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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 10 octobre 2012, n° 09-22994

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bricorama France (SA)

Défendeur :

Aux Galeries des vêtements (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jacomet

Conseillers :

Mmes Saint-Schroeder, Luc

Avocats :

Mes Pellerin, Chaumanet, Baechlin, Bispo, Trumer

T. com. Créteil, du 8 sept. 2009

8 septembre 2009

La SARL Aux Galeries des vêtements - AGV, qui a pour activité la fabrication et la vente de vêtements de travail, a transmis les 6 mai et 13 juin 2005 des propositions à la SAS Bricorama France, ci-après Bricorama, pour habiller les vendeurs et le personnel des magasins de cette société à l'enseigne Bricorama et Baktor et prévoyant principalement un prix de vente des vêtements franco de port de 180 euro HT, un délai de livraison de 72 heures maximum partout en France pour toute commande passée avant 15 heures et la mise en place d'un stock suffisant à la charge financière de AGV. Le 8 mars 2006, Bricorama a mis un terme aux relations commerciales pour défaut de respect des obligations de AGV sur tous les produits référencés. Celle-ci a alors assigné Bricorama en référé en payement d'une provision de 47 491,07 euro correspondant à des factures impayées. Par ordonnance du 17 mai 2006, le président du Tribunal de commerce de Créteil prenait acte de ce qu'un chèque de 23 633,97 euro avait été remis à la barre à AGV et dit n'y avoir lieu à référé pour le surplus compte tenu de l'existence de contestations sérieuses. AGV a assigné Bricorama en payement de la somme restant en litige de 20 091,13 euro, comprenant celle de 11 102,77 euro de reprise de stock, ainsi que de celle de 63 200 euro pour rupture abusive devant le Tribunal de commerce de Créteil qui, par jugement du 8 septembre 2009, a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire sous réserve d'une caution bancaire en cas d'appel, dit Bricorama mal fondée en ses demandes au titre des préjudices commerciaux et l'en a déboutée, l'a dit bien fondée à mettre fin, sans préavis, aux relations commerciales l'unissant à AGV et a débouté celle-ci de sa demande d'indemnités formée de ce chef, a condamné Bricorama à payer à AGV, au titre du rachat du stock mis en place par cette dernière, la somme de 11 102,77 euro avec intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2006, a dit cette société mal fondée en ses demandes de payement au titre des pénalités de retard et des frais de transport et l'en a déboutée, a condamné Bricorama à payer à AGV au titre des factures dues, la somme de 5 039,19 euro TTC avec intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2006, a dit AGV mal fondée en sa demande de dommages et intérêts et l'en a déboutée et a condamné Bricorama à payer à AGV la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions du 19 octobre 2011, Bricorama, appelante, demande à la cour, au visa des articles 1146 et 1315 du Code civil, 31 du Code de procédure civile et L. 442-6 alinéa 5 du Code de commerce, de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que le protocole d'accord du 5 septembre 2005 était inapplicable et qu'aucun préavis contractuel n'avait été convenu entre les parties, a débouté AGV de ses demandes afférentes aux frais de transport, pénalités de retard, pertes et gains manqués au titre d'une prétendue rupture abusive, pris acte de ce que la somme de 3 931,77 euro TTC de factures n'étaient pas dues à AGV par elle mais par des tiers étrangers au litige, de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de constater que AGV a failli à ses obligations contractuelles en livrant des marchandises affectées de malfaçons, non conformes et avec un taux de service insuffisant et de nombreux retards, de juger, en conséquence, qu'elle était bien fondée à mettre fin, sans préavis, aux relations commerciales l'unissant à AGV et, en vertu du principe d'inexécution, à surseoir au paiement de la somme de 11 120,77 euro afférente à la reprise de stock, juger que AGV n'a ni qualité, ni intérêt à agir à son encontre au titre des 9 factures de marchandises dues par les franchisés Derbrey, Issoire, Foy et Relecq pour 1 717,46 euro et par la société Exploitation agricole Lepetit Morne pour 2 570,16 euro ou pour quelque autre montant que ce soit et pour lesquelles AGV n'apporte aucun justificatif et condamner AGV à lui verser la somme de 3 873,18 euro au titre des préjudices commerciaux subis du fait de ses multiples défaillances. Subsidiairement, elle demande la désignation d'un expert. Elle réclame la somme de 10 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 5 avril 2011, AGV conclut au rejet des demandes de Bricorama, à l'infirmation de la décision déférée, à la condamnation de Bricorama à lui payer la somme de 19 204,77 euro au titre du solde de sa créance avec intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2006, date de la première mise en demeure, celle de 34 400 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi suite à la rupture abusive des relations commerciales et celle de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles.

SUR CE

Considérant que Bricorama soutient que le projet de contrat intitulé "protocole d'accord" du 5 septembre 2005 sur lequel AGV fonde ses réclamations n'a pas été signé et est inapplicable et que les parties ont décidé implicitement que le droit commun s'appliquerait en cas de rupture des relations commerciales ; qu'elle était bien fondée à mettre fin aux relations commerciales l'unissant à AGV du fait des multiples défaillances constatées (rupture des stocks, retards) et des malfaçons affectant les vêtements vendus ; que AGV a failli à son obligation de résultat tendant à livrer des marchandises conformes au marché passé et dans les conditions et délais négociés ;

qu'ayant alerté AGV dès le mois de février 2006 sur les défaillances constatées, celle-ci a disposé d'un mois pour y remédier ; de sorte qu'elle était bien fondée à mettre fin à ses relations commerciales avec AGV au mois de mars 2006 pour fautes graves et répétées sans préavis nouveau alors que le droit commun des contrats n'exige aucun préavis dans un tel cas si le vendeur a été mis en mesure de remédier aux défauts constatés ; qu'elle affirme ne pas être tenue, aux termes de l'offre du 6 mai 2005, ni de payer les frais de transport qui sont à la charge du vendeur ni de reprendre les stocks dans le cadre d'une résiliation pour fautes graves et répétées et qu'en outre les factures dont AGV réclame le payement correspondent à des commandes passées par des magasins franchisés indépendants ou par une société tierce étrangère ; qu'elle ajoute que les conditions générales de vente invoquées par AGV pour réclamer des pénalités pour frais de recouvrement sont inapplicables et ne lui sont pas opposables dès lors qu'elle n'en a pas eu connaissance et qu'elle ne les a jamais acceptées ;

Considérant que AGV objecte que la résiliation est fautive pour être intervenue alors que Bricorama ne verse aucune pièce matérielle objective établissant les prétendues inexécutions contractuelles qui lui sont reprochées et sans préavis lui permettant d'écouler le stock commandé, fabriqué mais non livré et que l'offre commerciale du 6 mai 2005 imposait le rachat du stock par Bricorama en cas de rupture des relations commerciales ; qu'elle prétend avoir appliqué le franco de port prévu dans les offres commerciales tant que les frais de livraison n'excédaient pas 180 euro HT et que pour le dépassement elle a facturé à la société Bricorama France les frais de livraison pour 960 euro ; qu'elle fait observer que les conditions générales de vente figurent au verso des factures adressées à Bricorama qui ne peut donc soutenir qu'elles lui sont inconnues ;

Qu'elle indique avoir perdu, à la suite de cette soudaine rupture, un gain équivalent à 120 000 euro HT, chiffre d'affaires moyen réalisé par an dont la part de résultat net est de 12 %, soit 14 400 euro et avoir subi des pertes à hauteur de 20 000 euro après avoir mis en place une ligne de production internationale pour réaliser la fabrication des vêtements en Chine ou au Maroc, engagé de nombreux frais de correspondances et de transport pour la réalisation de ses prestations et supporté des frais de stockage à raison des marchandises disponibles non reprises par Bricorama France ;

Considérant, cela exposé, qu'il est constant que suivant offres des 6 mai et 13 juin 2005, AGV a proposé à Bricorama une fabrication en Asie de vêtements professionnels ; qu'il était prévu que AGV aurait pour mission de gérer au mieux le stock avec mise en place d'un stock nécessaire et suffisant, ce dernier étant de sa pleine charge financière et, en contrepartie, Bricorama s'engageait à assurer une rotation de minimum 4 fois par an la valeur financière et de racheter le stock en cas de rupture de contrat ; que la livraison sous 72 heures maximum partout en France était garantie pour toute commande passée avant 15 heures, avec un franco de port de 180 HT même en cas de renouvellement partiel ;

Qu'en revanche, aucun protocole n'a été signé par les parties de sorte que les dispositions énoncées au projet de protocole du 5 septembre 2005 rédigé par Bricorama sont inapplicables ;

Considérant que Bricorama a passé commande de vêtements pour ses employés auprès de AGV à compter du mois de septembre 2005 jusqu'au mois de février 2006 ; que les parties ont ainsi entretenu une relation commerciale à durée indéterminée ;

Que par courrier électronique du 20 février adressé au gérant de AGV, Brice Kaufmann, Bricorama émettait le souhait d'un rendez-vous en vue d'aborder différents points importants relatifs notamment aux ruptures de stock et au défaut de livraison de certains magasins avant de relancer la production ; que par lettre du 21 février 2006, cette société écrivait à M. Kaufmann pour lui proposer de le rencontrer le 27 février suivant pour faire le point sur divers problèmes, lui précisant que s'il ne pouvait assurer sa présence, elle serait dans l'obligation de cesser toute activité commerciale avec lui ;

Que par lettre du 8 mars 2006, Bricorama informait AGV de ce qu'elle se trouvait dans l'obligation de rompre toutes relations commerciales pour défaut de respect de ses obligations sur tous les produits référencés (vêtements d'image et produits de sécurité) ;

Considérant que Bricorama fait valoir que la rupture a pour origine les nombreuses malfaçons constatées sur les vêtements livrés par AGV dès le mois de décembre 2005 et qu'elle n'était pas tenue de respecter un préavis, estimant néanmoins que AGV a disposé d'un préavis d'un mois depuis son courrier électronique du 20 février lui permettant ainsi de remédier aux défaillances constatées ;

Mais considérant que ce courrier du 20 février 2006 ne fait pas état de malfaçons ; que la plupart des 28 courriers électroniques émanant de directeurs de magasins à l'enseigne Bricorama faisant état de problèmes de qualité des vêtements ou de retard de livraison ont été adressés à l'appelante à sa demande le 7 mars 2006, soit la veille de l'envoi de la lettre de résiliation, voire le 8 mars ou plus tard ; que, cependant, il n'est justifié que du retour de sweat-shirts le 1er février 2006 par le magasin de Marly pour un montant inférieur à 180 euro HT et d'un courrier électronique antérieur au 7 mars 2006 aux termes duquel le responsable du magasin de Dizy écrit le 6 février 2006 à Bricorama pour indiquer que les tailles sont justes, les pressions ferment mal voire pas du tout, l'épaisseur du tissu est très mince, les étiquettes au niveau du col sont coupées, les finitions ne sont pas "au top" ; que ces défaillances ne peuvent être qualifiées de manquements graves et répétés aux obligations de AGV ;

Considérant qu'en rompant brutalement la relation commerciale établie entre les parties sans préavis alors que l'inexécution des obligations de AGV n'avait pas un degré de gravité telle que justifiant une rupture dans ces conditions, Bricorama a engagé sa responsabilité et est tenue de réparer le préjudice en découlant ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a dit Bricorama bien fondée à mettre fin sans préavis aux relations commerciales l'unissant à AGV et débouté celle-ci de sa demande d'indemnité formée de ce chef ;

Qu'eu égard à la durée de la relation commerciale, il convient de fixer à un mois la durée du préavis que Bricorama aurait dû respecter ;

Considérant que AGV sollicite, en premier lieu, le payement de la somme en principal de 20 091,13 euro comprenant la somme de 11 120,77 euro TTC correspondant à la reprise du stock, celle de 1 361,01 euro due par des franchisés et celle de 2 570,16 euro due par un tiers, tout en reconnaissant que pour ces deux factures elle a commis une erreur en les imputant à Bricorama, celle de 960 euro au titre des frais de transport et celle de 7 124 euro au titre de pénalités ;

Considérant qu'aux termes des propositions des 6 mai et 13 juin 2005 il était prévu que Bricorama rachèterait le stock en cas de rupture du contrat ; que le procès-verbal d'huissier dressé le 30 mars 2009 démontre que le nombre des produits en stock à cette date correspond à celui visé dans la facture du 9 mars 2006 du montant réclamé ; que c'est donc avec pertinence que le tribunal a condamné Bricorama au payement de la somme de 11 120,77 euro TTC ;

Considérant que les frais de transport n'étaient dus par Bricorama qu'en deçà d'un montant de commande de 180 euro HT ; que AGV ne rapporte pas la preuve de l'existence de commandes inférieures à ce montant, aucune facture n'étant versée aux débats ; que ce chef de demande a été rejeté à juste titre par les premiers juges ;

Qu'il en va de même des pénalités réclamées par AGV faute par celle-ci d'établir que ses conditions générales de vente, dont elle produit un exemplaire non signé par Bricorama, ont été acceptées par cette dernière ; qu'aucune facture n'a été fournie permettant de vérifier que ces conditions générales de vente étaient reproduites au verso de chaque facture ;

Que c'est à tort que le tribunal a condamné Bricorama à payer à AGV la somme de 5 039,19 euro TTC à titre de factures impayées, cette somme ne ressortant d'aucune pièce et ne figurant d'ailleurs pas dans le décompte effectué par AGV ;

Considérant que AGV conclut, en second lieu, à la condamnation de l'appelante à lui payer, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la brusque rupture, la somme de 14 400 euro au titre du gain perdu calculé sur la base d'une année et celle de 20 000 euro au titre des pertes éprouvées affirmant avoir été contrainte de mettre en place une ligne de production internationale pour réaliser la fabrication des vêtements en Chine ou au Maroc et d'engager de nombreux frais de correspondance et de transport pour la réalisation de ses prestations ;

Considérant qu'il résulte de l'attestation de l'expert-comptable de AGV que celle-ci a réalisé un chiffre d'affaires avec Bricorama de 43 718,52 HT du 1er septembre 2005 au 10 février 2006 ; que la cour ayant fixé à un mois le préavis qu'aurait dû respecter Bricorama et le taux de marge n'étant pas contredit, il y a lieu de condamner cette société à payer à AGV la somme de 1 200 euro au titre du préjudice subi au titre du gain manqué ;

Considérant que s'agissant des pertes éprouvées alléguées par AGV, aucune pièce justificative de l'existence de telles pertes n'a été communiquée ; que l'intimée sera, en conséquence, déboutée de ce chef de demande ;

Considérant que Bricorama demande au dispositif de ses dernières conclusions la condamnation de AGV à lui payer la somme de 3 873,18 euro au titre de préjudices commerciaux subis du fait des multiples défaillances de l'intimée ; que, toutefois, elle ne démontre pas l'existence d'un préjudice causé par une faute de AGV ; que cette demande sera rejetée ;

Et considérant qu'il y a lieu d'allouer une indemnité supplémentaire à AGV en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la demande formée au même titre par Bricorama étant rejetée ;

Par ces motifs : Infirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Bricorama France à payer à la société Aux Galeries des vêtements la somme de 11 120,77 euro avec intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2006 au titre du rachat du stock, a débouté la société Aux Galeries des vêtements de ses demandes en payement de frais de transport et de pénalités et a condamné la société Bricorama France à lui payer la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, Statuant à nouveau des chefs infirmés, Condamne la société Bricorama France à payer à la société Aux Galeries des vêtements la somme de 1 200 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la brusque rupture de la relation commerciale établie, Condamne la société Bricorama France à payer à la société Aux Galeries des vêtements la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la société Bricorama France aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.