Livv
Décisions

Cass. com., 9 octobre 2012, n° 11-20.725

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Mylan (SAS)

Défendeur :

Ipsen Pharma (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

M. Carre-Pierrat

Avocats :

Me Blondel, SCP Piwnica, Molinié

T. com. Paris, du 24 janv. 2008

24 janvier 2008

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Beaufour Ipsen Pharma (la société Ipsen) commercialise un médicament dénommé "Tanakan", produit à partir d'extrait de feuilles de ginkgo biloba ; qu'en juin 2007, la société Merck génériques, devenue la société Mylan, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de médicaments génériques, a mis sur le marché un médicament appelé "Vitalogink" élaboré, lui aussi, à partir de ginkgo biloba et susceptible d'être prescrit dans les mêmes conditions que le "Tanakan" ; que la société Ipsen ayant observé qu'au moment de la mise sur le marché du "Vitalogink", les ventes de "Tanakan" étaient significativement inférieures aux prescriptions de celui-ci, a fait procéder à des investigations auprès des officines de pharmacie, lesquelles lui ont permis de constater que les prescriptions de ce médicament avaient donné lieu à des ventes de "Vitalogink" par substitution ; que soutenant que ces substitutions résultaient d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme commis par la société Merck génériques, la société Ipsen l'a fait assigner en réparation ;

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et cinquième branches : - Attendu que la société Mylan venant aux droits de la société Merck génériques fait grief à l'arrêt de dire que celle-ci a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme et de la condamner en conséquence à réparer le préjudice en résultant pour la société Ipsen alors, selon le moyen : 1°) que pour être qualifiée de trompeuse, une publicité ou une pratique commerciale doit, non seulement être de nature à induire en erreur la ou les personnes auxquelles elle s'adresse, mais aussi avoir une incidence sur le comportement économique de celles-ci, ce qui implique que la décision d'achat des produits promus par cette publicité, émanant d'un nombre significatif des personnes visées, a été prise, au vu de celle-ci, dans l'ignorance de certains éléments ou dans la croyance erronée en d'autres éléments qui, s'ils avaient été connus ou avérés, auraient fait renoncer ce nombre significatif de personnes à sa décision d'achat ; qu'en l'espèce, s'il résulte des constatations de l'arrêt que des prescriptions médicales de "Tanakan" ont donné lieu à des substitutions illicites par les pharmaciens d'officines du "Vitalogink" à ce médicament, à aucun moment la cour d'appel n'a fait ressortir que ces substitutions ont été opérées par les pharmaciens, professionnels avertis, en raison des publicités et pratiques commerciales imputées à faute à la société Merck génériques devenue Mylan et dans la croyance erronée que le "Vitalogink" était inscrit au répertoire des génériques, ce en quoi l'arrêt est privé de base légale au regard des articles L. 21-1 du Code de la consommation, L. 5122-2 du Code de la santé publique, ensemble de l'article 1382 du Code civil, violés ; 2°) qu'en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée, si la non-inscription au répertoire des médicaments génériques du "Vitalogink", son prix certes inférieur à celui du "Tanakan", mais de beaucoup supérieur à celui qui aurait été le sien s'il s'était agi d'un médicament générique, ou encore son conditionnement, exempt de la mention "ce médicament remplace (...)", d'usage lorsqu'il s'agit d'un médicament générique, n'était pas de nature à rendre impossible toute confusion, dans l'esprit des professionnels acheteurs que sont nécessairement les pharmaciens d'officines, entre le "Vitalogink" et un médicament générique, la cour d'appel prive de nouveau sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil violés et des principes qui gouvernent la concurrence déloyale ; 3°) que s'agissant de la commercialisation d'une nouvelle spécialité pharmaceutique, équivalente et ou interchangeable avec une spécialité déjà ancrée sur le marché totalement dominé par Ipsen, ne constituent pas des actes de parasitisme prohibés les pratiques commerciales ayant pour objet, non d'exploiter la notoriété d'une marque, mais de fournir aux pharmaciens et professionnels de santé concernés l'information pertinente indispensable pour un médicament également en vente libre, à l'instauration d'une concurrence effective sur le marché en cause laquelle ne pouvait être que bénéfique pour les patients, la sécurité sociale, ensemble les autorités de santé publique eu égard à un écart de prix substantiel voulu par lesdites autorités ; que sous cet angle également, la cour d'appel ne pouvait se dispenser de rechercher si le "Vitalogink" ne constituait pas un équivalent thérapeutique du "Tanakan" et d'apprécier la licéité des prétendus actes de parasitisme et de concurrence déloyale imputées à la société Merck génériques, devenue Mylan, au regard de cette totale équivalence, en tenant compte d'objectifs spécifiques d'intérêt général qui gouvernent la matière, objectifs spécifiques radicalement différents d'un produit générique, d'où il suit que l'arrêt n'est pas légalement justifié au regard de l'article 1382 du Code civil, violé, la référence à un contrat de coopération parfaitement licite, étant inopérante ;

Mais attendu qu'après avoir énoncé qu'il résulte de l'article L. 5125-23 du Code de la santé publique qu'un pharmacien ne peut délivrer un médicament ou produit autre que celui qui a été prescrit ou ayant une dénomination commune différente de la dénomination commune prescrite qu'avec l'accord exprès et préalable du prescripteur, sauf en cas d'urgence et dans l'intérêt du patient, et à l'exception de la possibilité de substitution des médicaments génériques aux médicaments princeps initialement prescrits, l'arrêt relève que la société Merck génériques ne justifie d'aucun investissement auprès des médecins, ni auprès des particuliers, pour faire connaître le "Vitalogink" avant son lancement sur le marché et constate que les ventes de celui-ci ne sont résultées que de substitutions dans le cas de prescriptions de "Tanakan", alors que ces deux produits étaient des médicaments de marque ou de référence dits princeps et ne pouvaient être substitués ; que l'arrêt relève encore qu'au moment du lancement de son produit, la société Merck génériques n'en a effectué la promotion qu'auprès des pharmaciens, par des publicités comparatives limitées au prix, ce qui, selon les recommandations de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, doit être réservé aux médicaments génériques, et mettant en avant une économie de 19 % dans le coût du traitement journalier, ce qui ne pouvait que renvoyer au "Tanakan", seul médicament équivalent sur le marché dont le prix était supérieur dans cette proportion ; que l'arrêt ajoute que cette publicité était accompagnée d'une proposition faite aux pharmaciens de signer avec la société Merck génériques un contrat de coopération commerciale pour la promotion des médicaments génériques, présenté comme applicable au "Vitalogink" ; qu'il relève enfin que ce médicament était commercialisé dans un conditionnement similaire à celui des génériques ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, dont il résulte que la société Merck génériques a, par la mise en œuvre de plusieurs procédés, suscité dans l'esprit des pharmaciens la croyance erronée que le "Vitalogink" était un médicament générique du "Tanakan", ce qui les a conduits à substituer le premier au second lorsque celui-ci était prescrit par les médecins alors même qu'une telle substitution leur était interdite, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir le caractère déloyal des pratiques commerciales de la société Merck génériques, a, sans avoir à procéder aux recherches visées aux deuxième et troisième branches du moyen, que ses constatations rendaient inopérantes, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Mylan venant aux droits de la société Merck génériques fait grief à l'arrêt de dire que les comportements fautifs de celle-ci ont occasionné à la société Ipsen un préjudice de 17 071 374 euro et de la condamner à verser à celle-ci cette même somme à titre de dommages-intérêts alors, selon le moyen : 1°) qu'il appartient à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le lien de causalité entre le fait générateur de responsabilité et le préjudice réparé ; qu'en l'espèce, les motifs de l'arrêt enseignent que le préjudice tel qu'indemnisé couvre toute la période comprise entre juin 2007 et le 31 mai 2009, cependant que les actes de parasitisme et de concurrence déloyale imputés à la société Ipsen n'ont été constatés qu'au cours de l'année 2007, correspondant aux tous premiers mois de commercialisation du "Vitalogink" ; qu'il appert également de l'arrêt que le préjudice a été fixé à hauteur de l'intégralité de la perte de marges subie par la société Ipsen au titre de la totalité des substitutions illicites constatées sur la période de juin 2007 au 31 mai 2009, représentant environ 75 % du volume des ventes du "Vitalogink" ; que de tels motifs sont radicalement insuffisants pour caractériser que la totalité des substitutions constatées sur la période considérée sont rattachées par un lien de causalité direct et certains aux agissements imputés à la société Merck génériques, devenue Mylan, d'où il suit que l'arrêt n'est pas légalement justifié au regard de l'article 1382 du Code civil, ensemble du principe de la réparation intégrale ; 2°) qu'il est constant que les deux médicaments en cause sont équivalents, qu'ils sont en vente libre dans les pharmacies, que c'est par arrêtés des 15 mai et 19 juin 2007 que le prix du "Vitalogink" a été fixé à un montant inférieur de 19 à celui du "Tanakan" ; que ces données convergentes constatées par la cour d'appel et invoquées par la société Mylan avaient nécessairement une incidence sur un rééquilibrage nécessaire d'un marché qui jusqu'en 2007 était totalement dominé par Ipsen ; qu'en affirmant que le marché des médicaments à base d'extraits de ginkgo biloba est extrêmement porteur en France et représente un chiffre annuel d'environ 100 millions d'euro, marché sur lequel la société Ipsen occupe plus de 80 % des parts de marché et ce grâce au "Tanakan" pour fixer à 17 071 374 euro le montant du préjudice en se fondant sur l'attestation d'Ipsen faisant état de la marge qu'aurait réalisée Ipsen si cette société avait vendu les volumes de "Tanakan" prescrits pendant la période litigieuse, la cour d'appel ne justifie pas légalement son arrêt au regard de l'article 1382 du Code civil, ensemble au regard du principe de la réparation intégrale ; 3°) que les deux produits en cause étant équivalents, libres à la vente et pouvant l'un et l'autre être prescrit par des médecins notamment sur la durée retenue par la cour d'appel à savoir juin 2007 au 31 mai 2009, celle-ci en réparant comme elle l'a fait le préjudice allégué fait comme si Mylan s'était rendue coupable de faits de contrefaçons ; que tel n'était pas le cas en sorte que le préjudice réparable ne pouvait être caractérisé que par une perte de marché directement liée au comportement de Mylan vis-à-vis des pharmaciens d'officines ; que cette perte sur un marché devenu concurrentiel en l'état de deux produits équivalents ne pouvait être égale à l'intégralité de la perte de marge réalisée si Ipsen avait vendu l'intégralité des volumes "Tanakan" prescrits, d'où la violation du texte et du principe cité au précédent élément de moyen ; 4°) que la cour d'appel ne pouvait, sauf à se contredire retenir d'abord, pour évaluer comme elle l'a fait le préjudice subi par la société Ipsen, "que le marché des médicaments à base de ginkgo biloba est extrêmement porteur en France et représente un chiffre d'affaires annuel d'environ 100 millions d'euro, marché sur lequel la société Ipsen occupe plus de 80 % de parts du marché français" et démentir quelques paragraphes plus loin ces mêmes chiffres, au moment d'apprécier le bien-fondé des demandes reconventionnelles de la société Mylan, en retenant "que la société Mylan qui mentionne que la société Ipsen détiendrait 80 % des parts du marché de ginkgo biloba ne justifie ce chiffre par aucun élément pertinent et par ailleurs ne précise pas cette donnée en termes de chiffre d'affaires ", qu'ainsi l'arrêt méconnaît les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile, ensemble celles de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, violés ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que la société Ipsen a fourni, pour la période de juin 2007 au 31 mai 2009, des données chiffrées émanant d'une société d'études qui démontrent qu'environ 75 % du volume des ventes de "Vitalogink" ont été commercialisés en violation des règles du Code de la santé publique interdisant la substitution, ainsi qu'une attestation de son commissaire aux comptes précisant quelle marge elle aurait réalisée si elle avait vendu les volumes de "Tanakan" prescrits ; qu'en l'état de ces constatations, dont il ressort que le préjudice indemnisé concernait les ventes de "Vitalogink", intervenues pendant la période écoulée entre juin 2007 et le 31 mai 2009, qui résultaient des pratiques déloyales mises en œuvre par la société Merck génériques, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante visée par la deuxième branche et qui n'a pas statué comme si le dommage résultait d'une contrefaçon, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, en second lieu, que le motif critiqué par la quatrième branche comme étant le second terme de la contradiction de motifs alléguée étant surabondant, le grief est inopérant ; d'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses deuxième et quatrième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le quatrième moyen : - Attendu que la société Mylan venant aux droits de la société Merck génériques fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes reconventionnelles de celle-ci tendant à la condamnation de la société Ipsen à lui payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts ainsi qu'à adresser aux pharmaciens concernés une lettre rectificative alors, selon le moyen : 1°) que les motifs de l'arrêt attaqué enseignent que, pour rejeter le grief de dénigrement, la cour d'appel se fonde sur l'illicéité des actes imputés à la société Merck génériques, devenue Mylan, et en déduit que la société Ipsen avait pu légitimement vouloir s'en prémunir en agissant comme elle l'avait fait auprès des pharmaciens en cause ; qu'il s'ensuit que le rejet des demandes reconventionnelles de la société Mylan est lié par un lien de dépendance nécessaire au chef ayant reconnu coupable la société Merck génériques, devenue Mylan, d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme ; que dès lors, la cassation à intervenir sur la base du premier moyen de cassation ne pourra qu'entraîner l'annulation, par voie de conséquence, du chef du dispositif ayant rejeté les demandes reconventionnelles de l'intimée, en application de l'article 624 du Code de procédure civile ; 2°) que la cour d'appel ne pouvait, sauf à se contredire, écarter le grief d'abus de position dominante au motif notamment que "la société Mylan qui mentionne que la société Ipsen détiendrait 80 % des parts du marché de ginkgo biloba ne justifie ce chiffre par aucun élément pertinent et par ailleurs ne précise pas cette donnée en termes de chiffre d'affaires", après avoir elle-même relevé quelques paragraphes plus hauts, pour justifier la condamnation prononcée à l'encontre de la société Merck génériques, devenue Mylan, "que le marché des médicaments à base d'extrait de ginkgo biloba est extrêmement porteur en France et représente un chiffre d'affaires annuel d'environ 100 millions d'euro, marché sur lequel la société Ipsen Beaufour occupe plus de 80 % de parts du marché français", d'où la méconnaissance de ce que postulent l'article 455 du Code de procédure civile, ensemble de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, violés ;

Mais attendu, d'une part, que le rejet du premier moyen rend le premier grief sans objet ;

Et attendu, d'autre part, que, par un motif non critiqué, l'arrêt retient que la société Mylan n'établit pas que la société Ipsen se serait livrée à des pratiques abusives et qu'elle aurait cherché à fausser le jeu de la concurrence sur le marché des produits dérivés du gingko biloba ; que, par ce seul motif, abstraction faite de celui, surabondant, relatif à l'absence de preuve de la position dominante de la société Ipsen, critiqué par la seconde branche, la décision se trouve justifiée ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Et sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches : - Attendu que ce moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le troisième moyen : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; que les juges qui ordonnent la publication d'une décision de condamnation civile sont tenus d'en préciser le coût maximum ;

Attendu que l'arrêt ordonne la publication de son dispositif dans trois revues spécialisées, le Quotidien du médecin, le Quotidien du pharmacien et Pharmaceutiques, ainsi que dans le quotidien national Les Echos dans le mois du prononcé de l'arrêt, sans déterminer le coût maximum de ces publications ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais en ses seules dispositions relatives à la publication de la décision, l'arrêt rendu le 28 avril 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.