CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 3 octobre 2012, n° 11-00994
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Teisseire France (SAS)
Défendeur :
Routin (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chokron
Conseillers :
Mme Gaber, Nerot
Avocats :
SCP Monin d'Auriac, Mes Dumont, Guerlain
Vu le jugement contradictoire du 12 novembre 2010 rendu par le Tribunal de grande instance de Paris,
Vu l'appel interjeté le 18 janvier 2011 par la société Teisseire France (ci-après dite Teisseire),
Vu les uniques conclusions du 18 avril 2011 de la société appelante,
Vu les uniques conclusions du 17 juin 2011 de la SA Routin, intimée,
Vu l'ordonnance de clôture du 24 janvier 2012,
SUR CE, LA COUR,
Considérant que la société Teisseire, qui se présente comme leader sur le marché des sirops en France, est, en particulier, titulaire de deux marques tridimensionnelles n° 07 349 0125 et 07 3490128 (figurant chacune un conditionnement Teisseire 0 % de sucre et de calorie , respectivement pour les parfums Grenadine et Citron-Citron vert ) déposées en couleurs le 23 mars 2007, en classe 32 pour désigner notamment des sirops ;
Que reprochant à la société Routin de commercialiser :
- en 2008, un produit Fruiss Sans Sucres qui reproduirait, selon elle, les caractéristiques des signes ainsi protégés,
- depuis 2005, des sirops dans des conditionnements qui se rapprocheraient progressivement et systématiquement des siens,
elle a vainement mis en demeure cette société, le 8 avril 2008, de cesser une telle commercialisation ; que, dans ces circonstances, elle a fait assigner la société Routin devant le Tribunal de grande instance de Paris le 29 mai 2008 en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale ou parasitaire ;
Considérant que, suivant jugement dont appel, les premiers juges ont débouté la société Teisseire de l'ensemble de ses demandes et l'ont condamnée pour procédure abusive ;
Qu'ils ont, en particulier, retenu une faible similitude entre les signes en cause pris dans leur ensemble excluant tout risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne et normalement informé, l'absence de faute de la société Routin et une légèreté blâmable de la société Teisseire, laquelle aurait manifestement agi en réplique à l'action en contrefaçon de brevet intentée par la société Routin à son encontre pour une boisson aromatisée concentrée sans sucre ;
Considérant qu'en cause d'appel, la société Teisseire invoque, tout d'abord, le grief de concurrence déloyale et parasitaire, tiré d'un rapprochement de conditionnement dans le temps, ainsi qu'elle l'a fait en dernier lieu devant le tribunal de grande instance ; que, cependant, ce grief ayant été opposé à l'occasion de la découverte d'une prétendue contrefaçon de marques (ainsi qu'il résulte de la mise en demeure précitée du 8 avril 2008), les premiers juges ont justement examiné préalablement les prétentions de ce chef ;
Sur la contrefaçon de marques
Considérant que l'enregistrement d'une marque ne confère à son titulaire qu'un droit de propriété sur le signe tel que déposé, savoir en l'espèce le conditionnement ainsi représenté :
- marque n° 07-3490125 marque n° 07-3490128
Que la société appelante prétend que ces marques seraient contrefaites par les conditionnements de la gamme Fruiss Sans Sucres, commercialisés à partir de 2008, ainsi reproduits (notamment en pièce 21) :
Considérant qu'il n'est pas contesté que les produits en cause sont identiques à ceux désignés par les marques antérieures, de sorte que le litige porte sur la comparaison des signes protégés avec les conditionnements incriminés ;
Que ces derniers n'étant pas la reproduction à l'identique des marques invoquées, faute de les reproduire sans modification ni ajout en tous les éléments la composant, il convient de rechercher s'il existe entre les signes et conditionnements en cause un risque de confusion, qui doit être apprécié globalement à la lumière de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce ; que cette appréciation globale doit être fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques, en tenant compte notamment des éléments distinctifs et dominants de celles-ci ;
Considérant qu'il convient plus particulièrement de déterminer si l'impression visuelle générale est similaire pour le consommateur d'attention moyenne n'ayant pas les marques et produits simultanément sous les yeux, l'imitation illicite se caractérisant essentiellement par le risque visuel de confusion dans l'esprit du public, s'agissant de marques figuratives ;
Considérant qu'au plan visuel l'impression de proximité tient aux couleurs et à l'agencement ou la présentation des mentions et illustrations du conditionnement ;
Qu'il sera toutefois relevé que l'apposition d'un bouchon bleu clair dans le prolongement du bidon préexistait sur les bidons de l'intimée depuis mars 2006 (pièce 6 de cette dernière) et que le débordement de couleur de ce bouchon figurait antérieurement en particulier dans son dépôt de modèle de forme de bidon, du 20 août 2004, forme correspondant à celle du conditionnement actuellement incriminé;
Que si celui-ci donne à voir, comme les marques figuratives revendiquées, un bidon d'une couleur d'un bleu plus clair comme givré (effet dont l'appelante reconnaît qu'il avait été antérieurement adopté par l'intimée dès 2005), présentant une partie supérieure renflée avec un cartouche vert foncé mentionnant une dénomination en lettres blanches, l'apposition en dessous de la qualité du produit en caractères bleus penchés, une représentation de fruits dans sa partie inférieure, avec l'indication en blanc du nom du parfum dans un cartouche coloré en forme de rectangle déformé, force est également de constater que des conditionnements antérieurs aux dépôts de marques montraient pour l'essentiel une telle configuration ;
Qu'ainsi un bidon de sirop de l'intimée figurait déjà en 2000 (pièce 18 de l'appelante reproduite en page 10 de ses écritures) une représentation de la marque en partie haute en lettres blanches dans un cartouche foncé (même s'il était alors bleu) avec en partie centrale l'indication du type de produit et une illustration de fruits (même si ceux-ci n'étaient pas concentrés en partie basse du bidon) ; qu'un autre conditionnement de 2003 de sirop de l'intimée (oscar de l'emballage, dont l'appelante indique p. 10 précitée de ses écritures qu'il en accentuait la spécificité) présentait également une configuration similaire montrant en dessous de la marque (en lettres blanches, sur fond vert foncé) une illustration des fruits avec au centre l'indication du type de produit ;
Considérant qu'il résulte de ces observations que les éléments, qui confèrent une impression de similarité, sont peu distinctifs en matière de conditionnements de sirops, comportant usuellement des éléments descriptifs de leur contenu ;
Que cette impression est par ailleurs largement occultée par une forme très différente du bidon, immédiatement perceptible, renforcée par des mentions ou éléments distincts ;
Qu'en effet les marques enregistrées montrent un bidon présentant un bouchon trapu aplati, apparaissant comme écrasé et de faible hauteur, se fondant quasiment dans le corps renflé du bidon, resserré dans son tiers supérieur par une sorte de large ceinture, alors que le conditionnement incriminé donne au contraire à voir un bidon élancé, à partir d'une base large pour s'affiner vers le haut jusqu'à sa partie supérieure, formant une sorte d'excroissance sphérique rompant avec la ligne inférieur qu'elle souligne, surmontée d'un fin bouchon droit nettement surélevé ; que conceptuellement l'impression ainsi conférée à ce conditionnement ne rappelle nullement celle plus ramassée des représentations graphiques des marques opposées, étant relevé que la société Teisseire souligne elle-même l'impact dominant dans le domaine de la forme du conditionnement (précisant avoir lancé en 1994 une nouvelle forme de bidon pour se distinguer) ;
Considérant, en outre, que les marques ombrelles apposées sont constituées de termes différents, Teisseire et Fruiss, le second terme étant visiblement nettement plus court dans un cartouche aux côtés droits alors que le premier terme incliné semble déborder d'un cartouche ovale et qu'il n'existe aucune ressemblance phonétique entre ces deux termes que le public concerné ne saurait confondre alors que l'appelante revendique la connaissance de la dénomination Teisseire sur le marché ;
Que les mentions apposées, en bleu de manière inclinée, sous ces marques ombrelles, pour présenter la qualité d'un type de sirop sont également nettement distinctes et occupent une place manifestement plus importante dans les conditionnement incriminés ; qu'ainsi les marques de la société Teisseire mettent largement en évidence par un grossissement démesuré le zéro de 0 % accolé à la mention en minuscules d'imprimerie de sucre et de calorie , le mot sucre apparaissant plus immédiatement lisible, tandis que le bidon Fruiss comporte une large mention dans une calligraphie rappelant l'écriture manuscrite (ce qui est conforté par un cercle plus clair évoquant une mention pour partie entourée de manière manuscrite), seules les deux premières lignes apparaissant reliées par la lettre d'attaque (S) commune aux deux termes Sans et Sucres largement agrandis, avec un pluriel inhabituel et un grand S final pour le premier terme semblant faire pendant à la lettre d'attaque et les mentions explicatives suivantes 0 % Aspartame 0 % Gluten facilement perceptibles par leur taille, présentation propre qui exclut toute assimilation avec celle figurée sur les marques de la société Teisseire ;
Considérant, enfin, que si les illustration des fruits composant le sirop apparaissent dans les deux cas présentés de façon réaliste et donnent une impression de fraîcheur, ils ne sont pas représentés sur les conditionnements incriminés dans un panier parfaitement perceptible sur les marques opposées, puisqu'il représente environ le tiers de l'illustration en cause, tranche par sa couleur (beige) et comporte à la manière d'une étiquette l'indication du parfum en reprenant la couleur dominante (rouge pour la mention "Parfum Grenadine" et verte pour Parfum Citron-Citron vert) ; que cet effet visuel est totalement inexistant dans les conditionnements critiqués l'illustration des fruits étant sobrement soulignée, quelle que soit leur couleur, par un cartouche vert avec simplement la mention du nom du fruit dominant (et des mentions en langue étrangère), la couleur dominante du fruit semblant se prolonger à la base du bidon par une bande de couleur conférant une unité à l'ensemble ;
Considérant, en définitive que les conditions de reprise de certains éléments des marques figuratives de l'appelante ne s'avèrent pas de nature à créer une confusion dans l'esprit du public sur l'origine des produits, malgré la forte similarité de ces derniers, compte tenu d'éléments distinctifs dominants, conférant une impression d'ensemble distincte excluant tout risque de confusion pour le consommateur moyennement avisé des produits considérés ; qu'en conséquence, c'est à juste titre que le tribunal a débouté la société Teisseire de ses demandes au titre de la contrefaçon de marques ;
Sur la concurrence déloyale ou parasitaire
Considérant que l'appelante soutient que la contrefaçon reprochée, dont il a été démontré qu'elle n'était pas caractérisée, serait l'aboutissement d'actes de suivisme de la société Fruiss qui se placerait dans une stratégie fautive de rapprochement progressif et systématique dans ses conditionnements depuis 2005 ; qu'elle prétend ainsi qu'en 2005 la forme et le décor du conditionnement des sirops adverses se seraient rapprochés de sa gamme classique, qu'en 2006 la gamme sans sucre de l'intimé aurait repris des éléments de sa présentation de sirops allégés en sucre et qu'en 2008 leur conditionnement imiterait totalement celui de son produit 0 % de sucre (dont il n'est pas contesté qu'il correspond, pour deux parfums, aux modèles figurés sur ses dépôts de marque ci-dessus examinés dont il a été retenu qu'ils n'avaient pas fait l'objet d'une imitation illicite) ;
Considérant que l'examen des documents et conditionnements produits auquel la cour a procédé conforte cependant le fait que la forme du bidon incriminé est totalement distincte de celle resserrée, avec un bouchon aplati, adoptée par la société Teisseire à partir de 2000, mettant en valeur l'aspect renflé et compact de son bidon, dont il ne peut sérieusement être prétendu qu'il se rapproche de l'impression de bidon élancé et épurée avec un fin bouchon droit, protégé au titre du droit des dessins et modèles depuis 2004 par la société Routin, ensuite d'investissements non négligeables, et commercialisé par celle-ci ;
Considérant que le seul fait que la société Routin ait adopté en 2008 un conditionnement de 50 cl permettant de diminuer la hauteur du conditionnement de 60 cl antérieurement commercialisé, le rapprochant des bidons de 60 cl, Teisseire 0 % de sucre, qui demeure légèrement plus bas (mettant en évidence son caractère plus ramassé) ne saurait être considéré comme fautif, étant observé que la cour a pu observer qu'antérieurement existait sensiblement la même différence de hauteur entre le conditionnement 75 cl de la société Teisseire et le conditionnement Fruiss de 60 cl confortant l'apparence longiligne de ce denier, étant ajouté qu'il ne peut être fait grief à une société de chercher une hauteur de ses conditionnements permettant de les mettre sur les mêmes rayons de magasins que des produits concurrents ;
Considérant que s'agissant du décor des bidons, il ne peut pas plus être retenu que les illustrations et positionnements figurant sur les conditionnements de la société Routin, même s'ils ont évolué dans le temps, relèvent systématiquement depuis 2005 d'une imitation fautive des choix de la société Teisseire ; qu'il a en effet été rappelé que l'intimée utilisait déjà en 2003 un cartouche vert pour mentionner sa marque en lettres blanches (même si étaient alors superposées sur ce logo d'autres mentions) en haut de ses conditionnements de sirops (même si ceux-ci n'étaient pas métalliques), des illustrations de fruits étant situés en partie basse ;
Qu'il résulte, par ailleurs, suffisamment des pièces versées aux débats que d'autres bidons métallique de sirops présentent la même configuration générale des informations et illustrations (marques en partie haute, descriptif central, présentation de fruits en partie basse), voire utilisent l'apposition de gouttes d'eau sur un fond bleu clair pour donner une impression de fraîcheur (susceptible d'évoquer la dissolution du produit dans de l'eau fraîche) et montrent souvent la dénomination du parfum du sirop dans un cartouche de couleur ;
Que si la société appelante soutient qu'il s'agirait presque exclusivement de produits commercialisés par des marques de distributeur, et de conditionnements postérieurs aux siens, ils n'en témoignent pas moins d'une évolution commune du secteur, sans qu'il soit établi qu'elle serait fautivement imputable à la société Routin qui aurait entendu se placer dans le sillage de la société Teisseire, alors que l'impression d'ensemble du décor des conditionnements en cause reste suffisamment distincte pour exclure tout risque de confusion ;
Qu'il sera ajouté que dans le secteur alimentaire le choix d'une couleur bleu clair est souvent dominant pour les produits allégés et que la couleur du bouchon des produits Fruiss Sans Sucres (bleu pâle aspect mat) n'est visiblement pas la même (bleu plus foncé aspect brillant) du bouchon des sirops Teisseire 0 % de sucre ;
Considérant qu'en réalité à aucun moment depuis 2005 les bidons de sirop de la société Routin n'ont pu générer un risque de confusion avec ceux de la société Teisseire ; qu'au contraire, l'intimée a manifestement entendu se démarquer de cette dernière par la création en 2004 d'une forme propre de conditionnement, et à partir de 2006 par une communication sur un produit qu'elle a fait breveter afin de se positionner en véritable alternative au leader du marché des sirops, ce qui ne saurait relever d'une volonté de s'inscrire dans le sillage de l'appelante ou de profiter de ses efforts, investissements ou notoriété ;
Considérant que la décision entreprise ne peut, dans ces conditions, qu'être approuvée en ce qu'elle a retenu qu'aucun acte de concurrence déloyale ou parasitaire n'était établi à l'encontre de la société Routin et rejeté les demandes à ce titre ;
Sur la demande reconventionnelle
Considérant, en revanche, que le seul fait que la société Routin ait procédé pour un sirop sans sucre à une saisie contrefaçon sur le fondement d'un brevet à l'encontre de la société Teisseire et entendu agir à son encontre de ce chef n'exclut pas forcément toute légitimité à une critique du conditionnement de ce sirop à raison de marques préexistantes ou d'agissements fautifs ;
Que si la société Teisseire succombe au fond, tant en première instance qu'en cause d'appel, en toutes ses prétentions de ces chefs il n'est pas pour autant établi que son action a nécessairement revêtu un caractère malin et, en conséquence, abusif qui ouvrirait droit à indemnité compensatoire ;
Qu'il convient donc de débouter la société Routin de sa demande à ce titre et d'infirmer le jugement déféré sur ce point ;
Par ces motifs : Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a condamné la société Teisseire France à payer à la société Routin la somme de 8 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Statuant à nouveau dans cette limite ; Déboute la société Routin de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive ; Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ; Condamne la société Teisseire France aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et à verser à la société Routin une somme complémentaire de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel.