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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 29 mars 2012, n° 10-01060

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ringeval

Défendeur :

Cosmogen (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Luc

Avoués :

SCP Grappotte-Benetreau-Jumel, SCP Duboscq-Pellerin

Avocats :

Mes Amado, Laurin

T. com. Paris, du 1er déc. 2009

1 décembre 2009

Faits Constants et Procédure

La SAS Cosmogen, qui a pour activité la vente de produits cosmétiques, a signé le 15 novembre 2005 un contrat d'agent commercial avec M. Nicolas Ringeval lui donnant mandat pour vendre ses produits aux USA et au Canada. Ce contrat à durée indéterminée a pris effet rétroactivement le 1er novembre 2005 avec une clause de tacite reconduction de 12 mois, un avenant en date du 3 octobre 2006 ayant également modifié les conditions de commission. L'objectif à atteindre pour la première année fixait les ventes à 1 500 000 euro HT et était redéfini tous les ans d'un commun accord. La SAS Cosmogen a résilié le contrat le 9 avril 2008, avec un préavis d'un mois, en raison du non-respect de la clause de minima. M. Nicolas Ringeval a contesté cette résiliation par courrier en date du 27 mai 2008 et a adressé des relances pour le paiement des commissions et des indemnités qui sont restées vaines, de sorte qu'après mise en demeure du 23 juin 2008, il a, par acte en date du 15 juillet 2008, assigné la société Cosmogen devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement en date du 1er décembre 2009, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit que la résiliation du contrat pour faute grave n'est pas avérée,

- condamné la Sas Cosmogen à payer à M. Nicolas Ringeval la somme de 67 174,14 dollars au titre des commissions dues, ou la contre-valeur en euro, débouté pour le surplus, avec intérêts au taux légal à compter du 1er Janvier 2009,

- condamné la Sas Cosmogen à payer à M. Nicolas Ringeval la somme de 83 333 dollars au titre de l'indemnité compensatrice, ou la contre-valeur en euro au cours du change au jour du paiement, débouté pour le surplus,

- condamné la Sas Cosmogen à payer M. Nicolas Ringeval la somme de 2 000 dollars au titre de l'indemnité de préavis avec intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 2008, ou la contre-valeur en euro au cours du change au jour du paiement,

- débouté M. Nicolas Ringeval de sa demande au titre de l'indemnité de brusque rupture,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires au présent jugement,

- condamné la Sas Cosmogen à payer à M. Nicolas Ringeval la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. Nicolas Ringeval a interjeté appel le 19 janvier 2010.

Vu les dernières conclusions signifiées le 14 avril 2001 par lesquelles M. Nicolas Ringeval demande à la cour de :

- le recevoir en son appel, l'y dire bien fondé,

- confirmer le jugement rendu le 1er décembre 2009 par la 3e Chambre du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a dit que la résiliation du contrat pour faute grave n'est pas avérée et en ce qu'il a condamné la société Cosmogen à lui payer la somme de 2 000 euro au titre de l'indemnité de préavis avec intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 2008 ou la contre-valeur en euro au cours du change au jour du paiement,

- l'infirmer pour le surplus,

- dire et juger que le contrat d'agent commercial en date du 15 novembre 2005 a été résilié abusivement par la société Cosmogen,

- en conséquence, faire droit à l'intégralité des demandes de M. Ringeval,

- condamner la société Cosmogen à lui payer :

- la somme de 108 466,78 US dollars en principal ou leur contre-valeur en euro,

- une indemnité de clientèle d'un montant de 554 996,34 US dollars ou sa contre-valeur en euro, montant qui correspond à deux années de commissions sur la base des douze derniers mois d'activité,

- une indemnité supplémentaire pour brusque rupture d'un montant de 277 498,08 US dollars ou sa contrevaleur en euro, montant qui correspond à 1 année de commissions sur la base des douze derniers mois d'activité,

- débouter la société Cosmogen de toutes ses demandes, fins et conclusions y compris plus amples ou contraires,

- la condamner à payer à M. Ringeval la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre celle allouée à ce titre par le tribunal.

M. Ringeval affirme que la rupture du contrat d'agent commercial par la société Cosmogen est abusive.

Il souligne qu'en sa qualité de représentant non exclusif de la société Cosmogen sur le territoire des Etats-Unis, il devait représenter les produits de maquillage conçus, développés ou approvisionnés par la société Cosmogen, présents ou à venir et qu'il n'avait nullement l'obligation de travailler uniquement sur les produits brevetés ou de trouver de nouveaux clients pour la société Cosmogen.

Il fait valoir que l'objectif contractuel prévu initialement aurait dû, au regard des termes du contrat être revu à la baisse car une grave crise économique a perturbé l'activité commerciale pendant deux ans.

Il estime avoir toujours exécuté son mandat avec les meilleures diligences possibles et réussi notamment à développer considérablement l'activité de la société Cosmogen aux Etats-Unis.

Vu les dernières conclusions signifiées le 23 novembre 2011 par lesquelles la société Cosmogen demande à la cour de :

- confirmer en tous points le jugement rendu le 1er décembre 2009 par le Tribunal de commerce de Paris,

- débouter M. Ringeval de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. Ringeval à verser à Cosmogen la somme de 10 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Cosmogen fait observer que M. Ringeval avait l'obligation contractuelle de développer les ventes de produits Cosmogen aux Etats-Unis et précisément de trouver de nouveaux clients, compte-tenu des obligations inhérentes et consubstantielles à tout mandat d'agent commercial.

Elle souligne qu'elle n'a pas seulement résilié le contrat d'agence commercial pour non-respect par ce dernier de son objectif de chiffre d'affaires de 1 500 000 euro, mais surtout du fait de son incapacité à développer la clientèle et les activités de Cosmogen aux Etats-Unis.

Elle réfute également les allégations de M. Ringeval selon lesquelles elle aurait toujours été satisfaite de ses résultats alors qu'elle estime qu'il y avait des manquements avérés de son agent commercial constitutifs d'une faute grave, privative de l'indemnité compensatrice.

Elle fait en outre valoir que le tribunal de commerce a justement estimé le montant des commissions ainsi que l'indemnité compensatrice dues à M. Ringeval et demande à la cour de débouter M. Ringeval de sa demande d'indemnité pour brusque rupture.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

M. Nicolas Ringeval n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué, lequel repose sur des motifs pertinents, non contraires à l'ordre public, résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure, notamment des pièces contractuelles et de la juste application de la loi et des principes régissant la matière.

- Sur la rupture du contrat d'agent commercial :

M. Nicolas Ringeval a été l'agent commercial de la société Cosmogen du 1er novembre 2005 au 15 mai 2008 sur le territoire des Etats Unis et du Canada pour 'tous les produits de maquillage conçus, développés ou approvisionnés par la société Cosmogen, présents ou à venir.

M. Nicolas Ringeval exerçait également un mandat d'agent commercial aux Etats Unis pour le compte d'une autre société, la société CEP.

M. Ringeval ne peut soutenir qu'il n'aurait pas eu d'obligation contractuelle de trouver de nouveaux clients alors qu'il s'agit d'une obligation inhérente au mandat d'agent commercial et que le contrat fait expressément référence à une mission de prospection et à la création d'une clientèle sur le marché américain.

La circonstance que la société Cosmogen ne soit pas un fabriquant, mais un concepteur de nouveaux produits qu'elle fait fabriquer dans des usines indépendantes en Asie et un distributeur non exclusif de ces produits, est sans incidence sur le litige.

Le contrat d'agence prévoyait un objectif minimum annuel de chiffre d'affaires HT de 1 500 000 euro, représentant seulement 13 % de plus que ce qui avait déjà été réalisé par la société Cosmogen seule en 2005 (1 307 000 euro).

Or, le chiffre d'affaires a beaucoup baissé puisqu'il n'a été que de 811 000 euro en 2006, de 901 000 euro en 2007 et 519 000 euro au 31 mai 2008, soit au moment de la rupture du contrat d'agence.

La société Cosmogen soutient à juste titre que ces résultats ont été obtenus grâce à ses clients historiques, M. Ringeval n'ayant réussi à apporter pendant la période contractuelle que trois petits clients, la société Jouer Cosmetics en 2007 et les sociétés ACI et Lise Watier en 2008, générant un apport de chiffre d'affaires total de 44 000 euro.

Le seul fait de ne pas avoir atteint l'objectif minimum prévu ne peut cependant constituer une faute grave, seule privative du droit de l'agent commercial à percevoir une indemnité de préavis et une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, en application des articles L. 134-11 et L. 134-13 du Code de commerce.

En effet, il convient d'observer que l'objectif fixé au contrat d'agence n'a pas été redéfini annuellement d'un commun accord entre les parties alors que, pendant les deux ans et demi de coopération, il est constant qu'une grave crise a perturbé l'activité économique, de sorte que l'objectif aurait dû être revu à la baisse.

En outre l'objectif minimum avait été prévu en euro alors que les transactions ont eu lieu en dollar et que la parité entre euro et dollar n'a pas été favorable à M. Ringeval pendant la période considérée et n'a pas contribué utilement à la réalisation de l'objectif contractuel.

Au surplus, la société Cosmogen ne produit aucun document émanant de ses services ou en provenance de clients, faisant état de plaintes quant à la qualité ou l'efficacité du travail de M. Ringeval.

Au demeurant, la manière dont la société Cosmogen s'est séparée de M. Ringeval, en lui proposant de continuer leur collaboration en échange d'une réduction de son taux de commission jusqu'à la fin de 2008, est incompatible avec la notion même de faute grave entraînant nécessairement une séparation immédiate des partenaires commerciaux.

En conséquence, le jugement dont appel doit être confirmé en ce qu'il a considéré qu'il n'y avait lieu de retenir une faute grave de l'agent commercial et en ce qu'il a retenu son droit à une indemnité de préavis et une indemnité compensatrice de rupture.

D'ailleurs dans le dispositif de ses dernières conclusions, la société Cosmogen demande la confirmation pure et simple du jugement entrepris.

Par contre, M. Ringeval ne démontre pas que la rupture du contrat d'agence serait abusive alors qu'il convient de rappeler, qu'en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce, chacune des parties peut mettre fin au contrat d'agent commercial à durée indéterminée moyennant un préavis.

Il conviendrait donc que M. Ringeval justifie que la société Cosmogen a abusé de son droit de mettre fin au contrat d'agence, ce qui ne résulte pas des éléments du dossier.

Au contraire, comme l'a souligné le tribunal, les modalités de sortie progressive du contrat proposées par la société Cosmogen et effectivement mises en œuvre n'ont pu être que bénéfiques à M. Ringeval.

En conséquence, le jugement dont appel doit être confirmé en ce qu'il a débouté M. Ringeval de sa demande d'indemnité pour rupture abusive du contrat d'agent commercial.

- Sur les demandes de M. Nicolas Ringeval :

M. Ringeval est en désaccord avec les montants qui lui ont été alloués par le tribunal au titre de ses commissions, qui lui ont été payés par la société Cosmogen, qui ne les conteste pas, sur deux points :

- le taux de commission de 3 %, au lieu de 5 % antérieurement, appliqué pendant la période de sortie du contrat,

- la commission concernant la commande du client Revlon en 2008.

Dans le courrier de résiliation du 9 avril 2008, la société Cosmogen a écrit à M. Ringeval :

Par ailleurs, si vous en êtes d'accord, nous sommes disposés à vous octroyer une commission exceptionnelle pour toutes commandes reçues avant le 31/12/2008 en échange de votre participation active au déroulement et à la concrétisation des études ou projets actuellement en cours.

Si vous en êtes d'accord vous voudrez bien nous le faire savoir par écrit.

Dans ces conditions le montant des commissions serait de :

- 1 % du montant des commandes reçues pour les produits de l'annexe 1 de votre contrat et de 3 % du montant des commandes reçues pour les autres produits qui ont déjà été facturés,

- 3 % sur toutes les commandes correspondantes aux produits de votre liste d'études ou liste de projets dont vous voudrez bien nous envoyer un exemplaire sous 48 heures après réception de ce courrier.

Il est bien entendu que les commissions seront versées exclusivement et uniquement sur toutes commandes reçues avant le 31/12/2008.

Vous n'aurez ensuite plus droit à aucune commission pour les commandes reçues à compter du 01/01/2009. Vous voudrez bien nous faire connaître par écrit votre accord pour cette mission temporaire entre le 15/05/2008 et le 31/12/2008.

Il est constant que M. Ringeval n'a pas expressément accepté cette proposition. Il y a cependant implicitement adhéré puisqu'il a accepté sans les contester les commissions au taux de 3 % à compter de la résiliation du contrat d'agence jusqu'au 31 décembre 2008.

Le fait qu'il ait continué à établir ses factures au taux précédent de 5 % ne démontre pas le contraire, dès lors qu'il a bien accepté de poursuivre le contrat jusqu'à la fin de l'année 2008 comme le lui proposait l'intimée.

Il convient de souligner qu'il ne s'agit pas de la diminution du taux de commission mais d'un nouveau taux s'appliquant à la période de sortie du contrat proposée par la société Cosmogen alors que rien ne l'y obligeait.

S'agissant de la commande du client Revlon, force est de constater que sa commande modifiée date du 2 juillet 2008, de sorte que le nouveau taux de 3 % doit y être appliqué.

M. Ringeval doit donc être débouté de sa demande de paiement d'une somme complémentaire de 41 292,64 US dollars.

Il doit être donné acte à la société Cosmogen de ce qu'elle accepte de verser à l'appelant une somme supplémentaire de 200 euro en sus de celle qu'elle a déjà versé à hauteur de 67 174,14 US dollars déjà versée dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement entrepris, cette somme correspondant à la rectification d'une erreur de calcul des commissions dues. En tant que de besoin, il convient de l'y condamner.

Les deux parties sont d'accord pour la confirmation du jugement déféré en ce qui concerne l'indemnité de préavis due par la société Cosmogen à M. Ringeval.

L'indemnité de rupture due à l'agent commercial doit réparer le préjudice résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune.

Il est d'usage de calculer l'indemnité de cessation du contrat sur la base de la moyenne des trois dernières années d'exercice normal du contrat.

En l'espèce, la période contractuelle a duré trois ans, de sorte que le tribunal a justement retenu l'ensemble des commissions versé par la société Cosmogen à M. Ringeval comme base de calcul de l'indemnité de rupture, soit 250 000 US dollars.

En effet, rien ne permet en l'espèce de déroger à cet usage en calculant l'indemnité sur une base plus réduite, telle que la dernière année d'exercice du contrat.

Pour une durée effective d'exécution du contrat d'agence de deux ans et demi, puisque les six mois supplémentaires correspondent à la sortie progressive du contrat, il est légitime d'accorder à M. Ringeval une indemnité équivalente à un an de commissions, de sorte que le jugement dont appel doit également être confirmé sur ce point.

L'équité commande d'allouer à la société Cosmogen une indemnité de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, - Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sous réserve d'une somme supplémentaire de 200 euro que la société Cosmogen accepte de payer au titre des commissions, ce dont il convient de lui donner acte, en tant que de besoin, - Condamne la société Cosmogen à payer à M. Nicolas Ringeval cette somme supplémentaire de 200 euro, - Déboute les parties de leurs plus amples demandes, - Condamne M. Nicolas Ringeval à payer à la société Cosmogen la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, - Condamne M. Nicolas Ringeval aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.