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Décisions

CA Nancy, 2e ch. com., 3 octobre 2012, n° 10-03346

NANCY

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Top Compo (SARL)

Défendeur :

Maximo (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cunin

Conseillers :

MM. Schneider, Bruneau

Avocats :

SCP Millot-Logier, Fontaine, Mes Bach-Wassermann, Hubsch, Sala Martin

T. com. Bar-Le-Duc, du 5 nov. 2010

5 novembre 2010

EXPOSE DU LITIGE

La SA Maximo a pour activité la distribution de produits alimentaires vendus sur catalogue ; elle a confié à la SARL Top Compo, à partir d'octobre 2005, la réalisation de ses catalogues mensuels, supports de vente de ses produits.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 6 juillet 2008, la SA Maximo a signifié à la SARL Top Compo la fin de leurs relations commerciales, avec un préavis de 10 mois, et qu'elle dispensait son partenaire de l'exécution de ses prestations durant ce temps ; la SA Maximo versait à la SARL Top Compo le 7 octobre 2008 une indemnité compensatrice d'un montant de 63 636 euro.

Estimant la rupture des relations commerciales non conforme aux dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, la SARL Top Compo a, par acte d'huissier du 31 octobre 2008, fait citer la SA Maximo devant le Tribunal de commerce de Bar-Le-Duc aux fins de l'entendre condamner à lui payer la somme totale de 246 464 euro au titre du préjudice subi.

Par jugement du 5 novembre 2010, cette juridiction a débouté la SARL Top Compo de ses demandes au motif notamment de ce que le délai de 10 mois était satisfaisant au regard des relations entre les parties et que l'indemnité payée par la SA Maximo avait été correctement évaluée.

La SARL Top Compo a interjeté appel de cette décision.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 16 décembre 2011, la SARL Top Compo demande de voir réformer la décision entreprise.

Elle expose en premier lieu que d'une part la rupture des relations commerciales est brutale au sens des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce en ce que la SA Maximo a cessé ses commandes dès réception de la lettre du 6 juillet 2008, et que la dispense d'exécution ne peut avoir pour effet d'atténuer cette brutalité, d'autant que l'indemnité dont se prévaut la SA Maximo n'a été réglée qu'en octobre 2008 ; que d'autre part le délai de 10 mois est insuffisant au regard de la durée des relations entre les parties, soit 13 années, et que la SARL Top Compo se trouvait en état de dépendance économique par rapport à la SA Maximo, avec qui elle réalisait 63 % de son chiffre d'affaires ; que, compte tenu de ces éléments, l'indemnité due par la SA Maximo doit être calculée sur la base d'un préavis de 15 mois ; qu'enfin, l'indemnité versée par la SA Maximo est d'un montant dérisoire par rapport au préjudice subi, compte tenu notamment du mode de calcul choisi, qui sous-estime de façon importante le taux de marge réalisé par la SARL Top Compo, établi par des documents comptables ; qu'en conséquence, l'indemnisation sur ce point ne peut être inférieure à la somme de 161 363 euro.

En deuxième lieu, la SARL Top Compo fait valoir que la rupture des relations commerciales est abusive en ce que les griefs formulés par la SA Maximo, soit l'inadaptation des prestations fournies ou les prétendues augmentations de tarif, sont fallacieux ; que la SA Maximo ne s'est jamais plainte des prestations fournies ; qu'en revanche, la SARL Top Compo a dû réorganiser sa production en hâte et a notamment procédé à des licenciements ; que le préjudice subi est important.

La SARL Top Compo demande donc de voir constater le caractère brutal et abusif de la rupture des relations commerciales dont la SA Maximo a pris l'initiative, et condamner celle-ci à lui payer les sommes de 161 364 et 100 000 euro en réparation des préjudices subis ; subsidiairement, elle demande de voir ordonner une expertise comptable afin de fixer le montant de l'indemnité due par la SA Maximo, et en tout état de cause de la condamner à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions déposées le 23 janvier 2012, la SA Maximo demande de voir confirmer la décision entreprise.

Elle expose en premier lieu que d'une part la rupture ne présente aucun caractère de brutalité en ce que le délai de préavis, soit 12 mois au total, était plus favorable que ceux habituellement pratiqués en la matière compte tenu de l'ancienneté des relations entre les parties ; que d'autre part les données comptables retenues par la SARL Top Compo pour fonder ses demandes indemnitaires ne sont pas pertinentes, ni même vérifiables ; qu'elles sont à tout le moins peu cohérentes et que les indicateurs retenus ne correspondent pas au secteur d'activité auquel appartient la SARL Top Compo ; qu'en revanche, sur la base d'un taux de marge correspondant à l'activité réelle de celle-ci, il apparaît que l'indemnité versée est sensiblement supérieure au préjudice réellement subi ; qu'enfin, la SARL Top Compo ne peut se prévaloir d'une dépendance économique vis-à-vis de la SA Maximo dans la mesure où les deux sociétés n'étaient pas liées par des accords d'exclusivité, et que la SARL Top Compo était libre de rechercher d'autres clients.

En deuxième lieu, la SA Maximo soutient que la SARL Top Compo n'a pas pu s'adapter aux évolutions technologiques lui permettant de rendre le service attendu d'elle, ce d'autant qu'elle a bénéficié de rémunérations lui permettant d'investir ; qu'elle ne peut donc reprocher à la SA Maximo de souhaiter changer de partenaire pour ces prestations ; que la demande indemnitaire sur ce point est infondée.

En troisième lieu, la SA Maximo fait valoir que la demande d'expertise est injustifiée, les documents apportés par elle permettant de vérifier et de confirmer sa position quant au montant de l'indemnité versée.

La SA Maximo demande donc de voir débouter la SARL Top Compo de ses demandes, et de la condamner à lui payer la somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 juin 2012.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu que l'article L. 442-6-I du Code de commerce dispose qu'"engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels" ;

Attendu que la SA Maximo a confié à la SARL Top Compo des travaux de conception et de réalisation de son catalogue mensuel support de son activité de vente par correspondance de produits alimentaires ;

Que, par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 6 juillet 2008, la SA Maximo a informé la SARL Top Compo qu'elle mettait un terme aux relations commerciales liant les deux sociétés, avec préavis de 10 mois ; que la SA Maximo précisait qu'elle dispensait la SARL Top Compo de l'exécution du préavis, et qu'elle proposait à celle-ci de se rapprocher "dans les meilleurs délais" afin d'arrêter "de concert" le montant de l'indemnité revenant à la SARL Top Compo, de façon à ce que cette indemnité soit versée "sans tarder" ;

Que, par courrier du 16 juillet 2008, la SARL Top Compo répondait, par l'intermédiaire de son conseil, qu'elle contestait la proposition de la SA Maximo, et sollicitait que le délai de préavis soit allongé ;

Que par courrier du 7 octobre 2008, la SA Maximo précisait qu'à défaut d'accord entre les parties, elle portait le préavis à 12 mois, fixait le montant de l'indemnité due à la SARL Top Compo à la somme de 63 636 euro, fondée sur la marge mensuelle moyenne du chiffre d'affaires réalisé par la SARL Top Compo sur les travaux confiés par la SA Maximo.

- Sur la durée des relations entre les parties :

Attendu qu'il ressort du dossier que les parties ont conclu en mars 1997 un "contrat de collaboration" prévoyant notamment le contenu de la prestation réalisée par la SARL Top Compo ; que celle-ci produit par ailleurs au dossier des factures portant sur des prestations de même nature et datant des mois d'octobre à décembre 1995 ; que ces prestations doivent être prises en compte pour fixer la durée totale de la relation commerciale entre les parties ; que, compte tenu de ces éléments, cette durée s'établit à près de 13 années.

- Sur la brutalité de la rupture :

Attendu que la SARL Top Compo soutient que la rupture des relations commerciales initiée par la SA Maximo est brutale en ce que la "dispense d'exécution de préavis" équivaut à une absence de préavis dans la mesure où les commandes ont immédiatement cessé et que l'indemnisation, par ailleurs insuffisante, n'est intervenue que trois mois après la rupture ;

Mais attendu que si les dispositions de l'article L. 442-6-I du Code de commerce ont pour but de permettre au fournisseur bénéficiant de relations commerciales établies avec un client de réorienter son activité consécutivement à la cessation de ces relations, elles n'imposent pas la poursuite des relations durant la durée de préavis dans la mesure où le client compense la perte relative à cette rupture ; qu'en l'espèce il ressort du dossier que la SA Maximo a offert dès le 6 juillet 2010 une indemnité compensatrice, et qu'il n'est pas démontré qu'elle a intentionnellement repoussé le règlement de cette indemnité ;

Attendu que s'il ressort du dossier que la SA Maximo était le client le plus important de la SARL Top Compo, celle-ci ne démontre pas qu'elle ne disposait pas d'une solution alternative pour réduire la part de ce client dans son chiffre d'affaires ; qu'en conséquence, elle ne démontre pas s'être trouvée en position de dépendance économique vis-à-vis de la SA Maximo ;

Attendu que la durée raisonnable du préavis est fonction du temps nécessaire pour organiser la reconversion et atténuer les désagréments causés par la rupture ; qu'en l'espèce, le préavis était en premier état fixé à 10 mois, porté à 12 mois ; qu'il ressort des pièces du dossier que les prestations fournies par la SARL Top Compo consistaient en des prestations intellectuelles n'emportant pas la mise en œuvre de moyens matériels lourds, et que la compensation de la perte de la clientèle de la SA Maximo pouvait s'opérer essentiellement par une prospection commerciale soutenue ; que dès lors, le durée du préavis donné était suffisante ;

Attendu que la SARL Top Compo soutient que l'indemnité qui lui a été réglée est insuffisante dans la mesure où la SA Maximo a calculé le montant de cette somme sur des bases erronées ; qu'elle produit au dossier une attestation de son expert-comptable faisant état d'une "marge brute" de 98 %, et d'une "marge nette avant structure" de 62 % ; que la SA Maximo produit une étude sectorielle faisant état d'un "taux de marge brute" de 10,7 % en 2007 ;

Mais attendu d'une part que l'attestation produite par la SARL Top Compo indique qu'elle est établie à partir de "données non tirées d'une comptabilité analytique" et qu'il s'agit d'un "document réalisé de bonne foi sur la base des informations fournies par l'entreprise" ; que d'autre part la notion de "taux de marge brute" dont se prévaut la SA Maximo ne correspond pas au ratio de "marge brute" utilisé par l'expert-comptable ; que de plus l'étude sectorielle porte sur des entreprises comportant plus de 20 salariés alors que la SARL Top Compo se situe sous cette strate ;

Attendu que l'indemnité versée à la SA Top Compo s'entend de la marge brute qu'elle aurait été en droit d'escompter de la poursuite des relations commerciales complètes jusqu'à l'issue du préavis ; que les éléments versés au dossier par les parties ne permettent pas de statuer sur ce point ;

Qu'il convient donc d'ordonner une expertise selon les modalités indiquées au dispositif ;

Attendu que, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de surseoir à statuer, et de réserver les dépens ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Avant dire droit, Sursoit à statuer sur les demandes ; Ordonne une expertise confiée à monsieur Xavier Felder, <coordonnées>, avec mission de : - Les parties entendues ou régulièrement convoquées ; - entendre les parties en leurs explications, ainsi que tous sachants, - se faire remettre tous documents utiles à sa mission, même détenus par des tiers ; - déterminer, en explicitant les méthodes de calcul retenues, la marge brute réalisée par la SA Top Compo du fait de ses relations avec la SA Maximo, sur les exercices 2006, 2007 et 2008 ; - de manière générale, donner tout élément ou informations utiles à la juridiction pour trancher le litige ; Fixe à la somme de trois mille cinq cents euro (3 500 euro) le montant de la provision sur la rémunération de l'expert qui devra être consignée entre les mains du Régisseur d'Avances et de Recettes de la Cour d'appel de Nancy par la SARL Top Compo avant le 30 novembre 2012, à peine de caducité de la désignation de l'expert ; Dit que, de toutes ses opérations et constatations, l'expert dressera un rapport qu'il déposera au secrétariat-greffe de la cour dans un délai de quatre mois à compter du jour de l'avis de consignation délivré par le greffe et que ce dépôt sera précédé par la communication aux parties, au moins un mois auparavant, d'un pré-rapport, dont copie sera adressée au magistrat chargé du service du contrôle des expertises ; Dit que, dans le mois de la première réunion, l'expert devra adresser au service du contrôle des expertises de la cour une évaluation sommaire du coût prévisionnel de ses opérations ; Dit que l'expert pourra s'adjoindre tout sapiteur de son choix dans une spécialité distincte de la sienne ; Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert commis, il sera pourvu à son remplacement d'office par ordonnance du juge chargé du contrôle des expertises ; Renvoie à la mise en état du 18 décembre 2012 ; Réserve les dépens.