle précise, en outre, qu'il ne s'agissait pas d'un incident unique, le directeur des ventes de bitume de SNV ayant pris contact avec ExxonMobil en mars 1993 et en mars 1994, et que la circonstance, à la supposer établie, selon laquelle l'entente n'aurait pas encore été mise en place est sans influence sur la qualification d'incitateur. Enfin, en ce qui concerne l'affirmation selon laquelle d'autres fournisseurs auraient eu des contacts avec ExxonMobil, celle-ci ne serait pas suffisamment établie.

Appréciation du Tribunal

151 Il ressort de la décision attaquée que la Commission a considéré que SNV, au sein du groupe des fournisseurs, et KWS, au sein du W5, portaient une responsabilité particulière en raison de leur rôle respectif d'incitateur de l'entente (considérant 342). Elle a estimé que deux éléments permettaient de considérer que SNV avait joué un rôle d'incitateur dans l'entente : d'une part, SNV aurait proposé à KWS d'accorder une remise spécifique au W5, jouant ainsi un rôle dans la mise en place de l'entente, et, d'autre part, SNV aurait tenté de persuader ExxonMobil de rejoindre l'entente. La Commission s'est, pour cela, fondée sur trois éléments de preuve qu'elle estime concordants : un passage d'un rapport interne de Wintershall du 18 février 1992, indiquant, d'une part, que KWS lui avait fait savoir qu'elle avait pris contact avec SNV afin de lui demander d'effectuer des propositions de coopération entre les fournisseurs et le W5 et, d'autre part, que SNV lui avait ainsi soumis une offre de remise spéciale pour le W5 en 1993, deux éléments de la réponse de KWS à la communication des griefs, confirmant que ces initiatives de SNV avaient été à l'origine de l'entente, et, enfin, des notes internes d'ExxonMobil relatives à la tentative de SNV de l'inciter à rejoindre l'entente.

- Principes généraux relatifs au rôle d'incitateur

152 Lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d'examiner la gravité relative de la participation de chacune d'entre elles (arrêts de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, point 623, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 36 supra, point 92), ce qui implique, en particulier, d'établir leurs rôles respectifs dans l'infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49-92 P, Rec. p. I-4125, point 150, et arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6-89, Rec. p. II-1623, point 264).

153 Il en résulte, notamment, que le rôle d'incitateur ou de meneur joué par une ou plusieurs entreprises dans le cadre d'une entente doit être pris en compte aux fins du calcul du montant de l'amende, dans la mesure où les entreprises ayant joué un tel rôle doivent, de ce fait, porter une responsabilité particulière par rapport aux autres entreprises (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr Melnhof/Commission, T-347-94, Rec. p. II-1751, point 291, et du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T-236-01, T-239-01, T-244-01 à T-246-01, T-251-01 et T-252-01, Rec. p. II-1181, dit " Tokai I ", point 301).

154 Conformément à ces principes, le point 2 des lignes directrices pour le calcul des amendes établit, sous le titre de circonstances aggravantes, une liste non exhaustive de circonstances pouvant amener à une augmentation du montant de base de l'amende et comprenant, notamment, le " rôle de meneur ou d'incitateur de l'infraction " (arrêt BASF/Commission, point 140 supra, points 280 à 282).

155 Il y a lieu d'observer que, pour être qualifiée d'incitateur d'une entente, une entreprise doit avoir poussé ou encouragé d'autres entreprises à mettre en place l'entente ou à s'y joindre. Il ne suffit pas, en revanche, d'avoir simplement figuré parmi les membres fondateurs de l'entente. Cette qualification devra être réservée à l'entreprise qui, le cas échéant, a pris l'initiative, par exemple en suggérant à l'autre l'opportunité d'une collusion ou en tentant de la convaincre à y procéder (arrêt BASF/Commission, point 140 supra, point 321). Le juge de l'Union n'impose cependant pas à la Commission de détenir des éléments relatifs à l'élaboration ou à la conception des détails de l'entente. Il a, enfin, précisé que le rôle d'incitateur avait trait au moment de l'établissement ou de l'élargissement d'une entente (arrêt BASF/Commission, point 140 supra, point 316), ce qui permet d'envisager que plusieurs entreprises puissent simultanément jouer un rôle d'incitateur au sein d'une même entente.

156 Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirment les requérantes, rien ne s'oppose, en principe, à ce que la Commission puisse se fonder sur un événement unique afin d'établir qu'une entreprise a joué un rôle incitatif dans une entente, à la condition que cet unique élément permette d'établir de manière certaine que cette entreprise a poussé ou encouragé d'autres entreprises à mettre en place l'entente ou à s'y joindre. En effet, en premier lieu, il convient de rappeler que la Commission n'est pas liée par sa pratique décisionnelle antérieure, la légalité de ses décisions en la matière s'appréciant uniquement sur la base des normes qui s'imposent à elle, dont, notamment, les règlements nos 1-2003 et 773-2004 et les lignes directrices, tels qu'interprétés par le juge de l'Union (voir point 90 ci-dessus). En second lieu, il faut souligner qu'il ressort uniquement du point 350 de l'arrêt BASF/Commission, point 140 supra, qu'une entreprise ne peut chercher à minimiser son rôle de meneur d'une infraction en l'imputant à une autre entreprise, dès lors que cette dernière a pris une unique fois l'initiative d'annoncer une hausse de prix décidée au sein de l'entente, alors qu'il était constant qu'elle-même avait annoncé ces hausses à plusieurs reprises.

157 Il ressort, en tout état de cause, de la décision attaquée (considérant 342) que la Commission ne s'est pas uniquement fondée sur la réponse de KWS à la communication des griefs pour estimer que SNV avait joué le rôle d'incitateur dans cette entente, mais qu'elle a également utilisé un passage d'un rapport interne de Wintershall du 18 février 1992 indiquant que KWS lui avait fait savoir qu'elle avait pris contact avec SNV afin de lui demander d'effectuer des propositions de coopération entre les fournisseurs et le W5, et que SNV lui avait ainsi soumis une offre de remise spéciale pour le W5 en 1993, ainsi que des notes internes d'ExxonMobil relatives à la tentative de SNV d'inciter celle-ci à rejoindre l'entente.

158 Il appartient au Tribunal d'apprécier, au regard des principes rappelés ci-dessus, si la Commission a apporté des éléments de preuve suffisants afin d'établir que SNV avait joué un rôle d'incitateur dans l'entente.

- Recevabilité du témoignage fourni par les requérantes

159 À titre préalable, il appartient au Tribunal de se prononcer sur la recevabilité de la déclaration du directeur des ventes de bitume de SNV, établie le 22 novembre 2006, qui indique que seul le W5 était à l'origine de l'entente. La Commission estime en effet que, à la suite de la demande formulée par SNV le 10 octobre 2003, tendant à bénéficier de la communication sur la coopération, qui comportait une déclaration de ce même salarié, elle avait souhaité entendre ce dernier, mais que SNV s'était opposée à cette audition, et que la déclaration de 2006 constituait un détournement de la procédure d'audition de témoins prévue par le règlement de procédure et ne pouvait, dès lors, constituer une preuve valable (arrêt du Tribunal du 21 avril 2004, M/Cour de justice, T-172-01, Rec. p. II-1075, point 94).

160 Il convient cependant de souligner que cet arrêt ne vient que préciser qu'il convient d'effectuer une distinction entre un témoignage recueilli par le Tribunal dans le cadre de la procédure d'audition prévue par les dispositions des articles 68 à 76 du règlement de procédure et un témoignage recueilli dans un autre cadre, qui ne constitue qu'une offre de preuve. Le Tribunal est d'ailleurs libre d'apprécier souverainement la valeur qu'il convient d'attribuer aux différents éléments de fait et de preuve qui lui ont été soumis ou qu'il a pu lui-même rassembler (ordonnance de la Cour du 29 octobre 2004, Ripa di Meana/Parlement, C-360-02 P, Rec. p. I-10339, point 28). Aucune disposition n'interdit à une requérante de soumettre une offre de preuve devant le Tribunal alors qu'elle ne l'avait pas soumise lors de la procédure administrative. Néanmoins, le Tribunal est amené à tenir compte de cette circonstance dans le cadre de son appréciation de la force probante de cette offre de preuve. Il convient, dès lors, de regarder comme recevable la déclaration en question.

161 En ce qui concerne la force probante de ce témoignage présenté par les requérantes, il convient de rappeler que l'activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de la libre appréciation des preuves, à l'exception des dérogations prévues par le règlement de procédure mentionnées ci-dessus, et que le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité (conclusions du juge M. Vesterdorf faisant fonction d'avocat général sous l'arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1-89, Rec. p. II-867, II-869). À cet égard, pour apprécier la valeur probante d'un document, il faut, en premier lieu, vérifier la vraisemblance de l'information qui y est contenue. Il faut alors tenir compte, notamment, de l'origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire, et se demander si, d'après son contenu, il semble sensé et fiable (arrêt Ciments, point 77 supra, point 1838). Il convient également de rappeler que, si, au cours de la procédure administrative, la Commission n'a pas la possibilité d'imposer l'audition de personnes en tant que témoins sous serment, les dispositions de l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1-2003 lui permettent de recueillir les déclarations de toute personne acceptant d'être interrogée.

162 En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, à la suite de la demande formulée par SNV le 10 octobre 2003, tendant au bénéfice de la communication sur la coopération, qui comportait une déclaration de son directeur des ventes de bitume, la Commission a demandé à SNV si cette personne était en mesure de fournir des informations complémentaires par rapport à celles figurant dans cette déclaration, ce à quoi SNV a répondu de manière négative, tout en indiquant que la Commission pouvait cependant l'entendre si elle l'estimait nécessaire. S'il est exact que la Commission n'a, dès lors, pas demandé à pouvoir entendre cette personne, il convient de souligner que, dans sa déclaration du 24 septembre 2003 effectuée dans le cadre de la demande de SNV tendant au bénéfice de la communication sur la coopération, ce salarié de SNV avait indiqué que le W5 souhaitait connaître le prix brut de SNV comme base de calcul pour procéder à des hausses de prix uniformes sur l'ensemble du marché et qu'il était chargé de contacter KWS dès que la nécessité d'une réunion de concertation sur le bitume se faisait sentir, alors que, dans sa déclaration de 2006, postérieure à l'adoption de la décision attaquée, il niait avoir proposé la mise en place d'un système de remise spécifique au W5 et s'être concerté avec les autres fournisseurs. Partant, il convient de conclure que ces éléments réduisent la force probante et, par conséquent, la crédibilité du témoignage présenté par les requérantes.

- Sur la remise spécifique accordée au W5

163 Les requérantes soutiennent tout d'abord qu'il n'est pas cohérent de considérer que les fournisseurs aient pu avoir un intérêt à la mise en place d'une telle entente, ce qui permettrait d'établir que seuls les constructeurs ont été à l'initiative de celle-ci. Elles précisent que seuls ces derniers avaient mis en place des mesures de rétorsion à l'encontre des fournisseurs ne respectant pas les termes des accords.

164 Il ressort cependant de la décision attaquée (considérants 146 à 154) que les deux groupes d'entreprises avaient un intérêt économique au fonctionnement de l'entente, les fournisseurs, du côté de l'offre, ayant avantage à garantir l'augmentation de leurs prix de vente (ceux-ci se situant, même après déduction de la remise au W5, à un niveau plus élevé que ceux des pays voisins) ainsi que leur stabilité, tout en prévenant l'entrée d'un nouveau fournisseur sur le marché qui aurait pu proposer des prix inférieurs, de manière individuelle, aux constructeurs. Par ailleurs, l'argument relatif à l'absence d'intérêt pour les fournisseurs à proposer une remise préférentielle au W5 peut être écarté, dès lors que, comme la Commission l'a justement indiqué dans la décision attaquée (considérant 149), les augmentations du prix brut suggérées par les fournisseurs n'étaient acceptées par les grands constructeurs qu'à la condition qu'elles soient associées à une augmentation de la remise accordée au W5.

165 Les requérantes soutiennent, en outre, que SNV ne saurait être considérée comme incitateur de l'entente alors même qu'elle a tenté de mettre fin à l'entente en 1993. Cette affirmation ne repose cependant pas sur des éléments de preuve suffisamment convaincants. En effet, la note interne du 6 février 1995 sur laquelle les requérantes se fondent n'évoque qu'une tentative de SNV de mettre fin à une entente, du côté de la vente, en 1993, mais qui ne semble pas avoir abouti, et mentionne, en outre, que SNV et ExxonMobil étaient à l'initiative de cette même entente (et non de sa cessation) du côté de l'offre.

166 Les requérantes estiment, par ailleurs, que la Commission s'est fondée uniquement sur la réponse de KWS à la communication des griefs pour considérer que SNV avait effectué des propositions de remise spécifique au W5 et que le témoignage du salarié de KWS figurant dans ce document n'avait qu'une valeur probatoire très limitée, car celui-ci avait été fourni dans le cadre de la réponse à la communication des griefs, qui décrivait KWS comme unique incitateur du cartel, et visait donc uniquement à attribuer le rôle d'incitateur à une autre société. Il faudrait également, selon elles, tenir compte du fait que ce témoignage a été déposé douze ans après les faits litigieux et que la réponse de KWS était, de manière générale, peu crédible, car elle comportait de nombreuses inexactitudes. Il convient cependant de relever que, contrairement à ce qu'affirment les requérantes, la Commission ne s'est pas fondée sur cet unique document pour établir que SNV avait effectué des propositions de rabais spécifiques au W5. La lecture du considérant 342 de la décision attaquée permet, en effet, de constater que la Commission a estimé que SNV avait joué le rôle d'incitateur de l'entente parmi les fournisseurs en s'appuyant sur cinq documents, à savoir la note interne de Wintershall, la réponse de KWS à la communication des griefs, la note interne de HBG du 28 mars 1994 (par renvoi au considérant 175 de la décision attaquée) ainsi que les deux documents d'ExxonMobil relatifs aux tentatives de SNV de la convaincre de rejoindre l'entente.

167 Certains de ces éléments de preuve indiquent ainsi que SNV a effectué des propositions de remise spécifique au W5. La Commission, d'une part, a pris en compte un rapport interne de Wintershall du 18 février 1992, rédigé à la suite d'une visite de KWS, mentionnant des contacts entre SNV et celle-ci, SNV étant chargée, en tant que " marketleader ", d'effectuer des propositions de coopération entre les fournisseurs et le W5, correspondant à un monopole d'achat. D'autre part, elle a utilisé la note interne de HBG du 28 mars 1994, faisant état de la communication par SNV aux autres fournisseurs des prix du bitume et des remises convenues avec le W5. Si ce premier document permet de confirmer le passage de la réponse de KWS à la communication des griefs dans lequel elle affirmait que SNV avait effectué des propositions de remise spécifique au W5, le second ne permet cependant que d'indiquer que SNV a négocié avec le W5 et qu'elle a transmis le résultat de ces négociations à HBG. Ces éléments de preuve ne permettent donc pas, à eux seuls, d'établir que SNV a été à l'origine de la mise en place d'une remise supplémentaire au W5. Il demeure, en effet, une incertitude sur la question de savoir si SNV a pris cette initiative de manière spontanée ou si elle y a procédé à la demande de KWS, comme le laisse sous-entendre la note de Wintershall de 1992.

168 Les requérantes soulignent, par ailleurs, que la Commission a mal interprété cet extrait de la réponse de KWS à la communication des griefs, qui ne permet de constater que le simple fait que SNV a joué un rôle de porte-parole des fournisseurs, et qu'elle a ainsi commis une erreur de droit, une erreur de fait et a insuffisamment motivé la décision attaquée sur ce point. Il convient cependant de souligner que, dans ce document, KWS indique clairement que, en 1993, SNV, par l'intermédiaire d'un de ses salariés, lui a fait part d'une proposition de prix ainsi que, pour la première fois, d'une proposition de remise spéciale pour le W5 au nom des fournisseurs.

169 Les requérantes estiment, enfin, que la Commission a méconnu leur droit à un procès équitable et à une enquête impartiale, dès lors que, à la suite de la déclaration de leur salarié du 12 juin 2006 mettant en cause les dires de KWS, elle aurait dû vérifier leur crédibilité, comme elle l'a fait lorsque les déclarations de Kuwait Petroleum et de Nynas relatives à la participation d'ExxonMobil à l'entente ont été remises en cause par d'autres entreprises lors de l'audition.

170 À titre liminaire, il convient d'observer que, parmi les garanties conférées par le droit de l'Union dans les procédures administratives figure, notamment, le principe de bonne administration, consacré par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux, auquel se rattache l'obligation pour l'institution compétente d'examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d'espèce (arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 83 supra, point 404).

171 Il est cependant nécessaire de préciser que ni le règlement n° 1-2003, ni le règlement n° 773-2004, ni aucun autre texte n'imposent à la Commission de procéder à de nouvelles auditions ou à l'envoi de nouvelles demandes de renseignements lorsque les affirmations d'une entreprise sont remises en cause par une autre lors de la procédure administrative. La seule contrainte à laquelle la Commission se trouve soumise est celle du respect des droits de la défense lors du déroulement de la procédure, rappelé par les dispositions de l'article 27, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003. Le juge de l'Union a ainsi déjà rappelé que la Commission disposait d'une marge d'appréciation pour décider de l'intérêt que pouvait présenter une audition de personnes dont le témoignage pourrait avoir une importance pour l'instruction du dossier (arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19, point 18 ; arrêts du Tribunal du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission, T-86-95, Rec. p. II-1011, point 468, et HFB e.a./Commission, point 142 supra, point 383), la garantie des droits de la défense n'exigeant pas que la Commission procède à l'audition de témoins indiqués par les intéressés, lorsqu'elle estime que l'instruction de l'affaire a été suffisante (arrêt de la Cour du 16 mai 1984, Eisen und Metall/Commission, 9-83, Rec. p. 2071, point 32, et arrêt HFB e.a./Commission, point 142 supra, point 383). De même, lorsque les textes réglementaires et ses propres communications lui laissent la possibilité de choisir parmi plusieurs types d'éléments ou d'approches pouvant être pertinents en théorie, la Commission conserve une grande liberté d'action (arrêt du Tribunal du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T-210-01, Rec. p. II-5575, point 519).

172 La Commission a répondu à cet argument des requérantes en se situant sur le terrain du principe d'égalité de traitement, qui est l'un des principes fondamentaux du droit de l'Union et qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée (arrêt de la Cour du 21 février 1990, Wuidart e.a., C-267-88 à C-285-88, Rec. p. I-435, point 13). Il est vrai que, sans se référer à ce principe, les requérantes ont mis en avant le fait que la Commission leur avait accordé un traitement différent de celui réservé à Kuwait Petroleum et à Nynas, dont les déclarations relatives à la participation d'ExxonMobil à l'entente avaient été remises en cause par d'autres entreprises lors de l'audition et avec lesquelles elle avait repris contact à ce sujet. Comme le souligne à juste titre la Commission, la situation de ces deux entreprises était différente de celle de SNV. En effet, la Commission a adressé à Kuwait Petroleum et à Nynas une demande d'information complémentaire sur ce point après l'audition, ces deux entreprises n'ayant pas été en mesure, lors de l'audition, de réagir aux affirmations de plusieurs autres entreprises remettant en cause la véracité de leurs déclarations relatives à ExxonMobil. En revanche, dans le cas de SNV, la Commission a estimé que, dès lors que d'autres éléments relatifs au rôle de SNV dans l'entente corroboraient ceux figurant dans la réponse de KWS à la communication des griefs, il n'était pas nécessaire de prendre des mesures particulières à la suite de la réception de la déclaration du salarié de SNV en date du 12 juin 2006, mettant en cause les dires de KWS. Dès lors, la Commission n'a pas méconnu le principe d'égalité de traitement en l'espèce.

173 Enfin, à titre subsidiaire et en tout état de cause, il convient de rappeler qu'une violation des droits de la défense ne peut entraîner l'annulation de la décision attaquée que si, en l'absence de cette violation, il existait une chance - même réduite - que les requérantes eussent pu faire aboutir la procédure administrative à un résultat différent (arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7-89, Rec. p. II-1711, point 56, et Ciments, point 77 supra, point 383). Or, les requérantes n'apportent aucun élément en ce sens.

174 En conclusion, si les éléments de preuve utilisés par la Commission permettent de considérer que SNV a effectué des propositions de remise spécifique au W5, ils ne suffisent cependant pas, à eux seuls, à établir que celle-ci a été à l'origine de la mise en place d'une telle remise ou qu'elle y a procédé à la demande de KWS. Il convient, dès lors, afin d'apprécier le rôle d'incitateur de SNV dans l'entente, d'examiner les éléments de preuve relatifs aux tentatives de SNV visant à persuader d'autres entreprises de rejoindre l'entente.

- Sur les tentatives de persuader ExxonMobil de rejoindre l'entente

175 La tentative de SNV d'encourager Exxonmobil à rejoindre l'entente constitue le second élément sur lequel s'est fondée la Commission, afin de considérer que SNV avait été à l'origine de l'entente. Afin d'établir ce fait, la Commission a utilisé des documents internes d'ExxonMobil relatifs à deux incidents.

176 Il convient de souligner, à titre préalable, que l'un de ces documents, en date du 11 avril 2004, n'a été cité expressément ni par la Commission dans la décision attaquée ni dans la communication des griefs, mais qu'il faisait cependant partie du dossier administratif de la Commission, auquel les requérantes ont eu accès après la communication des griefs et qu'il peut être, par conséquent, pris en compte par le Tribunal dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de pleine juridiction (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, C-297-98 P, Rec. p. I-10101, point 55, et arrêt Tokai I, point 153 supra, point 165, et, pour une application relative au rôle de meneur, arrêt BASF/Commission, point 140 supra, point 354).

177 La première série de documents concerne, d'une part, une réunion ayant eu lieu le 22 mars 1993 entre les deux sociétés, dans le cadre de laquelle le représentant de SNV a mentionné, de manière incidente, l'augmentation du prix du bitume prévue pour le 1er avril 1993, ce à quoi ExxonMobil a déclaré ne pas avoir réagi, et, d'autre part, un appel téléphonique de ce même salarié de SNV, dans la même journée, au domicile du salarié d'ExxonMobil, l'informant à nouveau de sa volonté d'augmenter les prix au 1er avril 1993, afin de " faire sauter le système des prix du CROW ", et auquel ce salarié a réagi en lui indiquant de cesser de lui transmettre des informations liées à des pratiques anticoncurrentielles.

178 Si ces deux éléments permettent de considérer qu'un salarié de SNV a fait référence à des pratiques anticoncurrentielles relatives à une augmentation concertée du prix du bitume en 1993, il convient cependant de souligner qu'il existe un doute quant à la question de savoir s'ils visent l'entente en cause dans la décision attaquée. En effet, il semble que les propositions effectuées par SNV aient visé à faire éclater le mécanisme de fixation des prix du CROW, alors même que, selon la décision attaquée, les membres du W5 avaient un intérêt fort au maintien de ce mécanisme (considérant 26 de la décision attaquée). Il faut, en outre, rappeler que la Commission a finalement estimé, dans la décision attaquée, qu'ExxonMobil n'avait pas participé à l'entente en cause.

179 La seconde série de documents concerne l'année 1994. Une note du 28 mars 1994 rapporte un appel d'un salarié de SNV se présentant comme étant chargé des questions relatives au bitume et proposant à ExxonMobil d'organiser une réunion afin de traiter, notamment, de la " stratégie clients communs ". Une autre note du 11 avril 2004 fait référence à une réunion du 8 avril 1994 avec ce même salarié " dans le cadre d'une réunion Nabit " (Nabit correspondant au nom de l'organisation professionnelle des entreprises de bitume aux Pays-Bas), au cours de laquelle ExxonMobil lui a demandé de renoncer à aborder certains sujets " interdits tant par les politiques d'Esso que celles de Shell ". Il en résulte que ces documents, dont le contenu est assez vague, ne permettent pas de déterminer si SNV faisait référence à l'entente en cause.

180 S'il n'est pas cohérent d'interpréter ces documents comme se situant dans le contexte d'échanges bilatéraux habituels et légaux entre deux sociétés, comme le suggèrent les requérantes, force est cependant de constater que ces quatre documents sont relativement vagues et ne désignent pas nécessairement l'entente en cause. La Commission a d'ailleurs elle-même choisi de ne pas mentionner les deux documents de 1994 dans la décision attaquée, alors qu'elle avait fait mention de cet incident survenu en 1994 dans la communication des griefs (point 204).

181 Il s'ensuit que les éléments de preuve fournis par la Commission ne permettent pas de conclure de manière certaine que SNV a joué un rôle d'incitateur, notamment à l'égard d'ExxonMobil, dans le cadre de l'établissement de l'entente en cause.

- Conclusion relative au rôle d'incitateur

182 Dans ces conditions, force est de conclure que l'appréciation de la Commission figurant dans la décision attaquée, selon laquelle SNV a joué un rôle d'incitateur dans l'infraction en cause, est insuffisamment étayée.

183 La Commission n'ayant présenté devant le Tribunal, en vue de prouver le rôle d'incitateur de SNV dans l'infraction en cause, aucun élément supplémentaire eu égard aux circonstances indiquées au considérant 342 de la décision attaquée, l'examen du Tribunal se concentrera sur le rôle de meneur joué par SNV dans cette même infraction.

Sur le rôle de meneur de SNV

Arguments des parties

184 Les requérantes considèrent que, en attribuant à SNV le rôle de meneur de l'entente, la Commission a commis des erreurs de droit et de fait qui justifient l'annulation, en tout ou en partie, de la majoration de 50 % du montant de l'amende qui leur a été infligée. Selon la jurisprudence, afin d'établir qu'une entreprise a joué le rôle de meneur, la Commission doit prouver que celle-ci a entrepris des actions concrètes donnant une impulsion majeure à la mise en œuvre de l'accord collusoire, se distinguant ainsi clairement des autres participants à l'accord (arrêt BASF/Commission, point 140 supra, point 348), ce qu'elle n'aurait pas été en mesure de faire, la concernant.

185 En l'espèce, la Commission s'est fondée sur les éléments relatifs à cinq comportements de SNV pour considérer qu'elle était un meneur de l'entente : le rôle joué par elle, lors des premières années de l'entente, en 1994 et en 1995, dans les négociations avec les membres du W5 au nom des fournisseurs ; à partir de 1996, lorsque les réunions de concertation sur le bitume ont débuté, le fait qu'elle prenait l'initiative d'annoncer à KWS, de manière bilatérale, les augmentations de prix envisagées, puis qu'elles évaluaient ensemble l'opportunité d'organiser une réunion entre les fournisseurs et les grands constructeurs ; son rôle prépondérant lors des réunions préparatoires entre les fournisseurs ; son rôle majeur en tant que porte-parole des fournisseurs lors des réunions de concertation avec les grands constructeurs et, enfin, sa mission de contrôle du respect des accords.

- Sur le rôle joué par SNV en 1994 et en 1995 dans les négociations avec KWS au nom des fournisseurs

186 Les requérantes estiment, tout d'abord, que la Commission a commis des erreurs de fait et de droit en considérant que SNV avait joué le rôle de meneur de l'entente sur le fondement des deux notes internes de HBG des 28 mars et 8 juillet 1994. Elles estiment ainsi que ces deux notes ne peuvent faire référence qu'à des contacts purement bilatéraux entre SNV et KWS. De plus, celles-ci ne permettraient pas de conclure à l'existence d'accords entre les grands constructeurs et les fournisseurs par l'entremise de SNV et de KWS, car elles n'établiraient que le seul fait qu'un prix spécifique avait été proposé à HBG ; elles n'auraient pas été rédigées par un témoin direct des négociations, mais par le directeur des appels d'offres de HBG, et elles n'auraient pas été corroborées par d'autres éléments, puis auraient été contredites par la déclaration sous serment effectuée par le directeur des ventes de bitume de SNV le 22 novembre 2006. La Commission aurait donc dû établir l'existence d'un accord de prix horizontal entre les fournisseurs entérinant les conditions arrêtées bilatéralement par SNV et KWS. Enfin, cette théorie de l'existence de négociations entre les grands constructeurs et les fournisseurs, représentés respectivement par KWS et SNV en 1994 et en 1995, n'apparaîtrait pas dans la communication des griefs.

187 La Commission considère, en revanche, que ces deux notes de HBG font référence de manière univoque à l'existence d'un accord conclu entre les fournisseurs et le W5 et établissent que SNV était chargée de représenter les fournisseurs, en mentionnant notamment que ces derniers avaient l'intention de s'écarter de l'accord conclu avec les grands constructeurs en augmentant leurs prix. Elle précise également que l'auteur de ces notes était le salarié de HGB chargé des achats de bitume, qui travaillait en coopération étroite avec le salarié participant aux réunions de concertation sur le bitume, et que, en tout état de cause, le juge de l'Union considère qu'il est sans importance pour la valeur probante d'un document que celui-ci ait été rédigé au moment des faits par une personne n'étant pas présente à une réunion (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T-11-89, Rec. p. II-757, point 86). Ces preuves documentaires contemporaines ne sauraient être remises en cause par une déclaration postérieure d'un salarié de SNV. La Commission estime, en outre, que, contrairement à ce qu'affirment les requérantes, l'établissement d'un rôle de meneur ne dépend pas du fait que l'attitude du meneur lie automatiquement les autres membres de l'entente, mais de l'existence d'un rôle suffisamment actif de l'entreprise dans l'entente. Enfin, la théorie de l'existence de ces négociations entre SNV et KWS, au nom de leur groupe respectif, figurerait à plusieurs reprises dans la communication des griefs et les requérantes y auraient d'ailleurs répondu le 20 mai 2005.

- Sur le fait que, à partir de 1996, SNV décidait de manière préalable avec KWS de l'opportunité d'organiser une réunion entre les fournisseurs et le W5

188 Les requérantes considèrent que la Commission a commis des erreurs de fait en estimant que les contacts bilatéraux entre SNV et KWS, mis en place à partir de 1996, constituaient une indication du rôle de meneur que SNV aurait joué dans l'entente. En effet, ces réunions se seraient tenues dans un contexte d'instabilité du cours du pétrole et du taux de change du dollar, le W5 souhaitant renégocier le prix du bitume avec ses fournisseurs à intervalles réguliers et obtenir l'assurance d'une certaine stabilité des prix, en évitant des diminutions importantes et en veillant à ce que les augmentations s'effectuent de manière collective, ce qui permettait de déclencher le mécanisme de prix mis en place par le gouvernement néerlandais pour les marchés publics, qui avait pour objet de reporter les fluctuations des prix sur le maître d'ouvrage. Elles affirment donc qu'il s'agissait de contacts normaux entre un fournisseur et un client et que les réunions relatives au bitume relevaient de la seule initiative de KWS. Ainsi, les contacts entre les salariés de SNV et le secrétariat de KWS n'auraient eu lieu que lorsque KWS convoquait une telle réunion. Enfin, elles soulignent que les déclarations de Kuwait Petroleum, sur lesquelles s'est fondée la Commission pour affirmer que ces contacts bilatéraux attestaient de son rôle de meneur de l'entente, ne résultent que de ouï-dire. Quant à la déclaration du salarié de SNV, elle indiquerait seulement qu'il avait contacté KWS lors de fluctuations des prix des matériaux bruts composant les produits à base de bitume.

189 La Commission estime que l'entente avait un caractère bilatéral et que les requérantes omettent de préciser que les fournisseurs avaient également un intérêt à une augmentation du prix du bitume. Elle se serait fondée sur plusieurs déclarations d'entreprises, dont celle de SNV annexée à sa demande tendant au bénéfice de la communication sur la coopération, pour affirmer que Shell et KWS examinaient préalablement entre elles l'opportunité d'une réunion entre fournisseurs et grands constructeurs. Elle précise également que la déclaration de Kuwait Petroleum provient d'un participant régulier aux réunions de concertation multilatérales sur le bitume.

- Sur le rôle prépondérant de SNV lors des réunions préparatoires entre fournisseurs

190 Les requérantes estiment que la Commission ne détenait aucun élément de preuve pour affirmer que SNV avait joué un rôle prépondérant lors des réunions préparatoires entre fournisseurs. Elles estiment que plusieurs fournisseurs étaient impliqués dans l'organisation, la logistique et la direction desdites réunions. La déclaration effectuée par BP à ce sujet ne serait qu'une pure suggestion, corroborée par aucun autre élément. En revanche, d'autres déclarations de BP et de Kuwait Petroleum indiqueraient qu'il y avait non pas un seul, mais plusieurs fournisseurs qui dirigeaient et organisaient ces réunions. En tout état de cause, la seule déclaration de BP, dont elles contestent l'exactitude, ne saurait constituer une preuve suffisante selon la jurisprudence (arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Enso-Gutzeit/Commission, T-337-94, Rec. p. II-1571, point 91, et du 8 juillet 2004, JFE Engineering/Commission, T-67-00, T-68-00, T-71-00 et T-78-00, Rec. p. II-2501, point 219). En ce qui concerne le document interne de HBG du 23 avril 2001, les requérantes estiment qu'il n'est doté d'aucune force probante et que, en tout état de cause, il ne pouvait être pris en compte dans la décision attaquée sans violation de leurs droits de la défense, dès lors qu'il n'avait été qu'annexé à la communication des griefs, sans y être mentionné (arrêt Shell/Commission, point 187 supra, points 55 et 56). Enfin, rien ne permettrait de considérer que SNV a fait des comptes rendus des consultations relatives au bitume aux fournisseurs qui n'y assistaient pas et cet argument ne figurerait d'ailleurs pas dans la décision attaquée.

191 La Commission rappelle qu'elle s'est fondée sur la déclaration figurant dans la demande de BP tendant à bénéficier de la communication sur la coopération ainsi que sur une note interne de HBG d'avril 2001 pour établir que SNV ouvrait les réunions préparatoires et y dirigeait les débats. Elle n'aurait, en revanche, jamais affirmé que SNV avait joué un rôle particulier dans la convocation de ces réunions préparatoires ou dans leur organisation concrète ni remis en cause le fait que les conclusions auxquelles parvenaient les participants à ces réunions n'étaient pas imposées par SNV, mais étaient le résultat d'un compromis entre eux. Enfin, elle estime que le Tribunal peut, dans le cadre de ses pouvoirs de pleine juridiction, prendre en compte des éléments de preuve nouveaux, examinés lors de la procédure juridictionnelle (voir arrêt Tokai I, point 153 supra, point 165, et la jurisprudence citée). En tout état de cause, elle considère que SNV aurait pu déduire de la communication des griefs qu'elle pourrait utiliser la note interne de HBG qui lui était jointe en annexe comme preuve corroborant son rôle de meneur.

- Sur le rôle de porte-parole des fournisseurs de SNV lors des réunions de concertation sur le bitume

192 Les requérantes considèrent que SNV ne jouait pas un rôle de meneur lors des réunions de concertation, qui étaient dominées par les grands constructeurs, et plus particulièrement KWS. Elles soulignent, en outre, que la déclaration du salarié de Kuwait Petroleum, selon laquelle SNV était l'adversaire de KWS lors de ces réunions, n'est qu'un témoignage indirect, comme la Commission l'a reconnu dans la décision attaquée (considérant 78), qui a ainsi une force probatoire réduite et ne permet pas de conclure que SNV prenait la direction des réunions au nom des fournisseurs. SNV aurait, en réalité, seulement été interrogée par les membres du W5 pour expliquer les variations de prix des matières premières composant le bitume routier et son rôle se serait limité à celui de porte-parole des fournisseurs, distinct du rôle volontaire d'un meneur. Or, le juge de l'Union considérerait qu'un tel comportement ne saurait suffire à qualifier la société concernée de meneur de l'entente (arrêt BASF/Commission, point 140 supra, point 427). Enfin, les requérantes indiquent que la Commission a reconnu qu'aucun fournisseur de bitume en particulier n'a joué le rôle de meneur lorsqu'il s'agissait de communiquer les résultats des consultations à d'autres sociétés, mais que plusieurs sociétés se sont acquittées de cette fonction.

193 La Commission rappelle que le juge de l'Union a déjà considéré qu'une entente pouvait avoir deux chefs de file (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T-59-02, Rec. p. II-3627, points 299 à 301). En l'espèce, il ressortirait des déclarations d'un salarié de SNV, du 24 septembre 2003, et d'un salarié de Kuwait Petroleum que SNV représentait les fournisseurs absents, qu'elle introduisait généralement les réunions au nom de l'ensemble des fournisseurs et qu'elle jouait le rôle d'adversaire de KWS. La déclaration du salarié de Kuwait Petroleum serait dotée d'une valeur probatoire certaine, celui-ci ayant coopéré directement avec le salarié qui participait à toutes ces réunions et étant parfois désigné comme ayant lui-même été présent à ces réunions. Elle précise, en outre, que la circonstance selon laquelle les fournisseurs avaient un plan prédéfini entre eux avant chaque réunion est sans influence sur la qualification de meneur, le juge de l'Union n'exigeant pas, pour que l'existence d'un meneur puisse être constatée, que celui-ci dicte son comportement aux autres (arrêt BASF/Commission, point 140 supra, point 374). Par ailleurs, en ce qui concerne l'information a posteriori des fournisseurs ne participant pas directement aux réunions, la Commission estime que cette démarche ne constitue pas un élément déterminant pour la qualification de meneur dans une entente bilatérale. Enfin, elle rappelle avoir considéré que SNV avait joué un rôle de meneur à tous les stades de l'entente sur la base de plusieurs éléments, et non sur celle du simple fait que SNV introduisait les réunions et servait de porte-parole aux fournisseurs.

- Sur le contrôle de la mise en œuvre de l'entente

194 La Commission indique avoir mentionné, dans la décision attaquée, que SNV agissait également en tant que meneur dans les activités de contrôle de la mise en œuvre de l'entente, en se fondant notamment sur le document interne de HBG du 23 avril 2001 (considérant 347 de la décision attaquée), ainsi que sur une note interne de KWS (considérant 352 de la décision attaquée).

Appréciation du Tribunal

195 Il ressort de la décision attaquée que la Commission a considéré que SNV, au sein du groupe des fournisseurs, et KWS, au sein du W5, portaient une responsabilité particulière en raison de leur rôle respectif de " chef de file " de l'entente pendant toute la durée de celle-ci (considérants 343 à 349 de la décision attaquée).

- Principes généraux relatifs au rôle de meneur

196 Selon une jurisprudence bien établie, lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d'établir leurs rôles respectifs dans l'infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci (arrêts Commission/Anic Partecipazioni, point 152 supra, point 150, et Enichem Anic/Commission, point 152 supra, point 264). Il en résulte, notamment, que le rôle de " chef de file " (meneur) joué par une ou plusieurs entreprises dans le cadre d'une entente doit être pris en compte aux fins du calcul du montant de l'amende, dans la mesure où les entreprises ayant joué un tel rôle doivent, de ce fait, porter une responsabilité particulière par rapport aux autres entreprises (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C-298-98 P, Rec. p. I-10157, point 45).

197 Conformément à ces principes, le point 2 des lignes directrices pour le calcul des amendes établit, sous le titre de circonstances aggravantes, une liste non exhaustive de circonstances pouvant amener à une augmentation du montant de base de l'amende, parmi lesquelles figure le " rôle de meneur ou d'incitateur de l'infraction " (arrêt BASF/Commission, point 140 supra, points 280 à 282).

198 Pour être qualifiée de meneur d'une entente, une entreprise doit avoir représenté une force motrice significative pour l'entente ou avoir porté une responsabilité particulière et concrète dans le fonctionnement de celle-ci. Cette circonstance doit être appréciée d'un point de vue global au regard du contexte de l'espèce (arrêts du Tribunal BASF/Commission, point 140 supra, points 299, 300, 373 et 374, et du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T-410-03, Rec. p. II-881, point 423). Elle peut, notamment, être inférée de ce que l'entreprise, par des initiatives ponctuelles, a donné spontanément une impulsion fondamentale à l'entente (arrêts BASF/Commission, point 140 supra, points 348, 370 à 375 et 427, et Hoechst/Commission, précité, point 426). Elle peut également être inférée d'un ensemble d'indices révélant le dévouement de l'entreprise à assurer la stabilité et la réussite de l'entente (arrêt BASF/Commission, point 140 supra, point 351).

199 Il en va ainsi lorsque l'entreprise a participé aux réunions de l'entente au nom d'une autre entreprise qui n'y assistait pas et a communiqué les résultats desdites réunions à celle-ci (arrêt BASF/Commission, point 140 supra, point 439). Il en va de même lorsqu'il est avéré que ladite entreprise a joué un rôle central dans le fonctionnement concret de l'entente, par exemple en organisant de nombreuses réunions, en collectant et en distribuant les informations au sein de l'entente et en formulant le plus souvent des propositions relatives au fonctionnement de l'entente (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82 et 110-82, Rec. p. 3369, points 57 et 58, et arrêt BASF/Commission, point 140 supra, points 404, 439 et 461).

200 En outre, le fait de veiller activement au respect des accords conclus au sein de l'entente constitue un indice déterminant du rôle de meneur joué par une entreprise (arrêt HFB e.a./Commission, point 142 supra, point 577).

201 En revanche, le fait pour une entreprise d'exercer des pressions, voire de dicter le comportement des autres membres de l'entente, n'est pas une condition nécessaire pour que cette entreprise puisse être qualifiée de meneur de l'entente (arrêt BASF/Commission, point 140 supra, point 374). La position sur le marché d'une entreprise ou les ressources dont elle dispose ne peuvent pas davantage constituer des indices d'un rôle de meneur de l'infraction, même s'ils font partie du contexte au regard duquel de tels indices doivent être appréciés (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T-224-00, Rec. p. II-2597, point 241, et BASF/Commission, point 140 supra, point 299).

202 Il convient, enfin, de rappeler que le Tribunal a déjà estimé que la Commission pouvait considérer que plusieurs entreprises avaient joué un rôle de meneur dans une entente (arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 201 supra, point 239).

203 Il appartient, dès lors, au Tribunal d'apprécier, au regard des principes rappelés ci-dessus, si la Commission a apporté des éléments de preuve suffisants afin d'établir que SNV avait joué un rôle de meneur dans l'entente.

204 Il y a lieu de rappeler que la Commission s'est fondée sur cinq comportements de SNV pour considérer qu'elle avait été l'un des meneurs de l'entente, à savoir :

- premièrement, le rôle joué par elle en 1994 et en 1995 dans les négociations avec KWS au nom des fournisseurs ;

- deuxièmement, le fait que, à partir de 1996, elle décidait de manière préalable avec KWS de l'opportunité d'organiser une réunion entre les fournisseurs et le W5 ;

- troisièmement, son rôle prépondérant lors des réunions préparatoires entre les fournisseurs ;

- quatrièmement, son rôle majeur en tant que porte-parole des fournisseurs lors des réunions avec le W5 ;

- cinquièmement, sa mission de contrôle de la mise en œuvre de l'entente.

205 Afin d'établir la réalité de ces cinq comportements, la Commission s'est fondée sur des documents contemporains des faits saisis lors des inspections ainsi que sur des déclarations provenant des requérantes et d'autres membres de l'entente (considérants 343 à 349 de la décision attaquée).

- Sur le rôle joué par SNV en 1994 et en 1995 dans les négociations avec KWS au nom des fournisseurs

206 La Commission s'est fondée sur les deux notes internes de HBG des 28 mars et 8 juillet 1994, afin d'établir que, lors des deux premières années de l'entente, les accords avaient été conclus par le biais de contacts bilatéraux entre SNV et KWS. Ces deux notes font état d'accords de mars 1994, conclus entre KWS, au nom du W5, et SNV, au nom des sociétés pétrolières, relatifs au prix du bitume, qui devait rester inchangé jusqu'au 1er janvier 1995. Contrairement à ce qu'affirment les requérantes, il est impossible d'interpréter ces documents comme se bornant à faire état de contacts purement bilatéraux entre SNV et KWS. En effet, la première note comporte une référence à " l'accord que les sociétés pétrolières ont conclu avec le [W5] ", et la seconde fait également référence à un accord conclu en mars " avec le [W5] (M. H./KWS) et les sociétés pétrolières (M. E./SNV) ". De même, cette seconde note ne saurait indiquer que les fournisseurs proposaient des prix spécifiques à HBG, mais démontre uniquement que les sociétés pétrolières avaient pris, en juillet 1994, le risque de s'écarter des accords conclus avec le W5 en mars 1994 en augmentant leurs prix. Enfin, les documents joints par les requérantes à la réplique, qui visent à montrer que KWS avait demandé, en 1987 et en 1988, à la société Smid et Hollander de s'aligner sur les prix et remises conclus entre KWS et SNV, n'ont pas de caractère probant, dès lors qu'ils concernent une période très antérieure à celle de l'infraction.

207 Les requérantes contestent, en outre, la force probante de ces deux notes en indiquant qu'elles ont été rédigées par le directeur des appels d'offres de HBG, lequel, n'ayant jamais participé à une négociation sur le bitume, n'était qu'un témoin indirect des événements relatés. Le juge de l'Union estime cependant que le fait que des informations soient rapportées au second degré est sans influence sur leur valeur probatoire (arrêt Shell/Commission, point 187 supra, point 86) et que, selon les règles générales applicables en matière de preuve, il convient d'accorder une grande importance au fait que des documents ont été établis en liaison immédiate avec les réunions concernées et manifestement sans qu'il puisse être pensé qu'ils pourraient être portés à la connaissance de tiers non concernés (conclusions du juge M. Vesterdorf faisant fonction d'avocat général sous l'arrêt Rhône-Poulenc/Commission, point 161 supra). En l'espèce, ce salarié était chargé de l'achat de bitume pour HBG et travaillait en coopération étroite avec le salarié qui participait directement aux concertations avec le W5, puis aux réunions de l'entente. Dès lors, il convient de considérer que les notes rédigées par le directeur des appels d'offres de HBG au moment des faits sont dotées d'une force probante significative. Il en découle que la Commission a pu se fonder à juste titre sur ces notes, sans qu'il lui ait été nécessaire d'apporter d'autres éléments permettant de corroborer leur contenu, dont la valeur probante ne saurait être remise en cause par la seule déclaration du directeur des ventes de bitume de SNV du 22 novembre 2006. En effet, il convient de rappeler que cette déclaration a été établie postérieurement à l'adoption de la décision attaquée et que son auteur était, au moment où elle a été effectuée, salarié des requérantes.

208 Les requérantes soutiennent, par ailleurs, que la Commission n'a pas exposé sa théorie de l'existence de négociations entre KWS et SNV au nom de leur groupe respectif dans la communication des griefs. Cependant, cet argument manque en fait. En effet, il ressort des points 111, 139 et 201 de la communication des griefs que la Commission avait déjà informé les entreprises de cette analyse.

209 Il résulte de ce qui précède que la Commission a pu considérer à bon droit que, en 1994 et en 1995, les accords avaient été conclus par le biais de contacts bilatéraux entre SNV et KWS.

210 Si SNV a ainsi joué un rôle particulier dans le fonctionnement de l'entente pendant ces deux premières années, il y a cependant lieu d'examiner, afin d'établir son rôle de meneur, les autres éléments utilisés par la Commission et qui se rapportent à l'ensemble de la période infractionnelle.

- Sur le fait que, à partir de 1996, SNV décidait de manière préalable avec KWS de l'opportunité d'organiser une réunion entre les fournisseurs et le W5

211 La Commission s'est fondée sur quatre documents afin d'établir que, à partir de 1996, lorsque les réunions de concertation multilatérales sur le bitume ont débuté, SNV prenait l'initiative d'annoncer à KWS de manière bilatérale les augmentations de prix envisagées, puis qu'elles évaluaient ensemble l'opportunité d'organiser une réunion entre les fournisseurs et les grands constructeurs (considérants 344 et 345 de la décision attaquée).

212 Il s'agit, premièrement, de la réponse des requérantes à la communication des griefs du 20 mai 2005, dans laquelle celles-ci ont reconnu que SNV avait souvent été la première à prendre contact avec KWS pour solliciter une hausse des prix, en raison de sa position de plus important fournisseur de bitume sur le marché néerlandais. Il y a cependant lieu de constater que ce document ne permet que de constater que SNV prenait contact avec KWS afin de solliciter une hausse de prix, mais qu'il ne fournit pas d'indication sur son rôle dans la décision de convocation des réunions de l'entente.

213 De même, s'agissant, deuxièmement, de la déclaration du salarié de SNV du 24 septembre 2003, jointe à la demande des requérantes du 10 octobre 2003, tendant à bénéficier de la communication sur la coopération, celle-ci indique que " des sociétés de construction routière ont demandé au directeur des ventes de bitume [de SNV] de signaler à KWS les modifications des prix des matières premières en amont, ce qui, dans un certain nombre de cas, a amené KWS à inviter les sociétés concernées à une réunion ". Elle ne permet cependant pas d'établir que SNV et KWS évaluaient ensemble l'opportunité d'organiser une réunion de l'entente.

214 En ce qui concerne, troisièmement, la déclaration de Kuwait Petroleum du 1er octobre 2003, selon laquelle, " généralement, [un salarié de SNV] et [un salarié de KWS] se rencontraient lors d'une réunion préparatoire pour déterminer si une réunion sur le bitume était suffisamment justifiée ", il y a lieu d'indiquer que, Kuwait Petroleum ayant pu avoir intérêt à minimiser son propre rôle dans le fonctionnement de l'entente, cette déclaration ne peut être prise en compte pour accréditer la thèse du rôle de meneur de SNV qu'à la condition qu'elle soit corroborée par d'autres documents.

215 Enfin, quatrièmement, la note du 1er octobre 2002 saisie lors des inspections chez KWS et relative aux activités du secrétariat de direction, selon laquelle " une réunion avait parfois lieu, dans cette composition, avec les fournisseurs de bitume " et " [SNV] en pren[ait] l'initiative ", ne permet pas non plus de conclure que SNV et KWS évaluaient ensemble l'opportunité d'organiser une réunion de l'entente.

216 Les requérantes soutiennent que ce sont les grands constructeurs qui transformaient ces réunions bilatérales en négociations collectives et que KWS jouait un rôle prépondérant dans la décision de les organiser. Ainsi, elles estiment que les contacts entre les salariés de SNV et le secrétariat de KWS avaient lieu seulement lorsque KWS avait décidé de convoquer une telle consultation. Il est vrai que, à l'exception de la déclaration de Kuwait Petroleum mentionnée au point 214 ci-dessus, les éléments de preuve utilisés par la Commission ne permettent que de constater que SNV prenait, la première, contact avec KWS afin de solliciter des hausses de prix, mais ils n'indiquent pas si KWS décidait seule de l'organisation des réunions de l'entente ou si elle y procédait conjointement avec SNV. Dès lors, en dépit du caractère bilatéral de l'entente (voir point 164 ci-dessus) et du fait que les fournisseurs avaient également un intérêt à une augmentation du prix du bitume, il y a lieu de considérer que les éléments de preuve utilisés par la Commission ne suffisent pas, à eux seuls, à établir que SNV était à l'origine de la tenue des réunions de l'entente.

217 Il convient, dès lors, afin d'apprécier le rôle de meneur de SNV dans l'entente, d'examiner les autres éléments de preuve utilisés par la Commission.

- Sur le rôle prépondérant de SNV lors des réunions préparatoires entre fournisseurs

218 La Commission a estimé, dans la décision attaquée, que SNV lançait et dirigeait les débats lors des réunions préparatoires entre fournisseurs, en invoquant deux éléments de preuve à cet égard. Comme le souligne la Commission, elle n'a cependant jamais affirmé que SNV avait joué un rôle particulier dans la convocation et l'organisation de ces réunions, ni qu'elle y imposait ses conclusions.

219 La décision attaquée est ainsi fondée sur les déclarations de BP du 12 juillet 2002, selon lesquelles SNV introduisait la réunion et dirigeait les débats, et sur le document interne de HBG du 23 avril 2001, faisant référence à SNV comme étant le " meneur ". Les requérantes qualifient la déclaration de BP de pure hypothèse, laquelle ne serait corroborée par aucun autre élément et ne saurait constituer une preuve suffisante du rôle de meneur. Par ailleurs, elles considèrent que, la Commission n'ayant pas mentionné le document de HBG dans la communication des griefs et l'ayant simplement joint en annexe, celui-ci ne saurait être considéré comme un élément de preuve valable sans violer leurs droits de la défense.

220 En premier lieu, en ce qui concerne le document de HBG du 23 avril 2001, il y a lieu de rappeler que le Tribunal, dans l'exercice de son pouvoir de pleine juridiction reconnu par l'article 261 TFUE et l'article 31 du règlement n° 1-2003, est compétent pour apprécier le caractère approprié du montant des amendes, en se fondant notamment sur des éléments complémentaires d'information, qui ne sont pas mentionnés dans la communication des griefs ou dans la décision de la Commission (arrêt SCA Holding/Commission, point 176 supra, point 55 ; arrêt Tokai I, point 153 supra, point 165, et, pour une application relative au rôle de meneur, arrêt BASF/Commission, point 140 supra, point 354).

221 Ce document constitue un échange de courriers électroniques internes à HBG, dans lequel un participant régulier aux réunions de concertation sur le bitume, répondant à l'un de ses collègues qui lui avait signalé un problème de fixation de remises pour le bitume dans le nord du pays, lui suggérait de soulever le problème lors de la prochaine réunion de l'entente et indiquait qu'il serait opportun de prendre rendez-vous, à cet égard, avec M. E, salarié de SNV, qualifié de " meneur ".

222 Or, premièrement, il ressort du dossier que HBG elle-même, grand constructeur et auteur du document en cause, a considéré, dans sa réponse du 23 septembre 2003 à une demande d'informations de la Commission, que sa qualification du salarié de SNV comme " meneur " ne faisait référence qu'à la position de numéro un de SNV sur le marché. Deuxièmement, si ce document peut constituer un élément de preuve relatif au rôle de SNV dans le contrôle de la mise en œuvre de l'entente, il n'apparaît cependant pas pertinent pour apprécier le rôle de SNV lors des réunions préparatoires entre fournisseurs.

223 En second lieu, il convient de procéder à l'examen de l'autre élément de preuve invoqué par la Commission afin d'établir le rôle de SNV lors des réunions préparatoires entre fournisseurs.

224 Il ressort de la déclaration de BP du 12 juillet 2002 que, en réponse à la question de savoir qui effectuait des propositions de prix et qui dirigeait les réunions préparatoires entre fournisseurs, le salarié de BP qui avait assisté à ces réunions avait désigné, à plusieurs reprises, M. E., salarié de SNV. S'agissant d'une déclaration d'un autre fournisseur qui aurait pu avoir intérêt à minimiser son propre rôle dans le fonctionnement de l'entente, il y a lieu de considérer que cet élément ne peut être pris en compte pour accréditer la thèse du rôle de meneur de SNV qu'à la condition qu'il soit corroboré par d'autres documents. Or, s'il ressort de la décision attaquée que la Commission s'est fondée sur d'autres éléments de preuve pour imputer à SNV le rôle de meneur de l'entente (point 204 ci-dessus), il résulte cependant de ce qui précède que la Commission n'a pas fourni d'autre élément probant permettant d'établir le rôle particulier joué par SNV lors des réunions préparatoires de l'entente.

225 Il convient dès lors, afin d'apprécier le rôle de meneur de SNV dans l'entente, d'examiner les autres éléments de preuve utilisés par la Commission.

- Sur le rôle de porte-parole des fournisseurs de SNV lors des réunions de concertation sur le bitume

226 À titre préalable, il y a lieu de signaler que la Commission a confirmé, dans le mémoire en défense, qu'elle n'avait pas retenu la circonstance selon laquelle SNV avait pour habitude, comme d'autres entreprises, d'informer les fournisseurs absents aux réunions comme une indication de son rôle de meneur.

227 En revanche, la Commission a estimé, en se fondant sur les déclarations de Kuwait Petroleum des 1er et 9 octobre 2003, que SNV " faisait les introductions pour les fournisseurs et jouait le rôle d'opposant [à KWS] " et assurait " ainsi le rôle de chef de file au sein du groupe des fournisseurs " (considérant 347 de la décision attaquée).

228 Il y a cependant lieu de rappeler que les déclarations d'un autre fournisseur qui aurait pu avoir intérêt à minimiser son propre rôle dans le fonctionnement de l'entente ne peuvent être prises en compte, pour accréditer la thèse du rôle de meneur de SNV, qu'à la condition qu'elles soient corroborées par d'autres documents. Or, s'il ressort de la décision attaquée que la Commission s'est fondée sur d'autres éléments de preuve pour imputer à SNV le rôle de meneur de l'entente (point 204 ci-dessus), il ressort cependant de ce qui précède que la Commission n'a pas fourni d'autre élément probant permettant d'établir le rôle particulier joué par SNV lors des réunions de concertation sur le bitume.

229 Il convient dès lors, afin d'apprécier le rôle de meneur de SNV dans l'entente, d'examiner les autres éléments de preuve utilisés par la Commission.

- Sur le contrôle de la mise en œuvre de l'entente

230 La Commission rappelle avoir mentionné, dans la décision attaquée (considérants 347 et 352), que SNV agissait également en tant que meneur dans les activités de contrôle de la mise en œuvre de l'entente, le juge de l'Union considérant que le fait de veiller activement au respect des accords conclus au sein de l'entente constituait un indice déterminant du rôle de meneur joué par une entreprise (arrêt HFB e.a./Commission, point 142 supra, point 577).

231 Elle s'est appuyée pour cela, d'une part, sur le document interne de HBG du 23 avril 2001 (points 221 et 222 ci-dessus), relatif à un problème de fixation de remises par certains fournisseurs, dans lequel était évoquée l'utilité de s'adresser à SNV afin de régler ce problème, et, d'autre part, sur une note interne de KWS (considérant 352 de la décision attaquée), indiquant que certains fournisseurs n'avaient pas respecté les remises prévues et que SNV avait réagi en parlant de " punition justifiée envers les fournisseurs qui franchissaient les bornes ".

232 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que ce document interne de HBG peut être pris en compte par le Tribunal dans l'exercice de son pouvoir de pleine juridiction (voir point 220 ci-dessus).

233 Le Tribunal estime cependant que, si ces deux documents permettent de constater que SNV constituait un membre actif de l'entente, ils ne sauraient suffire à établir que celle-ci a effectivement veillé au respect des accords conclus au sein de l'entente, ou qu'elle l'aurait fait de manière particulièrement active.

- Conclusion relative au rôle de meneur de SNV

234 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que, si SNV a occupé un rôle particulier lors des deux premières années de fonctionnement de l'entente, les éléments de preuve fournis par la Commission ne permettent cependant pas de conclure de manière certaine qu'elle a joué un rôle de meneur à partir du moment où l'entente a fonctionné de manière multilatérale.

235 Dans ces conditions, force est de conclure, dans les circonstances particulières de l'espèce, que l'appréciation de la Commission figurant dans la décision attaquée, selon laquelle SNV a joué un rôle de meneur dans l'infraction en cause, est insuffisamment étayée.

236 La Commission n'ayant présenté devant le Tribunal, en vue de prouver le rôle de meneur de SNV dans l'infraction en cause, aucun élément supplémentaire eu égard aux circonstances indiquées aux considérants 343 à 348 de la décision attaquée, il y a lieu de conclure que les éléments du dossier ne permettent pas de qualifier SNV de meneur.

237 Il s'ensuit que la majoration du montant de base de l'amende infligée aux requérantes doit être supprimée tant en ce qui concerne le rôle d'incitateur (voir point 182 ci-dessus) que de meneur (voir points 233 et 234 ci-dessus) de SNV. Les conséquences qu'il convient d'en tirer pour la détermination du montant de l'amende seront examinées aux points 277 et suivants ci-après.

Sur la récidive

Arguments des parties

238 Les requérantes estiment que la Commission a commis une erreur de droit et qu'elle a insuffisamment motivé sa décision en augmentant le montant de son amende de 50 % pour récidive, au motif que l'entreprise Shell, par l'intermédiaire de sa filiale Shell International Chemicals Co. Ltd (ci-après " SICC "), avait fait l'objet des décisions Polypropylène et PVC II (considérants 336 à 338 de la décision attaquée).

239 Elles rappellent que le juge de l'Union a fixé, en matière de récidive, un critère selon lequel les sociétés impliquées dans les différentes infractions doivent appartenir à la même société mère, qui a effectivement exercé une influence déterminante sur le comportement infractionnel de ses filiales (arrêt Michelin/Commission, point 38 supra, point 290). Une augmentation du montant de l'amende pour récidive ne pourrait, dès lors, être imposée que dans le cas où les différentes infractions auraient pu être imputées à la même société mère. Or, en l'espèce, les deux infractions antérieures auraient été imputées à SICC, qui est détenue à 100 % par SPCo, société holding différente de SPNV, qui détient SNV. En revanche, elles font valoir que la Commission avait exclu de les imputer aux sociétés mères STT plc (devenue STT) et KNPM. Il ne serait ainsi, en l'espèce, pas satisfait au critère posé par l'arrêt Michelin/Commission, point 38 supra.

240 En outre, la décision attaquée ne fournirait aucune explication relative, d'une part, à la circonstance selon laquelle les infractions ayant fait l'objet des décisions Polypropylène et PVC II auraient pu être imputées à STT (anciennement STT plc) et, d'autre part, au fait que cette dernière avait effectivement exercé une influence déterminante sur le comportement infractionnel de SICC, filiale ayant commis les infractions ayant fait l'objet desdites décisions.

241 À titre subsidiaire, elles estiment que la majoration de 50 % pour récidive est disproportionnée, compte tenu du fait qu'aucun dirigeant de haut niveau n'a été impliqué dans cette entente, que le salarié de SNV ayant participé à cette entente n'avait pas participé aux deux ententes précédentes et que le montant de l'amende ainsi infligée serait très supérieur aux bénéfices annuels des ventes de bitume de SNV aux Pays-Bas.

242 Lors de l'audience du 26 janvier 2012, les requérantes ont, en outre, indiqué que la Commission avait méconnu leurs droits de la défense en ne leur ayant pas fourni l'opportunité de renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de STT plc (devenue STT) et de KNPM sur leurs filiales sanctionnées pour les deux infractions précédentes.

243 La Commission rejette les arguments des requérantes. Elle a, en outre, précisé, lors de l'audience du 26 janvier 2012, que le Tribunal avait confirmé, le 13 juillet 2011, sa décision du 29 novembre 2006 imposant une majoration pour récidive d'une amende infligée à SPNV et à deux autres sociétés du groupe Shell, au motif que l'entreprise Shell avait fait l'objet des décisions Polypropylène et PVC II (arrêt du Tribunal du 13 juillet 2011, Shell Petroleum e.a./Commission, T-38-07, non encore publié au Recueil).

Appréciation du Tribunal

244 La Commission a indiqué, aux considérants 336 à 338 de la décision attaquée, qu'il convenait d'infliger à Shell une majoration de 50 % du montant de l'amende pour récidive, celle-ci ayant déjà fait l'objet des décisions Polypropylène et PVC II.

245 Il convient de rappeler que l'analyse de la gravité d'une infraction doit tenir compte d'une éventuelle récidive (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 36 supra, point 91). En effet, dans une optique de dissuasion, la récidive constitue une circonstance qui justifie une augmentation considérable du montant de base de l'amende, dès lors qu'elle constitue la preuve de ce que la sanction antérieurement imposée n'a pas été suffisamment dissuasive (arrêt Michelin/Commission, point 38 supra, point 293).

246 Conformément à ces principes, le point 2 des lignes directrices pour le calcul des amendes établit, sous le titre de circonstances aggravantes, une liste non exhaustive de circonstances pouvant amener à une augmentation du montant de base de l'amende, parmi lesquelles figure " la récidive de la même ou des mêmes entreprises pour une infraction de même type ".

247 La notion de récidive doit s'entendre comme visant les cas où une même entreprise, après avoir été sanctionnée pour une infraction, en commet une nouvelle similaire (arrêt Michelin/Commission, point 38 supra, point 284).

248 Selon la jurisprudence, dès lors que le droit de la concurrence de l'Union reconnaît que différentes sociétés appartenant à un même groupe constituent une entité économique, et donc une entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE si les sociétés concernées ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché, avec la conséquence que la Commission peut imposer une amende à la société mère pour des pratiques de sociétés du groupe, la Commission peut considérer à bon droit être en présence d'une situation de récidive lorsque l'une des filiales de la société mère commet une infraction du même type que celle pour laquelle avait été préalablement sanctionnée une autre filiale (arrêt Michelin/Commission, point 38 supra, point 290).

249 Les requérantes estiment, en premier lieu, que les conditions fixées par la jurisprudence issue de l'arrêt Michelin/Commission, point 38 supra, ne seraient pas remplies en l'espèce, dès lors que la société mère, à laquelle les infractions ayant fait l'objet des décisions Polypropylène et PVC II avaient été imputées, ne serait pas la même que celle impliquée dans l'infraction commise par SNV. Elles signalent ainsi que, dans les deux anciennes affaires, la responsabilité de l'infraction a été imputée à SICC, qui appartenait en totalité à STT plc et à KNPM, alors que la présente infraction ne pourrait être imputée ni à STT (anciennement STT plc) ni à KNPM, qui n'existe plus.

250 Il convient de constater que SICC, visée par les décisions Polypropylène et PVC II, et SNV, visée par la décision attaquée, sont des filiales détenues indirectement à 100 % par les mêmes sociétés mères, à savoir STT (anciennement STT plc) et KNPM.

251 Comme le Tribunal l'a rappelé aux points 36 et 37 ci-dessus, le droit de la concurrence de l'Union vise les activités des entreprises, la notion d'entreprise au sens de l'article 81 CE et des lignes directrices pour le calcul des amendes devant être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 55). Le comportement anticoncurrentiel d'une entreprise peut être imputé à une autre lorsqu'elle n'a pas déterminé son comportement sur le marché de manière autonome, mais a appliqué pour l'essentiel les directives émises par cette dernière, eu égard en particulier aux liens économiques et juridiques qui les unissaient (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 58).

252 Par ailleurs, le juge de l'Union estime que, dès lors que la Commission dispose de la faculté, mais non de l'obligation, d'imputer la responsabilité de l'infraction à une société mère (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C-125-07 P, C-133-07 P, C-135-07 P et C-137-07 P, Rec. p. I-8681, point 82, et arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T-259-02 à T-264-02 et T-271-02, Rec. p. II-5169, point 331), le seul fait que la Commission n'ait pas procédé à une telle imputation dans une décision antérieure n'implique pas qu'elle soit obligée de porter la même appréciation dans une décision ultérieure (arrêts du Tribunal PVC II, point 52 supra, point 990 ; du 17 mai 2011, Elf Aquitaine/Commission, T-299-08, non encore publié au Recueil, point 60, et Arkema France/Commission, T-343-08, non encore publié au Recueil, point 100).

253 Par conséquent, en l'espèce, la circonstance selon laquelle, dans les affaires susmentionnées, la Commission avait choisi d'imputer l'infraction à SICC, filiale à 100 % de SPCo, elle-même détenue intégralement par STT plc (devenue STT) et KNPM, plutôt qu'à ces dernières est sans influence sur la possibilité de faire application de la jurisprudence relative à la récidive.

254 Il convient, en outre, de rappeler qu'il ressort des points 35 à 52 ci-dessus que c'est à bon droit que la Commission a imputé l'infraction, en l'espèce, à STT (anciennement STT plc).

255 En ce qui concerne l'argument relatif à la disparition de KNPM, le Tribunal rappelle qu'il convient d'éviter que des entreprises puissent échapper à des sanctions par le simple fait que leur identité ait été modifiée par suite de restructurations, de cessions ou d'autres changements juridiques ou organisationnels, afin de ne pas compromettre l'objectif de réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence et d'en prévenir le renouvellement au moyen de sanctions dissuasives (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41-69, Rec. p. 661, point 173 ; du 29 juin 2006, Showa Denko/Commission, C-289-04 P, Rec. p. I-5859, point 61 ; du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C-76-06 P, Rec. p. I-4405, point 22, et ETI e.a., point 44 supra, point 41). Dès lors, cette disparition ne saurait avoir de conséquence quant à la possibilité de faire application de la récidive à l'entreprise ayant continué à exister.

256 Au regard de ce qui précède, il convient de conclure que c'est à tort que les requérantes ont estimé que les conditions fixées par la jurisprudence issue de l'arrêt Michelin/Commission, point 38 supra, n'étaient pas remplies. La Commission n'a donc pas commis d'erreur de droit en considérant les requérantes comme récidivistes.

257 Les requérantes estiment, en deuxième lieu, à titre subsidiaire, qu'il appartenait à la Commission, au titre de son obligation de motivation, de fournir, dans la décision attaquée, les éléments permettant d'établir que les infractions ayant fait l'objet des décisions Polypropylène et PVC II auraient pu être imputées à STT (anciennement STT plc) et que cette dernière avait effectivement exercé une influence déterminante sur le comportement infractionnel de SICC, filiale ayant commis les infractions ayant fait l'objet desdites décisions.

258 À cet égard, il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l'article 253 CE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle, et que l'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir la jurisprudence citée aux points 108 à 111 ci-dessus).

259 Il convient, en outre, de rappeler que l'obligation de motivation concernant le calcul d'une amende infligée pour violation des règles de concurrence revêt une importance toute particulière (arrêt Chalkor/Commission, point 109 supra, point 61). Ainsi, lorsque la Commission entend invoquer la notion d'" entreprise ", au sens de l'article 81 CE, aux fins de l'application de la circonstance aggravante liée à la récidive, elle doit apporter des éléments circonstanciés et précis qui viennent au soutien de son assertion.

260 En l'espèce, dans la communication des griefs, la Commission avait indiqué qu'elle qualifierait de circonstance aggravante le fait que des infractions similaires aient été antérieurement constatées à l'égard des mêmes entreprises (considérant 336 de la décision attaquée). Dans leur réponse à la communication des griefs, les requérantes s'étaient bornées à faire valoir que les entités juridiques destinataires des décisions précédentes de la Commission n'avaient aucun lien avec l'activité relative au bitume routier exercée aux Pays-Bas.

261 Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que l'entreprise Shell, par l'intermédiaire de sa filiale SICC, avait déjà fait l'objet des décisions d'interdiction antérieures Polypropylène et PVC II (considérants 336 à 338 de la décision attaquée). Elle a, en outre, expressément indiqué qu'il s'agissait d'examiner si la même entreprise avait commis ces différentes infractions, que les entités juridiques faisant partie de l'entreprise, les produits et le personnel ne devaient pas nécessairement être les mêmes pour toutes ces décisions et que, en l'espèce, elle avait établi, au chapitre consacré à la responsabilité, que les entités juridiques de Shell qui avaient participé à l'infraction en cause faisaient partie de la même entreprise que celle qui avait participé aux infractions antérieures (considérant 337 de la décision attaquée).

262 En effet, la Commission a notamment souligné, au considérant 213 de la décision attaquée, que la décision PVC II et l'arrêt PVC II, point 52 supra (point 312), relatif à cette décision avaient clairement établi que SICC faisait partie de l'entreprise unique Shell qui avait commis l'infraction, même si, à l'époque, la Commission avait choisi de ne pas adresser la décision aux sociétés mères du groupe. Elle a, de même, précisé que, dans l'affaire Polypropylène, la sanction infligée à SICC s'appliquait à la totalité du groupe Shell (considérant 196 de la décision attaquée). Elle a, en outre, indiqué que, en l'espèce, contrairement aux deux affaires précédentes, elle n'avait pas été en mesure de déterminer, pour la totalité de la durée de l'infraction, une entité juridique unique qui aurait joué un rôle de coordination et de planification stratégique au sein du groupe à un niveau inférieur à celui des deux sociétés mères. Il convient également de souligner que, dans la décision PVC II (considérants 44 et 46), la Commission avait précisé que, " dans le cas de groupes industriels importants, il [était] normal de rendre destinataire de la décision la holding ou le 'siège', bien que l'entreprise elle-même [ait été] constituée par l'unité formée par la société mère et toutes ses filiales ", mais que, compte tenu de la structure bicéphale particulière de Shell et du fait qu'il n'y avait pas de siège unique auquel la décision puisse être adressée, elle avait choisi d'adresser sa décision à SICC.

263 En ce qui concerne le grief formulé par les requérantes tiré de ce que la Commission n'aurait pas fourni d'éléments permettant d'établir que STT (anciennement STT plc) avait effectivement exercé une influence déterminante sur le comportement infractionnel de SICC, filiale ayant commis les infractions ayant fait l'objet des décisions Polypropylène et PVC II, il y a lieu de rappeler, conformément aux principes exposés aux points 36 à 52 ci-dessus, qu'il n'appartenait pas à la Commission d'indiquer de tels éléments, dès lors que SICC, au moment où les infractions ont été commises, appartenait conjointement à STT plc (devenue STT) et à KNPM à 100 % et que cette circonstance n'a jamais été contestée par les requérantes.

264 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la motivation exposée par la Commission est suffisamment circonstanciée et précise au regard des exigences posées par la jurisprudence, dès lors qu'elle permettait aux requérantes de connaître les justifications de la mesure prise et qu'elle est suffisante pour que le Tribunal exerce son contrôle. Les requérantes étaient ainsi en mesure de comprendre de manière non équivoque le raisonnement sur lequel la Commission s'est fondée pour estimer que la même entreprise avait commis les trois infractions en cause.

265 Les requérantes estiment, en troisième lieu, que le taux d'augmentation du montant de base de l'amende pour récidive de 50 % est disproportionné, compte tenu du fait qu'aucun dirigeant de haut niveau de Shell n'a été impliqué dans cette infraction, que le salarié de SNV impliqué n'avait, en revanche, pas participé aux deux infractions précédentes et que les bénéfices des ventes de SNV étaient négligeables par rapport au montant de l'amende.

266 À titre liminaire, il convient de relever qu'il ne ressort pas clairement de l'argument des requérantes si, par ce grief, elles allèguent une violation du principe de proportionnalité par la Commission ou si elles demandent au Tribunal d'apprécier, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, le caractère proportionné du taux d'augmentation du montant de base de l'amende pour récidive appliqué par la Commission dans la décision attaquée.

267 En tout état de cause, le juge de l'Union a déjà rappelé que la Commission devait, en vue de déterminer le montant de l'amende, veiller au caractère dissuasif de son action (arrêt du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T-228-97, Rec. p. II-2969, point 245) et que la récidive était une circonstance qui justifiait une augmentation considérable du montant de base de l'amende, dès lors qu'elle constituait la preuve de ce que la sanction antérieurement imposée n'avait pas été suffisamment dissuasive (arrêt Michelin/Commission, point 38 supra, point 293). De même, le fait pour une entreprise de se voir infliger une amende non proportionnelle à son importance sur le marché en cause ne résulte pas d'une conception manifestement excessive du contexte de récidive, mais de l'ensemble des considérations que la Commission peut, à bon droit, prendre en compte pour déterminer le montant de l'amende, la gravité des infractions devant être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T-38-02, Rec. p. II-4407, points 368 et 369).

268 Par ailleurs, il doit être relevé que la Commission peut, en fixant un taux de majoration au titre de la récidive, prendre en considération les indices tendant à confirmer la propension de l'entreprise concernée à s'affranchir des règles de concurrence, y compris le temps qui s'est écoulé entre les infractions en cause (arrêt du Tribunal du 6 mai 2009, Outokumpu et Luvata/Commission, T-122-04, Rec. p. II-1135, point 62). En l'espèce, il y a lieu de relever, tout d'abord, que l'infraction en cause était, à la date d'adoption de la décision attaquée, la troisième du même type pour laquelle l'entreprise Shell avait fait l'objet d'une décision de la Commission. En particulier, il y a lieu de relever que les infractions en cause dans les décisions Polypropylène et PVC II avaient pour objet, à l'instar de celle à l'origine de la présente affaire, la fixation d'objectifs de prix ou la répartition de parts de marché. Par ailleurs, le Tribunal a déjà estimé qu'une majoration de 50 % était justifiée lorsqu'une période inférieure à dix ans s'était écoulée entre les différentes infractions, comme cela est le cas en l'espèce, l'entente ayant débuté en 1994 (arrêt Groupe Danone/Commission, point 267 supra, points 354 et 355). Enfin, il y a lieu de souligner que, par une décision du 29 novembre 2006, la Commission a considéré que l'entreprise Shell avait enfreint l'article 81 CE en participant avec d'autres entreprises, du 20 mai 1996 au 31 mai 1999, à un accord dans le cadre duquel elles étaient convenues de fixer des objectifs de prix, de partager des clients par des accords de non-agression et d'échanger des informations sensibles relatives aux prix, aux concurrents et aux clients dans les secteurs du caoutchouc et du caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion [décision C (2006) 5700 final de la Commission, du 29 novembre 2006, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] et de l'article 53 de l'accord EEE (Affaire COMP-F-38.638 - Caoutchouc butadiène et caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion)].

269 Dans ces circonstances, aucun des éléments invoqués par les requérantes ne permet de considérer que l'augmentation du montant de base de l'amende de 50 %, afin d'orienter leur comportement vers le respect des règles de concurrence, est disproportionnée. Dès lors, il convient de rejeter ce grief dans la mesure où, d'une part, en procédant de la sorte, la Commission n'a pas enfreint le principe de proportionnalité et, d'autre part, les arguments soulevés par les requérantes ne justifient pas une appréciation de la part du Tribunal différente de celle de la Commission.

270 En quatrième et dernier lieu, les requérantes ont soutenu, pour la première fois, lors de l'audience du 26 janvier 2012, que la Commission avait méconnu leurs droits de la défense en ne leur ayant pas fourni l'opportunité de renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de STT plc (devenue STT) et de KNPM sur leurs filiales sanctionnées pour les deux infractions précédentes.

271 Il y a lieu de rappeler qu'il ressort des dispositions combinées de l'article 44, paragraphe 1, sous c), et de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure que la requête introductive d'instance doit contenir, notamment, un exposé sommaire des moyens invoqués et que la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l'ampliation d'un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement dans la requête introductive d'instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (ordonnance de la Cour du 13 novembre 2001, Dürbeck/Commission, C-430-00 P, Rec. p. I-8547, point 17).

272 Par ailleurs, dans l'exercice de son pouvoir de pleine juridiction, le juge ne peut accueillir de nouveaux moyens ou arguments qu'à la double condition que ceux-ci soient opérants aux fins de son office et qu'ils ne soient pas fondés sur un motif d'illégalité différent de ceux soulevés dans la requête (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C-104-97 P, Rec. p. I-6983, points 27 à 29).

273 En l'espèce, il est constant que les requérantes n'ont soulevé, lors de la procédure écrite, aucun moyen relatif à la violation de leurs droits de la défense que constituerait l'absence d'opportunité de renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante de STT plc (devenue STT) et de KNPM sur leurs filiales sanctionnées pour les deux infractions précédentes. Les requérantes n'ont, par ailleurs, fourni aucune indication selon laquelle ce moyen serait fondé sur des éléments de droit et de fait qui se seraient révélés pendant la procédure. Enfin, contrairement à ce qu'ont soutenu les requérantes lors de l'audience du 26 janvier 2012, ce moyen ne saurait être considéré comme constituant une ampliation du moyen tiré de la violation de l'obligation de motivation soulevé dans la requête.

274 Dès lors, il résulte de ce qui précède que ce moyen doit être rejeté comme irrecevable.

275 En tout état de cause, il y a lieu de souligner qu'il ressort du dossier que, en l'espèce, les requérantes ont eu l'occasion, lors de la procédure administrative, d'apporter des éléments destinés à établir que l'entreprise sanctionnée lors des deux premières infractions n'était pas la même que celle qui faisait l'objet de la présente infraction, dès lors que la Commission avait indiqué dans la communication des griefs (points 93 et 283) que l'entreprise Shell avait, par le passé, déjà été jugée responsable d'infractions à l'article 81 CE, en mentionnant les décisions Polypropylène et PVC II, ainsi que l'arrêt Shell/Commission, point 187 supra.

276 Il ressort de l'ensemble de ce qui précède, d'une part, que la Commission était fondée à augmenter le montant de base de l'amende de 50 % au titre de la récidive et, d'autre part, que le Tribunal considère cette augmentation appropriée.

Conclusion relative aux circonstances aggravantes

277 Il ressort des points 140 à 237 ci-dessus que la Commission n'a pas établi à suffisance de droit que SNV avait joué un rôle d'incitateur et de meneur dans l'infraction en cause. Le Tribunal considère que cette constatation justifie qu'il exerce ses pouvoirs de pleine juridiction en ce qui concerne l'appréciation du rôle joué par SNV dans l'infraction en cause. Il convient de rappeler, à cet égard, que la Commission a imposé aux requérantes une majoration unique de 50 % du montant de base de l'amende au titre de la circonstance aggravante visée au point 2, troisième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes.

278 Le Tribunal estime qu'il convient de supprimer ladite majoration imposée aux requérantes.

279 Le Tribunal conclut, en conséquence de cette réformation, que le montant de l'amende infligée aux requérantes à l'article 2, sous l), de la décision attaquée est réduit à 81 millions d'euro.

Sur les dépens

280 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, premier alinéa, de ce même règlement, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

281 En l'espèce, les requérantes ayant succombé en une partie significative de leurs conclusions, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que chaque partie supportera ses propres dépens.

282 Par ailleurs, il y a lieu de rejeter la demande formulée par les requérantes dans le cadre de leurs conclusions sur les dépens, visant à ce que la Commission soit condamnée aux frais résultant du paiement de l'amende ou de la constitution d'une garantie bancaire. En effet, selon une jurisprudence constante, de tels frais ne constituent pas des dépens de l'instance (voir, en ce sens, arrêt Ciments, point 77 supra, point 5133, et la jurisprudence citée).

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1) L'article 2, sous l), de la décision C (2006) 4090 final de la Commission, du 13 septembre 2006, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] [Affaire COMP-F-38.456 - Bitume (Pays-Bas)], est annulé en tant qu'il fixe le montant de l'amende infligée à Shell Petroleum NV, à The Shell Transport and Trading Company Ltd et à Shell Nederland Verkoopmaatschappij BV à 108 millions d'euro.

2) Le montant de l'amende infligée à Shell Petroleum, à The Shell Transport and Trading Company et à Shell Nederland Verkoopmaatschappij par ledit article 2, sous l), est réduit à 81 millions d'euro.

3) Le recours est rejeté pour le surplus.

4) Chaque partie supportera ses propres dépens.