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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 25 septembre 2012, n° 12-01131

CHAMBÉRY

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Peggy Sage (SAS)

Défendeur :

Le Calvez , YM Diffusion (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Billy

Conseillers :

MM. Leclercq, Morel

Avocats :

SCP Fillard Cochet-Barbuat, Me Guichard

T. com. Annecy, du 3 avr. 2012

3 avril 2012

FAITS ET PROCEDURE

M. Yann Le Calvez distribue sous l'enseigne Direct Coiffure, via son site Internet www.directcoiffure.com, notamment des produits de la marque Peggy Sage.

Le 25 septembre 2009, la société Peggy Sage, qui commercialise des produits cosmétiques et de parfumerie au moyen du réseau de distribution sélective qu'elle a mis en place, a adressé un courrier à M. Le Calvez lui demandant de cesser immédiatement toute utilisation sur son site Internet de photographies de sa marque et de son logo, ainsi que toute distribution de ses produits.

M. Le Calvez a cessé l'utilisation de la marque et du logo, mais a poursuivi la diffusion des produits Peggy Sage.

Après avoir vainement saisi le juge des référés qui a rejeté sa demande par ordonnance du 15 décembre 2010, la société Peggy Sage a assigné M. Le Calvez devant le Tribunal de commerce d'Annecy aux fins qu'il lui fasse interdiction sous astreinte de vendre les produits de sa marque par l'intermédiaire de son site Internet, qu'il soit condamné à lui payer une somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts et qu'il ordonne la publication du jugement dans la presse spécialisée.

La société YM Diffusion, exploitante du site de M. Le Calvez en vertu d'un contrat de location-gérance, est volontairement intervenue à l'instance.

Par jugement du 3 avril 2012 le tribunal a débouté la société Peggy Sage de toutes ses demandes et l'a condamnée au paiement de la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Pour rejeter la demande, le tribunal s'en est rapporté à la motivation utilisée par le juge des référés qui avait retenu que la licéité des réseaux de distribution sélective était contestée comme se heurtant au principe de la libre concurrence.

La société Peggy Sage a relevé appel de ce jugement.

Les intimés, non assignés à personne, n'ont pas constitué avocat.

Le présent arrêt sera donc rendu par défaut.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société Peggy Sage demande à la cour :

- d'annuler le jugement entrepris,

- d'ordonner la cessation de la vente de tous produits Peggy Sage par M. Le Calvez ou la société YM Diffusion sur le site Internet http://www.directcoiffure.com ou tout autre site Internet,

- d'ordonner, si la qualité d'ambassadeur Peggy Sage devait être reconnue à l'un d'entre eux, le retrait de leur autorisation de distribuer les produits Peggy Sage,

- d'assortir cette interdiction de distribution d'une astreinte de 1 000 euro par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- de condamner solidairement M. Le Calvez et YM Diffusion à lui payer la somme de 10 000 euro,

- de condamner M. Le Calvez à faire publier l'arrêt à intervenir, à ses frais, sur la page d'accueil de son site Internet pendant une durée de trois mois et dans les revues spécialisées suivantes :

* Echos de la Coiffure

* Coiffure de Paris

* Nouvelles Esthétiques

* Cabines

* Pro Esthetic

* Cosmétique Mag

- de condamner solidairement M. Le Calvez et la société YM Diffusion au paiement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir :

- que le jugement est nul pour déni de justice, défaut de motivation et défaut de réponse à conclusions,

- que son réseau de distribution sélective est licite comme répondant aux critères fixés par les textes et la jurisprudence en la matière : nécessité d'une distribution adéquate du produit compte tenu de l'image de prestige, de la qualité, de la technicité du produit, critères de sélection objectifs, application non discriminatoire des critères de sélection, critères de sélection ne comportant pas d'exigences disproportionnées, critères de sélection n'ayant pas pour objet d'exclure certaines formes déterminées de distribution, étant précisé que le réseau ne prohibe pas la commercialisation par Internet, que certains membres du réseau utilisent d'ailleurs et qu'il n'entraîne pas la disparition de la concurrence,

- que la commercialisation de ses produits par les intimés, sans être soumis aux contraintes des membres de son réseau, constitue un acte de concurrence déloyale, leur approvisionnement étant irrégulier puisqu'un membre du réseau n'est autorisé à vendre ses produits qu'à un autre distributeur ou à un partenaire particulier, à savoir un professionnel de la coiffure ou de l'esthétique dénommé "Ambassadeur", qui respecte un cahier des charges précis, et la commercialisation des produits leur étant interdite puisqu'ils ne font pas partie du réseau ou n'ont pas la qualité d'Ambassadeur, cette commercialisation étant faite dans des conditions ne respectant pas l'environnement correspondant à l'image et au prestige des produits, et, par conséquent, les dévalorisant, alors qu'elle leur permet de bénéficier de la valeur publicitaire de la marque pour développer la vente de leurs autres produits (parasitisme), les prix pratiqués étant déloyaux comme inférieurs à ceux du réseau,

- que les intimés commettent également une faute justifiant l'interdiction et les dommages et intérêts sollicités en vendant, alors qu'ils ne sont pas membre de son réseau, des produits protégés internationalement par sa marque enregistrée.

MOTIFS

Attendu que le jugement entrepris ne ressort pas du déni de justice puisque les premiers juges ont statué sur le litige qui leur était soumis ;

Qu'en revanche, en se référant purement et simplement, sans autre examen ni analyse, à la motivation, au demeurant inadaptée devant une juridiction de fond puisque basée sur l'existence d'une contestation sérieuse, précédemment employée par le juge des référés pour rejeter la demande, le tribunal n'a pas motivé sa décision au sens de l'article 455 du Code de procédure civile ;

Qu'en application de l'article 458 de ce même Code, ce défaut de motivation justifie l'annulation du jugement entrepris ;

Attendu que, compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel, il y a lieu de statuer sur le fond ;

Attendu qu'il ressort des productions que les produits cosmétiques et de parfumerie distribués aux professionnels par la société Peggy Sage, propriétaire de la marque éponyme, de renommée internationale, compte tenu de leur caractère haut de gamme, de leur technicité et de l'image d'excellence qu'ils véhiculent auprès de la clientèle, justifient leur distribution au travers d'un réseau spécifique ;

Qu'il résulte du libellé du contrat de distribution sélective proposé par la société Peggy Sage et des autres productions que les critères de sélection utilisés pour intégrer le réseau sont objectifs (qualification du distributeur, qualité de son point de vente, respect d'un cahier des charges portant sur les méthodes de prestations et de vente), appliqués de manière non discriminatoire, non contraignants en ce qui concerne les prix de vente, proportionnés à l'image d'excellence véhiculée par les produits, non exclusifs de formes déterminées de distribution (la vente par Internet et par correspondance sont autorisées sous certaines conditions justifiées par la nécessité de maintenir l'intégrité du réseau), et enfin, non éliminatoires de la concurrence, tant interne qu'externe ;

Qu'ainsi le réseau de distribution sélective mis en place par la société Peggy Sage est licite au regard des dispositions de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Attendu que la distribution par les intimés, via le site Internet www.directcoiffure.com, des produits Peggy Sage, hors du cadre du réseau de distribution précité, sans accord de la société Peggy Sage, alors que le contrat de distribution ne permet aux membres de revendre qu'à des professionnels respectant un cahier des charges précis, constitue un acte de concurrence déloyale, puisque cette commercialisation s'effectue sans soumission aux contraintes des membres du réseau, notamment en ce qui concerne la qualité de la distribution, ce qui permet à ses auteurs, ainsi qu'il ressort des productions, de pratiquer des prix inférieurs à ceux habituellement constatés dans le réseau, tout en profitant du bénéfice de l'image de la marque et des diverses actions publicitaires mises en œuvre dans l'intérêt de la marque et des membres du réseau, le tout au risque de dévaloriser son image d'excellence ;

Que ces agissements, qui se perpétuent, à tout le moins depuis 2009, ont nécessairement causé un préjudice financier à la société Peggy Sage se montant, compte tenu des éléments d'appréciation soumis à la cour, à la somme de 8 000 euro au paiement de laquelle il y a lieu de condamner solidairement les intimés qui ont ainsi engagé leur responsabilité délictuelle ;

Qu'il convient aussi d'ordonner la cessation sous astreinte de la vente par les intimés des produits Peggy Sage sur Internet et la publication du présent arrêt comme il sera précisé dans son dispositif ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et par défaut, Annule, pour défaut de motivation, le jugement entrepris, Ordonne la cessation de la vente de tous produits Peggy Sage par M. Le Calvez et la société YM Diffusion sur le site Internet http://www.directcoiffure.com ou tout autre site Internet, Dit que cette interdiction de distribution est assortie d'une astreinte de 1 000 euro par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt, Condamne solidairement M. Le Calvez et YM Diffusion à payer à la société Peggy Sage la somme de 8 000 euro à titre de dommages et intérêts, Condamne M. Le Calvez à faire publier l'arrêt à intervenir à ses frais, sur la page d'accueil de son site Internet pendant une durée de trois mois et, dans la limite de 1 500 euro par insertion, par extrait dans les revues spécialisées suivantes : * Echos de la Coiffure, * Coiffure de Paris, * Nouvelles Esthétiques, * Cabines, * Pro Esthetic, * Cosmétique Mag, Condamne solidairement M. Le Calvez et la société YM Diffusion à payer à la société Peggy Sage la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne solidairement M. Le Calvez et la société YM Diffusion aux dépens de première instance et d'appel, ceux d'appel étant distraits au profit de la SCP Fillard Cochet Barbuat.